V. Humaine à nouveau ? / Partie 1

- Alors, comment ça va depuis la dernière fois ?, demanda la psychologue.

- Ça va. Je suis à nouveau une créature, et je dois dire que ça fait du bien !, répondit le Messager.

- Vous ne voulez plus être humaine ?

- Je suis souvent lassée des humains... sans vouloir vous froisser...



Début juin 2019. Marie B se présentait pour son nouvel emploi humain. Le premier depuis son burnout presque trois ans plus tôt. Elle était stressée, mais heureuse de redevenir en partie humaine grâce à ce travail. Comme avant son burnout, elle avait décidé d'être en prestation, car cela lui permettrait de changer de client en cas de problème, pensait-elle. Elle s'habilla en conséquence, vêtit un jean bien coupé, un chemisier ouvert juste comme il fallait, une veste de tailleur noir, et ses chaussures à talons compensés, meilleures amies du « mode sardines sans huile » du RER.

En arrivant chez son client, après trois-quarts d'heure de trajet, elle fut accueillie par sa nouvelle chef, qui l'accompagna jusqu'au bureau où ses collègues et elle allaient travailler. Cinq femmes partageaient déjà l'espace et Marie B soupira. Travailler uniquement avec le sexe féminin ne lui plaisait pas plus que ça. Mais elle voulait faire bonne impression et sourit aux discussions matinales qui portaient déjà sur le maquillage et les baumes anti-rides. Au moins, l'ambiance était bien différente de celle du Ministère.

Après une matinée de formation intense à son nouveau travail, qui n'avait rien de bien passionnant, elle accompagna ses nouvelles collègues à la cantine de l'entreprise afin de faire plus amples connaissances. Entre un steak refroidi et des haricots verts sortant d'une boîte bon marché, elle écoutait ses nouvelles collègues discuter.

- J'ai trouvé un nouvel anti-rides génial, je vais te donner le nom, tu m'en diras des nouvelles !, commença l'une d'elle.

- Sérieux ? J'en ai marre de mettre trois tonnes de anti-cernes tous les matins.

- Et l'autre là, qui n'avait même pas besoin d'en mettre, c'est vraiment injuste !

- T'as bien raison ! C'est bien qu'elle soit partie, d'ailleurs, cette nana !

- Qui ça ?, demanda Marie B.

- Une nana qui était dans le bureau avant toi. Elle n'en avait pas besoin, elle, c'était une créature..., répondit une colère, dédaigneuse.

- Et alors ?, demanda la femme, surprise.

- Ben ils sont bizarres, ces gens-là. Ils sont différents de nous... Heureusement toi, tu es comme nous !

Marie B ne répondit pas. Elle était choquée par ce qu'elle venait d'entendre. La vue et l'odeur nauséabonde des haricots verts eurent raison du peu d'appétit qui lui restait après cette intervention. Elle repoussa son plateau et mâchonna machinalement un morceau de pain, tentant de couper son ouïe surdéveloppée à la conversation qui animait sa table.


Orlando rentra peu après Marie B à l'appartement et la trouva songeuse. Elle était assise à la table, regardant obstinément le sable couler d'un sablier qu'ils avaient acheté pour Halloween l'année d'avant, en forme de dragon. Il pensa tout de suite que quelque chose avait dû mal se passer, et décida de demander à sa femme ce qu'il s'était passé.

- Alors, cette première journée ?

Marie B releva ses yeux du sablier, pour plonger son regard dans les yeux bleus de son mari. Elle pouvait sentir qu'il n'était pas à l'aise, et posa directement la question qui la taraudait depuis qu'elle était rentrée :

- Dis-moi, toi qui connais mieux les humains que moi, pourquoi ne supportent-ils pas l'idée que l'on puisse être différents d'eux ? Ils m'ont parlé d'une ancienne collègue qu'ils n'aimaient pas car c'était une créature...

- Et que leur as-tu dit ?

- Pourquoi me demandes-tu ça ?

Orlando détourna ses yeux de ceux de sa femme, gêné, et regarda ses pieds quelques instants. Il ne savait pas comment lui annoncer ce qu'elle allait, il en était certain, mal prendre.

- Pour eux, tu es humaine. C'est peut-être pas si mal que ça...

- Tu veux que je renie une de mes espèces ? Non, je ne suis pas d'accord...

Marie B était déçue. Elle comprenait parfaitement le point de vue de son mari, mais elle ne voulait pas l'accepter. Elle était aussi une créature et elle ne voulait pas se cacher. Elle se contenta de reporter son regard sur le sablier, qu'elle retourna une fois de plus. Elle arrivait à percevoir chaque grain de sable qui s'écoulait et, rien que cela, était une preuve de son appartenance à cette espèce. Un humain n'aurait pas les capacités visuelles pour distinguer ainsi chaque petit détail.

La femme soupira. Elle était tellement prise par sa vie à une époque qu'elle n'avait jamais vu ce racisme anti-créatures chez les humains. Comment pouvait-elle encore les défendre au Ministère ? Les antihumains parlaient souvent du racisme de cette espèce, et elle avait toujours défendu les Hommes. Mais, à présent, elle doutait du bienfait de ses actes...


Wladimir était venu chez son frère d'armes pour quelques jours. Après de nombreuses discussions avec lui, il avait compris que Rama souhaitait voir revivre son domaine et recevoir à nouveau. Durant de nombreuses années, ils s'étaient réunis presque exclusivement chez l'ancien tuteur créaturien car Marie B était sous son autorité. Mais, depuis trois ans, cela n'avait plus de logique. Wladimir avait retrouvé avec plaisir la chambre qu'il avait toujours eu dans ce manoir et, il fallait bien l'avouer, la présence des domestiques permettait de pouvoir faire beaucoup d'autres choses. En effet, une fois que le ménage, le jardinage et la cuisine étaient pris en charge par les anciens sans domicile fixe, l'hôte et ses invités avaient du temps libre, comparé à chez lui. Wladimir demandait juste tous les quinze jours aux quatre jardiniers de son frère d'armes de s'occuper des extérieurs.

