29. Mentir comme respirer
Jungkook avait menti.
Ce midi-là, dans sa salle de classe, il avait menti à Taehyung. Ce n'est pas comme s'il avait prévu de le faire. Avec une absurde naïveté, il avait pensé qu'il lui raconterait tout ce qui s'était passé durant la matinée lorsqu'il le verrait. Pourtant, sans qu'il ne le veuille consciemment, il lui avait assuré droit dans les yeux que Jongin l'avait laissé tranquille et s'était tenu loin de lui.
Jungkook était incapable de dire ce qui lui avait pris. Tout ce qu'il savait était qu'il n'avait pas supporté de voir les traits froissés de son ami. Taehyung avait un bien trop beau visage pour le gâcher avec de l'inquiétude. Alors, peut-être était-ce pour cette raison qu'il avait masqué la vérité.
Ou peut-être était-ce autre chose...
Avant qu'il n'ait le temps de s'interroger à ce sujet, il avait à nouveau menti le lendemain, puis le surlendemain, dans cette même classe où ils déjeunaient depuis trois jours.
– Non, Jongin m'a ignoré toute la journée. Je pense qu'il s'est lassé de moi.
C'était sorti aussi naturellement que la première fois, toujours sans qu'il ne sache pourquoi ni comment.
Et ça avait continué ainsi.
– Tu t'inquiètes pour rien, Tae. En plus, Aerin est avec moi. Elle est vraiment gentille ! dit-il le midi suivant.
Escalade ou dégringolade. Mentir avait fini par devenir aussi facile que respirer. Un sourire par-ci, un changement de sujet par-là... Jungkook avait compris comment marcher avec Taehyung. Il suffisait de se la jouer sûr de soi pour paraître crédible à ses yeux. Taehyung gobait tout.
Ou presque tout.
– Kookie... Je ne remets pas ta parole en doute, mais tu as de plus en plus mauvaise mine. Tu es vraiment certain que la situation te convient ? Je veux dire, même si Jongin a lâché l'affaire, ça ne doit pas être agréable de le voir tous les jours. En plus, on n'est même pas ensemble.
Jungkook soupira intérieurement. Taehyung était trop perspicace pour son propre bien. Et si têtu ! Il était clair qu'il n'allait pas lâcher l'affaire, lui. Tous les jours, il remettait le sujet sur le tapis. Et à force d'insistance, Jungkook ne savait plus comment le canaliser.
– J'aurais aimé être avec toi, Tae. Mais on ne peut rien faire.
– On peut aller voir Kwang ! Tu as beau dire que ça ne sert à rien, moi, je n'ai pas baissé les bras.
La peur le cueillit aussitôt. Il s'empressa de répondre :
– En fait, j'ai déjà été le voir hier après-midi.
Taehyung parut sous le choc.
– Vraiment ? Pourquoi tu ne me l'as pas dit ?
– Parce que... Il a dit qu'il allait y réfléchir. Il ne m'a pas donné de réponse encore alors... Je ne voulais pas te faire de faux espoirs.
– Mais enfin, Kookie...
– Désolé, ce n'était pas mon but de te blesser.
– Je ne suis pas blessé, mais...
Taehyung se gratta le haut de la tête, les sourcils froncés.
– J'aurais juste aimé le savoir. C'est tout. Bon, je compte sur toi pour me tenir au courant, ok ?
Jungkook hocha la tête, avant d'avaler un gros bout de kimbap pour occuper sa bouche. Ainsi, il justifia son silence.
𓅪
Il s'en voulait. Il s'en voulait vraiment.
Pourquoi était-il incapable de dire à Taehyung que Jongin l'embêtait encore ? Que Aerin, bien que présente la plupart du temps, n'était pas toujours disponible pour l'aider ? Qu'il voulait de tout son cœur changer de classe, mais qu'il n'avait absolument rien fait pour que cela arrive ? Pourquoi était-il si passif ?
Son professeur de biologie apparut dans le laboratoire et mit un terme à ses interrogations.
– Bien, nous allons reprendre le travail sur l'observation des levures, déclara-t-il en ôtant sa sacoche de son épaule pour la mettre par terre. Je vous laisse vous installer à côté de vos binômes.
