Chapitre XIV : Sacrifice - Partie 2/2

Natacha regarda son époux sortir de leur château, ses chiens sautant autour de lui. Cela faisait plusieurs années qu'ils n'avaient pas marché ainsi, côte à côte, et que Dimitri préférait la compagnie de ses animaux à la sienne. De ce combat qui lui avait été imposé contre les clans anti-humains et pour la paix, la comtesse faisait un amer bilan. Elle avait perdu l'amour de celui qui partageait sa vie et qui, elle en était persuadée, ne restait là que dans le but de savoir ce qu'elle ferait ensuite. Son fils ne lui adressait pas même un regard, et l'ignorance était bien pire que la haine qu'il lui avait vouée à une époque. L'animal qu'elle avait traqué était toujours bien vivant, et le clan de Satan, s'il mettait la main dessus, pourrait assouvir sa soif de pouvoir en créant la Mort. Le clan Thorsen s'était vu grossir de quelques anciens membres, qui revenaient à présent à leur clan d'origine.

Fatiguée de cette lutte qu'elle menait depuis 1836, près de deux-cents ans auparavant, elle s'installa à son bureau pour ouvrir le courrier qu'elle avait reçu le matin même. Une enveloppe venant de Pologne attira immédiatement son attention et elle l'ouvrit d'un geste vif, dépliant la lettre qui lui était adressée. Elle reconnut l'écriture d'Olga.

- Chère comtesse de Kergianov, Par la présente, je tiens à vous inviter au mariage de ma petite-fille, qui aura lieu le 15 juin 2030, à Varsovie. Je ne vous serai jamais assez reconnaissante pour tout ce que vous avez fait à notre égard. Même si les cauchemars de me retrouver arrachée à mes parents par ces « personnes » sont toujours présents, grâce à vous, mon frère et moi avons pu vivre. Je ne sais pas si je pourrai un jour vous remercier, mais vous revoir serait pour moi un très grand honneur. Olga.

Un sourire se dessina sur la bouche de la comtesse. Elle n'avait oublié aucun de ses enfants, aucun de leurs visages. Tous étaient ancrés dans sa mémoire. Enfance perdue à cause d'une religion différente. Les souvenirs des heures passées à tenter de sauver tous ces jeunes humains, et à les ramener, apeurés, effrayés, traumatisés par le passage des soldats et officiers nazis, dans l'ancien village créaturien, à la frontière de la Russie et de la Norvège, revint en elle. Le Ministère n'avait pas appuyé sa décision de sauver les enfants Juifs, trop embourbé dans le besoin de fournir des créatures en appui des forces alliés. Elle avait donc été contre la loi. Dimitri avait raison la concernant. Elle avait transgressé l'autorité du Ministère par pitié pour des enfants qui n'avaient rien fait. Et, si elle avait souvent des doutes quant à son « humanité » comme auraient dit les Hommes, les courriers qu'elle recevait encore de ses enfants, devenus vieux, lui réchauffaient toujours le cœur.

Elle tira une feuille pour rédiger sa réponse.

« Ma chère Olga,

Avoir de vos nouvelles me ravit le cœur. Je suis en effet très heureuse de constater que votre petite-fille va se marier et honorée de votre invitation. Evidemment, je ferai mon possible pour me dégager du temps et venir les rencontrer, son mari et elle.

Vous êtes toujours en proie à des cauchemars mais je voudrais que vous sachiez que, malgré tout ce que vous avez vécu, les traumatismes que vous avez pu vivre par le passé, votre vie d'aujourd'hui prouve que vous êtes devenue une femme forte. Ne baissez jamais les bras, restez droite et fière ! La vie, ces « hommes », ont tenté de vous briser mais, ils n'y sont pas parvenus.

Chère Olga, j'espère vous revoir très bientôt et pouvoir à nouveau plonger mon regard dans vos grands yeux bruns qui me rappelleront ceux qui se tournaient vers moi étant enfant.

Avec toute mon amitié,

Natacha Kergianov. »

La lettre rédigée, elle la plia, nota l'adresse sur l'enveloppe et la déposa dans un panier prévu à cet effet, pour que ses domestiques puissent la poster. Puis, elle sortit le reste du courrier qu'il lui restait à étudier pour la matinée. Avec tout ce qu'elle avait déjà en papier, la journée risquait d'être longue. Au moins, Dimitri pourrait-il profiter de temps loin d'elle.


- Comment vas-tu, fiston ?

Dimitri s'était posé sur un banc, profitant du soleil pour contacter Wladimir. Il espérait que les nouvelles qu'il entendrait trancheraient avec la morosité de l'ambiance régnant au sein du château.

- Je vais bien, père. Les jours avec Astéria sont passés un peu trop vite, mais je suis de retour chez Rama.

- Et comment va la gosse ?

- Très bien. Elle profite de son mari et de ses amis, cela lui fait du bien ! Et toi ?

- Ta mère... c'est ta mère quoi... Je ne sais plus quoi penser d'elle. Je ne la comprends plus.

- Disons que cela fait quelques années que je me demande comment tu as pu tomber amoureux d'elle.

- Wladimir ! C'est ta mère ! Elle n'a pas toujours fait les bons choix, mais elle a toujours voulu te protéger !

- Elle est jalouse de mon bonheur, surtout ! Et ne nie pas, elle-même m'a admis que c'était ce que tu pensais également !

- Je ne sais pas ce que je pense, fiston. Et tu devrais en faire de même. Ta mère a toujours été surprenante. Elle peut réserver de bonnes surprises...

