10. La chaleur d'une étreinte



Taehyung remuait sur sa chaise, encore et encore. Autour de lui, la plupart des élèves étaient plongés dans le silence et écoutaient les explications interminables de leur professeur qu'il n'entendait même plus. Était-ce des maths ? De la géométrie ? Peut-être de la physique. L'adolescent n'en avait absolument aucune idée. Le regard figé sur le dos devant lui, son esprit était ailleurs et son corps se faisait lourd. Il n'arrivait pas à se concentrer sur sa leçon.

Depuis quelques minutes, il avait cette drôle d'impression qui ne le quittait pas. Celle d'être épié. C'était vraiment étrange. Et si c'était un fantôme ? Un frisson lui parcourut l'échine à cette pensée et il déglutit bruyamment. Taehyung n'aimait pas les fantômes, il en avait très peur. Surtout ceux tout blanc, maigres comme un clou et avec une bouche tordue. Oh ! et puis ceux avec des veines noires partout sur le visage... C'étaient les pires !

Ne voulant pas faire de malaise après s'être fait peur tout seul comme un idiot, il prit une lente inspiration et tenta de retrouver sa raison. Les fantômes n'existaient pas. Ils n'existaient pas, voilà. Mais du coup, ça ne l'avançait pas vraiment dans son problème.

Il devait prendre son courage à deux mains pour analyser la situation. Un premier coup d'œil à droite lui permit de voir qu'aucun de ses camarades ne prêtait attention à lui. Un second vers l'avant lui montra que son professeur non plus. Il ne se donna pas la peine d'en jeter un derrière lui. Cela l'étonnerait beaucoup que le mur s'amuse à le fixer. À gauche, cependant... À sa gauche, il y avait la fenêtre, mais aussi...

Pris d'un doute, Taehyung tourna lentement la tête pour vérifier et sursauta furieusement lorsqu'il tomba sur les deux billes marron de Jungkook.

– Oh mon Dieu, c'était toi ? souffla-t-il, une main sur le cœur.

Le plus jeune ne répondit pas. Affalé sur leur table, la joue posée sur son avant-bras, il le sondait avec une intensité qui aurait presque pu le mettre mal à l'aise. Heureusement que c'était Jungkook et pas n'importe qui.

Toutefois, Taehyung trouva son comportement un peu étrange. Depuis quand regardait-il ailleurs que par la fenêtre, pour commencer ? Et puis, pourquoi ne disait-il rien ?

Face au mutisme de son ami, il se gratta la tempe, perplexe, et n'eut d'autre choix que de passer aux devinettes, comme toujours.

– J'ai quelque chose sur la tronche ?

Jungkook secoua la tête doucement.

– Je suis si beau que tu n'arrives pas à détourner les yeux ?

Un soupir hautain lui répondit.

– Qu'est-ce qu'il y a, alors ?

Cette fois-ci, il n'obtint qu'un froncement de sourcils.

Bon, c'était plus compliqué que prévu. Il aurait dû s'en douter. Depuis qu'ils se côtoyaient, le garçon aux moineaux avait plus ou moins réussi à s'ouvrir en sa présence, mais il lui arrivait encore se renfermer dans sa coquille et d'être distant. Cela se faisait toutefois rare, nous étions très loin de leurs débuts, quand il l'ignorait ouvertement.

Actuellement, ce n'était pas de l'ignorance, juste une obstination à garder sa bouche fermée (et surtout un gros brin de timidité). Taehyung commençait à le connaître. Il lui fallait juste parfois un peu plus de temps que d'autres pour décoder les messages cachés derrières ses regards et ses silences.

– Tu as quelque chose à me demander, c'est ça ?

Piqué au vif, Jungkook plongea la tête entre ses bras et un sourire attendri se dessina sur les lèvres de Taehyung.

– Qu'est-ce que c'est, dis-moi ?

Déjà prêt à l'idée de devoir insister (il avait l'habitude maintenant), il sortit un stylo de sa trousse et se mit à tapoter son biceps avec en espérant le faire réagir. Une fois, deux fois, trois fois...

– Jungkookie, chantonna-t-il.

Il entendit un faible grognement émaner de son camarade, puis, le visage de celui-ci émergea enfin à la surface de sa planque. Taehyung eut alors le droit à une jolie prunelle noire et à un bout de nez. C'était déjà ça ! Il allait s'en contenter.

