Chapitre 54 : Séréna
Séréna émergea lentement du sommeil. Elle se sentait bien, le drap qui la couvrait était d'une étoffe très douce, le matelas confortable. Elle avait du mal à rassembler ses idées. Où était-elle ? À qui appartenait cette main chaude et calleuse qui tenait la sienne ?
Les souvenirs des derniers événements s'imposèrent à elle sans prévenir : le sommet de la Vigie, le sauvetage de la Princesse. La vague de pouvoir sombre qui l'avait frappée alors qu'elle était profondément immergée dans la magie des cristaux. La douleur qui s'était répandue dans son corps, terrible, brûlante, insoutenable. Elle avait cru que son crâne allait se fendre sous la pression, ses membres se disloquer et son esprit se dissoudre. Ses yeux s'ouvrirent dans un sursaut.
La douce lumière d'un matin d'été la fit ciller. Tout semblait calme autour d'elle. Elle se risqua à lever légèrement la tête, s'attendant à ressentir à nouveau la souffrance à chacun de ses gestes, mais il n'en fut rien.
Elle réalisa qu'elle se trouvait dans la chambre du Prince. Armand qui l'avait pratiquement porté jusqu'ici et pris soin d'elle avec une tendresse et une douceur que jamais personne ne lui avait manifestées auparavant. Armand qui lui avait dit qu'il voyait au-delà du masque alors que le choc et la douleur l'empêchaient de lâcher prise. Toujours Armand qui l'avait rassurée et tenue dans ses bras jusqu'à ce qu'elle s'endorme. Et il était toujours là, assoupi dans un fauteuil près du lit, sa main dans la sienne, un livre ouvert posé sur ses genoux.
Il avait veillé sur elle toute la nuit, peut-être même depuis des jours. Combien de temps avait-elle dormi ? Le souffle coupé, elle l'observa : il avait la tête légèrement renversée en arrière, ses yeux clos étaient cernés de violet, mais ses traits lui parurent sereins. La fine cicatrice sur son menton était bien visible et l'angle de son visage soulignait ses pommettes hautes. Un rayon de soleil faisait ressortir les reflets dorés de ses cheveux châtains en bataille.
Comment n'avait-elle pu s'en rendre compte avant ? C'était l'homme le plus beau qu'il lui ait été donné de contempler. Elle aurait pu s'y adonner pendant des heures. Le sommeil offrait à son visage une sérénité qu'il n'avait pas dans l'éveil.
Le léger froissement des draps suffit à le tirer de sa somnolence. Il sursauta, ouvrit les yeux, dévoilant ces pupilles bleu acier qu'elle aimait tant. Il croisa son regard, et un doux sourire illumina son visage, en chassant les ombres. Il referma le livre et le déposa sur la table de nuit. Puis, il se pencha en avant et porta la main de Séréna à ses lèvres, l'effleurant d'un baiser.
– Tu es enfin réveillée, dans sa voix perçait le soulagement. Tu as dormi plus d'un jour entier, j'étais inquiet.
– Oups... ça fait bien plus que cinq minutes du coup... Je suis désolée.
Sa bouche était sèche et sa langue pâteuse. Il remplit un verre d'eau et le lui tendit alors qu'elle se redressait. Pendant qu'elle buvait, il abandonna le fauteuil pour s'asseoir au bord du lit et arranger les coussins dans son dos pour permettre à Séréna de s'installer en position assise.
– Ne t'excuse pas, dit-il en caressant sa joue de son pouce. Tu avais besoin de ce temps pour reprendre des forces. Comment te sens-tu à présent ?
– Je vais bien, affirma-t-elle.
Ses paroles sonnaient infiniment plus juste que ces mêmes mots qu'elle avait martelés sans relâche au sommet de la Vigie.
– Grâce à toi.
Il lui sourit à nouveau et Séréna sentit son cœur battre plus vite. Néanmoins, elle reprit :
– Mais tu as veillé sur moi pendant tout ce temps, sans répit ?
Il opina. La jeune femme ressentit une immense reconnaissance, mais aussi une pointe de culpabilité. Le Prince avait déjà moins dormi qu'elle la nuit de leur retour à Centralia. Elle ne voulait pas qu'il s'épuise ni qu'il souffre à cause d'elle.