La mine de Jungkook se décomposa aussitôt, faisant pâlir son teint déjà cireux. Il avait pensé en avoir terminé avec les travaux pratiques en binôme, mais il fallait croire que son supplice n'était pas prêt de s'arrêter. À reculons, il ramassa ses affaires pour se déplacer à côté de Jongin, avec qui il partageait la paillasse depuis le cours précédent. Lorsque M. Byun avait désigné les duos la semaine passée, Jongin n'avait pas hésité à l'influencer dans son choix. Jungkook ne savait pas comment il s'y était pris pour arriver à ses fins, mais il savait qu'il ne supporterait pas de travailler avec son harceleur une seconde fois.
Les jambes flageolantes, il prit place à son poste, la tête obstinément baissée pendant que Jongin installait déjà le matériel d'observation – un microscope, des boîtes de pétri, des lames et lamelles en verre ainsi que des feuilles et des crayons... Jungkook était incapable de bouger. Son corps entier le faisait souffrir tant il se sentait coincé, à l'étroit dans une cage aux barreaux électriques. S'il s'approchait trop près, il risquait de se blesser. Alors il restait immobile, pour sa sûreté.
– Jungkook, je te parle.
Il sursauta violemment, arraché à ses tourments.
– Je te demandais si tu pouvais me passer les pipettes qui sont de ton côté, répéta Jongin, attirant son regard craintif.
L'esprit anesthésié, Jungkook fit un effort incommensurable pour attraper ce que lui demandait son camarade. Doucement, il commença à pousser, du bout de ses doigts tremblants, la boîte de pipettes pour la lui transmettre sans contact.
Quand Jongin fit claquer sa langue.
– Bon sang ! J'ai pas trois heures !
Il agrippa d'une main ferme le poignet de Jungkook pour le stopper dans son mouvement, tandis qu'il récupérait de l'autre la boîte sans la moindre douceur. Jungkook hoqueta, le corps pétrifié et les yeux écarquillés dans le vide.
– Mets-y du tien, un peu ! Je ne veux pas avoir une mauvaise note à cause de toi.
Va mourir ! rugit une voix dans sa tête.
Jungkook haïssait Jongin plus que tout au monde. Pourtant, il haït plus fort encore ses propres pensées. Emmuré dans son silence, il ferma les yeux et retint ses larmes. Son esprit, son cœur... Son corps lui-même était souillé, pourri jusqu'à la moelle.
Rouge sang et noir goudron. Rouge sang et noir goudron.
De quelles couleurs était la toile de Kim Jongin ? Et ses mains ? Jungkook se mit à les observer malgré lui. Ces mains osseuses, qui aimaient bien trop le toucher, le tourmenter, étaient occupées à placer une lamelle sur la plaque du microscope. Jungkook en eut des sueurs froides dans tout le corps. Les souvenirs le terrassaient. La nausée affluait.
– Tu sais, j'ai croisé Taehyung la dernière fois, lâcha Jongin sur le ton d'une conversation amicale. Il était avec des camarades et il riait. Ça fait plaisir de le voir heureux comme ça.
Jungkook ne répondit pas, l'observa simplement cocher une case sur la feuille de route distribuée plus tôt par M. Byun, puis coller son œil dans la visée du microscope.
– Il doit être soulagé de pouvoir enfin vivre une scolarité normale. C'est quelqu'un de bien trop sociable pour s'enfermer avec une seule et même personne. Bien sûr, je ne dis pas ça contre toi.
D'un geste faussement maladroit, Jongin fit cogner son coude contre le bras de Jungkook qui se dégagea rapidement, tendu comme la corde d'un arc.
– On tient à lui, toi et moi, reprit-il comme si de rien était. C'est normal qu'on veuille son bonheur et qu'il s'épanouisse auprès de ceux qui sont comme lui. Je suis sûr que tu es du même avis.
Jungkook déglutit.
– Je... commença-t-il, la gorge nouée.
Mais il se fit interrompre.
– Aimer quelqu'un ne veut pas toujours dire qu'on est bon pour lui. Parfois, il faut savoir prendre de la distance pour laisser l'autre s'envoler et suivre sa voie. Tu vois ce que je veux dire ?
Jongin tourna la tête vers lui et posa une main sur son épaule.
– Bien sûr que tu vois ce que je veux dire. Personne n'a envie d'être un boulet pour ceux qui nous sont chers.
Et celle-ci le serra si fort, si fort pour qu'il ne puisse pas s'échapper, que Jungkook en perdit le souffle et la vue, avant de sombrer dans le noir.
