Chapitre XIII : Gaïa - Partie 3/4

- Bonjour Uranie, comment te sens-tu ?

- Disons que je pense, Natacha, que notre fille sera là un peu plus tôt que prévu...

- Ce n'est rien, rassure-toi. Les enfants sont souvent bien impatients de découvrir la vie...

La comtesse lança un regard à Wladimir qui se trouvait dans le salon, non loin d'elle, mais avec lequel elle n'avait pas échangé un mot.

- Laissez-lui du temps, Natacha. Il reviendra. Un enfant aime toujours ses parents, n'est-ce pas ?

- Oui, mentit la femme.

Toutes deux s'installèrent sur le divan, un verre de thé russe ramené par la comtesse à la main. Marie B et Rama n'étaient pas encore présents, ce qui ne manqua pas de surprendre Natacha, qui le fit remarquer à l'hôtesse.

- Rama avait un travail aujourd'hui. Quant à Marie B... le retour à la vie humaine, depuis trois ans, n'est pas forcément simple...

- J'aurais aimé ne pas avoir à l'éliminer..., soupira la comtesse.

- Comme pour Blanche, peut-être ?, cingla Wladimir.

- Wladimir, tu sais très bien pourquoi j'ai fait tout ce que j'ai fait. Ce n'était peut-être pas la bonne méthode, mais tu ne peux pas nier que j'ai toujours tout tenté pour te sauver.

Astéria, qui était assise à côté de son compagnon, se leva en même temps que celui-ci et l'empêcha de saisir son épée.

- Vous êtes jalouse, voilà la réponse, mère !

- Tu as passé trop de temps avec ton père, je suppose...

- Non ! Mais s'il a le même raisonnement que moi, alors cela ne peut être que vrai !

- N'oublie pas, mon fils, qu'ici chacun est au courant de la plus grave erreur que tu as commise par le passé ! Je n'en ai jamais parlé à ta protégée parce que j'estime que ce n'est pas mon rôle, et parce que je te protège ! Alors, ne salis pas notre nom davantage !

Le musicien dévisagea sa mère, puis les quatre autres créatures présentes avec eux. Il était vrai que, malgré tous ses aspects néfastes, sa génitrice avait au moins eu le mérite de ne jamais avoir parlé depuis plus de cent ans. Mais il doutait de sa bienveillance depuis très longtemps, et se demandait si elle n'avait pas tenu sa langue uniquement pour maintenir en ordre son clan et permettre à son nom de rester immaculé.

- Je vous en prie, mes amis. Wladimir, j'ai eu ta parole. Nous sommes ici pour mon épouse et notre futur enfant, et non pour régler des comptes passés.

- Pardonne-moi, Luci. Je n'aurais pas dû...

- L'erreur est créature ! Allez, n'y pensons plus ! Je suis lourde comme trois vaches ! Vivement que notre petite Gaïa ne vienne au monde !


- Alors, ce sera Gaïa, c'est ça ?, demanda Ho Sang, qui aidait Marie B à faire sa valise.

- Oui ! Un très joli prénom, je trouve !

- Pourquoi toujours des prénoms mythologiques ?

- Après tout, je peux bien vous le dire ! Cela fait partie de la culture créaturienne, mais ce n'est pas non plus secret défense...

- Stop ! Arrêtez tout ! On va enfin savoir quelque chose !, ironisa Shinji.

- Non, sérieusement, ma chérie. Là, tu m'intrigues !, enchérit son mari.

- En gros, c'est une coutume qui vient de l'Antiquité. Avant cela, les prénoms étaient créaturiens. A partir de l'Antiquité, vu que les humains ont commencé à créer des empires, des royaumes, et à devenir plus puissants, les créatures, par soucis de se cacher et se protéger, ont appelé leurs enfants comme ceux qu'elles côtoyaient. D'où les inspirations des mythologies romaines, grecques, nordiques, ou encore asiatiques, qui se sont perpétrées jusqu'à aujourd'hui. Maintenant, cette habitude est presque un signe caractéristique.