– Armand, je suis touchée, personne n'avait jamais fait cela pour moi. Mais ce n'est pas raisonnable.
– Éloïse est venue me relayer quelques heures hier soir. Elle m'a forcé à faire un brin de toilette et à me reposer un peu. Elle m'a convaincu en arguant que si je t'embrassais avec l'haleine de Kernel, tu pourrais défaillir à nouveau.
Elle inclina la tête sur le côté, l'ombre d'un sourire ourlant ses lèvres.
– On peut vérifier ?
– Quoi donc ?
Il fronça les sourcils et elle se délecta de la surprise qui naissait sur son visage.
– Si je m'évanouis quand tu m'embrasses.
Il ne répondit pas, se pencha vers elle et posa doucement ses lèvres sur les siennes. Le baiser fut d'abord aussi léger qu'une caresse, presque un effleurement. Mais la chaleur qui en émanait enflamma tous les sens de Séréna qui laissa échapper un soupir. Armand en profita pour approfondir leur échange, sa main libre se glissant derrière sa nuque. Comme à chaque fois qu'il l'embrassait, tout le reste passa au second plan. Il n'y avait plus qu'eux et la merveilleuse sensation que rien d'autre ne comptait. Quand ils se séparèrent, leurs souffles étaient courts, leurs regards verrouillés l'un à l'autre.
– Alors ? murmura-t-il une lueur d'amusement dans les yeux. Toujours là ?
– À peine, admit-elle, une expression radieuse sur le visage.
Pendant qu'il caressait de nouveau tendrement sa joue de son pouce et qu'elle fondait devant le bleu de ses yeux, Séréna réalisa à ce moment-là l'ampleur de ce qu'elle avait failli perdre. Un frisson remonta le long de son échine. La réalité de ce qu'elle avait frôlé : la mort, le néant, la dissolution totale, lui apparut soudain dans toute sa violence.
Un tremblement agita ses mains, et elle détourna brièvement les yeux, cherchant à reprendre le contrôle de ses émotions. Elle aurait pu mourir. Et si cela s'était produit, elle n'aurait jamais eu la chance de vivre ce qu'ils partageaient en cet instant. Le Prince remarqua son changement d'attitude, plissa les yeux, cherchant l'origine de son malaise.
– Qu'y a-t-il ? Tu as mal quelque part ?
Elle secoua la tête, cherchant à reprendre le contrôle. Les mots se bousculaient à la frontière de ses lèvres, mais elle ne se décidait toujours pas à les laisser la franchir. C'est alors qu'elle se souvint des paroles d'Armand avant qu'elle ne s'abandonne au sommeil : Ici il n'y a que toi et moi et tu as le droit de reconnaître quand ça ne va pas. Avec lui, elle avait le droit de ne pas être forte tout le temps, d'admettre qu'elle s'était sentie submergée, terrorisée.
– Je... j'ai failli tout lâcher, bredouilla-t-elle enfin. La douleur était tellement intense. Je pensais que mon corps n'allait pas le supporter, que tout allait s'arrêter, que j'allais... cesser d'exister.
Elle s'interrompit, essayant vainement de ravaler ses larmes. Armand se rapprocha encore, son front venant se poser contre le sien. Ses bras l'entourèrent avec douceur, comme pour lui transmettre sa force. Ses doigts glissèrent dans ses cheveux, et il la tint ainsi, dans un silence seulement ponctué par ses sanglots.
– Je t'aurais retrouvée en dépit de tout, murmura-t-il contre son oreille. Je ne t'aurais jamais laissé partir.
Elle ferma les yeux, se raccrochant fermement à ses paroles. En cet instant, elle le croyait : il serait venu la chercher, même dans les tréfonds des ténèbres. Elle inspira profondément son odeur de cuir et de bruyère pour aller puiser en elle le courage de continuer :
– Perdue dans la douleur, il y a eu un moment où... elle hésita. Un moment où j'ai souhaité que ça se termine. Que tout s'arrête.
Armand ne bougea pas, ne desserra pas son étreinte. Il attendit, la laissant rassembler ses pensées.
– Je voulais tout abandonner. Cette souffrance, c'était...
Elle secoua la tête en frissonnant.