𓅪
Jungkook ouvrit les yeux sur un plafond blanc. Ses paupières papillonnèrent brièvement, le temps que sa vision lui revienne de façon plus nette. Où était-il ? Son regard se déporta sur la fenêtre près de lui et il eut sa réponse.
L'infirmerie. Il reconnaissait le ciel vu d'ici. Cet étroit morceau de bleu nuageux, écrasé par la présence de deux arbres de chaque côté. Il ne comptait plus le nombre de fois où il avait fini dans ce lit les années précédentes, ni combien il avait rêvé de s'enfuir par cette fenêtre pour se joindre aux oiseaux.
Un soupir lui échappa. S'il était à l'infirmerie, cela voulait dire qu'il avait perdu connaissance, ce qui ne lui était pas arrivé depuis longtemps. Un frisson remonta son échine. L'idée même qu'on ait dû le porter jusqu'ici le répugnait. Il imagina les mains sur son corps et une douleur fantôme martela ses côtes à cette pensée.
– Je déteste...
Comme il détestait être ici ! Comme il détestait Kim Jongin !
Une voix féminine réagit à la sienne, au fond de la pièce.
– Tiens, tu es réveillé ?
Mme Jung s'approcha doucement, vêtue de sa blouse blanche d'infirmière. Elle s'arrêta au-dessus du lit et lui sourit.
– Ça faisait un moment que je ne t'avais plus vu.
Jungkook se contenta de hausser les épaules. Il ne manquerait plus qu'elle lui dise qu'il lui avait manqué ! Il réprima un rire amer. Si Mme Jung était habituée à ses longs silences, elle l'était bien moins avec son côté insolent, et il tenait à ce que ça reste comme ça. L'insolence ne pouvait que lui attirer des ennuis, surtout qu'il n'était pas en position de se défendre contre ce qui avait des mains, des bras et des jambes, et qui pouvait vouloir se venger pour quelques mots déplacés.
– Que t'est-il arrivé cette fois-ci ?
Il esquiva la question.
– Je peux y aller ? demanda-t-il poliment. Je me sens mieux. Je suis capable de retourner en cours.
Le regard que Mme Jung appuya sur lui l'agaça tant il sembla s'éterniser. Pour y échapper, il se leva du lit et se plaça devant la fenêtre, dos à elle. Chaque fois, c'était la même histoire. Elle le sondait, le fouillait, attendant qu'il craque et lui dévoile tous ses secrets. Elle savait pourtant qu'elle n'obtiendrait pas la moindre information. Il ne lâcherait pas une miette de vérité. Il ne le faisait jamais.
– Comme toujours, tu ne diras rien, soupira-t-elle face à l'évidence.
Et comme toujours, Jungkook lui servit la même excuse :
– Je n'ai pas mangé ce matin, c'est tout. Les malaises, ça arrive vite quand on a rien dans le ventre.
Un autre silence s'ensuivit. Il finit par se tourner vers elle et répéter :
– Je peux y aller ?
Mme Jung plissa les yeux.
– Va, ton professeur principal est prévenu. Sache aussi que j'ai contacté ta mère.
Jungkook ne se fit pas prier. Sans s'inquiéter pour sa mère, il récupéra son sac qu'on avait amené en même temps que lui puis, sur une courbette, quitta l'infirmerie. Il hésita néanmoins devant la porte close. L'envie de retourner en classe pour retrouver son bourreau était bien la dernière sur sa liste, mais il n'avait pas vraiment le choix. Jamais il ne manquait les cours délibérément. Seulement, son estomac se nouait à la perspective de débarquer en plein milieu du cours, sous les regards moqueurs de ses camarades, et pire : sous celui victorieux de Kim Jongin.
– Prends sur toi, souffla-t-il pour lui-même en se mettant en marche.
Alors qu'il passait devant une série de salles de classe, il marchait la tête aussi basse que possible, la frange devant les yeux, faisant mine de ne pas voir les rangées d'élèves qui étudiaient de l'autre côté des murs vitrés. Si se cacher des autres était impossible, il pouvait au moins cacher les autres de lui et faire comme s'ils n'étaient pas là.
