Chapitre XII : Distances - Partie 1/2

Hermès soupira. Sa demi-sœur avait senti qu'il avait eu mal, il y avait quelques mois de cela, il le savait très bien. Il était entièrement dévasté et rongé par la rage et la douleur. Il avait l'impression que tout le temps qu'il avait passé avec les amis de Marie B, il y avait quarante-six ans de cela, n'avait servi à rien. Après être restés aussi longtemps avec eux, ils l'avaient trahis, et sa demi-sœur également...



Hermès regarda autour de lui. La chambre du deuxième étage du manoir de Rama que lui avait donnée la créature était spacieuse, trente mètres carrés rien que pour lui, avec deux grandes fenêtres qui donnaient sur la forêt de son hôte. Les murs de pierres blanches tranchaient avec le parquet en point de Hongrie. Le lit était moelleux et adapté à sa taille, les meubles anciens étaient d'un bois sombre, les rideaux beiges brodés. Une très belle pièce, à l'image de tout le manoir de Rama. Le propriétaire des lieux avait prévenu ses employés qu'il hébergeait un ami souffrant d'anthropophobie et, respectueux de cette maladie, ils faisaient leur possible pour se montrer moins présents dans l'enceinte de la demeure, vivants dans leurs maisons, et passant dans la cuisine uniquement le matin, pour préparer les repas de la journée. Quant au ménage, ils prévenaient Rama avant pour lui permettre de cacher Hermès.

Cela faisait trois semaines que le jeune homme vivait là, ne sortant que lorsque sa demi-sœur était présente. Et là, elle était partie le matin même rejoindre son époux.


- Est-ce que tu veux parler, ou pas, ma Licorne ?

L'homme, qui analysait leur nouvelle cuisine, ne se retourna pas pour la regarder. Malgré le temps qui s'était écoulait depuis la journée où il avait découvert Hermès, il n'était pas parvenu à excuser son épouse. Ils devaient avoir cette discussion, et la communication avait été une des clefs de leur couple depuis le début... et elle avait été rompue par Marie B trois ans plus tôt.

Il sentit les bras de son épouse l'entourer derrière lui et baissa les yeux vers ses petites mains placées sur son ventre rebondi. La tendresse qui émanait d'elle le contamina aussitôt. Il ne pouvait pas ne pas lui parler et lui laisser une chance de s'expliquer.

- Oui, je veux parler. Au fait, merci pour la cuisine, elle est encore mieux qu'avant.

- C'est vrai que Rama et Wlad ont fait un excellent boulot, répondit-elle en souriant tristement.

- Je sais très bien que tu les as aidés, ma chérie.

- Un peu, c'est vrai... Tu veux qu'on s'installe autour de la nouvelle table ? C'est l'occasion de la tester.

Une fois installés sur leur chaise, ils burent leur thé en silence, observant davantage leur tasse que l'autre.

- Je sais que tu as fait tout ça pour le protéger et nous protéger mais... tu aurais dû m'en parler. Ou au moins ne pas m'inventer cette histoire de décès.

- Je suis connectée à lui. Si je n'avais pas créé cette « mort », vous auriez continué à me poser des questions, j'aurais dû feindre de chercher à le retrouver et, surtout, j'aurais dû continuer à vous emmerder avec lui. Là, à part au moment de mon « deuil », cela fait plus de deux ans que je ne vous parle plus d'Hermès...

- Et tu souffres seule, c'est ça... Et ce surplus d'agressivité, c'est dû à lui aussi ?

- Pas vraiment... Depuis que nous nous étions rencontrés, nous avons été connectés. C'est ce qui a fait qu'il n'a pas pu me violer. Et c'est ce qui a fait que nos instincts « messagiens » se sont réveillés. Un lion, même éduqué par un chien, redeviendra un lion au contact des siens. C'est en nous, et je n'arrive pas encore à le dominer. Je suis désolée pour tout ce que j'ai pu vous faire subir. J'essaye toujours de faire le maximum pour ne pas vous blesser, et pour m'en prendre aux objets qui sont sans valeur pour vous...