– Je ne sais pas comment la décrire. C'était comme si mon esprit et mon corps se brisaient. J'ai cru... que je n'étais plus rien. Que je n'allais plus te revoir. Que je ne retrouverai jamais mes parents, mes amis. J'ai eu tellement peur.
Il l'embrassa doucement sur le front, ses lèvres pressées contre sa peau chaude.
– C'est fini maintenant, souffla-t-il. Tu t'en es sortie. C'est tout ce qui compte.
Elle hocha la tête, puis, elle laissa ses larmes couler librement en se laissant aller contre lui. Elle pleura, pour tout ce qu'elle avait failli perdre et pour tout ce qu'elle avait encore à gagner. Quand ses yeux s'asséchèrent enfin, elle osa lever le regard vers Armand. Elle sentit sa respiration calme contre son visage, ses bras protecteurs toujours enroulés autour d'elle. Séréna s'imprégna de cette sensation de sécurité, de cette proximité qu'elle n'avait jamais connue avec personne d'autre.
– Merci, chuchota-t-elle en se reculant légèrement pour contempler ses traits qui semblaient taillés dans le roc. Je n'ai pas l'habitude de me laisser aller ainsi. En général, je suis plutôt la fille qui écoute. Pas celle qui se confie.
– Tu n'as pas à me remercier, tu sais. Tu ne me dois rien. J'ai moi aussi frôlé la mort, plusieurs fois. C'est important d'en parler. De ne pas rester seul face aux angoisses que cela peut générer. Je suis heureux que tu te sentes suffisamment en confiance pour t'en ouvrir à moi.
Il cueillit sa dernière larme de son pouce. Ce contact déclencha une myriade de frissons sur sa joue.
– D'ailleurs, je ne t'ai pas veillé pour obtenir un quelconque remerciement. Je l'ai fait parce que je me soucie de toi Séréna. Énormément.
Elle sentit qu'elle rougissait sous son regard et toutes les barrières qu'elle avait érigées autour de son cœur s'effondrèrent. Elle ouvrit la bouche pour répondre, mais les mots se perdirent dans sa gorge. Que pouvait-elle dire ? Elle ressentait tant de choses qu'elle avait du mal à tout exprimer. Voyant son trouble, Armand sourit doucement. Il se pencha pour effleurer ses lèvres d'un baiser léger. Puis il se redressa et posa ses mains en coupe autour de son visage.
– Je sais que tu as l'habitude de tout gérer seule. Mais je suis là pour toi à présent. Aussi longtemps que tu voudras bien de moi.
Séréna sentit son cœur fondre un peu plus. Elle laissa échapper un rire nerveux, secouant la tête.
– Tu sais que tu es bien trop parfait pour être réel ?
– Parfait ? Moi ?
Il haussa un sourcil avant de laisser échapper une exclamation incrédule.
– Je suis loin d'être parfait. Mais... si je peux être celui qui marche à tes côtés, alors c'est tout ce qui compte.
Leurs fronts se touchèrent, et Séréna ferma les yeux, savourant cette intimité, ce moment de complicité partagée.
– Ne change jamais, murmura-t-elle. Reste toujours... toi.
Il lui sourit, son visage tout proche du sien, et Séréna sentit sa gorge se serrer sous l'émotion. Elle lui rendit ce sourire, glissa ses mains sur ses épaules et le tira doucement vers elle.
– Embrasse-moi encore, souffla-t-elle. S'il te plaît... juste... embrasse-moi.
Armand ne se fit pas prier. Il posa ses lèvres sur les siennes. Séréna se perdit dans ce baiser, sa main caressa son cou, puis remonta pour s'agripper à ses cheveux, son corps se pressant contre le sien. Il y avait tellement de douceur, de patience dans la manière dont il la touchait, comme s'il essayait de graver chaque instant dans sa mémoire. Elle aussi prit son temps, savourant chaque seconde, chaque soupir d'Armand et lui rendit le moindre de ses baisers, chacune de ses attentions avec la même intensité. On frappa à la porte et Zélie entra. La Guérisseuse s'arrêta en plein mouvement, une expression de surprise sur le visage. Ils s'interrompirent et Séréna se sentit rougir de la tête aux pieds.
– Par les Lunes ! s'exclama la guérisseuse. J'espère que je n'interromps rien.