Ses pas débouchèrent au bout du couloir, au pied de l'escalier qui menait à son étage. Il s'arrêta juste en bas des marches, attiré par la lumière du jour qui filtrait à travers la grande fenêtre du palier. Il pouvait entendre d'ici le son des balles du gymnase extérieur et les exclamations de ceux qui avaient cours de sport. Il s'approcha pour regarder, sans un bruit.
En contrebas, garçons et filles étaient divisés sur deux terrains. Les uns jouaient au basket, les unes à la balle au prisonnier. Brièvement, Jungkook voulut être à leur place. S'amuser avec ses camarades, courir à s'en arracher les poumons, marquer des paniers, être acclamé. Il avait toujours rêvé d'être comme Yoongi. Faire du basket, avoir une équipe, briller. Comme ça devait être bien...
– Juyeong, par ici !
Son regard dévia sur un élève qui courait, les bras en l'air pour se faire remarquer auprès d'un autre, et son cœur se retourna entre ses côtes.
Taehyung.
Les cheveux au vent, les joues rouges d'effort, il s'élançait tel un lion vers l'un de ses coéquipiers, qui le repéra rapidement et lui fit la passe qu'il attendait. Dans son embardée vers le panier, Taehyung rencontra des élèves de l'équipe adverse qui tentèrent de lui barrer la route, mais il les évita autant que possible. De ce que Jungkook voyait, son ami était loin du niveau de Yoongi, toutefois il ne se débrouillait pas si mal, si on mettait de côté ses dribbles maladroits. Son lancer fut tout aussi gauche. La balle cogna contre le panneau, roula quelques secondes sur le cerceau et Jungkook retint son souffle tout du long, avant qu'elle ne tombe enfin dans le filet, accordant les points décisifs à l'équipe de Taehyung.
Un sourire irrépressible étira ses lèvres et il frétilla de joie devant la fenêtre. Il ne fut pas le seul : les camarades de Taehyung se ruèrent sur lui pour le féliciter. Certains le frappèrent dans la main, d'autres l'épaule, de façon amicale. Hyungsik se jeta à son cou. Et alors Taehyung se mit à glousser tout en le portant sur un bout du terrain.
Jungkook serra le poing devant cette image. Son ami semblait heureux. Ça se voyait dans ses yeux, ça s'entendait dans ses rires et exsudait de son visage entier. Il s'amusait comme il ne l'avait pas fait depuis longtemps, sans doute. Jungkook l'avait-il déjà vu si lumineux ?
Kim Taehyung avait toujours été un garçon solaire. Aimable, avenant, sociable. C'était ainsi qu'il s'épanouissait le mieux : parmi les autres. Les gens comme lui se devaient d'être entourés. Le priver de ses semblables ne serait pas moins cruel que d'empêcher un oiseau de voler.
L'estomac de Jungkook lui remonta dans la gorge. Il déglutit, s'éloigna de la fenêtre à reculons. Et tandis que le coup de sifflet du professeur de sport marquait la reprise du match, il remonta son sac sur ses épaules et s'enfuit en direction des toilettes, ignorant sa petite voix intérieure qui lui intimait de ne pas sécher les cours.
𓅪
Le sourire de Taehyung... C'était ce que Jungkook aimait le plus. Son sourire était comme le soleil au milieu d'un ciel gris, comme l'odeur de l'herbe fraîche après la pluie ou un feu qui crépite dans son âtre un soir d'hiver. Il lui avait toujours fait quelque chose, à Jungkook, le sourire de Taehyung. Peut-être parce qu'il ne s'estimait pas capable de sourire un jour comme ça. Librement, sincèrement, de façon si belle et naturelle.
Pourtant, au fil des jours, Jungkook apprit à s'en détacher. À ne plus l'aimer autant qu'avant. Car le sourire de Taehyung avait changé et que celui-ci le dérangeait.
– Tu ne m'écoutes pas, Kookie. Tu es encore dans la lune ?
Celui-ci était faux, collé de traviole sur sa bouche. En le voyant, Jungkook repensa au livre d'autocollants sur les oiseaux que son père lui avait acheté petit. C'était autrefois son préféré, il passait des heures à placer minutieusement les moineaux et les mésanges sur les branches d'arbres pré-dessinées. Mais quand il était retombé dessus il y a quelques années, la désillusion l'avait frappé. Rien n'était droit. Tout se chevauchait ou dépassait, comme si les oiseaux eux-mêmes ne savaient pas où aller. C'était moche et vide de sens. Ce n'était pas représentatif de la réalité.
