Chapitre XIV : Sacrifice - Partie 1/2

- Je suis contente de te revoir, Gaïa, murmura le Messager.

- Faire une soirée qu'entre filles va nous faire du bien, surtout à Astéria !, répondit l'intéressée.

- Encore Wladimir ?, soupira la femme.

- C'est toujours aussi compliqué..., souffla Astéria. Tu sais, depuis cette soirée... J'ai compris qu'il n'aimerait jamais que toi, et toi seule...

Le Messager baissa les yeux. Des années après, elle se sentait toujours aussi coupable du sort de ce couple.



- Wladimir, que veux-tu faire ce soir ?

Le musicien se tourna vers sa compagne, qui caressait de ses magnifiques mains les prospectus qu'ils avaient pris lors de leur visite de la dernière exposition du Grand Palais. Voilà trois jours qu'ils se trouvaient tous les deux dans la capitale, dans le bel appartement de la femme, et arpentaient les musées et les parcs. Le printemps était déjà bien avancé, les fleurs avaient éclos dans chaque parterre et leurs promenades étaient des plus agréables. Quant à l'appartement, situé au cœur du VIIe arrondissement, il offrait une vue dégagée sur la Tour Eiffel, ce qui n'était pas sans rappeler à l'homme la chambre de bonne dans laquelle avait vécu Marie B durant deux années. Malgré la différence de décoration, beaucoup plus épurée chez la créature, et parsemée, ci et là, de tableaux en grande partie d'Uranie et de Lucifer, il n'arrivait pas à passer au-dessus de sa protégée. Il aurait souhaité pouvoir aimer Astéria à sa juste valeur, mais n'y parvenait pas. Un an et demi qu'ils étaient en couple et, pourtant, il ne l'avait jamais aimé charnellement. La créature, patiente, ne s'en était jamais plaint, et n'avait jamais tenté de le brusquer, mais lui s'en voulait. Plus les jours s'écoulaient et plus il se rendait compte qu'il ne pourrait pas faire le bonheur de la femme.

- Je suis désolé, Astéria. Tu... tu es une femelle magnifique mais...

- Je sais que ta protégée est encore dans tes pensées. Je saurai attendre, ne t'en fais pas.

La compréhension de la femme le toucha davantage. Peut-être, avec un peu plus de temps, pourrait-il apprendre à l'aimer, au lieu de souffrir.


Marie B sentit le désarroi de son ancien tuteur créaturien, et fut immédiatement emplie d'une vague de tristesse.

- Non. Pas ce genre de sentiments, non..., souffla-t-elle.

Mais il était trop tard, elle le savait. Elle vit le regard de son époux se poser sur elle, tandis qu'il s'éloignait pour lui permettre de se défouler. Avec les mois qui s'étaient écoulés, tous deux avaient appris à mettre en sécurité l'homme lorsque l'instinct de son épouse prenait le dessus sur elle. Elle le regarda quitter la pièce et lui lancer quelques bûches, sur lesquelles elle pourrait s'énerver sans craindre ni pour lui, ni pour leurs meubles. « Alors c'est ainsi, je suis devenu un animal auquel on donne des os à broyer pour le calmer », pensa-t-elle. Mais, alors que sa rage prenait le dessus, et qu'elle commença à déchiqueter à mains nues les tronçons de bois, une idée parvint à germer en elle. Si elle ne parvenait pas à se contrôler, elle devrait se tuer, purement et simplement.


Rama ne fut pas surpris du contenu du message qu'il venait de recevoir d'Orlando, étant donné l'état dans lequel se trouvait Hermès à cet instant précis. Alors qu'ils étaient en plein cours de norvégien, une langue qui semblait plutôt aisée au jeune homme d'apprendre, ce dernier s'était levé, avait trébuché et ses hurlements avaient fini par inquiéter les employés de la créature, qu'il avait dû rassurer. Prostré en position fœtale, Hermès ne s'en était pas pris à des meubles, ou même à quelqu'un, mais à lui-même, s'assénant des coups que le tatoueur avait eu beaucoup de mal à freiner. Cela faisait quelques minutes que le jeune homme semblait calmé, mais il n'avait toujours pas changé de position, tournant le dos à son hôte.