– Soyez la bienvenue Zélie, répondit Armand dissimulant habilement sa gêne. Vous n'interrompez rien, je m'assurais seulement que Séréna n'avait pas trop froid.
Cette dernière admira la pirouette avec laquelle Armand tentait de les sortir de l'embarras. Ses joues la brûlaient tant qu'elles devaient sûrement être écarlates. Elle se dégagea légèrement de l'étreinte du Prince, son cœur battant encore la chamade sous l'effet de leur proximité, et se redressa pour tenter de retrouver un semblant de contenance. Zélie, toujours postée près de la porte, observait la scène avec un mélange de malice et de bienveillance, les bras croisés et un sourire moqueur sur les lèvres.
– Eh bien, je vois que ma patiente a retrouvé des couleurs. Et une sacrée vitalité, manifestement, plaisanta-t-elle, ses yeux pétillants de malice. Ça me laisserait presque penser que mon intervention n'est plus nécessaire.
Séréna se racla la gorge, essayant d'ignorer la rougeur qui continuait de teinter ses joues. Elle se mordit la lèvre, à la fois terriblement gênée, mais amusée par la situation. Zélie avait ce don de rendre n'importe quel moment un peu plus léger, et elle lui en était reconnaissante.
– Je... je me sens bien mieux, réussit-elle enfin à dire. Grâce à vous... deux.
La Guérisseuse haussa un sourcil d'un air entendu et s'avança lentement vers le lit, prenant soin de ne pas trop envahir leur espace intime.
– Je vois cela, oui.
Elle fit un signe de tête admiratif en direction d'Armand.
– Vous avez bien pris soin d'elle, votre Altesse. Si j'avais su que vous aviez de telles compétences, je vous aurais pris pour apprenti sur-le-champ.
– Je ne pense pas que mes méthodes soient très académiques.
Le Prince jeta un regard complice à Séréna, qui se sentit rougir à nouveau.
– Mais merci, ajouta-t-il comme si de rien n'était. Je dois dire que j'ai agi avant tout par instinct.
Zélie l'observa un instant, son expression se faisant plus sérieuse, avant d'acquiescer. Elle s'approcha ensuite de Séréna, posant doucement une main sur son front comme pour vérifier quelque chose. La guérisseuse ferma un instant les yeux, invoquant l'arcane de l'Âme. Une sensation de chaleur, douce et réconfortante, se répandit en la Tisseuse de Rêves. Le pouvoir de l'Âme chassa les derniers vestiges de fatigue, puis la guérisseuse se redressa, visiblement satisfaite.
– Bien. Je confirme que vous êtes hors de danger. La magie noire a laissé des traces, mais elles devraient s'effacer avec le temps. Je veux tout de même que vous vous reposiez encore un peu et surveilliez vos flux magiques.
– Je ne peux rien promettre, répondit-elle en souriant.
La perspective de garder le lit ne lui disait vraiment rien.
– Mais je ferai de mon mieux, ajouta-t-elle devant l'air sévère de la guérisseuse.
Zélie poussa un soupir exagéré, levant les yeux au ciel. Elle se tourna vers Armand, lui lançant un regard d'avertissement.
– Prenez soin d'elle, votre Altesse. Et essayez de la convaincre de se reposer encore quelques jours. Je vous fais confiance pour la surveiller.
– Je veillerai sur elle, affirma Armand.
Zélie leur lança un dernier regard avant de se diriger vers la porte. Mais avant de sortir, elle se retourna et ajouta, d'un ton plus léger :
– Et avant de reprendre toute activité physique intense, il serait souhaitable que vous mangiez quelque chose... tous les deux !
Ils échangèrent un regard complice, avant d'éclater de rire. Ils avaient déjà flirté et plaisanté ensemble, partagé des moments de complicité, mais ce rire était spontané, libérateur. Il apportait un vent de normalité dans une relation qui n'avait rien de banal. Le rire clair et franc d'Armand résonnait en Séréna, la réchauffant jusqu'aux tréfonds de son âme. Le visage du Prince lui parut transformé, ses traits s'adoucirent et un poids sembla quitter ses épaules. Même sa démarche était plus légère lorsqu'il la quitta un bref instant pour demander à ce qu'on leur porte de quoi manger.