Ce n'était pas représentatif de son sourire, celui qu'il avait vu sur le terrain de basket, ou plus tôt, au fond de la cour, en compagnie de Hyungsik et de deux autres garçons.
– Désolé, Tae. Je n'ai pas très faim, je pense que tu devrais finir de manger avec tes amis.
Jungkook se leva sans un mot, sous le regard ébahi de Taehyung, et quitta sa salle de classe, là où ils se rejoignaient habituellement le midi. Depuis trois jours, il ne supportait plus ses expressions tristes ou embarrassées, ni sa manie de toujours vouloir combler les silences avec des futilités. Comme Jungkook ne parlait que rarement, Taehyung meublait la conversation avec le peu qu'il avait en sa possession. Les histoires de Jimin et de Hoseok ou celles de ses camarades en cours, ses joyeuses querelles avec Hyungsik, la nouvelle obsession de Mirae pour Jungkook (« Comment va-t-il ? », « Ce n'est pas trop dur pour lui ? », « J'aimerais tellement me faire pardonner pour l'année dernière. ») L'ambiance était devenue si pesante entre eux qu'il ne pouvait plus faire semblant.
Tout ça était entièrement sa faute. Jungkook empêchait Taehyung de voler. Il le voyait à son sourire bancal comme il voyait les oiseaux inclinés curieusement sur des bouts de branches à l'intérieur de son livre.
Les larmes aux yeux, il courut aux toilettes pour se passer de l'eau sur la figure, mais rencontra Aerin en chemin. Il voulut faire demi-tour.
– Jungkook ?
Celle-ci l'intercepta avant qu'il ne puisse l'éviter.
– Qu'est-ce que tu as ? Tu pleures ?
– Ce n'est rien, répondit-il en reniflant.
– C'est Jongin, c'est ça ? La dernière fois déjà, en physique-chimie...
Jungkook secoua vivement la tête.
– Il ne m'a rien fait. Et pour la dernière fois, ne dit rien à personne s'il te plaît.
Ne dis rien à Taehyung.
Aerin le fixa sans montrer la moindre émotion.
– Tu l'as dit à ta mère, au moins ? s'enquit-elle.
– Oui.
Non. Il ne lui avait pas dit. Il avait encore menti, présentant son malaise auprès d'elle comme un fâcheux accident. Il n'était pas sûr qu'elle l'ait cru cependant.
– Je dois y aller, Aerin, s'empressa-t-il d'ajouter. On se voit en classe.
Et comme avec Taehyung, il partit sans laisser le temps à sa camarade de le retenir.
𓅪
– Tae, ralentis ! Mais enfin, où tu vas ?
Au milieu des élèves qui lui bloquaient le passage, Hyungsik multipliait les appels mais Taehyung ne s'arrêtait pas. Son pas était lourd, déterminé, son regard furibond. Hyungsik ne savait pas quelle mouche l'avait piqué. C'était juste avant que la dernière sonnerie ne retentisse qu'il avait vu son visage se métamorphoser et son aura s'assombrir devant son téléphone. Quoi qu'il eût reçu, Taehyung avait tout d'un orage prêt à éclater. L'électricité remontait même jusqu'à la racine de ses cheveux, c'était palpable. Dès lors qu'il fut libre de quitter sa chaise, il s'était élancé vers la porte comme une furie, en direction non pas de la sortie du lycée mais d'une autre classe. Hyungsik peinait depuis à suivre sa cadence.
– Tae, s'il te plaît, ralentis ! le suppliait-il, sans succès.
– Il doit payer, Hyun ! gronda Taehyung. Ça ne peut plus durer !
– Mais de qui tu parles ?
– Jongin !
Ils n'avaient pas encore atteint la salle de Jungkook que déjà, les élèves du troisième étage commençaient à sortir les uns après les autres, alertés par le raffut qu'ils faisaient.
– Kim Jongin, sors de là !
Sa colère explosait contre les murs. Il était méconnaissable. Dans son élan, il manqua de renverser un garçon, dont il cogna l'épaule, mais n'en n'eut que faire. Son attention ne déviait pas de la porte ouverte un peu plus loin, devant laquelle Jongin se montrait enfin, les mains enfoncées dans les poches de sa veste d'uniforme.
Taehyung rompit le dernier mètre en se ruant sur lui, le sang dans les joues et le cœur cognant contre ses tempes.
