Le ciel était couvert d'une épaisse couche de blanc que le vent froid n'arrivait pas à chasser. Engoncé dans son manteau d'hiver, Taehyung avançait avec un petit sourire sur les lèvres sans se soucier des frissons qui lui chatouillaient la nuque. Tout juste revenu de Daegu, il tenait fermement dans ses doigts le grand sac dans lequel était la peluche, tandis que ses yeux ne quittaient pas devant lui.
Jungkook se trouvait à quelques mètres de là où il était. Accroupi au pied d'un banc, celui-ci observait quelque chose sur le sol avec beaucoup de concentration et d'intérêt. Cela le rendait adorable et le cœur de Taehyung s'emballa rien qu'à sa vue. Il ne l'avait quitté que quelques jours seulement et pourtant, il lui avait beaucoup manqué. Non pas qu'il regrettait son séjour, au contraire, il était heureux d'avoir pu passer du temps avec sa grand-mère et son affreux cousin, mais aussi d'avoir revu son meilleur ami et rencontré Hoseok. Toutefois, cela avait été dur pour lui d'être loin de Jungkook. Il s'était tellement habitué à sa compagnie qu'il avait ressenti un vide se créer.
À présent, il pouvait à nouveau le contempler et il en était incroyablement heureux et soulagé. C'était un sentiment tout chaud qui lui faisait oublier ses joues congelées et les bout de ses doigts qui le picotaient.
En silence, il s'approcha davantage et se positionna dans le dos de son ami tout en se demandant comment il faisait pour ne pas être repéré. La discrétion n'était pas vraiment sa plus grande compétence, rappelons-le. C'était donc fort étonnant qu'il ait pu se faufiler jusqu'ici sans activer l'alarme ultra sensible de Jungkook qui se mettait à sonner dès l'instant où l'on envahissait son périmètre. Il gloussa intérieurement à l'idée de lui faire peur.
– Qu'est-ce que tu regardes ? demanda-t-il par-dessus son épaule.
Mais alors qu'il s'attendait à un sursaut de la part de son cadet, ce dernier répondit avec un calme olympien :
– Des fourmis.
La mâchoire de Taehyung lui en tomba.
Devant son air médusé, Jungkook se redressa et sourit.
– Tu pensais que je ne t'aurais pas remarqué ?
Évidemment qu'il l'avait remarqué. Comment Taehyung avait-il pu croire le contraire ? Ce garçon devait avoir un sixième sens ou quelque chose comme ça. Taehyung passa une main dans ses cheveux et laissa échapper un maigre rire. Mais l'atmosphère changea brusquement lorsque ses yeux se firent attraper par ceux de Jungkook. Son sourire s'effaça doucement et ils se regardèrent, face à face, sans prononcer le moindre mot.
C'était comme s'ils réalisaient seulement la présence de l'autre et qu'ils prenaient le temps de se retrouver, de redécouvrir leurs visages et ce qui les rendait singuliers. Le grain de beauté sur le bout du nez de l'un, celui sous la bouche du second ; la fine cicatrice sur l'une des joues et les mèches épaisses et légèrement ondulées qui tombaient sur le front.
Autour d'eux, la vie poursuivait son cours tranquillement. Peu d'oiseaux étaient de sortie, et rares étaient les enfants qui jouaient dans le jardin avec la température d'aujourd'hui. Mais on pouvait tout de même apercevoir, non loin d'eux, un grand-père se promener à l'aide de son rolateur, ainsi qu'une jeune femme en tenue de sport qui faisait son jogging.
Au bout de quelques secondes de silence, Taehyung se racla la gorge et invita Jungkook à s'asseoir sur le banc, comme si de rien n'était.
– Comment s'est passé ton voyage ?
La question lui arracha un sourire.
– Très bien, même si mon moineau m'a manqué.
Les yeux de Jungkook s'ouvrirent un peu plus grand et il tourna vivement la tête vers l'opposé.
– Toi aussi, répondit-il d'une petite voix. C'est ennuyeux quand t'es pas là. Ça me fait me sentir seul.