Rose arriva peu après avec un plateau chargé de victuailles qu'elle posa sur le lit. Ils la remercièrent et Armand demanda à ce qu'on ne les dérange pas.
Séréna affamée après plus d'un jour de jeûne, se jeta sur la viande, le pain et le fromage et il lui fallut plusieurs minutes avant de relever la tête pour découvrir qu'il la dévisageait, interdit. Elle avala sa bouchée avec peine et demanda :
– J'ai quelque chose sur le nez ?
– Non. Je constate juste que tu ne te laisses pas abattre.
– Oh... elle eût un sourire d'excuse. Quand il s'agit de nourriture, jamais. C'est sûrement pour ça que je n'ai pas la taille fine des dames de cour...
– Tu es magnifique telle que tu es, je ne voulais pas être désobligeant. Au contraire, te voir manger ainsi est un régal pour les yeux.
Elle se mit à rire à son tour, se renversant contre l'oreiller. Même si elle ne le croyait pas, ses paroles étaient agréables à entendre.
– C'est bien ce que je disais, reprit-elle. Bien trop parfait pour être réel...
Ils continuèrent de deviser paisiblement, savourant ce repas tranquille, riant, plaisantant, flirtant. Une fois rassasiée, Séréna se risqua à faire quelques pas en direction de la salle de bain, aidée par Armand. En se levant, elle fut prise d'un léger vertige qui s'estompa rapidement. Mais rien n'échappait au Prince.
– Tu te sens bien ? Tu as la tête qui tourne ? Faut-il que je rappelle Zélie ?
– Ça va la mère poule ? Je me sens très bien, je crois que je suis même assez en forme pour me débrouiller toute seule pour mes ablutions.
Son air déçu l'amadoua presque, mais elle voulait qu'il dorme à présent. C'était à son tour de lâcher prise, de reprendre des forces. Elle l'embrassa.
– Si tu allais prendre un repos bien mérité pendant que je serais sous la douche ? J'ai l'impression que c'est moi qui sens l'Astralyon maintenant.
Il lui sourit avant de lever les mains en signe de capitulation. Elle ferma la porte de la salle de bain avec la désagréable impression qu'il n'en ferait rien. L'eau chaude et le savon parfumé au jasmin finirent de chasser les dernières traces de fatigue de ses muscles.
Ce qui ne tue pas rends plus fort, songea-t-elle en séchant ses cheveux. Certes, elle avait frôlé la mort, mais n'était-ce pas son lot depuis qu'elle était arrivée ici ? Elle avait survécu cette fois encore, et la Princesse Éloïse était, elle aussi, saine et sauve. Assurément un coup dur pour Sigrid.
À présent, peut-être pourrait-elle se mettre enfin en quête de cette Chataîgnerie comme le lui avait demandé sa mère. Forte de cette nouvelle résolution, elle enfila une tunique blanche et un pantalon beige fraîchement nettoyé et déposé à son intention par Rose.
Lorsqu'elle entra de nouveau dans la chambre, elle espérait y trouver Armand assoupi. Peine perdue. Allongé sur le lit, les yeux grands ouverts, il fixait le toit du baldaquin d'un air pensif. Elle s'assit sur le bord du matelas et lui lança un regard sans équivoque. Il lui répondit par une moue désolée.
– Je n'y arrive pas... À chaque fois que je ferme les yeux, je revois cette vague noire t'emporter, t'arracher à moi et ma sœur hurler alors que les glyphes de la Corruption semblent dévorer son corps.
– Armand... je sais que c'est plus facile à dire qu'à faire, mais il faut que tu dormes. Je vais bien, Éloïse va bien et tu ne peux pas tout le temps porter le poids du monde sur tes épaules. Tu ne pourras pas toujours nous protéger de tout. Il va falloir que tu l'acceptes.
– Je suis un Prince Séréna. C'est mon devoir de protéger mon peuple, ma future Reine et... l'élue de mon cœur.
Elle sourit, alors qu'un millier de papillons s'envolaient dans son ventre et que le rouge lui montait aux joues.
– Laisse-moi t'aider à lâcher prise. Juste un peu. Si tu t'épuises, tu n'aideras plus personne.