– Qu'est-ce que tu veux me demander ? l'encouragea-t-il d'une voix douce.

– Est-ce que...

Le rouge afflua dans les joues de Jungkook qui détourna le regard vers le tableau.

– Est-ce que tu veux qu'on aille au parc après les cours ? On pourrait nourrir les oiseaux de là-bas et... rentrer ensemble.

Les yeux ronds, Taehyung crut bien défaillir.

C'était la première fois que Jeon Jungkook lui proposait une sortie.

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Le vent s'engouffra dans les cheveux de Taehyung qui se retrouva aveuglé durant un instant. Non sans se plaindre, il écarta les mèches qui lui barraient la vue et resserra son écharpe autour de son cou en frissonnant.

– Brr... Froid, laissa-t-il échapper pour lui-même.

Devant lui, Jungkook était accroupi et avait sorti un petit sac de graines pour en distribuer aux oiseaux du parc. Un petit sourire en coin, il les regardait manger avec appétit, tandis que Taehyung le regardait lui. Ce dernier aimait entendre sa voix douce et tendre lorsqu'il leur parlait. Il aimait voir son visage détendu et le bonheur faire plisser ses grands yeux bruns. C'était un spectacle qui lui réchauffait toujours autant le cœur.

Sans oublier que lui aussi en faisait partie, maintenant, de ce spectacle.

– Tu veux leur en donner ?

Ravi, Taehyung hocha la tête et s'approcha prudemment. Il avait bien retenu la leçon : pas de gestes brusques en présence des piafs, et encore moins de celle de son camarade. Lentement, il s'abaissa et prit une petite pincée de nourriture, avant d'avancer les lèvres dans une moue enfantine.

– Dis, tu crois qu'ils accepteraient de manger dans ma main ?

La question sembla surprendre Jungkook qui haussa les sourcils.

– Je ne sais pas, répondit ce dernier, incertain.

– Tu n'as jamais essayé ?

– Non. Non, je...

Il se tut alors que son regard tombait sur ses compagnons ailés.

– Tu as peur de les toucher, eux aussi, devina Taehyung.

Jungkook acquiesça.

Durant une longue minute, les deux adolescents restèrent silencieux, tandis que le plus vieux tentait de mettre quelques graines au creux de sa paume. Ils attendirent dans le calme, jusqu'à ce que, tout à coup, un oiseau un peu plus dodu que les autres ne sautille vers la main tendue pour y picorer son repas.

Taehyung se figea immédiatement. Il bloqua sa respiration, craignant un faux mouvement, mais il ne put en revanche réprimer un grand sourire émerveillé.

Un sourire qui se fana rapidement.

– T'as réussi, chuchota Jungkook.

En percevant la joie dans son timbre, Taehyung songea tristement au fait que, peut-être, son ami aurait aussi aimé pouvoir faire ça. Il réalisa alors l'étendue de sa phobie, du gouffre profond qu'elle creusait entre les êtres vivants et lui. Car contrairement à ce qu'il avait pu penser, celle-ci ne s'arrêtait pas au contact avec les humains, elle le privait également de celui des animaux. Cela devait vraiment être une souffrance de ne pouvoir recevoir aucune marque de tendresse physique. De ne connaître ni la chaleur d'une main ou d'une patte, ni la douceur d'une étreinte ou le réconfort d'un ronronnement contre sa poitrine.

Taehyung n'avait pas d'animaux, lui, mais il savait que si sa vie sociale n'était pas aussi épanouie, il aurait très certainement apprécié la compagnie d'une petite âme, comme celle d'un chien par exemple. Seulement, les chiens, les chats, ils venaient sur les genoux, quémandaient des caresses et de l'affection qu'un maître comme Jungkook ne pourrait jamais leur offrir.

– Je peux te poser une question ? demanda-t-il après que l'oiseau se soit envolé, repu.

– Hm ?

– Depuis quand tu... Enfin, tu as toujours eu peur comme ça ?

Les traits de Jungkook se durcirent et il lui fallut quelques secondes de réflexion avant de prononcer du bout des lèvres :

– Pas toujours.

– Oh...

– Mais ça fait très longtemps, reprit-il plus bas encore.

Très longtemps... C'était donc bien un trouble qui s'était développé en grandissant. Cela voulait dire qu'il avait sans doute connu une période où le toucher ne l'effrayait pas. Est-ce que ça lui manquait ? Est-ce que les câlins de ses parents lui manquaient ? Les mains douces et fraîches sur le front les jours de fièvre, les bras réconfortants pendant les gros chagrins, les baisers sur la joue après la lecture du soir ; toutes ces choses qui donnaient du baume au cœur lui manquaient-elles ?