- Je n'y crois pas ! Je dois te laisser, père, Marie B vient d'arriver. Porte-toi bien.

Lorsqu'il raccrocha, Dimitri ne sut que penser de la conversation qu'il venait d'avoir avec son enfant. Il se demanda un instant si Wladimir n'avait pas dévié la conversation sur lui pour ne pas s'étendre sur le sujet de sa protégée, sachant pertinemment qu'il parlerait de son épouse. Il se tapa le front en marmonnant :

- Je deviens aussi inquiétant que Natacha, ce n'est pas possible...

Mais, tout au fond de lui, quelque chose lui disait que son fils lui avait menti. Le ton de sa voix n'était pas le même que d'habitude. Que voulait-il donc lui cacher ? Une rupture avec Astéria ou un problème avec sa protégée ?


Marie B détailla son frère d'armes et son ancien tuteur créaturien, qui se trouvaient dehors, sur le perron et semblaient l'attendre. Hermès n'était pas là, mais elle sentait qu'il était apaisé, et devait probablement s'être endormi.

- Orlando m'a dit que vous vouliez me parler...

- Tu nous inquiètes énormément, Petit loup.

- Comme toujours, soupira la femme.

A voir les mines angoissées de ses amis, elle se maudit une nouvelle fois d'être la cause de leurs tourments. Wladimir aurait dû être dans les bras d'Astéria à cette heure, et non là, à lui parler. Elle devait trouver un moyen de l'y renvoyer.

- Retourne auprès d'Astéria et arrête de t'inquiéter pour moi. Je vais bien.

- Hermès a tenté de me faire comprendre quelque chose. Soit tu voudrais le voir mort...

- Ça va pas, non ?

- Soit tu voudrais te voir morte, termina Rama.

Il n'avait pas besoin d'attendre la réponse de sa sœur d'armes avant de la connaître. Sa réaction à la mort de son demi-frère avait été claire et sans équivoque. C'était donc à sa propre mort, comme il l'avait craint, qu'elle pensait.

- Tu n'es coupable de rien, ma belle. Ce n'est pas ta faute si tu es le Messager de la Vie et de la Mort.

Il entoura de ses bras son amie, la laissant s'affaisser sur lui. Toute la rage contenue en elle l'épuisait, et elle était en train de devenir l'ombre d'elle-même.

- Je reviens.

Ils regardèrent Wladimir s'éloigner dans le parc, son téléphone à la main.


- Astéria ? J'aurais besoin que nous parlions... Serais-tu dispo...

- Je sais déjà ce que tu vas me dire, Wladimir. Pas besoin de m'inviter à un restaurant pour me larguer. Je l'ai bien compris quand tu es parti tout à l'heure.

- Je suis désolé, sincèrement...

- Ce n'est rien, lâcha, dans un souffle, la créature. Prends soin d'elle.

Une fois qu'elle eut raccroché, Astéria laissa couler le flot de larmes qu'elle retenait depuis plusieurs heures, tirant à elle la couverture du canapé sur lequel elle sentait encore l'odeur de celui qu'elle aimait.


Hermès entendit des cris de dispute au rez-de-chaussée et se réveilla en sursaut, reconnaissant parmi les voix celle de sa demi-sœur. Le mal qu'il ressentait au ventre s'intensifia, partageant avec lui la détresse de la femme. Le jeune homme se leva et se dirigea dans le couloir du deuxième étage, où les sons se firent plus précis et les éclats de voix plus perceptibles.

- Mais ça va pas, non ? Pourquoi as-tu fait ça ? Pourquoi ?

- Parce que tu es prioritaire sur tout ! Parce que ton mal-être passe bien avant moi !

- Mais je ne veux pas de ça ! Je ne veux pas que tu te sacrifies pour moi, ni toi, ni personne !

- Ecoute, ma belle, je ne suis pas d'accord non plus avec la décision de Wladimir, mais il est libre.

La voix de son hôte paraissait bien plus posée que celle de sa demi-sœur, et soulagea le jeune homme. La créature savait parler et apaiser bien des maux, même si elle en doutait bien trop souvent.

- Je sais qu'il est libre ! Mais moi aussi, je suis libre de vivre ma vie ! Sans que vous n'ayez à tout sacrifier pour moi !

- Ton instinct est trop puissant pour toi seule, Petit loup. Nous devons être avec toi. Je ne suis pas devenu ton tuteur créaturien uniquement pour les bons moments. Je le suis devenu pour t'aider à progresser dans ta vie.

- En effaçant la tienne, peut-être ? En oubliant que tu es un être à part entière, qui a le droit à une vie et à l'amour ? J'en ai marre d'être un parasite, tu comprends ? Marre !

Hermès n'entendit pas le bruit de verre brisé qui succéda à ce hurlement. Le mur en pierres blanches contre lequel il cogna, encore et encore, absorba tous les sons. En se sacrifiant pour sa demi-sœur, Wladimir avait provoqué de la douleur et de la colère en elle. Des sentiments immédiatement utilisés par leur instinct destructeur. 




Et voilà la fin d'un chapitre court, mais intense en émotions ! 

Alors : 

- Que pensez-vous du plan du clan de Satan ? 

- La rupture de Wlad et Astéria ? Malheureusement, les sentiments ne se commandent pas...

- L'instinct des deux Messagers ? 

- L'éclairage sur le passé et le présent de Natacha ? Cela vous aide-t-il à mieux la comprendre ? 

- La position de Dimitri ? 

On se retrouve dès demain pour un chapitre dédié à une cérémonie que vous ne connaissez pas encore ^^

Sanguinement-vôtre, 

Gothycka.

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