Il hocha la tête d'un air las. Elle commença par se délester de sa tunique, révélant sa poitrine nue. La flamme du désir s'alluma instantanément dans les yeux d'Armand. Lentement, avec révérence, elle se pencha vers lui pour l'embrasser. Elle descendit dans le creux de son cou, ses mains s'égarant sous sa chemise, savourant la dureté de ses muscles sous sa peau soyeuse.
Elle caressa chaque courbe, chaque méplat, s'émerveillant une nouvelle fois de la perfection de son corps. Elle l'aida à quitter son haut, et bientôt, elle taquina de sa bouche, de sa langue et de la pointe de ses seins les pectoraux du Prince, la ligne de ses abdominaux, puis plus bas, encore plus bas.
Les respirations d'Armand se firent plus rauques, son cœur battit plus vite, Séréna le savait, car elle sentait son propre rythme cardiaque accélérer. Elle effleura du bout des doigts son membre déjà en train de durcir à travers l'étoffe de son pantalon et elle leva vers lui un regard taquin et mutin à la fois. Les pupilles bleu acier étaient voilées par le désir. Sans le quitter des yeux, elle commença à défaire la boucle de sa ceinture.
– Séréna, tu n'es pas obligée de...
– Je ne me sens obligée de rien, le coupa-t-elle avec douceur. Je le fais parce que j'en ai envie. Tu as dit qu'il te faudrait bien plus d'une nuit pour faire tout ce que tu avais imaginé avec moi... tu n'es pas le seul à avoir une imagination débordante.
Il sourit, posa la tête sur l'oreiller sans la quitter des yeux et la laissa faire. Son regard, toujours rivé au sien, semblait la dévorer. Séréna reprit son exploration du bout des lèvres tout en faisant glisser son pantalon de cuir, libérant sa virilité qui se dressa fièrement. Elle savoura la vue de son corps magnifique et tendu par le désir qu'il éprouvait pour elle.
Se penchant de nouveau sur lui, elle sema des baisers légers le long de son ventre. Armand la suivait toujours du regard, sa respiration devenant plus saccadée à mesure qu'elle se rapprochait de son sexe. Elle l'effleura d'abord de ses doigts, caressant sa longueur avec délice. Puis, elle se pencha pour le prendre dans sa bouche. Elle le fit doucement, savourant chaque centimètre, laissant sa langue tracer des motifs autour de lui. Armand laissa échapper un soupir rauque, ses doigts se crispant sur les draps, incapable de détourner les yeux d'elle.
– Par les Arcanes, murmura-t-il de sa voix basse et vibrante. Tu es diabolique.
Elle le sentait se tendre sous ses caresses, son corps tout entier réagissant à chacun de ses gestes. Elle accéléra le mouvement, ses lèvres se refermant un peu plus fort autour de lui, tandis que ses mains s'agrippaient fermement à ses cuisses. Armand gémit, ses hanches bougeant presque imperceptiblement, cherchant plus de contact, plus de sensations. Elle leva les yeux vers lui, en lui jetant un regard brillant de malice.
– Lâche prise, Armand, souffla-t-elle d'un ton doux et tentateur. Laisse-toi aller... pour moi.
Elle intensifia ses caresses, ses gestes devenant plus assurés. Armand ferma les yeux, sa tête retombant en arrière, un grognement guttural s'échappant de ses lèvres. Elle adorait ce contrôle qu'elle avait sur lui. Mais soudain, il se redressa, l'attirant à lui avec une force quasiment désespérée. Il l'allongea sur le ventre, non sans l'avoir d'abord embrassée avec ardeur. Il souleva ses hanches pour lui ôter son pantalon et son sous-vêtement avant de la redresser, à genoux contre lui. Elle sentit son torse dur se presser contre son dos, sa chaleur irradiant contre sa peau, et un frisson d'anticipation la parcourut.
– Pas question d'être le seul à jouir, gronda-t-il contre son oreille. Tu m'entends Kellerwick ?
Sa voix grave allumait un brasier dans son bas-ventre. Avant qu'elle ne puisse répondre, il se glissa en elle d'un mouvement lent et profond. Séréna se cambra sous l'intensité de cette sensation, un gémissement de pur plaisir s'échappant de ses lèvres.
Armand commença à bouger, ses gestes mesurés, sensuels, chaque poussée faisant vibrer tout son corps. Elle pouvait sentir chaque once de lui en elle, provoquant des vagues de chaleur qui partaient de son bassin pour se répandre depuis ses orteils jusqu'à la racine de ses cheveux.
