Chapitre IV
Les clameurs s'élevaient devant l'immense fort. Le Prince allait être couronné. Le royaume exprimait largement sa joie, la fête battant son plein. Les paysans dansaient au rythme des kopasin, des huinia et des nisio, ces instruments fabriqués par les citadins. Tandis que les pieds de la foule martelaient le sol, les cris et chants s'élevaient dans l'air doux et léger, les flammes rougeoyantes tremblotant doucement dans le noir ambiant.
Pourtant, à l'intérieur même du château, l'ambiance était toute autre. Les serviteurs couraient en tous sens, portant les porcelaines mirobolantes et les chandeliers d'or et d'argent. Au milieu de toute cette agitation, dans une chambre aux sombres draperies, le principal concerné, Uikios, dormait à poing fermé. Seuls ses cheveux argentés dépassaient des lourds draps de velours, brillants doucement à la lueur vacillante du feu. Ce furent les cris paniqués et les martellements des pas qui l'éveillèrent de son sommeil. Un grognement disgracieux franchis ses lèvres pâteuses tandis qu'il repoussait les couvertures, s'asseyant sur son lit.
Alors qu'il s'étirait langoureusement, quelqu'un toqua doucement à sa porte, le faisant sursauter. Il grogna un « entrez » peu engageant tandis qu'une jeune fille, dans la quinzaine, pénétrait dans la pièce. Elle triturait nerveusement les plis de sa robe turquoise, inquiète. En effet, le Prince n'était pas connu pour son caractère facile, mais plutôt pour ses frivolités. Toutes les Nundae redoutaient le jour où elle devrait aller servir le jeune héritier, sachant les nombreuses excentricités dont il était l'auteur. Un sourire carnassier prit place sur le visage du jeune homme. En le voyant, la jeune Nundae ne put retenir un tremblement, déglutissant difficilement. Ne pouvant affronter les prunelles ardentes du fils aîné du Roi, elle baissa les yeux, essayant de concentrer son regard sur les ombres qui dansaient doucement au pied de la cheminée. Uikios prit finalement la parole d'une voix suave.
- Que me veux-tu ?
Disant ses paroles, il se leva avec une lenteur calculée. L'atmosphère de la pièce changea, la jeune servante se sentant soudainement comme dans l'antre d'un prédateur. Ses tremblements s'accentuèrent tandis qu'elle murmurait d'une voix blanche d'où transparaissait son malaise.
- J-juste vous prévenir que le Roi votre père vous demande...
Alors qu'il s'arrêtait devant elle, il soupira, se passant une main dans ses cheveux d'argent.
- Bien, tu peux disposer. Marmonna-t-il entre ses dents serrées.
Il ne lui laissa pas le temps de protester qu'il la jeta dehors. Celle-ci partit en courant, disparaissant dans les sombres couloirs du château.
Uikios, de son côté, enfila une longue tunique noire parcourue de fils d'or et un pantalon de la même matière. Une fois prêt, il observa son reflet dans le grand psyché ornementé avant de sourire. Il était parfait. Ainsi vêtu, il sortit de sa chambre et traversa les longs couloirs du palais. Finalement, une immense porte, qu'un doux éclat de bronze venait égayer, se présenta à son regard. Le Prince soupira de nouveau avant d'ouvrir la porte d'un coup, faisant sursauter les conseillers du Roi présents dans la salle. Ce dernier, habitué aux frasque de son fils, ne releva pas.
Le Roi était assis sur un trône d'or blanc où étaient incrusté des pierres flamboyantes. Le feu faisait doucement briller les améthystes et rubis, lançant des éclats dans les émeraudes et les agates et illuminant les fluorines et les diamants. Quant à sa Majesté, elle était vêtue comme à son habitude, d'une simple tunique blanche sertie elle aussi de pierres et de fins filins d'argent. Une lourde cape, fourrée du duvet du guijun, un animal dont le pelage d'une rare douceur et d'une couleur unique était très recherché, reposait sur ses épaules. Uikios fit la moue en pensant que ce soir, ce serait à lui de porter cette cape encombrante. Finalement, ses yeux se posèrent sur le sceptre royal. Il était fait d'un mélange harmonieux entre l'or jaune, l'or blanc et l'or rouge. Les trois s'enroulaient gracieusement, s'entremêlant entre eux dans un travail complexe et minutieux. Une perle, d'une grosseur respectable et d'un blanc pur, ornait la partie centrale du majestueux bâton, tandis qu'une pierre de lune était délicatement posée au sommet, semblant s'élever de quelques centimètres.
