Chapitre XXIV : Exode - Partie 1/2

« Dangereuse. Je suis dangereuse. » Marie B ne cessait de tourner en boucle ces mots dans sa tête. Bientôt deux ans loin de son demi-frère et, pourtant, le « mal » était fait. Elle était devenue ce qu'elle avait toujours été. Un Messager de la Vie et de la Mort. Une arme créée pour faire éclore la Mort et pour ravager la Vie à son passage. Elle n'avait pas d'autre choix que de s'infliger à elle-même la fin de sa vie. Mais, avant cela, il lui restait une chose à faire.


- Je souhaiterais parler à la comtesse, je vous prie.

- Qui la demande ?

- Dîtes-lui juste que j'ai un message pour elle, elle comprendra.

Quelques minutes passèrent, durant lesquels la femme attendit patiemment à l'entrée du château. Sobre, distingué et élégant. Il n'y avait pas d'autres mots pour définir les pierres qu'elle avait devant ses yeux. En pensant à un château de Russie, elle s'était imaginé toute la flamboyance un peu trop provocante de ce pays, mais le château distingué qui s'élevait devant elle était tout autre. Les pierres, couleur gris clair, étaient bien proportionnées et, hormis les corniches et quelques décorations, il ne possédait pas de couleurs. Haut de cinq étages, il possédait de grandes fenêtres et la porte d'entrée, entièrement vitrée d'un verre poli, laissait transparaître la lumière de la fin d'après-midi. La forme de la bâtisse, en U, laissait imaginer un nombre de chambres et d'appartements colossal, qui avait dû servir, à l'époque où les créatures se regroupaient, à accueillir en son sein d'anciens esclaves, des créatures ayant dû quitter leurs terres et peut-être même de jeunes orphelins.

- Madame la comtesse vous attend dans son bureau, si vous voulez me suivre.

La femme acquiesça et pressa le pas derrière l'homme qui la précédait, admirant au passage l'entrée magistrale, circulaire, dont un escalier faisait presque le tour pour terminer sur un pallier, en haut duquel elle aperçut Natacha qui, visiblement, la dévisageait avec intérêt et curiosité.

Le domestique la laissa en haut des marches, avant de s'éclipser aussi vite qu'il était arrivé.

- Dimitri n'est pas ici, tu t'en doutes, si c'était la raison de ta visite.

- Je le sais, ce n'est pas lui que je suis venue voir, mais vous.

- Etonnant ! Voudrais-tu juger par toi-même des torts que tu as pu m'infliger durant toutes ces années ?

- Non, je ne suis pas de ces personnes-là. Je viens vous faire une proposition.

La comtesse observa la femme, qui semblait parfaitement honnête, se demandant quelle était la raison exacte de sa venue. Elle n'avait aucune obligation de la recevoir mais le clan Thorsen ayant toujours été un clan allié, il était logique pour elle de lui consacrer un peu de son temps.

- Bien. Suis-moi dans mon bureau, nous serons tranquilles.

Une fois assises, les deux femmes se dévisagèrent quelques secondes avant que Natacha ne brise le silence.

- Alors, cette proposition ?

Elle vit Marie B sortir un poignard de son sac et le poser sur le bureau, d'un air totalement détaché.

- Quelle est cette mascarade ? Serais-tu en train de me menacer ?

- Absolument pas. Voici une arme pour me tuer.

- Comment ?

La comtesse ne pouvait croire ce qu'elle entendait. Elle, celle qui avait été la cause de tous ses tourments depuis plus de trente années, se trouvait là, et lui demandait de la tuer. Qu'est-ce qui pouvait bien se passer dans la tête de cet animal pour qu'elle en vienne à cela ?

- Vous aviez raison, depuis le début. Je suis dangereuse. Ma mort devrait vous suffire. Mon demi-frère vieillit trop vite pour être utilisé par le clan de Satan et, le temps qu'il parvienne à créer une autre femelle de mon espèce... vous serez tranquille.

- Pourquoi moi ?

- Vous pensez sérieusement que votre fils ou Rama accepterait ? Et puis, cela fait trente ans que vous voulez ma mort, je vous l'offre sur un plateau d'argent. Cela ne se refuse pas.

Natacha observa la femme qui se trouvait devant elle, déterminée et triste à la fois. Suicidaire. Elle avait toujours pensé que cet animal ne voulait vivre que pour elle et, au final, voilà qu'elle souhaitait mourir pour sauver les autres d'elle-même. Suicidaire. Ce simple mot fit remonter à la comtesse des souvenirs lointains qu'elle pensait enfouis depuis de très longues années. Ceux de ses parents et de son frère. Trois suicides. Une lettre. Elle ne pouvait pas accepter que l'animal, la femme, peu importe, qu'elle avait devant les yeux, puisse nuire ainsi à ses proches.

- Ne te rends-tu pas compte de l'impact que cela aura sur ceux qui t'aiment ?

