09. Un déjeuner avec les moineaux



– Ahh, j'ai faim...

Le ventre de Taehyung gargouilla audiblement dans la salle de classe. Il posa une main dessus, la joue écrasée sur son pupitre et le regard planté sur son voisin dont il ne voyait qu'un bout d'oreille dépassant de sa chevelure noire, puis soupira lourdement.

– J'ai faim... Jungkook, j'ai si faim...

Il faisait de son mieux pour prendre une voix geignarde. Il espérait que cela fasse suffisamment pitié au brun pour qu'il se retourne et lui adresse un mot. Seulement, ce dernier ne semblait pas le moins du monde alarmé par son état. C'était presque à se demander s'il l'entendait.

– Jungkook, mon ami, dit-il plus fort.

Sans succès.

Toujours le même manque de considération. Taehyung bougonna dans sa barbe, les sourcils froncés. Les amis ne devaient-ils pas se soucier des uns et des autres dans des moments comme celui-là ? Encore un peu, et il finirait par se vexer.

Bon, peut-être qu'il l'était déjà.

À l'aveuglette, il récupéra un stylo au hasard dans sa trousse et l'envoya vers son camarade à l'aide d'une pichenette. L'objet roula sur la table jusqu'à s'arrêter devant le bras qui lui faisait obstacle.

Aucune réaction.

Taehyung grommela une nouvelle fois. Ce que Jungkook pouvait être borné, quand même !

Bien décidé à arriver à ses fins, il en prit un autre et recommença sans même s'inquiéter de son professeur qui pouvait le surprendre à tout instant. Quand vint le tour d'une gomme. Puis celui d'un trombone (que faisait-il avec un trombone dans sa trousse ?).

Au bout de quelques minutes, il finit néanmoins par désespérer. Alors, il s'inspira de sa mère, réentendit dans sa tête son ton éploré, se souvint de quelques phrases types qu'elle aimait lui sortir quand elle ne voulait pas s'occuper du dîner, et tenta le tout pour le tout.

– Jungkook... Je vais vraiment mourir, je le sens. Mes forces me quittent, mon souffle s'amenuise, je défaille...

Maman Kim était un si bon modèle.

– Meurs en silence, s'il te plaît.

Mais Jeon Jungkook était un adversaire bien trop redoutable, même pour elle.

La bouche de Taehyung s'ouvrit en grand et il se redressa brusquement, comme si son visage venait de toucher une grille de barbecue. Une paume posée sur son cœur, il chouina :

– Mais Jungkook... Comment peux-tu être aussi monstrueux ? Tu n'as pas honte ?

Jungkook quitta enfin le ciel des yeux et tourna la tête en sa direction. Son regard s'accrocha au sien et il prononça d'un ton ferme :

– Non.

Touché en plein dans son égo, Taehyung grimaça. Une moue à la fois blasée et dégoûtée qui fit remonter sa lèvre supérieure et dévoila quelques-unes de ses dents blanches et joliment alignées. Décidément, copiner avec le garçon aux moineaux n'était définitivement pas une mince affaire. Lui qui s'était imaginé une relation idyllique après leur moment intime dans le parc, il y avait de quoi être déçu.

Une semaine s'était écoulée depuis, et Taehyung ne voyait pas beaucoup de changement au niveau du comportement du plus jeune. Bon, peut-être qu'il était un peu dur dans son jugement et voulait trop mettre la charrue avant les bœufs, car au moins, Jungkook acceptait tous les jours sa compagnie pendant les pauses et restait à ses côtés sur le banc de la cour les midis. Il lui parlait un peu plus, aussi. Du moins, il répondait ; rares étaient les fois où il engageait la conversation.

– Bon, tu viens ? Je croyais que tu avais faim.

Le temps que Taehyung s'en rende compte, la cloche avait déjà sonné et la plupart des élèves étaient sortis de la salle. Il quitta son train de pensées et observa son camarade qui l'attendait, sac à dos sur l'épaule et bras croisés, en appui contre le mur, et un sourire se dessina sur ses lèvres. 

« Ah, foutues lèvres », les maudit-il intérieurement. Elles devraient vraiment arrêter d'agir à sa place. Il était censé faire du boudin, lui, comment pouvait-il paraître crédible, maintenant ?

Il tenta aussi sec de reprendre sa mine stoïque, quoique légèrement rembrunie par son regard qui se voulait dur, mais Jungkook ne mordit pas à l'hameçon. Au contraire, il leva les yeux au ciel et commença à avancer sans lui, marmonnant entre ses dents :

– Gamin.