Taehyung fit une moue dubitative. Ennuyeux, ce n'était pas le mot qu'il aurait employé. Car il ne s'était pour sa part pas ennuyé. En revanche, il s'était occupé avec bien moins d'enthousiasme qu'à l'accoutumée. Mais quoi qu'il puisse en dire, cela lui faisait plaisir de savoir que, tout comme lui, Jungkook était attaché à ces petits moments passés ensemble au point de ressentir le poids de leur absence.
– Je suis là, maintenant, dit-il gentiment. Tu n'es plus seul.
– Hm...
Jungkook haussa les épaules et ne prononça rien d'autre. Il se la jouait indifférent, mais Taehyung voyait très bien ses joues colorées, à demi cachées par sa grosse écharpe. Son regard le fuyait et ses doigts accrochaient la planche en bois du banc de chaque côté de ses cuisses.
Malgré sa forte envie de le titiller sur sa timidité et sa tendance à masquer ses émotions, il préféra changer de sujet pour ne pas le vexer.
– Tu as vu Yoongi, alors ? C'était cool ?
Yoongi était le premier à lui venir à l'esprit. Fallait dire qu'il était assez curieux. Curieux de savoir comment ça s'était passé entre eux, de s'il y avait eu une avancée et de pourquoi Jungkook s'était senti seul alors qu'il avait vu le garçon qu'il aimait.
Un petit silence lui répondit tout d'abord. Puis, en posant une nouvelle fois les yeux sur le visage de son ami, il put apercevoir son doux sourire rêveur.
– C'était bien, commença Jungkook en prenant son temps. Mais c'est différent de quand je suis avec toi.
– C'est-à-dire ?
– Je ne suis pas aussi à l'aise. Je suis tout le temps gêné et j'ai peur de dire quelque chose de mal ou de le repousser un peu trop brusquement sans le vouloir.
Taehyung passa une main sur sa bouche, songeur.
– Il fait pourtant attention à ne pas te toucher, non ?
– Oui. Mais parfois, il semble oublier. Ça arrive, on ne peut pas constamment y penser.
Alors qu'il répondait, Jungkook s'était mis à frotter ses doigts entre eux. Il était nerveux. Ça se ressentait jusqu'à la racine de ses cheveux.
Taehyung l'interrogea :
– Qu'est-ce qui te tracasse ?
– Ce n'est pas que ça me tracasse, c'est juste que... Il m'a frôlé sans le faire exprès quand on était sur le canapé. Mais étrangement, je n'ai pas trop mal réagi.
Les sourcils de Taehyung s'arquèrent sous la surprise de cet aveu.
– C'est vrai ?
– Hm. Au contraire, j'avais même envie qu'il le refasse, juste pour voir.
Taehyung était très déconcerté. Il ne savait même pas quoi dire. Les mots lui manquaient. Il ne savait pas ce qui le surprenait le plus. Le fait que Jungkook n'ait pas eu peur, ou bien le fait qu'il ait voulu réitérer l'expérience.
Secrètement, il eut envie d'essayer, lui aussi. Mais il se demanda si c'était raisonnable. Il n'était pas Yoongi. Jungkook ne l'aimait pas de la même manière, et peut-être que c'était cet amour qui lui avait permis de passer au-dessus de ce léger accident et que l'amitié à elle seule ne suffirait pas.
– C'est grâce à toi, tu sais ?
Cette question le tira de ses rêveries. Mais lorsqu'il revint sur terre, ce fut comme s'il avait perdu le fil de la conversation.
– Quoi donc ?
– Mes progrès. Doucement, je commence à les voir et ça me donne envie de m'améliorer encore plus.
Jungkook plongea son regard dans le sien et demanda avec incertitude :
– Est-ce que... tu serais d'accord pour continuer à m'aider ?
Taehyung ne put réprimer sa joie. Il se leva face à lui et se courba, les mains en appui sur ses cuisses et le visage à hauteur du sien.