- Si vous refusez, je trouverai un moyen de le faire sans vous.

- Je ne te parle pas de cela. Je te parle de ta mort. T'es-tu seulement demandé comment ils allaient vivre sans toi et vivre en sachant qu'ils ne sont pas parvenus à t'aider ?

- Vous vouliez le rétablissement de la peine de mort pour moi, qu'est-ce que cela change ?

- Tout !, tonna la comtesse. Un cadre légal, dans lequel ils auraient su que tu étais morte pour tes idées et tes combats, même si je les désapprouve ! Là, tu veux mourir, tu arrêtes de te battre pour te laisser aller !

- Mais bordel, qu'est-ce que ça peut vous faire ? Vous voulez ma mort, vous l'avez, point !

- Très bien.

La comtesse se leva et, contrairement à ce que Marie B aurait pu s'attendre, se dirigea vers le buffet en bois massif se trouvant derrière elle, l'ouvrit, et en sortit une boite, de laquelle elle put extraire un document.

- Tiens, lis.

Intriguée, la femme s'exécuta.

- Château des Kergianov, le Six du Mois de Mars de l'an 1836. Nous, comte Alyosha de Kergianov et comtesse Olga de Kergianov, avons décidé de tirer un trait sur nos vies. Le décès de notre enfant chéri, notre fils Miroslav, est trop dur à vivre. Nous sommes personnellement responsables de son suicide. Si nous n'avions pas accepté sa mise en couple avec une humaine il serait, à l'heure actuelle, toujours présent auprès de nous. Nous avions bien tenté de le mettre en garde, mais cela fut vain. En mettant fin à nos jours de la même manière que Miroslav, nous espérons pouvoir vivre ces derniers instants et être en communion avec lui...

Devant la pause de Marie B, Natacha reprit :

- Continue.

- Nous avons conscience de ne pas avoir fait d'alliance avec aucun clan concernant l'avenir du clan Kergianov. Certes, nous ne voulions pas voir ce clan millénaire se fondre et être absorbé par un autre, même allié. De ce fait, et malgré nos doutes sur la mission que nous lui confions, nous nommons « comtesse de Kergianov » et héritière du clan Kergianov notre fille, Natacha Kergianov. Nous espérons que notre choix ne sera pas aussi catastrophique que nous le supposons, et que ladite Natacha, saura prendre conscience des responsabilités qui lui incombent. Par la présente, en cette nuit du Six du Mois de Mars de l'an 1836, la nouvelle cheffe de clan Kergianov est donc Natacha de Kergianov. Signé, comte Alyosha de Kergianov et comtesse Olga de Kergianov.

Marie B leva ses yeux vers la comtesse, dont elle perçut de minuscules larmes. Elle venait de comprendre qui était ce Miroslav auquel Wladimir avait fait référence lorsque sa mère avait avoué le meurtre de Blanche. Tout à coup, toute la lutte de la comtesse contre l'union inter-espèce prenait son sens. Et sa réaction à sa volonté de suicide également...

- Votre famille a été détruite par la mort d'une humaine...

- Oui. Par un couple que j'avais moi-même accepté et mis en avant. Nous faisons tous des erreurs dans notre jeunesse. Wladimir en a commises également. Et toi, tu es en train d'en commettre une qui, comme Miroslav, ne sera pas récupérable...

- C'est pour cela que vous m'avez fait lire cette lettre... Sérieusement, je ne peux pas vivre en sachant que je suis un danger pour les autres...

Natacha se plaça devant la fenêtre afin de réfléchir. Certes, la mort de cet animal blessé pourrait lui permettre de vivre tranquillement, sans se préoccuper de la paix avec les humains. Mais, elle n'était pas comme cela. Achever un animal sans défense n'était pas dans ses façons de faire. A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, disaient les humains. Elle ne voulait pas profiter de cet instant de faiblesse de la part de son ennemie pour la frapper dans le dos, ce n'était pas une manière de procéder qu'elle affectionnait. Une idée germa dans son esprit.

- Tu crains de faire du mal à tes proches, c'est cela ?

- Oui..., soupira Marie B.

- Alors, pourquoi ne pas t'isoler ? Partir loin, le temps de trouver une solution à ton problème.

- Comment ? Je ne suis pas riche, je ne vais pas louer une chambre d'hôtel dans une île quelconque !

- Là-dessus, je peux t'aider.

Marie B hésita quelques instants, se demandant ce qui était le pire entre se tuer ou faire confiance à son principal prédateur. Après tout, la seule chose que pouvait faire Natacha, c'était la tuer, donc cela reviendrait au même.

- J'accepte, mais à une condition. Si je ne parviens pas à taire mon instinct, vous devez promettre de me tuer.

- Marché conclu, accepta la comtesse, avant de placer sa main gauche sur sa tête, en signe d'accord. 

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