Chapitre 25, Partie 2 : Séréna
Le Prince se contenta de la fixer un long moment de ses yeux bleu acier. Il avait passé des vêtements propres : une chemise blanche et un pantalon noir. Dans le silence qui s'attardait, elle contempla sa silhouette imposante dans la lueur tremblotante des bougies que Charlie avait allumées un peu plus tôt.
- Vous avez meilleure allure que ce matin, osa finalement remarquer Séréna.
- Merci. Vous aussi, répondit le Prince, l'ombre d'un sourire laissant apparaître fugacement la fossette sur son menton. Puis-je m'asseoir près de vous ?
– Je vous en prie. Vous m'excuserez de ne pas pouvoir me lever pour vous faire la révérence, fit-elle avec une pointe de sarcasme. Mais, la guérisseuse a exigé que je reste au lit.
Armand pouffa et s'installa à la place de Charlie et après avoir échangé les banalités d'usage, prit une grande inspiration, comme pour se jeter à l'eau. Il conta à Séréna le Conseil Royal qui avait eu lieu dans l'après-midi.
- Et donc vous avez parlé de moi ?! s'exclama-t-elle avec colère. En mon absence, comme si j'étais une marchandise dont on décide de la destination !
Armand soupira et maugréa quelque chose dans sa barbe qui ressemblait beaucoup à « j'en étais sûr... »
- Écoutez Séréna, ajouta-t-il, en faisant un effort visible pour ne pas se départir de son calme. Ma mère et les Hauts-Mages du Royaume ne vous considèrent pas comme une simple marchandise. Ma nation est en guerre et peut-être certains d'entre eux, vous voient comme une arme, mais personne ici ne vous contraindra à faire quoi que ce soit. Vous avez le choix.
- Arme ou marchandise, pour ma part, c'est du pareil au même ! elle serra les poings. Le choix de quoi ? Vous allez docilement me laisser repartir si je vous dis que je veux rentrer chez moi ? Alors que visiblement, je suis la clé dans ce conflit qui vous oppose à cette Sigrid.
– Vous le feriez ? interrogea-t-il, ses yeux braqués dans les siens. Vous partiriez ?
- Ne vous méprenez pas Armand, répondit-elle d'une voix moins irritée. J'ai bien conscience de ce que je vous dois. Si Lénaïc, puis votre sœur, votre garde rapprochée et vous-même n'étiez pas venu à mon secours, le Rêveur Noir ou un de ses sbires m'auraient capturée et fait de moi une Corrompue. Je vous en suis infiniment reconnaissante, surtout en connaissant le prix que cela vous a coûté : la capture de votre sœur et le sacrifice de certains de vos hommes. J'aurais juste préféré, que vous attendiez mon rétablissement, afin que je puisse prendre part aux discussions quant à mon sort.
Un muscle palpita sur la joue du Prince.
- Hélas, le temps est un luxe que nous ne pouvons nous permettre. La cérémonie des Lueurs Sélénites aura lieu dans deux semaines, cela vous laisse peu de temps pour vous y préparer. Sous réserve que vous acceptiez d'y prendre part.
- Pour que j'accepte quoi que ce soit, il faudrait déjà que je comprenne de quoi il s'agit. Votre cérémonie des Lueurs... J'arrive même pas à le dire en entier !
- Il s'agit d'un Rite sacré qui a lieu une fois par an et qui tombe une nuit entre fin juillet et début août, c'est le moment où nous comptons le plus de pleines Lunes dans notre ciel. Il se trouve que cette conjonction se produira exactement dans quinze jours à compter de ce soir. Cette nuit-là, la magie atteindra une quintessence unique. À l'est de Centralia se dresse une chaîne de montagnes que l'on nomme les Monts Creux. C'est le plus grand gisement de cristaux d'enchantements du pays. Le temple de la Terre se trouve d'ailleurs dans une cavité adjacente.
Cristaux d'enchantements ? Grotte Sacrée ? Temple de la Terre ? Les questions se bousculaient de nouveau dans la tête de Séréna. Alors qu'elle allait ouvrir la bouche, le Prince la fît taire d'un regard. Sois patiente, s'intima-t-elle. Il poursuivit :
- La grotte sacrée est farouchement gardée par une tribu Centralienne unique en son genre : les Enchanteurs. Depuis toujours, ce Clan extrait et enchante les cristaux dont nous nous servons parfois pour canaliser notre magie. Lors de la nuit des célébrations des Lueurs Sélénites, les Enchanteurs acceptent d'autoriser l'accès à leur grotte sacrée à une poignée d'aspirants magiciens soigneusement triés sur le volet. C'est un rite de passage réservé à des Centraliens dotés de grands pouvoirs et c'est un honneur de se voir inviter à y participer.