– Bien évidemment, le rassura-t-il. Je ne vais pas abandonner mon Kookie en si bon chemin !
– J'espère bien, grommela le concerné. C'est à cause de toi si j'en suis là et que j'en viens à avoir de l'espoir. Alors je te tiendrai personnellement responsable si je ne guérissais pas ou me retrouvais seul.
Devant son expression faussement menaçante, Taehyung secoua la main devant son nez en riant.
– Ça n'arrivera pas, promit-il. Je serai toujours là pour t'aider et pour veiller sur toi.
– Tu jures ?
– Je jure. Regarde, pour te montrer ma bonne foi, je vais te donner quelque chose.
Jungkook regarda d'un air intrigué son camarade se pencher vers le grand sac qu'il avait amené. Quand celui-ci en tira un énorme lapin, sa bouche s'ouvrit largement et ses yeux se mirent à briller d'émerveillement.
– Je l'ai fabriqué moi-même, expliqua Taehyung. C'est pour les moments où tu te sentiras seul ou vulnérable et ceux où je ne pourrai pas être là physiquement.
Jungkook tendit hâtivement les mains pour récupérer la peluche, impatient de pouvoir l'admirer. Il la tourna dans tous les sens, rencontra ses petits yeux en boutons de bottines, puis, en remarquant les jolies ailes cousues dans son dos, il se rappela la discussion qu'ils avaient eu sur les animaux qui lui ressemblaient.
« Tu leur ressemble, tu sais ?
– Aux oiseaux ? Mon père dit que je ressemble à un lapin...
– Tu es peut-être le lapin de ton père, mais tu es mon moineau à moi. Ou alors, tu peux être une sorte de race hybride, si tu veux ! Un genre de moineau-lapin. Ou de lapin-moineau. »
Un lapin-moineau. Taehyung avait réellement fait un lapin-moineau, et c'était incroyable.
– Pour l'instant, je ne peux pas te prendre dans mes bras pour te réconforter. Alors M. Lapin, ou peu importe comment tu voudras l'appeler, le fera pour moi jusqu'à ce que tu ailles mieux.
– Il est super, Tae... Je-
– C'est plus qu'un cadeau, l'interrompit Taehyung en le pointant du doigt, l'air sérieux. C'est la garantie qu'un jour, tu arriveras à prendre les personnes que tu aimes contre toi.
À court de mots, Jungkook hocha la tête et ferma les yeux. Il posa le bout de son nez sur le crâne de l'animal et inspira les notes délicates de lavande qui se dégageaient du tissu. Il était absolument parfait. Suffisamment grand, doux et moelleux, apaisant. C'était peut-être bête, mais en le tenant de cette manière, tout près de son cœur, c'était comme s'il retrouvait la sensation d'une étreinte. Cette chaleur, il la reconnaissait. C'était celle qui se cachait au fin fond de ses souvenirs, dans les câlins que lui donnait autrefois sa maman.
Désormais, il n'avait plus aucun doute. Un jour, il serait à nouveau capable d'enlacer ses proches.
– Alors, tu me crois, maintenant ?
La voix de Taehyung le fit redescendre de son nuage de coton et de ouate. Lentement, ses paupières se rouvrirent et il plongea son regard dans le sien, la tête remplie de rires et d'éclats.
– Je te croyais bien avant ça, idiot.
𓅪
Sur le chemin du retour, Taehyung et Jungkook discutaient de tout et de rien. Ils étaient restés au parc une petite heure avant que le froid ne les pousse à rentrer. Ils n'avaient pas pu se voir très longtemps, mais ils avaient de toute manière prévu de se retrouver au même endroit le lendemain pour leur séance de photos, alors ils s'en contentaient.
Alors qu'ils marchaient, le plus jeune gardait contre lui le lapin-moineau comme un chien gardait son os. C'était son butin, son précieux, sa propriété. Et honte à celui qui essayerait de le lui enlever.
Taehyung avait essayé de le lui enlever.
– Tu ne veux pas le remettre dans le sac ? Tu risques de le salir, avait-il dit avant de se prendre un regard noir en pleine face.
