02. Mauvaise blague
– Je suis rentré ! cria Taehyung en jetant son sac sur le sol.
Se déchaussant à l'aide de ses pieds, il balança négligemment ses souliers près du meuble à chaussures et accrocha sa veste au porte-manteau avant de monter la petite marche pour rejoindre ses parents dans le salon.
– Hop hop hop, demi-tour, garçon ! gronda son père qui s'était levé, les poings sur les hanches.
Comme un bon petit soldat, Taehyung s'exécuta sans trop savoir pourquoi il devait faire ça et se mit à observer la porte d'entrée, en attendant l'ordre suivant.
– Tes chaussures et ton sac.
Il fit voler une mèche de ses cheveux qui lui tombait sur les yeux en soufflant et partit ranger ses affaires. Une fois ses baskets proprement déposées dans une des cases de la petite étagère et son sac-à-dos remonté dans sa chambre, il retourna dans la pièce à vivre et s'affala de tout son long sur le canapé en écrasant à moitié sa mère au passage.
– Comment s'est passé ton premier jour, mon chéri ? demanda-t-elle, curieuse, en lui caressant le front alors qu'il venait de poser la tête sur ses genoux.
– À quel point tu t'es contenue pour ne pas me sauter dessus dès que j'ai passé la porte de la maison et me hurler cette question dans les oreilles ?
Madame Kim laissa échapper un petit rire fluet. Son fils la connaissait vraiment par cœur.
– Tu n'as pas idée, gamin. J'ai dû lui confisquer son portable pour qu'elle ne t'appelle pas toutes les deux minutes.
– Maman, t'es vraiment pas possible, se moqua gentiment Taehyung. C'était bien. Notre prof est plutôt sympa, j'ai pu parler avec deux-trois personnes qui ont l'air cool, et je me suis pris mon premier râteau.
Il soupira inconsciemment à l'évocation de ce désagréable souvenir.
– Un râteau ? Ne me dis pas que tu as eu un coup de foudre, que tu t'es déclaré et t'es fait rejeter ? s'affola madame Kim.
– Toujours dans l'excès, toi...
Elle lui donna une petite tape sur le bras.
– Tu sais, maman, dans la vraie vie les coups de foudre ça n'existe que lorsqu'il y a de l'orage et que tu n'as pas de chance.
– C'est faux, contredit son père. Lorsque j'étais à la fac et que j'ai vu ta mère pour la première fois, je-
– Stop ! s'écria Taehyung en se bouchant les oreilles. Je ne veux plus entendre cette histoire ! Vous m'avez traumatisé à vie !
– Quel garçon innocent nous avons fait, Jaehyun, se lamenta la femme auprès son mari.
Pour la petite anecdote que Taehyung aurait préféré oublier pour le restant de son existence, ses parents s'étaient rencontrés à leur fac de commerce, étaient tombés, dès le premier regard, fous amoureux – selon leurs dires – et s'étaient retrouvés dès la troisième heure dans un des placards à balais de l'établissement, là où ils s'étaient passionnément envoyés en l'air entre les serpillères et les rouleaux de papier toilette.
Ces derniers lui avaient toujours juré qu'il avait été dignement conçu dans un lit et non sur un aspirateur, mais Taehyung se permettait d'en douter un peu, connaissant ses géniteurs. De toute façon, il ne voulait pas le savoir.
– Donc, pas de coup de foudre, soupira madame Kim en exposant ouvertement sa déception.
– Pas de coup de foudre. Juste un voisin de table particulier.
– Il est mignon ? se précipita-t-elle de demander, les yeux brillants.
Taehyung piqua un fard. Pourquoi fallait-elle toujours qu'elle pose ce genre de question ? En plus, elle tapait dans le mille à chaque fois. Ce que c'était agaçant !
– Chérie, laisse le tranquille, intervint le chef de famille en voyant l'embarras de son fils.
– Mais enfin ! Il serait temps qu'il se trouve un petit ami, à son âge ce n'est pas normal d'être célibataire ! Beau comme il est... Mon petit bébé...