– Qu'est-ce que tu lui as fait ?!
Il referma la main autour de son col, au niveau de son nœud de cravate, et le poussa violemment contre le mur, le tissu serré entre ses doigts. Acculé, Jongin le foudroya du regard.
– Qu'est-ce que tu lui as fait ? répéta Taehyung, tandis qu'un groupe d'adolescents se formait autour d'eux.
Hyungsik tenta de s'interposer mais il le dégagea du coude sans détourner son regard de l'autre.
– Réponds-moi, enfoiré !
– Je te conseille de t'éloigner, le menaça très sérieusement Jongin.
– Ah ouais ? Et qu'est-ce que tu vas faire, hm ?
– À toi ? Rien.
La fureur de Taehyung enfla.
– Bon sang ! mais c'est quoi ton putain de problème avec lui ?!
Il n'en pouvait plus, ça n'en finirait jamais. Peu importait combien de fois il le remettait à sa place verbalement, ça ne servait à rien. Kim Jongin était comme un poison dans les veines, virulent et meurtrier. Taehyung devait le neutraliser avant qu'il ne cause encore plus de dégâts.
Cette pensée viscérale envahit son esprit au point qu'il en perdit le contrôle. Malgré sa tendance à prôner la non-violence, il leva le poing en direction de Jongin, poussé à bout. Mais avant qu'il ne puisse l'abattre contre son visage, une voix tremblante surgit derrière lui.
– Tae... ?
Taehyung se figea en voyant Jungkook sur le pas de sa classe, et cette seconde d'inattention permit à Jongin de le repousser et de s'enfuir comme un lâche.
– Laisse-le ! s'interposa Jungkook avant qu'il ne parte le rattraper.
L'ordre le glaça. Il le regarda, les yeux écarquillés.
– Quoi... ?
– Laisse-le tranquille, répéta Jungkook. Tu vas ameuter tous les profs si tu continues à te donner en spectacle comme ça ! C'est ce que tu veux ?
Hyungsik, comme la plupart des élèves autour, ouvrit grand la bouche. Taehyung était cependant le plus choqué de tous. Comment Jungkook pouvait-il dire ça ? Il n'en croyait pas ses oreilles.
– Kookie, tu... T'es sérieux ? Il continue de te harceler ! Tu as même fini à l'infirmerie à cause de lui, et tu veux que je le laisse tranquille ?
– Co-Comment tu...
– Aerin, coupa Taehyung. Heureusement que je peux au moins compter sur elle pour me tenir au courant.
Jungkook se décomposa. Le ton de Taehyung suintait de reproches et il les prit en plein cœur. Il balaya rapidement les alentours à la recherche de sa traîtresse de camarade, mais celle-ci avait dû décamper dès la sonnerie car il ne la trouva nulle part. Il soupira, profondément agacé, mais surtout un peu heurté.
– D'accord, je ne te l'ai pas dit pour pas que tu t'inquiètes, admit-il. Mais toi, dis-moi à quoi ça va me servir que tu ailles frapper Jongin ? Tu penses que ça va tout résoudre ?
– Ça peut au moins me défouler.
– Et te faire virer du lycée !
Taehyung perdit aussitôt son aigreur et ses épaules s'affaissèrent. Jungkook avait raison. Tout ce qu'il allait gagner à agir comme ça était l'exclusion. Si le proviseur venait à appliquer cette sanction, alors il ne pourrait définitivement plus le protéger de Jongin.
Sa colère diminua assez pour qu'il réfléchisse à la situation délicate dans laquelle il se trouvait. Autour, des élèves étaient encore présents et ne perdaient pas une miette des évènements. Un sentiment de honte lui remonta dans la gorge. Son esclandre n'avait servi que de divertissement aux autres.
– Viens, il faut qu'on parle, toi et moi, annonça-t-il à Jungkook. En privé.
Il prit les devants en entrant dans la classe et attendit qu'il le suive. Une fois à l'intérieur, Taehyung referma la porte derrière eux, après un dernier regard à Hyungsik qui hochait la tête en signe d'assentiment.
– Je t'attends ici, souffla ce dernier.
Taehyung se retourna vers Jungkook. Celui-ci fixait un point invisible au niveau du sol sans bouger. Maintenant qu'ils étaient seuls (bien que leur intimité fut limitée à une cloison à demi-vitrée), il semblait avoir perdu toute trace d'assurance. Peut-être même avait-il perdu sa langue, car durant de longues et longues secondes, il ne prononça pas un mot.