– Le sac n'est pas un endroit pour lui. Il reste avec moi.
Comment insister devant un ton aussi autoritaire ? C'était impossible. De ce fait, Jungkook déambulait dans les ruelles avec son énormité entre les bras, tel un gosse revenu de la fête foraine. L'image faisait beaucoup rire Taehyung qui ne rêvait secrètement que de pouvoir remplacer cette peluche.
Une autre chose impossible pour l'instant.
Poussant un long soupir, il s'étira le dos en allongeant les bras au-dessus de sa tête.
– Ah... J'ai pas envie de retourner en cours, chouina-t-il.
– Je croyais que t'aimais bien l'école.
– J'aime bien, mais je préfère nos après-midis tranquilles à la maison.
Jungkook pouffa avant de se rembrunir à une certaine pensée.
– Moi aussi... Surtout quand je sais qu'on va revoir Jongin et Mirae.
Un bref silence s'installa. C'est vrai qu'ils allaient les revoir, ces deux-là, et Taehyung n'était pas non plus ravi. Ils avaient beau s'être tenus à carreau après l'altercation dans les couloirs du lycée, il ne savait pas s'ils continueraient à se faire sage après cette période de vacances. Ça l'inquiétait un peu.
– Au moins, on va revoir Hyungsik ! tenta-t-il de positiver.
– Hyungsik est un con, déclara Jungkook.
– Je croyais que tu l'aimais bien.
– Je l'aime bien, mais il reste un con.
Cette fois, ce fut Taehyung qui pouffa.
Jungkook n'avait vraiment pas la langue dans sa poche et son avis était toujours très tranché. Mais c'était ce qui le rendait attachant. C'était surtout ce qui donnait à Taehyung l'impression d'être spécial à ses yeux. Car même s'il adorait le taquiner, il n'était en réalité jamais méchant et il lui prouvait bien assez son amitié par le biais de petites déclarations faites spontanément. Des mots remplis de gratitude, des phrases tendres prononcées timidement ; Jungkook ne faisait jamais semblant.
Taehyung aimerait partager encore plus de choses avec lui, recevoir encore plus de ses marques d'affection et passer plus de temps ensemble, si cela même était possible.
En pensant à tout ça, une idée lui vint.
– L'année prochaine, ça te dit qu'on s'inscrive à un club ?
Jungkook fit une drôle de tête en entendant la question. Il se tourna vers son camarade en grimaçant.
– Un club, sérieusement ?
– Pourquoi pas ?
– Tu m'imagines vraiment faire du basket ou de la danse ?
Taehyung leva les yeux au ciel.
– Bien sûr que non. Je pensais plutôt à un club de chant ou d'arts plastiques. Pourquoi pas même du théâtre ?
– Pas de théâtre. Ils se touchent, là-bas.
« Ils se touchent, là-bas. », voilà une phrase à ne pas sortir de son contexte. Taehyung retint son commentaire et rit intérieurement. Il comprenait parfaitement ce qu'il voulait dire. Et c'était vrai que les exercices de théâtre appelaient parfois aux contacts physiques. C'était l'un des clubs qui l'avaient intéressé en arrivant dans ce grand lycée. Mais si c'était avec Jungkook, peu importait celui dans lequel il s'inscrirait.
– Écoute, je peux y réfléchir, si tu y tiens, entendit-il.
Son visage s'illumina aussitôt et un large sourire prit place sur sa bouche. Bien sûr qu'il y tenait. Et Jungkook le savait, ses efforts le prouvaient bien assez.
Alors qu'ils arrivaient enfin au bout de la rue des Jeon, Taehyung rêvassait. Il s'imaginait déjà faire partie de ces activités extra-scolaires avec son camarade et c'était une perspective qui lui plaisait. Écouter sa jolie voix lorsqu'il chanterait, ou bien le voir en pleine concentration sur une peinture... Il avait hâte d'être à l'année prochaine.
