Chapitre XIII : Gaïa - Partie 2/4

Hermès se retourna dans son lit. Cela faisait près de deux heures qu'il tentait, en vain, de s'endormir. Mais rien n'y faisait. Son instinct semblait toujours aussi présent et il sentait que sa demi-sœur y était en proie en cet instant également. Il essaya de ne pas y penser, de faire taire ce grondement qui se trouvait en lui, au plus profond de son ventre, et qui menaçait d'exploser à tout moment. Il avait peur. Peur pour lui, peur pour son hôte et peur, enfin, que sa dangerosité ne soit de plus en plus présente, et ne finisse par avoir raison des amis de Marie B. S'ils le considéraient comme un animal enragé, ne serait-il pas logique de leur part de l'abattre, purement et simplement, éradiquant ainsi les menaces qu'il représentait ? Un grognement s'échappa de sa bouche et il mit sa tête dans l'oreiller pour le faire taire. Il ne devait pas se laisser aller, il ne fallait pas que Rama ne puisse l'entendre. Son ouïe lui fit parvenir des grincements de plancher à l'étage en dessous, et il se tassa davantage dans le lit, plaquant encore plus fortement son polochon sur sa tête et au niveau de ses oreilles pour ne plus pouvoir agresser personne.

La luminosité du couloir l'aveugla temporairement, tandis qu'il vit la silhouette de son hôte se rapprocher de son lit et se poser sur la chaise à côté, comme presque toutes les nuits depuis que Marie B était rentrée chez elle et son mari. Ne disant pas un mot, comme à son habitude, Rama posa une main sur l'épaule du jeune homme, tandis que, de la deuxième, il ôta l'oreiller qui recouvrait la tête d'Hermès. La créature savait que le demi-frère de sa protégée était encore plus soumis à leur instinct, et c'était devenu chez lui une sorte de rituel. Chaque nuit, il se relevait, dès qu'il entendait Hermès, et venait le réconforter, sans rien dire, juste par sa présence. Tel un attrape cauchemar, il veillait sur lui et attendait qu'il soit profondément endormi pour redescendre dans sa propre chambre.

Après une heure passée auprès du jeune homme, Rama se releva et descendit dans son salon. En passant devant un miroir, il jeta un œil à son reflet et soupira. Même si les créatures dormaient beaucoup moins que les humains, le fait était qu'il ne se reposait pas assez depuis l'arrivée d'Hermès et que cela commençait à se voir. Ses traits étaient plus tirés, ses yeux comme éteints. La bouche sèche, il porta à ses lèvres un verre de sang, qui lui permettrait de se régénérer un minimum. Tout en buvant, il se demandait comment Marie B avait pu tenir ainsi pendant près de trois ans. Pas étonnant que son instinct ait pu aussi facilement prendre sa place en elle.


- Tu es levée depuis longtemps ?

Marie B se retourna vers son mari, qui avait eu la gentillesse de ne pas allumer la lumière, afin d'éviter que Ho Sang et Shinji ne se réveillent.

- Hermès souffre. Rama est exténué. Wladimir a mal...

- De belles annonces pour une excellente journée !, ironisa son époux.

- Et vous trois, vous êtes toujours blessés...

- Ma chérie, arrête de t'inquiéter...

Orlando ne finit pas sa phrase. A ses pieds se trouvaient un amoncellement de brindilles qui ne se devaient pas être là. Aussitôt, il s'inquiéta pour son épouse.

- C'est revenu, encore, c'est ça ?

- Oui... mais ne t'inquiète pas, ce n'est pas un meuble. Ce sont les bûches pour nous chauffer...

- Tu sais que tu peux nous en parler !

Ho Sang et Shinji, réveillés par la conversation, venaient d'entrer dans la cuisine. Aucun d'entre les trois humains ne tenta de comprendre pourquoi ils n'avaient pas entendu les bruits de Marie B s'acharnant sur le bois.

- Je sais, mais vous ne pouvez rien faire pour moi. C'est à moi seule de trouver comment me contrôler...

- Tu dis toujours ça, Marie B... Tu nous as dit ça pour Satan, pour le Ministère, pour Hermès... C'est fatiguant pour nous... Nous ne pouvons pas t'aider si tu ne nous fais pas confiance, rétorqua Shinji.

- Ce n'est pas une question de confiance..., murmura la femme. C'est une question de vérité...


- Quelle est la vérité dans ce que nous dit Jupiter, à ton avis, Tulla ?

- Il est peut-être parfois incompétent, mais Satan avait confiance en lui. C'était Cléo qui les avait présentés.

- Cléo ! Quel dommage qu'elle ne soit plus là... elle nous aurait été fort utile, maugréa Apophis.

- Il est vrai qu'elle, au moins, savait avoir les couilles de bouger, pas comme Jupiter !, hurla Aphrodite, qui pénétrait dans la salle.

Apophis souffla en entendant pleurer leur enfant. Encore une fois, son épouse était parvenue à le réveiller, et Tulla partit pour s'en occuper. La dernière réunion du Ministère n'avait rien donné mais il espérait que Jupiter avait compris son message et serait beaucoup plus attentif pour la réunion bilan du début de cette année 2028. L'inactivité commençait également à lui peser et il n'avait plus qu'une hâte, récupérer les deux Messagers et achever l'œuvre de son maître.


Le maître et ses chiens se trouvaient sous un épais manteau de neige qui était tombée toute la nuit durant. D'un signe de la main, il salua une dernière fois son épouse, qui se rendait chez Uranie et Lucifer. Il doutait. Il ne savait plus que penser des luttes de Natacha au Ministère. Il l'avait rencontrée voilà un peu plus de deux-cents ans de cela, et cette jeune femelle avait su le rendre fou dès le premier regard, lui qui n'était pourtant pas attiré par le sexe et l'amour. Ensemble, ils avaient combattu contre le clan Aken, puis celui de Satan. Ils avaient su rester proches des Thorsen.

Il réfléchissait, debout au milieu de leur cour, à ce qui avait bien pu faire basculer sa femme. L'absorption du clan Thorsen avait été un coup dur pour Natacha qui, en plus de devoir faire le deuil de ses amis et mentors, avait dû se retrouver à la tête d'un clan bien plus grand. Dimitri savait que cela lui avait beaucoup pesé. L'absence de leurs alliés de toujours au Ministère avait été très compliquée pour son épouse, l'ajout de membres avait été un choc dans son emploi du temps, empêchant la femme de profiter comme elle le voulait de leur enfant. Ce petit garçon qu'ils avaient tellement désiré, il savait qu'elle avait eu l'impression de passer à côté de cette enfance, d'abandonner Wladimir et son éducation à son époux, ne le voyant que trop partiellement. Et, après un combat qu'elle avait mené pour enfin lancer les créatures dans la première guerre mondiale, auprès des alliés, il avait fallu qu'ils perdent tous les deux leur fils unique, qui s'embourbait dans sa bêtise, sous le silence pesant de son frère d'armes. Suite à cela, Blanche avait été de trop, Dimitri le savait. Et soixante-dix ans plus tard, il avait fallu que les recherches de Rama le mènent à Marie B, amenant à la comtesse un nouvel être dangereux. Mais, cette fois-ci, Dimitri savait que son épouse ne se battait plus seulement pour son fils. Sa guerre était bien plus grande. La vie de son enfant, la vie des créatures mais également la paix avec les humains étaient en jeu. Natacha risquait de devenir bien plus dangereuse qu'elle ne l'avait jamais été. 

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