Taehyung rompit le silence.
– Je t'ai fait confiance lorsque tu m'as assuré que Jongin ne te faisait plus rien.
Un autre reproche. Jungkook se mordit l'intérieur des lèvres. Il l'avait mérité, il le savait. Toutefois, Taehyung ne s'épancha pas dessus, comme s'il percevait sa culpabilité et qu'il ne voulait pas enfoncer le couteau dans la plaie.
– Kookie, ça ne peut plus durer, c'est trop grave ce qui se passe. Il faut relancer Kwang.
– M-Monsieur Kwang... ?
– Ça fait plus d'une semaine que tu lui as fait ta demande de changement de classe, et il n'a toujours rien fait. Il attend quoi pour prendre une décision ? Le moment où tu finiras à l'hôpital parce que Jongin aura été trop loin ?
– Il... Il a dit qu'il réfléchissait...
– Tu ne fais que me répéter ça, mais je suis sûr qu'il n'en a rien à faire et qu'il t'a juste répondu ce que tu voulais entendre. Tu dois aller le voir et insister !
Face au nouveau silence de Jungkook, bien plus lourd que le précédent, Taehyung perdit patience.
– Si tu n'y vas pas, alors j'irai, annonça-t-il fermement.
– Non !
Le temps se suspendit un instant.
– Comment ça, non... ?
– N'y va pas, s'il te plaît.
La voix de Jungkook était si suppliante. Mais Taehyung ne céda pas cette fois.
– Je suis désolé, Jungkook, mais je ne peux plus rester les bras croisés. C'est un directeur d'école. C'est son boulot de veiller à la sécurité de ses élèves. Il ne peut pas ignorer ta demande comme ça, c'est dégueulasse ! Alors si tu ne veux pas le voir, très bien. Mais tu ne pourras pas m'empêcher d'aller lui dire le fond de ma pensée.
– Ne fais pas ça, je t'en supplie.
– Pourquoi ? Donne-moi une seule bonne raison !
– Tu vas le regretter si tu y vas. Tu vas juste être déçu de moi.
Taehyung le sonda, incrédule.
– Cette raison est nulle. Comment pourrais-je être déçu de toi en allant voir Kwang ? Je ne vois pas le rapport. Tu cherches juste à me...
– Parce que j'ai jamais été ! explosa Jungkook.
Son aveu résonna dans toute la salle et se répercuta dans un écho contre les oreilles de Taehyung. Ce dernier avala difficilement sa salive, devenue épaisse et collante.
– Tu n'y as pas été ? répéta-t-il, interdit. Je ne... Je ne comprends pas.
– J'ai pas été le voir. Je lui ai jamais demandé à changer de classe. Si tu y vas, tu passeras juste pour un idiot.
– Mais alors...
– Je t'ai menti. Depuis le début.
Les secondes filèrent et Taehyung resta sans voix. Un sentiment de trahison lui perforait l'estomac. Il ne voulait pas y croire, et en même temps : comment avait-il pu y croire ? Comment avait-il pu croire Jungkook lorsqu'il lui disait que Jongin le laissait tranquille ? C'était de Kim Jongin dont on parlait ! Le gars le plus sournois qu'il connaissait. Comment avait-il pu être si naïf... ?
Sans doute parce qu'il lui était impossible d'envisager le fait que Jungkook, son ami, son moineau, lui mente en pleine face. C'était pourtant le cas, et il était profondément blessé.
– Pourquoi ? prononça-t-il sans aucune force.
– Je voulais que tu laisses tomber. Je voulais que... que tu arrêtes de te démener pour moi. De t'inquiéter autant. Je ne voulais pas que tu saches ce qui se passait.
– Mais Jungkook... Pourquoi ? répéta-t-il.
Jungkook ferma les yeux et posa une main sur sa poitrine. C'était si lourd à porter, si dur à supporter. Le poids des mensonges, celui de la vérité. La balance ne savait plus de quel côté pencher. Il ne savait plus de quel côté pencher.
Alors, les mots lui échappèrent dans un souffle.
– Parce que tu ne peux rien faire.
Et Taehyung, tout aussi perdu, lui répondit de la même façon :
– Tu me rejettes encore.