Séréna se souvint des petits cristaux orange que Lénaïc avait utilisés pour proclipser son message à Centralia. Elle se remémora vaguement que Charlie avait, en effet, parlé de cristaux la nuit où tout avait commencé.
- Nous avons aussi appris à infuser nos pouvoirs dans les cristaux gorgés de magie brute, reprit Armand, confirmant ses soupçons. Ces cristaux nous permettent d'enchanter nos armes et nos armures, ainsi que d'augmenter la puissance ou la portée de notre Magie. Actuellement, nos stocks sont au plus bas à cause de la guerre. Les enchanteurs travaillent sans relâche pour ravitailler l'armée, mais infuser le pouvoir est une tâche difficile et fastidieuse.
- J'imagine, reconnut Séréna, hochant la tête. Mais, quel rapport avec ce Rite ?
- Lors de cette fameuse nuit des célébrations Sélénites, la magie des Lunes entre en résonance avec le pouvoir des cristaux. Le Rite consiste pour l'apprenti à s'aventurer seul dans une partie des mines sacrées durant cette nuit particulière. On raconte que ce que chacun y vit est différent. Certains découvrent des choses sur eux-mêmes, comme des vérités jusque-là dissimulées. D'autres y maîtrisent une nouvelle facette de leur pouvoir. D'autres enfin plongent dans leur subconscient pour trouver des ressources dont ils ne soupçonnaient pas l'existence. L'épreuve est décrite comme une expérience unique dont on ressort changé durablement.
- Et si l'on échoue, que se passe-t-il ?
- Le Rite est une aventure périlleuse. Les aspirants se préparent pendant des années. Des Enchanteurs sont présents dans la grotte cette nuit-là pour veiller à la sécurité, mais des accidents se produisent régulièrement.
- Ok... Ainsi, vous voulez m'envoyer dans une grotte dangereuse, une nuit où la magie est toute-puissante, sans entraînement, là où d'autres s'y préparent depuis leur naissance... Sympa l'ambiance.
- Reconnaissez que vous avez de sacrées facilitées, souligna Armand. La Rectrice Sylbaria vous dispensera un entraînement intensif, et des dispositions particulières seront prises.
- Je ne veux pas de traitement de faveur, contra-t-elle. Je refuse qu'on pense que j'ai eu un passe-droit parce que je ne suis pas totalement Centralienne.
- Ce n'est pas le genre de la Rectrice, rétorqua le Prince. Ni du Clan des Enchanteurs.
- Avez-vous accompli ce rite vous-même ? interrogea-t-elle encore avec curiosité.
- Séréna, répondit Armand d'un ton amer. Vous avez devant vous le seul Centralien qui n'a pas une once de magie dans les veines ! Croyez-vous vraiment qu'on m'aurait autorisé à me présenter au Rite magique le plus sacré de notre nation ?
- Je suis désolée. Votre altesse.
Il releva la tête, une expression désapprobatrice sur le visage.
- Non, ne faites pas ça. Je vous l'interdis.
- Faire quoi ? demanda-t-elle, surprise. Je n'ai pas bougé du lit.
- M'appeler « votre altesse ».
- Il me semble pourtant que c'est le protocole. Autant, vous aviez souligné, à raison, que l'étiquette n'était pas de rigueur lorsque nous étions perdus. À présent, nous sommes dans votre palais. Je ne fais que me montrer respectueuse.
Il se passa la main dans les cheveux, paraissant hésiter. C'était la première fois qu'elle le voyait montrer de l'hésitation. Elle pencha la tête sur le côté en attendant ses explications.
- Cette manière que vous avez de vous adresser à moi. Sans fioriture et avec franchise. J'aime ça, admit-il en plongeant ses yeux dans les siens. Que nous soyons au palais ne change rien. Continuez à me parler comme vous le faites.
Elle le contempla quelques instants, interdite. Avant de se mettre à rire. Face à elle, Armand se figea.