- Quand vous vous êtes battus, ce n'était pas contre des meubles...

- Je sais... Malheureusement, ça nous est arrivé deux fois. Et ce que je dois t'avouer à ce propos risque de ne pas te plaire...

- Vous avez broyé quelque chose ?

- Non..., murmura la femme, baissant les yeux.

Le réflexe de son épouse mit immédiatement des doutes à Orlando. Il savait pertinemment qu'elle n'aurait pas ce type de réaction si la chose n'était pas gravissime. Il posa sa main sur celle de Marie B avant de lui demander :

- Vous vous êtes embrassés, c'est ça ?

- S'il n'y avait que ça...

- Attends, tu es en train de me dire...

- Oui.

- Mais... c'est ton demi-frère !, s'écria l'homme.

- Je savais que tu ne comprendrais pas...

- Bon. Je suis zen, d'accord. Explique-moi, je ne te juge pas.

Elle leva les yeux vers lui. Son attitude ne l'étonnait pas, il avait toujours été ouvert d'esprit. Mais de là à accepter une étreinte entre deux personnes du même sang, elle en émettait des doutes.

- Nous n'avons pas été éduqués ensemble et nous n'avions nullement l'intention de procréer...

- Encore heureux !

- Alors, où est le mal ? Nous sommes libertins, l'aurais-tu oublié ?

- Mais tu peux coucher avec qui tu veux ! Mais là... c'est ton demi-frère !

- Ecoute, on oublie ce que j'ai dit, je t'en parlerai lorsque tu auras digéré l'info...

- Non, je veux comprendre !


- Elle te manque ?

Hermès releva les yeux vers Rama. Pour la première fois depuis qu'il était arrivé chez la créature, il avait réussi à sortir seul, sans sa demi-sœur, et se trouvait dans la forêt.

- Vous l'avez fait ?

Voyant la gêne du jeune homme, le tatoueur ajouta :

- J'aurais dû agir sans attendre Wlad.

- Pourquoi dis-tu ça ?

- Vous n'auriez peut-être pas commis l'irréparable...

- Nous n'avons rien fait de mal ! C'est un acte naturel ! Tu l'as toi-même fait avec elle !

- Je ne suis pas de son sang, jeune homme.

- Mais bordel, je ne me suis pas accouplé avec elle ! Nous n'avons pas fait d'enfant !

Hermès commençait à s'énerver. Il ne comprenait pas la réflexion de la créature, qu'il prenait pour de la jalousie. Mais Marie B n'appartenait pas à l'homme qui se trouvait devant lui.

- Elle n'est pas à toi ! Je suis son demi-frère !

- Elle n'appartient à personne, Hermès. Personne n'appartient à personne. Elle est certes de ton sang, mais cela ne t'approprie pas des droits sur elle.

L'attitude du jeune homme commençait à agacer Rama, mais il tentait de ne pas s'énerver. Il avait promis à sa sœur d'armes de prendre soin de son demi-frère mais comprenait, au fil de la discussion, qu'Hermès avait tendance à être trop possessif avec elle. Malheureusement, le mal était déjà fait et il ne lui laissait plus qu'à détricoter tout ce qui avait été fait depuis tout ce temps. Le fait que Marie B et son demi-frère ait eu une étreinte le choquait à peine, il prendrait le temps d'en discuter avec elle plus tard. Il voyait bien que le jeune homme qu'il avait devant lui, et qui ramassait des branches pour la cheminée, était très énervé, à voir la façon dont il broyait les fagots.

- Je contacterai Marie B pour que nous puissions en parler calmement avec elle. Je te laisse détruire les branches en attendant. Ça te fera du bien.

Hermès vit la créature s'éloigner et, de rage, donna un coup de poing dans un arbre, le brisant en deux. Son instinct revenait, il devait s'enfermer rapidement loin de tout, au risque de blesser quelqu'un. 

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