Et voilà le retour des larmes de crocodile. Taehyung comprenait bien d'où il tirait son superbe jeu d'acteur.
– Maman, arrête ! Tu es gênante.
À la vitesse de l'éclair, il se redressa et courut dans les escaliers pour aller s'enfermer dans sa chambre et sauta directement sur son lit.
Allongé sur le sommier et le regard perdu sur le plafond, il soupira à s'en fendre l'âme.
Le coup de foudre. Un concept bien abstrait à ses yeux.
Bien sûr qu'il avait déjà eu des sentiments pour quelqu'un, mais ils n'étaient pas sortis, comme ça, tout droit de nulle part. Et c'était peut-être une vision immature que Taehyung avait de l'amour, mais pour lui, les gens étaient comme les présents que l'on recevait à Noël ou à son anniversaire. On pouvait aimer son emballage mais ce n'était pas pour autant qu'on en aimerait le cadeau en lui-même.
Mais oui, pour répondre à la question de sa mère, il devait bien avouer que le brunet avait un bel emballage...
𓅪
Une semaine était passée depuis que Taehyung avait fait sa rentrée en deuxième année dans son nouveau lycée. Les profs n'étaient pas trop mauvais, même s'il trouvait toujours les cours ennuyeux, la nourriture à la cantine était plutôt bonne et il avait trouvé un petit groupe de camarades avec qui traîner le midi et pendant les pauses.
Ces derniers étaient venus d'eux-mêmes, un jour, juste avant midi, et lui avaient proposé de manger avec eux. Taehyung avait trouvé ça très aimable et avait bien entendu accepté, avant de se tourner naturellement vers son voisin de table pour lui partager l'invitation.
Ce moment resterait gravé dans son esprit pendant encore longtemps, pour son étrangeté ainsi que pour le malaise qu'il avait suscité. Il se rappelait très bien le raclement de gorge plein de gêne émis par la fille, du détournement de regard d'un des garçons et du rictus narquois de l'autre. Il se souvenait aussi de Jeon, baissant la tête sur sa trousse avant de la secouer négativement en guise de refus. Un long silence avait accompagné sa réponse et Taehyung avait cru apercevoir un soupçon de tristesse dans l'expression du brunet.
En parlant de lui, ce dernier avait d'ailleurs enfin un prénom.
Jungkook.
Taehyung l'avait lu sur le badge accroché à sa veste d'uniforme et s'était demandé pourquoi il n'y avait pas pensé plus tôt.
Quoi qu'il en soit, Jungkook ne lui avait toujours pas décroché un mot, et ce n'était pourtant pas faute d'avoir à maintes reprises essayé d'entamer une discussion avec lui ou de renouveler les invitations pour les déjeuners. Sans succès. Il ne faisait à chaque fois que le fixer droit dans les yeux avant de tourner la tête vers la fenêtre en l'ignorant.
Ce qui était tout sauf acceptable.
Car depuis que Taehyung avait entendu sa voix, celui-ci s'était surpris à vouloir l'entendre à nouveau et, têtu comme une mule, il était pour lui hors de question de lâcher l'affaire. Manque de pot, il semblait tout bonnement impossible de faire parler le jeune homme qui faisait dangereusement concurrence avec son propre caractère borné.
Maintenant qu'il savait que Jungkook était loin d'être muet, il en était venu à la conclusion qu'il ne l'aimait tout simplement pas. C'était ce qui lui semblait être l'explication la plus probable quand il le voyait s'obstiner à maintenir une certaine distance physique entre eux et à contrecarrer toutes ses tentatives de rapprochement.
Cela l'agaçait sincèrement, pour être honnête. Jamais de sa vie Taehyung n'avait été détesté par quelqu'un, et il trouvait à cette sensation un certain goût d'amertume. Il ne voulait pas que ses journées soient gâchées par l'atmosphère pesante qui planait autour d'eux lorsqu'ils étaient assis côte à côte, et il refusait d'être haï sans même en connaître la cause.