- Vous avez apprécié que je vous insulte et vous provoque ? Vous êtes bizarre.
- Je n'ai pas l'habitude que l'on me parle franchement, confessa-t-il. À l'exception de quelques amis proches. Votre sincérité est... rafraichissante. Et, je dois reconnaître que je l'avais mérité.
- Seriez-vous en train d'essayer de me présenter des excuses ?
- Maladroitement oui, reconnut-il en souriant franchement cette fois. En effet, je vous dois des excuses pour mes réactions et mes propos.
Elle sourit de nouveau, et il lui parut que le Prince retenait son souffle.
- J'accepte vos excuses. De plus, je n'ai pas fait honneur aux habitants de la Terre en vous parlant comme je l'ai fait. Alors, je ne suis pas toute blanche non plus.
- Vous devriez sourire et rire plus souvent, constata le Prince en la dévisageant toujours. Cela vous réussit.
Elle se sentit rougir de la racine de ses cheveux jusqu'à la pointe de ses orteils, fort heureusement dissimulés sous la courtepointe. Consciente qu'elle était sur une pente dangereuse, elle détourna la conversation :
- Et votre sœur ? A-t-elle accompli le Rite ?
- Oui, acquiesça-t-il vivement. Éloïse a brillamment réussi son épreuve, il y a déjà des années. Elle est ressortie de la grotte avec la capacité d'invoquer cinq pouvoirs arcaniques simultanément. Ce n'était pas arrivé depuis plus de cinq-cents ans. Mais, vous venez d'égaler son record sans jamais avoir reçu le moindre entraînement. Alors, je peux comprendre que cela fasse grincer des dents cette psychorigide de Sylbaria.
- Oh, des gens psychorigides dans mon boulot, j'en croise tout le temps, répondit Séréna en haussant les épaules. Il suffit de savoir comment les prendre et après ça roule.
– Cela veut-il dire que vous acceptez ? demanda le Prince en haussant un sourcil.
– Là d'où je viens, il existe une expression qui dit « La nuit porte conseil ». Je suis bien consciente que le temps joue contre nous, mais je vous donnerai une réponse demain matin. Vous avez ma parole.
Le Prince prit congé un peu plus tard et on apporta à Séréna un repas aux saveurs épicées, qui n'avait rien à voir avec tout ce qu'elle avait pu manger sur Terre. Charlie revint et elles discutèrent longtemps de ce que lui avait dit le Prince. La Guetteuse avait elle-même passé l'épreuve de la cérémonie des Lueurs Sélénites et lui parla avec force détail de sa propre expérience. Cette nuit-là, Charlie était ressortie de la grotte avec un Cristal nimbé d'une lueur bleue que la jeune femme portait, serti dans une ceinture de cuir qu'elle ne quittait jamais. Elle en tirait le pouvoir de l'arcane de l'Eau qu'elle ne pouvait invoquer seule.
Puis Zélie revint et congédia Charlie, qui promit de revenir le lendemain, pour aider Séréna à faire quelques pas. La Guérisseuse administra à sa patiente une multitude de potions, qui d'après elle, visaient à l'aider à recouvrer ses forces plus rapidement. À l'exception d'une en particulier qui visait à l'empêcher de Rêver.
- Quand vous maîtriserez mieux vos pouvoirs, dit Zélie. Vous pourrez certainement vous passer de cette potion, mais en attendant la prudence est de mise.
- Je comprends, acquiesça la jeune femme. Alors, vous en êtes certaine ? Je suis à demi Centralienne ?
- En effet, approuva la guérisseuse. Demain, vous allez recevoir la visite de Sa Majesté la Reine et de l'Archimage Maldrex. Justement pour discuter de tout cela.
Elle avala docilement les médications de la Guérisseuse, qui l'aida ensuite à se préparer pour la nuit. Mais, tout en contemplant par les fenêtres, dont les rideaux étaient restés ouverts, les nombreuses Lunes dans le ciel, Séréna ne dormit pas. Elle réfléchit longuement à la proposition qui lui avait été faite par Armand, à Damien, esclave de Sigrid, comme des millions d'autres habitants de la Terre, à son Guetteur, qui avait tout risqué pour elle et à ses géniteurs : un Centralien et un Terranéen dont l'identité était un mystère. Au matin, elle avait une réponse à donner au Prince. Ainsi qu'un plan.
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