Enfin, Uikios regarda le visage de son père. Celui-ci était ridé mais gardait une certaine vitalité propre à la jeunesse. Ses cheveux, blanchissant, tombaient gracieusement sur ses épaules dans de légères vaguelettes. Deux yeux d'un bleu pâle, presque transparent, semblaient sonder le fond des pensées de chacun.
Soutenant le regard de son père, il le détourna pourtant. Celui-ci prit finalement la parole, d'une voix grave.
- Tu sais bien que tu es couronné ce soir Fils ?
- Comment l'oublier, Père. Répondit âprement Uikios avant de plisser ses yeux dorés.
- Et tu sais que ta sœur est rentrée juste pour te voir ? ajouta le Monarque.
Ce dernier savait parfaitement que son fils avait de forts liens avec sa fille aînée. Et en effet, à cette nouvelle, les yeux de son héritier s'illuminèrent tandis qu'un large sourire fendait son visage, révélant des dents blanches comme de la nacre. Finalement, il reprit, toute trace d'animosité disparue.
- Sœur est là ?! Juiona est rentrée ?
A peine avait-il terminé sa phrase qu'une jeune femme, dans la vingtaine, apparaissait dans le dos du Roi, tout sourire. Ses longs cheveux argentés cascadaient dans son dos, tombant élégamment au creux de ses reins, tandis que ses yeux jaune lui souriaient malicieusement. Lentement, elle se dirigea vers lui avant de le serrer contre elle, souriante.
- Salut petit frère !
Ce dernier lui rendit son étreinte, heureux, avant de relever la tête vers elle, un air presque enfantin sur le visage.
- Tu as eu une permission ? demanda-t-il, son sourire ne quittant plus son visage.
- Oui, l'armée m'a laissée une permission d'une semaine ! Je vais passer une semaine avec mon frère préféré ! ajouta-t-elle avant d'ébouriffer les cheveux de celui-ci.
Les deux jeunes discutèrent encore quelques instants avant que le Roi ne leur rappelle sa présence par un léger toussotement. Il savait bien que le départ de son aînée pour le royaume voisin avait marqué le jeune Prince. Après tout, Juiona ne pouvait pas régner, elle était une femme. Elle ne pouvait qu'étudier ou partir pour l'armée. Et elle avait donc décidé de s'engager à ses 13 élékas. Ainsi, elle ne revenait qu'une à deux fois par élékas, lors de ses permissions.
La journée se passa sans grand bouleversement. Les préparatifs se déroulèrent dans la même ambiance que d'habitude, soit incessant. Puis, vint le moment du couronnement. Uikios entra au bras de sa sœur, marchant avec lenteur vers le Roi. Celui-ci, assis sur son trône, attendait ses enfants, la cape dans une main et le sceptre dans l'autre. Finalement, Juiona recula en s'inclinant, laissant son frère seul. Ce dernier s'inclina, posant un genoux à terre, tandis que son paternel récitait les quelques lignes qui lui donnerait enfin le pouvoir. Chacun retenait son souffle lorsque le désormais ancien roi posa la lourde cape sur les épaules de son fils avant de lui donner le sceptre avec révérence. Enfin il prit la couronne posée sur un coussin de velours rouge et la déposa doucement au sommet du crâne de Uikios. Discrètement, il lui glissa également un pendentif d'or autour du cou. Une obsidienne renvoyait les éclats du feu, semblant pourtant les avaler dans son cœur de noirceur. Ce dernier regarda son père, intrigué, mais celui-ci ne fit que secouer la tête, gardant le silence. Un tonnerre d'applaudissements résonna dans la salle royale tandis que le nouveau Roi se relevait. C'était maintenant le moment de faire son discours.
Alors qu'il entrouvrait les lèvres, s'apprêtant à dire le laïus longuement retourné dans sa tête, un souffle glacé le fit frissonner. Un murmure d'angoisse s'éleva dans la pièce tandis que les flambeaux s'éteignait un à un, avaler par une vague oppressante d'obscurité. Enfin, le dernier flambeau s'éteignit, plongeant la pièce dans un noir d'encre. Un silence de mort régnait, personne n'osant plus dire un mot. Soudain, un cri retentit, suivit d'un grand fracas. Ce fut le déclic, chaque personne fuyant de la salle, se bousculant dans la panique générale.
Uikios ne voyait plus rien devant lui et ne parvenait plus à dire un mot. Tout à coup, une étreinte glacée le fit sursauter. Une main entoura sa gorge, pressant ses os qui craquèrent doucement. Suffocant, il tenta vainement de se débattre, mais ses forces le quittait déjà. Peu à peu, le noir l'engloutit, ses paupières se faisant de plomb. Finalement, ses yeux se fermèrent tandis qu'une voix sourde parvenait à ses oreilles.
- Jamais tu ne vivras ton destin...
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