Cela eut le mérite de faire partir Taehyung au quart de tour.

– Quoi, moi, un gamin ? s'insurgea-t-il.

Il rangea précipitamment ses affaires, déchirant dans le processus une page de son cahier, puis le rattrapa avant qu'il ne passe la porte.

– C'est toi le gamin, Jeon !

– Non.

– Si !

– Non.

– Si !

Le plus jeune poussa un long soupir exaspéré et mit fin à ce débat puéril.

Embarqués dans leurs chamailleries, ni l'un ni l'autre ne remarqua les regards méprisants de Jongin et Mirae lorsqu'ils leur passèrent devant. Ou du moins, s'ils les avaient remarqués, ils ne parurent pas s'en formaliser.

𓅪

Les jours se succédèrent sans pour autant se ressembler.

Taehyung et Jungkook continuaient leur petit bonhomme de chemin, lentement mais sûrement. On ne pouvait pas dire que les deux étaient encore très intimes. Pourtant, ils s'étaient parfaitement acclimatés l'un à l'autre et une complicité naissante se laissait entrevoir.

Au lycée, leur duo était devenu une évidence pour tout le monde. Plus personne n'ignorait le fait que Jeon Jungkook, dit « l'autiste », était désormais sous la protection de Kim Taehyung, et rares étaient les inconscients qui tentaient encore de l'embêter malgré ça. Le châtain s'était fait un plaisir de tordre le poignet de l'un d'entre eux qui avait essayé de l'attraper, le jour dernier, et il n'hésiterait pas à recommencer s'il le fallait.

En ce qui concernait Jongin et sa bande, il faisait toujours en sorte de détourner l'attention de Jungkook lorsqu'ils étaient dans les parages. Cela ne servait plus vraiment à grand-chose, car ce dernier était maintenant suffisamment rassuré pour faire abstraction d'eux et ne plus avoir peur pour son aîné. En vérité, il lui arrivait même de les narguer, souriant plus que nécessaire à son ami ou lui parlant légèrement plus fort quand ils étaient près d'eux. C'était pour lui une manière indirecte de se venger. Une manière de leur montrer qu'il n'était plus seul et avait à présent quelqu'un pour le soutenir.

Même s'il ne disait rien, Jungkook était sincèrement reconnaissant envers Taehyung pour tout ce qu'il faisait. Cela se voyait à son regard et à son comportement. Étrangement, il lui offrait toujours un snack au distributeur lorsqu'il le sauvait et il choisissait toujours ses préférés. Mais ça, bien sûr, c'était uniquement parce qu'il lui faisait pitié avec son estomac qui ne cessait jamais de gargouiller (dixit le concerné).

Mais bon, parfois, il avait tout de même une drôle de façon de lui montrer sa gratitude...

– Reste à ta place, je t'ai dit.

– Mais Jungkook, j'en ai marre ! Tu me tiens toujours à l'écart quand tu nourris les moineaux. Moi aussi, je veux partager mon pain.

– C'est parce que t'es une brute et que tu les fais toujours fuir. Et le pain est mauvais, ce sont des graines qu'il faut leur donner.

– Comment pourrais-je les faire fuir ou leur donner des graines si tu me laisses même pas les approcher ?

Un coup de vent glaça Taehyung et le fit frissonner. Il remonta la fermeture de son manteau jusqu'en haut et resserra son écharpe autour de son cou, juste avant de reprendre son air d'enfant pourri gâté.

– Je veux les nourrir, répéta-t-il plus fermement.

Jungkook souffla et ferma les yeux quelques secondes. Derrière lui, près du banc, Taehyung attendait, les poings sur les hanches. Quand il les rouvrit, il jeta un regard désolé à ses petits compagnons à plumes et murmura :

– Pardonnez-moi pour ce que je vais faire mais il ne va pas me lâcher sinon...

Puis il s'adressa a son camarade plus fortement :

– Tu viens, mais tout doucement.

– C'est vrai ? s'exclama Taehyung, tout sourire.

Jungkook hocha la tête à regret et le surveilla attentivement, déjà prêt à l'arrêter dès le moindre faux pas.

Surprenamment, il n'y en eut aucun. Taehyung fit preuve d'une grande délicatesse et, avant même qu'il ne le réalise, il était déjà accroupi à ses côtés. C'était un peu comme avec lui. Le châtain était entré dans sa vie sans qu'il ne puisse l'anticiper. Du jour au lendemain, il avait gagné un ami, et cela donnait à son quotidien une saveur bien différente.

