Chapitre XIX : Arès - Partie 2/3

- Le renard est orange, Le corbeau est noir, Le lac est bleu, Le soleil est jaune, Le bois est marron, L'herbe est verte, Le feu est rouge, Les cendres sont grises. Maintenant, on rechante et tu me montres les couleurs, Gaïa, tu es d'accord ?

- Couleurs !

- Oui, mon bébé ! Le renard est orange ! Où est le orange ? Oui ma puce !

Devant les applaudissements de son père, la petite fille l'imita, sous le regard amusé d'Uranie. Cela faisait déjà deux mois qu'ils avaient appris pour l'existence d'Hermès et, depuis, ils remontaient plus régulièrement dans les Hauts-de-France, permettant ainsi à Rama de souffler un peu dans sa course effrénée.

- Je vais préparer le repas, mon cœur.

- Je devais continuer ma commande. Elle doit partir dans cinq jours...

- Eh bien, je prends Gaïa avec moi ! Tu vas m'aider à faire à manger, ma puce ?

- Maman !

Uranie prit la main de sa fille et elles partirent toutes les deux vers la cuisine, laissant Lucifer se diriger vers l'atelier de peinture. Une fois posé devant la toile, il s'inspira du bonheur auprès de son épouse et leur enfant pour terminer l'œuvre qu'il avait commencé et qui représentait, en un sens, une famille du clan Kergianov. Les deux mères étaient assises sur ce qui semblait être un nuage, ou encore de la neige, qui représentait le renouveau, et leur garçon, d'environ quatre ans, était élevé au-dessus d'elle, comme volant.

Lucifer et son épouse étaient reconnus dans l'ensemble de la société créaturienne pour leurs peintures qui utilisaient tous les codes culturels dans leurs œuvres. Les couples étaient à chaque fois peints dans une forêt, puisque cette représentation de la nature pour les créatures était en adéquation avec l'aspect naturel d'une mise en couple. Les personnes décédées se trouvaient systématiquement près de la mer, puisqu'elle montrait l'apaisement de la mort. Les jeunes durant leur cérémonie de passage ou celle de la majorité étaient représentés à la montagne, puisqu'elle était la puissance, et que ces deux cérémonies montraient la puissance et le courage. Quant aux familles ou aux jeunes enfants, ils étaient toujours dans un paysage enneigé, le renouveau de leur clan étant présent. De plus, à chaque peinture, les deux amoureux reproduisaient l'emblème du clan auquel appartenaient la ou les créatures présentes. Cette finesse dans leurs représentations faisait que parfois, même des membres de clans ennemis leur demandaient une peinture, dont celui de Satan.

L'esprit de Lucifer fut un moment accaparé par son frère ainé, et il manqua de peu de rater un mouvement de pinceau. Excédé, il se leva et se dirigea vers la fenêtre, contemplant au loin les montagnes aux pics enneigés. Il ne supportait plus de revoir, depuis la naissance de Gaïa, les images furtives et pourtant bien ancrées dans sa mémoire de sa mère agonisant. Il n'acceptait plus non plus de revoir le visage de l'humaine, cette paysanne crasseuse et quasi édentée qu'elle avait voulu qu'il tue alors qu'il avait à peine trois ans. Il rageait intérieurement devant les blessures, certes refermées depuis bien longtemps extérieurement, mais ouvertes et à vif dans son âme. Les coups de fouet, les humiliations. Seules Uranie et Natacha étaient au courant de ce qu'il avait vécu enfant, adolescent et adulte, tout d'abord au sein du clan Aken, puis dans celui de Satan. Et il ne voulait pas déranger son épouse avec ses états d'âme. Il décida donc d'appeler la comtesse et saisit son téléphone.


Natacha était de retour chez elle, près de Moscou, après près d'une semaine à sauter d'avion en avion pour une naissance, une créature malade et enfin la visite d'un membre de son clan. Elle allait profiter des deux jours qu'elle venait de s'extraire dans son emploi du temps pour faire son courrier et tenter de s'occuper d'elle. Puis, ce serait une nouvelle réunion du Ministère, et elle avait prévu de s'entretenir avec Arès à la prison. Elle l'avait bien connu et espérait toujours que cette créature changerait.

A peine avait-elle déplié sa serviette pour prendre un bon bain chaud que son téléphone émit un ultrason. Elle le fixa, exaspérée. Mais, devant le nom de son correspondant, elle décida de répondre.

- Bonjour Lucifer ! Comment allez-vous, tous les trois ?

- Bonjour com... Natacha ! Les filles vont très bien, et vous ?

- Je vais toujours bien, tu le sais ! Mais tu n'as pas répondu te concernant, Lucifer... Tes pensées noires reprennent le dessus ?

- Si j'étais humain, je pense que j'aurais dit à une époque que vous étiez une sorcière... Comment le savez-vous ?

- La naissance de ta fille a ramené à toi bien des souvenirs que tu aurais aimé ne jamais revoir... Tu ne dois pas en avoir honte, c'est normal d'être traumatisé par ce que tu as vécu...

- Je n'ai pas toujours fait le bien, comt... Natacha...

- Et moi, si j'en crois certaines personnes, je ne l'ai jamais fait ! Tu vois, dans un sens, tu es meilleur que moi ! Trêve d'ironie et de sarcasme. Tu es comme Astéria ou ton défunt frère Belzébuth, un repenti. Tu seras toujours hanté par ce que tu as pu faire à une époque. Et ce sont justement ces souvenirs négatifs qui t'empêcheront de recommencer. Ce n'est pas en cachant l'Histoire que nous avançons, mais en la mettant en valeur pour savoir comment ne pas reproduire le passé.

- Merci...

- Si tu as besoin d'en parler, n'oublie pas que tu peux m'appeler, Lucifer.

- Pourquoi faîtes-vous cela ? Je ne suis même plus de votre clan.

- Peut-être parce que, malgré tout, je vous apprécie, ton épouse, ta fille et toi. Je te laisse.

La femme raccrocha et se glissa dans sa baignoire, perplexe. Depuis sa rupture avec son époux, elle laissait trop ses sentiments ressortir. Dire qu'elle appréciait quelqu'un n'était pas un acte naturel chez elle, et ses agissements envers son mari, au Ministère, faisaient que tous avaient dû comprendre leur séparation. Elle devait se ressaisir avant que le clan de Satan n'utilise ses failles contre elle et contre les créatures dont elle avait la responsabilité. 

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