Mais plus encore, et parce que c'était un futur bien plus proche, il avait hâte d'être demain pour pouvoir ajouter un nouveau modèle à sa collection de portraits.
– À quelle heure je passe te prendre demain ? demanda-t-il.
– Hm, je ne sais pas. Tu peux peut-être venir vers-
Jungkook s'arrêta brusquement dans sa phrase ainsi que dans sa marche. Les pieds fermement enfoncés dans le sol, il tressaillit, les yeux écarquillés sur le dos de l'homme qui attendait devant la porte de chez lui.
Ce ne fut que lorsque celui-ci fit volte-face, prêt à partir, que Taehyung le remarqua. C'était un monsieur d'une cinquantaine d'années, à vue d'œil, aux cheveux poivre et sel qui retombaient sur son grand front lisse et à la barbe négligée qui lui mangeait le bas du visage.
– Qui est-ce ? demanda-t-il.
Son ton était bas. Il ne savait même pas pourquoi il murmurait. Peut-être parce que Jungkook semblait à deux doigts de se briser et qu'il craignait de le fragiliser davantage s'il parlait trop fort. Son expression était effrayée, son teint livide et son corps prêt à s'écrouler à tout moment. C'était sans doute ce qui inquiétait le plus Taehyung. Car jamais il n'avait vu son ami dans cet état. Jamais il n'avait lu une telle peur sur ses traits, pas même devant Jongin ou les sunbaes qui le maltraitaient.
Alors que l'inconnu faisait demi-tour et s'approchait d'eux sans les voir, Jungkook laissa échapper malgré lui un gémissement étranglé. Lorsqu'il s'en rendit compte, une main se porta à sa bouche et il tenta de se faire aussi discret que possible.
Mais c'était trop tard.
– Jungkook ?
L'homme l'avait entendu.
– Jungkook, c'est toi ?
Les yeux de l'adulte étaient à présent braqués sur lui et ses jambes se déplaçaient à une vitesse affolante pour les rejoindre.
En voyant leur proximité se réduire, Jungkook recula d'un pas.
– Comme ça fait longtemps ! Je me trouvais dans le quartier et j'étais justement passé voir tes parents.
Il recula d'un autre pas, les muscles gourds.
– I-Ils travaillent, aujourd'hui.
– Quel dommage... C'était l'occasion de se revoir. Comment vont-ils ? Et toi, que deviens-tu ? Tu as tellement grandi que j'ai manqué de ne pas te reconnaître. Quel âge as-tu, à présent ?
– Je...
Le nombre de questions lui donna le tournis. Ses oreilles bourdonnaient.
– Ils vont... longtemps... J'ai...
Alors que les secondes s'égrenaient impitoyablement, tout se bousculait dans sa tête. Jungkook devait continuer de répondre mais sa voix n'était qu'un maigre filet inaudible. Elle sifflait, tel un ultrason que peu de gens pouvaient entendre. Il bafouillait, se perdait dans ses mots. Il essayait tant bien que mal de soutenir le regard de son vis-à-vis mais ses pupilles partaient dans tous les sens, incapables de rester en place.
C'était un spectacle absolument épouvantable que Taehyung ne pouvait plus supporter. Face à la détresse de son cadet qui ne faisait que s'intensifier, il s'avança, de sorte à se placer devant lui pour faire barrage, et se courba respectueusement.
– Bonjour, Monsieur, s'exprima-t-il clairement. Je suis Taehyung, un camarade de classe de Jungkook.
L'étonnement passa sur la figure de son interlocuteur tandis que son regard se posa sur lui, comme s'il venait seulement de constater de sa présence. Un sourire se dessina alors sur sa bouche entourée de poils drus et il répondit par un hochement de tête courtois.
– Bonjour. Excuse-moi, mon grand. J'étais tellement surpris de voir Jungkook que j'en ai oublié la politesse.
– Il n'y a pas de mal, le rassura l'adolescent. Pardonnez-nous également, mais on ne doit pas tarder. On a un exposé à rendre pour la rentrée.
L'homme agita une main devant lui.