– Et... Est-ce que tu sais d'où ça te vient ?

Taehyung était curieux. Tellement curieux à son sujet. Parce qu'il avait beaucoup de peine pour lui, il voulait savoir. Savoir depuis quand, savoir pourquoi. Savoir, éventuellement, ce qu'il pourrait faire pour l'aider.

Mais Jungkook ne semblait pas encore prêt à se confier.

À ce moment précis, Jungkook était ailleurs, et son regard perdu dans le vague. C'était comme s'il revivait un souvenir lointain. Un souvenir qui le tétanisait. Qu'avait-il bien pu se passer pour que son expression se fasse si torturée ? Lui avait-on fait du mal au cours de sa vie ? Était-ce pour cette raison qu'il refusait qu'on l'approche ? Mais dans ce cas, qui ? Comment ?

Les questions s'enchainèrent à une vitesse folle dans la tête de Taehyung et le submergèrent tant qu'il eut l'impression de pouvoir se noyer à tout moment. Il haïssait l'idée que l'on puisse s'en prendre à Jungkook, son protégé. Cela faisait naître en lui une rage qui lui donnait envie de hurler contre le monde entier, de pleurer toutes les larmes de son corps face à la cruauté de certains. Celle-ci le dégoûtait, elle le faisait se sentir si petit, si impuissant. Que pouvait-il faire ?

Pas grand-chose, à part s'assurer de toujours être là pour Jungkook ou pour tous ceux qui, un jour, pourraient avoir besoin de lui, de son soutien.

Du coin de l'œil, il vit un frémissement sur la nuque dégagée du garçon, le léger soubresaut de ses épaules sous le souffle du vent. Ce n'était pas la première fois qu'il sortait aussi peu vêtu pour aller à l'école ; ses angoisses encombraient tout son esprit et l'empêchaient de penser à ce genre de détail, c'était ce qu'il lui avait un jour expliqué. Une fois encore, il n'était définitivement pas assez couvert pour la saison. 

Taehyung soupira doucement à ce constat. Sans attendre, il se leva et fit quelques pas pour se raccroupir juste devant lui, puis, dans le silence, ses mains dénouèrent l'écharpe qui protégeait sa gorge jusqu'à l'enlever. Le froid mordit aussitôt sa peau nue mais il décida de l'ignorer.

Au moment où la laine entra en contact avec lui, Jungkook quitta ses rêveries et ses prunelles surprises s'accrochèrent au visage concentré de Taehyung qui la lui enroulait autour du cou. Comme toujours, ce dernier prenait soin de ne jamais le toucher, alors, sans trop de crainte, Jungkook le laissa faire sans un mot, l'autorisant à l'emmitoufler comme le ferait un parent avec son enfant. Même si c'était un peu dur de forcer son corps à ne pas se crisper, il avait confiance.

– Voilà, c'est bien mieux comme ça, décréta Taehyung, satisfait.

– Merci, Tae...

Instinctivement, Jungkook se lova contre l'écharpe encore tiède et ferma les yeux, appréciant secrètement le parfum de son aîné qui imprégnait le textile. Le nez plongé dedans, il se laissa bercer par ces notes florales apaisantes, un doux sourire prenant place sur ses lèvres cachées.

Sa chaleur, son odeur ; pendant ces quelques secondes, ce fut comme si Taehyung l'étreignait. 


𓆩𓆪


Bonsoir mes moineaux, comment allez-vous ?

On en apprend un poil plus sur Jungkook et sa phobie. Avez vous certaines théories qui commencent à voir le jour ou toujours pas ? 

De mon côté, je suis contente, j'ai bossé sur un plan de l'histoire et j'ai réussi à détailler jusqu'au chapitre 21. Normalement, lorsqu'on aura atteint ce chap, nous serons à peu près à la moitié de la fiction (sauf si je fais encore une Astëlya et ne cesse de rajouter évènement sur évènement pour finir avec une centaine de chap, pff).

Non, en vérité, j'estime le Moineau à ~50 chapitres (60 en comptant la marge de plaisir haha).

Bref, je vous fais des bécots, faut que j'aille manger mes graines, j'ai faim.

Astëlya

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