Qu'avait-il bien pu faire pour recevoir un tel traitement, lui qui n'avait fait que tendre sa main pour lui offrir son amitié ? Il n'en savait strictement rien. Mais il était bien déterminé à obtenir une réponse.
Dès lors, Taehyung avait doucement commencé à développer une sale obsession pour Jungkook. Son entêtement et cette interrogation qui tournait en boucle dans son crâne avaient finis par le pousser à faire quelque chose de vraiment stupide en fin de semaine. Bien entendu, il ne le savait pas encore à ce moment-là, mais il n'y avait pas un jour depuis où il ne s'était pas donné des claques mentales pour se punir d'avoir commis un tel faux-pas.
Le dernier matin avant le week-end, il avait croisé son camarade dans les couloirs. Ce dernier était en train de récupérer ses affaires pour la journée dans son casier, et Taehyung avait voulu le surprendre, dans la vague idée d'essayer de le dérider un peu avec une blague. Alors, il s'était approché de lui silencieusement pendant qu'il lui faisait dos et une fois à sa hauteur, il avait passé son bras autour de son épaule pour lui faire peur.
On pouvait dire qu'il avait réussi son coup avec brio. Pour autant, on ne pouvait pas dire qu'il se soit attendu à une réaction aussi violente.
Car à peine l'avait-il touché que Jungkook s'était retourné à une vitesse presque surhumaine et l'avait repoussé d'une telle force qu'il s'était lui-même retrouvé projeté en arrière et s'était cogné le dos de la tête contre la porte ouverte de son casier.
Les yeux de Taehyung avaient manqué de sortir de leurs orbites, et plus inquiet pour son camarade que pour lui-même, il s'était précipité vers lui pour voir s'il allait bien. Il avait commencé à tendre le bras dans l'optique de vérifier qu'une méchante bosse n'avait pas pris place sur son crâne, mais le brun avait fait un nouveau bond en arrière et lui avait hurlé dessus en lui ordonnant de ne pas le toucher.
Ce fut la première fois que Jungkook s'adressa directement à lui.
– Reste loin de moi, Taehyung, tu es une vraie plaie !
Ses mots avaient été si virulents que le cœur de Taehyung s'était douloureusement compressé dans sa poitrine.
Après ça, il n'avait plus rien tenté avec Jungkook. Ses paroles lui avaient vraiment fait de la peine. Il avait été idiot, c'est vrai. Mais avait-il pour autant mérité une haine pareille ?
𓅪
Sa deuxième semaine était à présent entamée et Taehyung n'arrivait toujours pas à se sortir Jungkook de la tête, ressassant sans cesse les mésaventures qu'il avait eues avec lui depuis son arrivée. Alors, pendant le déjeuner, il voulut en savoir un peu plus et interrogea ses nouveaux amis.
– Jungkook... C'est quoi son histoire ?
Mirae, la jolie blonde décolorée à lunettes, leva la tête en entendant la question posée par Taehyung et planta un regard inquisiteur sur sa personne.
– Jeon Jungkook ? Pourquoi tu t'intéresses à lui ?
– Il ne m'aime pas, je voudrais savoir pourquoi, répondit-il en toute honnêteté.
– Laisse tomber, mec, se manifesta le grand noiraud qui lui faisait face.
Hyungsik, s'il se souvenait bien de son prénom.
– Il n'y a pas à chercher midi à quatorze heures, Jungkook n'aime personne, c'est aussi simple que ça.
– Comment ça se fait ?
Taehyung insista. Il avait toujours été curieux, après tout.
– Parce qu'il est chelou, s'imposa le dernier qui partageait sa table, un rouquin. C'est le gars le plus bizarre du lycée et tu ne devrais pas perdre ton temps avec lui.
Kim Jongin. Taehyung avait déjà remarqué sa tendance à dénigrer un peu les autres. Il semblait être quelqu'un de très critique et avec une langue bien pendue. Le lycéen n'était pas très à l'aise avec ce genre de personnalité, étant lui-même complètement à l'opposé de celle-ci.