– Oh ! mais bien sûr, allez-y. C'est vrai que la reprise des cours est bientôt, réalisa-t-il. Les vacances scolaires, moi je m'y perds complètement.
Il laissa échapper un rire maladroit, puis son regard retomba sur Jungkook qui ne bougeait plus.
Depuis le début, Taehyung trouvait sa manière de le dévisager très particulière. Très insistante. Il ne se contentait pas juste de le voir. Il le contemplait, avec une tendresse inexpliquée. C'était curieux. Mais cela le mettait également mal à l'aise, surtout pour son ami. Celui-ci avait profité de son intervention pour se mettre en retrait et s'effacer derrière lui. Ses yeux étaient accrochés au ciel et ses doigts aux bras de sa peluche.
Il était évident qu'il voulait s'enfuir. Son être entier le criait. Ce besoin, Taehyung le ressentait comme s'il s'agissait du sien tant celui de Jungkook était puissant. Il débordait sur son cœur et commençait à l'étouffer à son tour.
Décidant de mettre fin à ce pénible silence, il prit une fois de plus les devants, espérant clore définitivement cette déplaisante rencontre.
– Bon, eh bien...
Sa prise de parole eut un effet immédiat sur l'adulte qui se réveilla.
– Oui, oui ! Évidemment, vous avez du pain sur la planche. Je vais vous laisser. Jungkook, tu transmettras mes amitiés à tes parents ? J'espère vous revoir bientôt.
Jungkook hocha la tête comme un automate et Taehyung s'inclina poliment en guise d'au revoir.
L'homme s'en alla enfin, mais la lourdeur de l'air persista pendant longtemps après son départ. Dans la rue calme, on entendait seulement le bruit de quelques voitures au loin et ceux du vent qui faisait craquer les branches des arbres.
Les deux garçons ne disaient rien, mais les yeux du châtain ne quittaient pas ceux de son camarade. Ces derniers n'abritaient plus de peur. Et peut-être que cela aurait pu être une bonne chose, mais Taehyung n'aimait pas du tout ce qu'il lisait maintenant en eux. Du vide. Plus aucune émotion ne les traversait. Ils étaient creux. Ternes.
– Est-ce que ça va... ?
Devant cette apathie, il se rongeait les sangs. Il avait besoin d'explications pour comprendre. Il avait besoin de savoir qui était cet homme et surtout, de connaître la raison cachée derrière tant de méfiance et de crainte.
– Kookie...
Si seulement Jungkook voulait bien lui répondre.
– Kookie, parle-moi...
Dans une dernière tentative, Taehyung s'avança. Mais ce fut au même moment que l'autre reprit vie et coupa court à la discussion.
– Je dois rentrer, annonça-t-il d'une voix blanche.
Jungkook s'élança vers sa maison et se rua à l'intérieur sans un regard pour Taehyung. La porte claqua derrière lui. Il s'adossa à celle-ci puis resta là, dans l'entrée baignée d'obscurité, à compter les battements sourds de son cœur qui envahissaient ses tympans et à ressasser en boucle ce qui venait de se passer.
Il l'avait revu.
Il était revenu.
Pourquoi ? Pourquoi maintenant alors que tout s'arrangeait ?
Perdu dans ses pensées, il ne fit pas attention à sa poigne autour de son lapin qui s'allégeait progressivement jusqu'à ne plus le retenir du tout. Ce n'est que lorsqu'il lui échappa des bras qu'il s'abaissa machinalement pour le ramasser.
Sa main se tendit lentement vers la tête molletonnée et dont le museau embrassait le sol, quand son geste se suspendit subitement. Son regard s'agrandit sur cette main et il la fixa, dérouté par son apparence qui lui semblait tout à coup irréelle. Il fixa ces doigts minces et élancés. Ces paumes, maintenant ouvertes devant lui. Ces mêmes paumes blanches, dépourvues de traces. Tremblantes.
Les siennes. C'étaient les siennes.
