- Bon alors, je vous préviens ! On oublie tous les mauvais sentiments : la tristesse, l'angoisse, le stress... ça reste ici, à Tokyo ! C'est clair ?, demanda Shinji.

Voilà déjà une quinzaine de jours qu'ils étaient tous les quatre au Japon, fêtant l'anniversaire de mariage du couple de Chinois. Dix années déjà s'étaient écoulées depuis ce jour où l'ylang-ylang avait été au centre de leur décoration. Marie B n'avait pas eu de crises depuis trois semaines et le début du printemps 2030 proposait un paysage japonais fleuri, avec des odeurs délicates et agréables. Les quatre amis se trouvaient au parc Yoyogi, un lieu apprécié par les habitants notamment pour s'exercer aux arts martiaux, au vélo ou tout simplement pour se promener. En ce jeudi, le parc était plus calme que le dimanche où ils l'avaient visité, la semaine précédente, et ils en avaient profité pour se poser, en tailleur, sur la pelouse fraîchement coupée.

- Cela va bientôt faire vingt-six ans que nous nous connaissons, soupira Ho Sang. Il y a vingt-six ans, je voulais toujours la peau de Shinji, je ne voyais plus mon père, Maître Takeshi était encore là, Rê et Vulcain vivaient avec nous, Rachelle n'était pas encore entrée dans notre vie. Qui aurait pu croire que nous serions ici, aujourd'hui ?

- C'est vrai. Il y a vingt-six ans, j'étais en première S ! J'étais en couple avec une nana qui ne m'aimait pas, j'étais un geek désespéré et désespérant !, ironisa Orlando.

- Et toi, Marie B ?, demanda Shinji.

- Moi..., répondit pensivement la femme. J'étais une ado humaine standard ou presque. Bien loin de ce que je suis devenue...

- Et ça ne te manque pas ?, insista Ho Sang.

- Mes parents me manquent, mon insouciance, ou ce qu'il m'en restait également. Mais, je suis bien telle que je suis. Ni humaine, ni créature, juste Messager.

- En même temps, qui pourrait croire que tu vas avoir quarante-quatre ans cette année !

La femme se tourna vers sa meilleure amie. Elle savait pertinemment qu'il n'y avait aucune jalousie dans cette remarque, mais la volonté de lui faire passer un message qu'elle se refusait d'entendre. Et, à en croire les attitudes et le léger stress dont faisaient preuve les trois humains, ils n'étaient pas prêts de lâcher le morceau.

- Où veux-tu en venir, Lóng ?

- Nous vieillissons, nous. Ton mari, ici présent, aura quarante-quatre ans, ta meilleure amie également. Quant à moi, quarante-six. Au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, Maître Jigoro et Rachelle ont pris un coup de vieux. Le temps passe...

- Et donc ?

- S'il-te-plaît, Marie B, fais une pause. Accorde-nous une pause. Nous sommes fatigués. Ces dernières années ont été usantes pour nous. Orlando ne se plaint jamais mais, lui-aussi, a de plus en plus de mal à suivre ton rythme...

Marie B détourna le regard de Ho Sang vers son époux, cherchant en lui quelque chose qui infirmerait ou confirmerait cette affirmation. Elle avait toujours tenté de ne pas faire entrer le monde créaturien parmi ses proches humains mais, à voir les mines fatiguées qui s'offraient à elle, elle avait l'impression d'avoir totalement échoué. Même si elle aurait voulu, au fond d'elle-même, leur faire le plaisir de quitter sa vie créaturienne pour se consacrer uniquement à sa vie humaine, elle ne pouvait pas. Rama et Wladimir avaient donné énormément pour qu'elle puisse rester une créature, le premier en recréant un clan et en prenant sur lui le lourd poids du chef de clan, et le deuxième en reniant son nom et créant ainsi l'impossibilité, pour le moment, de pouvoir devenir un jour le comte de Kergianov. Hermès était toujours aussi vulnérable, et elle ne pouvait abandonner son demi-frère. Avec Gaïa, elle avait désormais un autre rôle à jouer, celui de Drêrerh, et elle ne voulait pas décevoir les parents, qui étaient également ses amis et alliés. Quant au clan de Satan, elle n'avait aucun doute sur le fait que, même s'il semblait plutôt calme depuis quelques années, ce n'était qu'une façade vouée à endormir leur vigilance.

Elle fixa quelques secondes ses proches, avant de prononcer :

- Non. Je suis désolée. Je suis le Messager de la Vie et de la Mort. Vous m'avez presque toujours connue ainsi. Le temps où je n'étais qu'humaine est bien loin et n'est plus une réalité aujourd'hui.

- Et comment feras-tu quand nous aurons atteint l'âge de mon père ? Tu crois franchement que nous pourrons continuer à te suivre ainsi ?

- Je ne sais pas, Lóng. Je verrai à ce moment-là. En attendant, je vais tenter de canaliser mon instinct comme j'arrive à présent presque à gérer mon lien avec les animaux. Cela devrait déjà vous faciliter la vie.

Orlando baissa les yeux. Il se sentait mal d'avoir fait cette demande, avec leurs amis, à son épouse. Il n'avait jamais voulu être un frein à son bonheur, même s'il avait l'impression que le monde créaturien n'était pas réellement une machine à créer la joie. Il aurait voulu dire qu'il était heureux pour sa femme, mais ce n'était pas la vérité. La voir ainsi se battre contre les autres créatures et, pire encore, contre elle-même, le détruisait intérieurement. A chaque fois qu'il devait s'éloigner de Marie B à cause de son instinct, à chaque fois qu'il lui lançait une bûche ou tout autre chose à détruire, comme il aurait pu le faire à un animal enragé, à chaque fois qu'il la voyait se tordre de douleur car elle ressentait tristesse, rage, angoisse de quelqu'un auquel elle était connectée, à chaque fois, chaque moment lui rappelait qu'il ne pouvait pas l'aider. Il ne pouvait rien faire pour elle, à part la regarder souffrir et se battre, toujours seule, tel un cavalier solitaire dans sa quête. Et ce n'était pas là le serment qu'il s'était fait la concernant. Il s'était promis de toujours être là pour elle, de toujours l'épauler. Il se sentait impuissant et inutile. Et cet amer constat pesait sur son âme. 

Hello ! Voici la fin de ce chapitre ! Pas d'update cette semaine, je suis en vacances, on se retrouve dans huit jours :)

Alors : 

- Que pensez-vous de la situation de Dimitri par rapport à Natacha ?

- De son arrivée chez Rama ?  

- Des peurs d'Hermès ? 

- Du rapport entre Marie B et les humains ? 

Bonne semaine à tous :)

Sanguinement-vôtre, 

Gothycka