Leurs regards se verrouillèrent l'un à l'autre, solidement, tristement.
– Moi, je veux juste t'aider, reprit-il. C'est si difficile d'accepter mon aide ?
– Mais je ne veux pas de ton aide ! s'époumona Jungkook. T'as toujours pas compris ?
– Qu'est-ce que tu racontes ?
– Tu veux la vérité, Taehyung ? La voici : je ne veux pas changer de classe. Et j'en ai marre ! J'en ai marre de dépendre de toi. J'en ai marre de ne pas être capable de faire sans toi. Je ne veux plus de ça, tu peux l'entendre, non ?
– Ce que j'entends, c'est que tu préfères rester avec celui qui te persécute plutôt qu'avec celui qui veut te protéger. C'est aberrant ! Je ne vois pas qui dans ce monde, s'il est un minimum sensé, voudrait s'infliger ça – à moins qu'il ne veuille se punir, ce qui me fait drôlement penser à ton cas.
– Je ne cherche pas à me punir ! C'est à moi seul de régler mes problèmes, c'est tout. Ce que je vis ne regarde personne, et je n'ai à impliquer personne d'autre que moi-même là-dedans. Surtout pas toi. Je ne veux plus que tu viennes à mon secours, je ne veux plus t'empêcher d'avancer. Je...
Jungkook serra les poings et clama ardemment :
– Je ne veux plus être ton boulet !
Ses mots claquèrent comme un coup de fouet. Taehyung écarquilla violemment les yeux, la douleur le brûlant de l'intérieur.
– C'est vraiment comme ça que tu imagines que je te vois ? demanda-t-il faiblement. Je pensais... Je pensais que tu savais ce que tu représentais pour moi. Je pensais qu'on ressentait la même chose.
Un éclair de culpabilité traversa les yeux de Jungkook.
– Ce n'est pas ce que je voulais dire, tenta-t-il de se corriger. Je...
– Tu sais quoi, Jungkook ? le coupa Taehyung. Moi aussi, j'en ai marre ! Marre de te courir après, marre de me faire rejeter, marre d'être celui qui fait tous les efforts possibles. Je suis fatigué. Tu veux gérer tes problèmes tout seul ? Très bien, débrouille-toi ! À partir de maintenant, je ne m'en soucierai plus.
Les poings fermés le long de ses cuisses, il soutint le regard de Jungkook, et ce fut comme se voir à travers un miroir. Dans ses iris tourbillonnait un nuage sombre, chargé d'émotions différentes mais toutes aussi intenses. C'était un mélange de peine et de colère, de regret aussi.
Durant de longues secondes, ni l'un ni l'autre n'esquissa le moindre geste. Jusqu'à ce que Jungkook quitte brusquement la salle en courant, ouvrant la porte coulissante qui claqua contre la butée. Le cœur de Taehyung se fissura au même moment.
Tout tremblant, il se retourna pour découvrir Hyungsik qui l'attendait dans le couloir, les bras écartés et un sourire de commisération sur le visage. Taehyung le rejoignit à petits pas, répondant à son invitation. Le front posé contre son torse, il laissa aller son chagrin. Et tandis que les premières larmes roulaient sur ses joues dorées, Hyungsik raffermit son étreinte autour de lui.
Une étreinte chaude et réconfortante. Mais surtout familière.
𓆩ꕥ𓆪
Bonjour, mes moineaux !
Vous m'avez manqué, si vous saviez... J'espère que je vous ai manqué aussi, tout comme mes deux petits oisillons, Taehyung et Jungkook. Pour me faire pardonner de mes lentes publications, j'ai essayé de vous faire un long chapitre. Je ne vais pas vous demander s'il vous a plu, à la place, je vais à tous vous distribuer une fourche pour attraper cette raclure de Kim Jongin 😠
Sinon, je change de sujet, mais la grande et amazing forlasass sort un livre le 28 septembre ("Page 341" - aux éditions du Dragon d'Or), et il va de soi que je vous en parle, hihi ! Le roman est déjà en pré-commande pour ceux que ça intéresse, sur les sites comme la Fnac, Cultura, Decitre, etc...
N'hésitez pas à aller vous renseigner à ce sujet, si vous voulez ajouter à votre bibliothèque une douce romance MxM aux couleurs de la Corée du Sud 💖
Des bisous !
Astëlya
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