Sa vision se troubla alors que les images affluaient dans son esprit et un cri muet lui enserra la gorge.
Des mains contre un torse. Un corps allongé. Un regard levé vers le ciel, et le silence qui recouvrait le bruit de son sang qui se cognait à ses tempes.
Pris d'assaut par ses souvenirs, Jungkook se mit à respirer vite, très vite, tandis que les larmes jaillissaient de ses yeux pour s'écouler en torrent sur ses joues.
Des frissons ; un sentiment de dégoût et la lourdeur d'une rencontre avec le passé qui le tourmentait. Tout lui revenait si violemment, bien plus encore qu'auparavant.
Ses genoux heurtèrent violemment le plancher et il commença à se balancer sur lui-même, roulé en boule comme un animal effrayé. Les sanglots l'assaillaient. Le cœur au bord des lèvres, il gémit, seul et affligé, dans cette maison qui avait épongé nombreuses de ses crises.
Il y avait dans ses murs les souvenirs ingérés de ses pleurs, de ses peurs, de ses gestes frénétiques et des objets jetés dans des élans de rage. Il y avait les marques invisibles de ses cris d'horreur, de ses lamentations et des cauchemars qui dégradaient ses nuits. Mais surtout, il y avait son secret, celui que personne ne connaissait et ne devait connaître. Celui qui écrasait ses poumons, celui qui mordait sa peau et injectait dans son âme un poison.
« Ne me touchez pas ! », s'entendait-il encore hurler à ses parents.
Toucher faisait mal. Toucher détruisait. Car il ne suffisait que de deux mains pour tout faire basculer.
– Ne me touchez pas, suffoqua-t-il. Ne me touchez pas...
Il masqua ses oreilles pour atténuer les échos de sa souffrance, quand une voix éthérée lui répondit.
« Kookie, tu sais, un toucher n'est pas forcément brusque et ne fait pas forcément mal. »
C'était la voix de Taehyung. Sa voix chaude et réconfortante. Celle qui le protégeait de lui-même et qui lui donnait envie d'avancer.
Mais avancer, le pouvait-il encore ? En avait-il le droit ?
Jungkook baissa les yeux sur la peluche qui gisait au sol et son cœur manqua d'exploser.
« Je l'ai fabriqué moi-même. C'est pour les moments où tu te sentiras seul ou vulnérable. »
Un toucher ne faisait pas forcément mal. Celui-là ne faisait pas mal. Il le savait. Et il en avait besoin. Car c'était un de ces moments où il se sentait le plus vulnérable.
Alors, dans un ultime geste poussé par le désespoir, il l'attrapa et l'étreignit aussi fort que possible. Il l'étreignit à s'en faire mal aux bras, s'accrochant à elle comme à une planche de salut.
Le nez plongé dans le cou de l'animal et les doigts crochetés à ses ailes, il se laissa bercer par la sensation confortable de la ouate et du tissu contre sa peau.
Oui, un toucher ne faisait pas forcément mal. Celui-là était doux et sans danger.
C'était le seul contact qu'il pouvait accepter.
Celui d'un lapin-moineau qui jamais ne pourrait juger ni blesser.
Ni être blessé.
𓆩ꕥ𓆪
Coucou les moineaux.
L'heure est grave. Qui donc est cet homme et qu'a-t-il bien pu se passer pour que Jungkook soit aussi terrifié ? Tant de mystères que je ne saurais éclaircir...
Je rigole. Bien sûr que je vais savoir les éclaircir. Je ne le ferai juste pas tout de suite ;D (ceux qui me connaissent savent combien j'aime faire durer le suspense).
Mis à part ça, j'espère que tout va bien pour vous. Moi je suis toujours aussi fatiguée et démoralisée, + des problèmes de santé qui reviennent. Mais le point positif, c'est que j'ai enfin signé le compromis pour l'achat de mon appartement ! Manque plus que l'acceptation du prêt de la banque et j'aurai les clés fin avril. J'ai si hâte ! 🥰
Je vous embrasse fort et vous dis à bientôt.
Astëlya
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