- Explique-moi, Hermès. Si je comprends ce que tu ressens dans ces moments-là, peut-être pourrais-je t'aider, et aider Marie B par la même occasion...

- Je ne sais pas, c'est... tellement puissant...

- Pourquoi t'en prendre à toi ?

- C'est ce qu'elle aurait voulu faire...

- De qui parles-tu ? Aphrodite ? Natacha ?

- Non... Marie B...


- Wladimir, excuse-moi de vous déranger mais... je dois absolument te parler, c'est urgent !

- Que se passe-t-il, mon frère ?

- Astéria est avec toi ?

Le musicien comprit aussitôt le message et se rendit sur le balcon, d'où sa compagne ne pourrait pas l'entendre, prenant soin de fermer derrière lui la porte fenêtre. Lorsqu'il fut parfaitement isolé, il écouta Rama lui faire part de la dernière crise d'Hermès.

- Non, Wlad. Ce qui m'inquiète le plus, c'est qu'il m'a dit que c'était ce que la gamine aurait voulu faire.

- Quoi donc ? Le détruire ?

- Ou se détruire ? Je ne sais pas, je n'arrive plus à rien en tirer... Et il est en mauvais état. Totalement bouleversé...

- Nous devons parler à Petit loup, en urgence !

- C'est ce que je pense également. Seras-tu de retour la semaine prochaine ?

- Je rentre maintenant.

Malgré les tentatives de négociations de son frère d'armes, Wladimir resta figé sur sa position. Sa protégée avait besoin de lui, et elle passait avant tout.


Marie B se tassa davantage lorsque son mari posa une main sur son épaule. Il lui avait expliqué que Rama avait appelé, et que Wladimir serait de retour le lendemain, souhaitant lui parler. Tout ce qu'elle avait retenu de ces informations était que son ancien tuteur créaturien venait de mettre un terme à une semaine avec sa compagne pour revenir vers elle. Une fois encore, elle se trouvait à l'origine du malheur de ses proches. Elle avait tellement peur d'elle-même qu'elle se refusait de plus en plus souvent à sortir et ne voyait Ho Sang et Shinji que de manière anecdotique. Et, malgré cela, elle parvenait encore à faire du mal à ceux qu'elle aimait. Une véritable malédiction semblait se poser sur elle et son demi-frère, et elle ne parvenait pas à la contrer. Comme si tout avait été gravé dans la pierre bien avant sa naissance et qu'elle n'était plus maîtresse de son destin. Comme si... comme si la légende de la Création était bien réelle. En voyant la violence et la force qu'Hermès et elle possédaient, elle ne pouvait que craindre celle de leurs descendants, si le clan de Satan parvenait à ses fins. Et, un jour ou l'autre, ils réussiraient...


- Quel est le plan ?

- Nous devons récupérer l'enfant de Lucifer. Gaïa, c'est ça ? En l'embrigadant dès son plus jeune âge, il y a une possibilité qu'elle se plie à notre vision du monde. Et, elle servira de pression pour la première version. Elle devra choisir entre son demi-frère ou une gosse. Nul ne doute qu'elle préfèrera se livrer à nous pour les sauver tous les deux. Et ensuite, Hermès suivra !

- C'est très risqué, Apophis... La résidence de Lucifer est très bien gardée, il sait de quoi nous sommes capables...

- Tu n'es qu'un poltron, Jupiter !, s'écria Aphrodite. Contente-toi de suivre leurs mouvements au Ministère, nous ferons le reste.

La créature acquiesça avant de s'éclipser, laissant le couple seul. Enlever un enfant, même s'ils voulaient attendre qu'il soit sevré, reviendrait à un exploit. Apophis avait prévu de frapper d'ici 2031, attendant que la fillette soit âgée de trois ans, et donc encore suffisamment malléable, sans être un poids mort venant les encombrer.

Jupiter soupira en entrant dans sa voiture. Non pas qu'il ait de la compassion pour le clan Thorsen, mais dans cet acte, il serait un maillon central, et espérait que tout se passerait bien. Il n'avait aucune envie de se retrouver banni, comme Aphrodite et Apophis. Sa petite vie tranquille auprès de son époux lui manquerait bien trop. 

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