- C'est vrai que Satan, Lucifer, Belzébuth, Natacha ou Dimitri, c'est très mythologique..., commenta Shinji.

- Pour les trois premiers, c'est une volonté d'inspirer la crainte. Pour Natacha, Dimitri ou Wlad, une envie de marquer un lieu de naissance.

- C'est vrai que je n'avais jamais prêté attention, mais Rama, c'est une divinité hindou, non ?, interrogea Orlando.

- Non, Rama c'est... créaturien ! Et donc interdit pour vous !

- C'était trop beau pour que nous continuions de connaître des choses, maugréa Ho Sang.

- Putain ! Mais tu me saoules !

Le hurlement qu'elle venait de pousser figea instantanément les trois humains et Marie B sur place. Son instinct reprenait le dessus et elle devait le contrer avant de passer chez Rama voir son demi-frère, puis partir chez Lucifer et Uranie. Alors que son mari tentait de l'approcher, elle le repoussa, craignant de lui faire du mal. Elle devait absolument parvenir à se contenir avant la naissance de Gaïa. Cette enfant ne devait pas devenir une de ses victimes.


Hermès constata l'état dans lequel il avait mis l'arbre sur lequel il venait de se défouler, en proie à son instinct trop dangereux. Sa demi-sœur avait eu mal, elle aussi en avait été victime, il l'avait senti. Leur mal ne s'estompait pas aussi bien que l'avait pensé Rama. Ils avaient beau être éloignés l'un de l'autre, c'était trop tard, ils continueraient à jamais d'être des animaux enragés. La comtesse de Kergianov avait eu raison les concernant et, en voulant le sauver d'une mort certaine, Marie B les avait enfoncés dans leur propre décadence. Il ne savait plus quoi penser de lui-même. Il ne se voyait plus que comme un être dangereux, agressif, mauvais et à éliminer au plus vite.

Il frappa une nouvelle fois dans l'arbre, énervé contre lui-même et contre son créateur. Il aurait préféré ne jamais venir au monde, ne pas être cet être répugnant.

- Hermès ?

Le jeune homme se retourna sur sa demi-sœur, dont il avait senti l'odeur douce et agréable, malgré le froid qui caressait ses narines.

- Tu n'aurais pas dû me sauver. Je suis dangereux. Et... à cause de moi, tu es en proie à ton instinct. Et contrairement à moi, tu as une vie sociale, tu ne peux pas te terrer.

- Quoique..., marmonna-t-elle. Ne te flagelles pas ainsi, tu n'es pas responsable de ce que nous sommes.

- Mais c'est à cause de moi si toi tu es devenue... ça !

Rama observait le dialogue entre sa sœur d'armes et son demi-frère, attristé. Même si Marie B refusait de l'admettre, il était vrai que sans la présence du jeune homme, elle ne serait pas en proie à cet instinct dévastateur. Le vent venait vers lui et il aurait pu rester là un long moment à les espionner, ce qu'il ne voulait absolument pas. Il fit donc exprès de venir vers eux, en marchant un peu trop sur les branches mortes qui se trouvaient sur le sol. Aussitôt, il les vit se tourner vers lui.

- Nous allons partir, Marie B... Hermès, tout est prêt pour toi, ne t'inquiète pas.

Le jeune homme ne répondit pas, se contentant de suivre le duo. Lorsqu'il vit la créature passer son bras autour de la taille de sa demi-sœur, il ravala un grognement. Il ne supportait plus de constater que les proches de Marie B étaient aussi tactiles avec elle. Il voulait qu'elle soit à lui, et à personne d'autre. Il était le seul être de son espèce, la seule personne sur cette Terre à pouvoir la comprendre et à ressentir tout ce qu'elle sentait.

- Hermès ! Tu viens ?

Il hocha la tête et les rejoignit, penaud. Encore une fois, il avait honte de ses sentiments envers sa demi-sœur. Comme toujours, il ne savait pas ce qu'il allait devenir, et cette angoisse permanente l'usait au plus profond de son être. 

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