D'une main, Armand caressait sa poitrine, alors que l'autre, initialement posée sur sa hanche, glissa entre ses cuisses, trouvant ce point sensible qui la fit trembler. Lorsqu'il commença à la toucher en rythme avec ses mouvements, Séréna sentit une explosion de plaisir déferler en elle, ses sens en feu.
Ses mains s'agrippèrent aux cuisses musclées de son amant, ses doigts se crispèrent sous l'intensité des sensations. Ainsi offerte, elle était à sa merci. Mais elle aimait ça... bordel, qu'est-ce qu'elle aimait ça !
– Ne t'arrête pas, haleta-t-elle. S'il te plaît...
– J'adore quand tu me supplies Kellerwick.
Armand loin de ralentir, intensifia ses coups de rein qui se firent plus profonds, plus intenses. Elle sentait son corps se tendre, se rapprocher de ce point de rupture. Lorsqu'il accentua ses caresses, son majeur effleurant son bourgeon d'une pression habile, Séréna se sentit basculer.
– Armand... Je... Je vais...
– Viens, murmura-t-il d'une voix basse et rauque. Viens avec moi...
Elle se cambra sous l'extase qui la submergea. C'était comme un tourbillon de sensations, un maelström puissant qui la dévastait de l'intérieur, emportant tout sur son passage. Elle se sentit exploser, une onde dévastatrice envahit tout son être. Armand la suivit de près, son corps s'arc-boutant à son tour dans un cri rauque, ses mouvements se faisant saccadés, incontrôlables.
Lorsqu'ils retombèrent enfin sur le lit, leurs respirations hachées, ils restèrent blottis l'un contre l'autre, savourant la chaleur de leur étreinte. Armand resserra ses bras autour d'elle, ses lèvres effleurant tendrement son épaule.
– C'était...
Mais elle était incapable de mettre des mots sur ce qu'ils venaient de vivre.
– Oui, murmura-t-il. C'était... au-delà de l'entendement.
Leurs deux cœurs battaient de la même manière désordonnée. C'est alors que Séréna perçut quelque chose naître en elle. Dans le creux de sa poitrine, une impression inexplicable, mais qui lui faisait du bien. Elle leva la tête pour demander à Armand s'il ressentait un sentiment similaire, mais lorsqu'elle croisa son regard, les mots restèrent coincés dans sa gorge. Les yeux bleu acier du Prince d'ordinaire si perçants, brillaient maintenant d'un éclat différent : plus profond, plus intense, comme s'ils abritaient une nouvelle lumière. Il la regardait de la même manière.
– Séréna, tes yeux murmura-t-il d'un ton d'incompréhension.
– Les tiens aussi, répondit-elle dans un souffle. Et... est-ce que tu ressens cette sensation, dans ta poitrine ?
Il hocha la tête sans répondre. Une paix qu'elle n'avait jamais connue se répandit en elle, se mêlant à cette douce chaleur qui continuait de grandir. Séréna ferma les yeux un instant, essayant de mettre des mots sur ce qu'elle percevait. C'était comme si leurs âmes se reconnaissaient, se liaient l'une à l'autre, comblant un vide dont elle n'avait même pas eu conscience jusqu'à présent.
– Je ne comprends pas ce qu'il se passe, avoua-t-il en cherchant ses mots. Mais... c'est comme si... quelque chose s'alignait. Comme si nos âmes... se retrouvaient après une longue, très longue séparation.
Séréna acquiesça, son expression empreinte d'une gravité nouvelle. Elle la sentait aussi, cette connexion inédite, qui transcendait la chair, le désir. C'était comme si elle avait trouvé en lui une part d'elle-même qu'elle ignorait avoir perdue.
– Oui, reconnut-elle, c'est exactement ça... On se retrouve.
Séréna laissa échapper un soupir, une larme solitaire roulant sur sa joue. Ce qu'elle ressentait était si fort, si absolu... comme si une partie d'elle s'était éveillée pour la première fois. Il n'y avait plus de barrière entre eux, plus de distance. Leurs essences se mêlaient, se complétaient. Armand glissa une main dans ses cheveux, les caressant doucement, son cœur battant en écho au sien.