Cette pensée le fit sourire.

– Salut, les piou-pious ! Je suis votre nouveau garde-manger. Taehyung, pour vous servir, mais vous pouvez m'appeler Tae.

– T'es au courant qu'ils ne te répondront pas ?

– Bah si, regarde ! Lui il a dit cui-cui. Ça veut dire coucou en moineau.

Jungkook secoua la tête avec jugement mais décida finalement de l'ignorer. Du bout des doigts, il prit une pincée de graines et lui demanda de tendre la main, paume ouverte. Il les laissa atterrir dedans sans un mot.

Aussitôt, Taehyung prit son rôle très au sérieux. Les sourcils froncés de concentration, il se fit violence pour ne pas gigoter (ses jambes s'engourdissaient déjà) et positionna ses doigts au-dessus des oiseaux. Lentement, il fit tomber la nourriture sur le sol.

– Oh, Jungkook, t'as vu ? Ils m'aiment bien !

– Ils aiment surtout manger.

– Pourquoi tu es toujours aussi rabat-joie ?

– Je ne suis pas rabat-joie, je suis réaliste.

– Non, tu es méchant.

La culpabilité piqua subitement le regard du brun qui baissa immédiatement la tête vers ses pieds.

– Désolé, murmura-t-il.

– Hein, quoi ? Mais pourquoi tu t'excuses ? J'ai dit ça pour ri-

– Je ne fais pas exprès d'être méchant, le coupa-t-il, ce n'est pas mon intention. Je ne veux pas que tu arrêtes d'être mon ami...

Attendri, Taehyung sourit et lui attrapa le bout de la manche pour tirer dessus. Jungkook s'était habitué à ce geste et ne sursautait même plus lorsqu'il le faisait. C'était devenu pour eux un moyen de communiquer.

– Je ne vais pas arrêter d'être ton ami, prononça-t-il d'une voix douce. Et puis, je t'ai fait une promesse que je compte bien tenir, hm ?

– J'espère...

– Ne t'inquiètes pas. Ce n'est pas ton sale caractère qui va réussir à me repousser. J'en ai vu des bien pires que toi. Mon meilleur ami, par exemple !

Taehyung laissa échapper un petit rire en pensant que Jungkook et Jimin s'entendraient à merveille. Il faudrait un jour qu'il les présente l'un à l'autre, même s'il était persuadé que les deux ne perdraient pas une seule seconde pour faire équipe et se liguer contre lui. Ils lui feraient la misère, à coup sûr.

Il décida de garder ça dans un coin de sa tête et d'y réfléchir plus tard. Après avoir constaté l'air plus serein du brun, il reporta son attention sur les piafs qui bectaient les restes de nourriture. Ils arrivaient presque à la fin. Bientôt, ils n'auraient plus rien. Ceux-là n'étaient pas particulièrement maigrichons, au contraire, ils étaient bien ronds. Pourtant, Taehyung se fit la réflexion que peut-être ils ne mangeaient pas à leur faim et avaient besoin de plus.

Une idée lumineuse lui traversa soudain l'esprit et il se leva brusquement en s'écriant :

– Dis, Jungkook ! Tu crois qu'ils aiment aussi les croissants ? J'ai des croissants dans mon sac.  C'est bon les croissants, non ? Je suis sûr qu'ils vont adorer mes croissants ! Je veux leur donner des croissants.

Un silence de plomb s'abattit, et le temps se figea en même temps que Taehyung quand il remarqua que plus aucune créature volante ne se trouvait devant lui. Statufié, il resta là, bêtement, pendant que le vent faisait trembler les feuilles mortes à ses pieds et sifflait de façon narquoise.

À ses côté, son camarade affichait un air profondément dépité, une main posée à plat sur son visage.

– Kim Taehyung... Tu es un véritable enfer. 


𓆩𓆪


Kim Taehyung, élu boulet n°1 du monde de la fanfiction. D'un côté, il a plutôt raison : c'est bon les croissants, non ?

Plus sérieusement, ne donnez pas n'importe quoi aux moineaux ! On a pris l'habitude de partager notre nourriture avec les oiseaux, mais la plupart n'est pas adaptée à leur régime alimentaire naturel. Prenons soin de nos amis à plumes 🥰

Love you

Astëlya

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top