– Tu es vache quand même, le rabroua Mirae sans pour autant se séparer de son petit rictus amusé.
– Ose me dire que ce n'est pas un putain d'extra-terrestre ? Dès que quelqu'un s'approche de lui à moins d'un mètre, il se met à pleurer comme un gosse.
– Une fois, j'ai eu le malheur de poser ma main sur son bras pour lui demander un stylo et il m'a crié dessus comme un fou, expliqua calmement Hyungsik. À croire que je l'avais agressé...
– Oh, oui ! Je m'en rappelle, rigola la blonde avant de soupirer, la tête posée sur sa main. Quel gâchis, quand on y pense... Jungkook est franchement mon style.
– Dommage pour toi, petite peste ! Celui-là, tu ne l'auras pas. Si tu veux mon avis, il est et sera certainement puceau pour le reste de sa vie.
– Ferme-la, Jongin, t'es vraiment un abruti parfois, soupira Hyungsik.
Silencieux, Taehyung assistait à leurs chamailleries sans se prononcer. Cette conversation commençait sérieusement à lui sortir par les trous de nez. Il n'appréciait pas du tout la tournure qu'elle prenait et regrettait déjà d'avoir posé toutes ces questions. Malgré tout, elle l'avait conforté dans l'idée que Jungkook semblait ne pas trop supporter le contact humain. Taehyung l'avait déjà perçu plusieurs fois.
Dès le premier jour, Jungkook avait refusé de lui serrer la main et lorsque son genou avait touché le sien, il s'était complètement tendu et s'était éloigné de lui comme un animal effarouché. Même chose lorsqu'il avait posé une paume sur son épaule dans la cour. Et la scène près des casiers, n'en parlons pas.
Comment était-ce possible d'exécrer le contact physique ? Taehyung n'arrivait pas à comprendre, lui qui était si tactile. Il n'y avait pour lui rien de plus agréable et chaleureux au monde que de tenir quelqu'un dans ses bras où d'être soi-même enlacé.
𓅪
– Maman, interpella l'adolescent, étendu de tout son long sur le canapé et les jambes reposant sur les genoux de sa mère.
Madame Kim détourna son attention de son feuilleton du soir pour la placer sur son fils qui semblait trouver un intérêt tout particulier dans l'observation du luminaire accroché au plafond.
– Hm ?
– Câlin.
Taehyung se redressa aussitôt en position assise et ouvrit les bras devant elle en attendant qu'elle s'approche.
– Qu'est-ce qu'il t'arrive, mon poussin ? Tu es en manque d'affection ? le taquina-t-elle en accueillant son embrassade avec joie.
– Non, j'aime juste trop les câlins.
Il était bien, là, avec sa maman dans les bras. Il avait toujours trouvé ça drôle, la différence de corpulence qu'il y avait entre eux deux. Sa mère était toute frêle et toute menue, si bien que lorsqu'il l'étreignait, il avait toujours peur de la casser.
– Tu pourrais vivre sans câlins, toi ? demanda-t-il, les sourcils froncés.
– Pas sans les tiens, en tout cas !
Un doux rire lui échappa avant qu'il ne laisse encore une fois son esprit vagabonder.
Si Jungkook n'aimait pas être touché, il devait certainement haïr les étreintes. Taehyung ne put s'empêcher de trouver cela vraiment triste...
Ah, décidément ! Il n'arrivait vraiment pas à passer à autre chose.
𓆩ꕥ𓆪
Bonjour, mes moineaux ! Comment allez-vous ?
Me voici avec le deuxième chapitre de cette histoire qui, je l'espère, vous aura plu. On ne peut pas vraiment dire que vous en savez beaucoup plus au sujet de Jungkook grâce à lui, mais je pense que vous pouvez désormais cerner un peu mieux son problème.
Je vous dis en tout cas à bientôt pour la suite de cette aventure et vous fais plein de bisous !
Astëlya
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top