– Séréna... je ne sais pas ce qu'il se passe, mais... je me sens tellement... entier. Comme si... tu étais tout ce que je cherchais, sans jamais l'avoir su. Est-ce que cela serait possible ? murmura-t-il. Que ce que nous ressentons pourrait être ce que l'on appelle... des Âmes Liges ?
– Âmes Liges ? répéta-t-elle lentement en plissant les yeux. Je ne connais pas cette expression.
– Il s'agit d'histoires que l'on raconte aux enfants, expliqua-t-il, un peu gêné. Des récits sur des âmes qui se retrouvent, vie après vie. Qui se reconnaissent, peu importe les épreuves, quelles que soient les distances. Elles sont destinées l'une à l'autre... s'interrompit-il, hésitant. Destinées à s'aimer, quoi qu'il arrive.
Séréna resta silencieuse, ses yeux scrutant les traits d'Armand comme pour percer le sens de ses paroles. Son cœur s'emballa en comprenant ce qu'il essayait de dire.
– Et tu penses que nous pourrions être... reliés de cette manière ? demanda-t-elle d'une voix incertaine.
– Je ne sais pas. Je n'ai jamais cru à ces histoires. Pour moi, c'était... des légendes, des mythes. Mais ce que je ressens avec toi...
Il s'interrompit, cherchant les mots justes.
– C'est comme si une partie de toi dormait dans mon cœur et à présent qu'elle s'éveille, elle me réchauffe.
Séréna serra doucement sa main, sentant une émotion profonde, presque douloureuse, l'envahir.
– Moi aussi, murmura-t-elle. Quand tu es là, tout est différent. Plus... lumineux, plus vivant. Comme si je n'avais jamais été vraiment entière avant de te rencontrer.
Leurs lèvres s'unirent dans un baiser doux, empli de promesses silencieuses.
– J'ai peur que... tu ne sois pas réelle, souffla-t-elle contre ses lèvres. Que tout ça... ne soit qu'un rêve.
Le cœur de Séréna se serra. Ce n'était pas la première fois qu'il exprimait ses craintes quant à l'irréalité de son bonheur. Elle posa une main sur sa joue.
– Je suis là, le rassura-t-elle. La magie des Rêves ça me connait, et je peux t'affirmer que ce qu'on est en train de vivre est on ne peut plus réel. Maintenant dors un peu Armand. Je serai là à ton réveil.
Il fronça légèrement les sourcils, mais la chaleur qui l'enveloppait, la sérénité qui s'était installée en lui après cet échange intense, le faisait sombrer lentement dans une torpeur bienfaisante. Il tenta de protester, mais déjà, ses yeux se fermaient.
– D'accord, souffla-t-il finalement, sa voix déjà embuée de sommeil. Juste cinq minutes.
Elle pouffa en déposant un dernier baiser sur son front, le tenant fermement dans ses bras, écoutant sa respiration devenir plus profonde, plus régulière. Les traits d'Armand se détendirent, et il s'abandonna enfin au sommeil.
– Peu importe combien de temps, chuchota-t-elle. Je serai toujours là.
Une vague de chaleur, douce et apaisante, la traversa à nouveau. Elle ferma les yeux, s'abandonnant à cette sensation de plénitude. C'était comme si leurs âmes échangeaient des promesses que seuls leurs cœurs pouvaient entendre.
Ils n'avaient plus besoin de mots ; tout était dit dans ce lien invisible, mais indéfectible. Elle déposa un baiser léger sur son visage, puis un autre sur sa clavicule. Il se détendit un peu plus contre elle, se nichant inconsciemment dans son étreinte, comme s'il cherchait sa chaleur même dans son sommeil.
Séréna sourit. Rien ni personne ne pourrait jamais les séparer, se dit-elle avec une certitude tranquille. Leurs âmes étaient liées d'une façon qu'elle ne comprenait pas encore, mais qu'elle acceptait de tout son être : ils s'étaient trouvés.
Elle demeura un long moment immobile. Écoutant le rythme de leurs deux cœurs unis. Puis, elle tendit le bras pour attraper le livre sur la table de nuit. Dans la quiétude de cette chambre, sous la lueur douce du matin, deux âmes se trouvaient enfin réunies.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top