Ils décidèrent d'appeler leur amie. Après une semaine de son nouveau travail humain, ils avaient senti, durant toute la discussion, qu'elle ne se sentait pas bien.

- Elle sera toujours partagée entre ses deux espèces, dit Wladimir, après qu'ils aient raccroché.

- Elle va en souffrir. J'ai peur pour elle. Elle aimerait tellement pouvoir vivre tranquillement... Tu as vu qu'elle a des rides en-dessous des yeux ? Elle a commencé à vieillir...

- Tu sais, nous avons aussi quelques rides, mon frère. Ne t'inquiète pas. Elle n'a pas vingt ans, mais trente-trois.

Mais Rama ne parvenait pas à oublier cette crainte. Il aurait tellement aimé pouvoir passer outre la femme et vivre sans ces sentiments qu'elle lui imposait sans le vouloir. Il soupira en levant les yeux vers Wladimir. La vie sans sa sœur d'armes n'aurait pas le même goût...


Lorsque Marie B raccrocha, elle sentit avec amertume son odeur corporelle se modifier. Elle transpirait, chose qui lui arrivait uniquement lorsqu'elle était trop stressée. Cette odeur nauséabonde lui souleva le cœur, autant que le racisme ambiant de son travail. Elle se précipita alors dans les toilettes de son appartement pour vomir le maigre déjeuner qu'elle avait mangé quelques heures plus tôt. Alors qu'elle se nettoyait le visage, elle repensait à toutes les discussions de ses collègues. Elle ne comprenait pas cette appréhension vis-à-vis des créatures. Elle ne savait pas comment accepter cette intolérance. Elle se lava les dents avec fougue, faisant saigner ses gencives, dont elle laissa l'hémoglobine couler dans sa gorge. Elle sentait qu'elle allait craquer et montrer sa véritable nature à ces gens qui ne supportait pas la différence. C'était, pour elle, tout simplement, du racisme.


- Comment va Marie B ?, questionna Ho Sang.

- Tu devrais peut-être lui demander toi-même, conseilla Orlando. Elle a besoin de votre amitié. Elle ne le dit pas, car elle est trop fière pour ça, mais tu lui manques...

- Surtout que tu connais toi-aussi le mensonge par omission, petite sœur, ajouta Rê, entre deux cocktails qu'ils préparaient à des clients, faisant ainsi référence au fait que la Chinoise ne leur avait jamais parlé de son père avant ses dix-sept ans.

Ho Sang, Shinji et Orlando s'étaient retrouvés après leur travail, dans le bar de Paris où Rê était barman et Vulcain videur. Attablés au bar pour pouvoir parler de temps à autres avec le frère de la Chinoise, ils sirotaient des cocktails en grignotant quelques chips faites maison.

Ce soir, Marie B avait une réunion au Ministère et son mari n'était pas pressé de rentrer chez eux. Il était très inquiet pour sa femme car, entre un possible autre Messager de la Vie et de la Mort, et le racisme ambiant de son nouveau travail, son épouse semblait stressée et désorientée.


Déjà trois semaines que Marie B avait commencé son emploi humain. Elle était soulagée de pouvoir revenir au Ministère et d'être, ainsi, de nouveau, une créature. Elle s'engouffra en courant dans l'entrée de la gare, badgea, et courut pour attraper son RER qui allait partir. Une fois dans le train, elle mit son casque sur ses oreilles et parcourut son téléphone pour trouver ses musiques de Metal. Elle se détendit un peu aux sons de la batterie et des guitares électriques et ferma les yeux un instant. Elle allait être à nouveau une créature et devoir affronter ses pairs, mais elle préférait cela à ses collègues qu'elle avait dû supporter encore pendant les cinq derniers jours. Elle sortit aux Halles et traversa les couloirs pour rejoindre la ligne 1 du métro, croisant au passage des familles de réfugiés dans le besoin, des joueurs de musique, quelques Parisiens pressés et des touristes visibles entre tous et visiblement perdus. Un dédale d'humains aux odeurs diverses qui lui agressaient, comme tous les jours, les narines. Une fois entrée dans le métro, elle attendit avec hâte de pouvoir descendre à Concorde. Le Ministère se trouvait sur la rive gauche de Paris, mais elle était contente de pouvoir respirer à nouveau en dehors des couloirs exigus. L'hôtel particulier était situé non loin de l'Assemblée nationale des humains, et la femme marcha sur les bords de Seine, observant avec un sourire non dissimulé quelques badauds qui lançaient des morceaux de pain aux pigeons de la capitale.

Une fois arrivée devant l'entrée du bâtiment, elle coupa sa musique, ôta son caque et pénétra dans le jardin. Elle aperçut au loin ses alliés et rejoignit en courant Rama et Wladimir, qui étaient arrivés avant elle.

- Wlad ! Rama !

Elle se nicha dans leurs bras. Elle se sentait bien auprès d'eux, en sécurité. Elle était lassée de ne pas appartenir à une seule espèce. Être de deux cultures pouvait être intéressant, mais c'était surtout pour elle une dualité, un effet caméléon qui l'usait petit à petit.

- Ça va aller, Petit loup. Certains humains sont stupides, comme le sont certaines créatures.

- Tu sais, jeune fille, nous avons presque tous eu, ou avons toujours, un travail humain. Cette espèce n'est pas fondamentalement méchante. Ce sont juste certains de ses membres. La différence leur fait peur. Et nous, notre espèce, notre culture, incarnons cette différence, ajouta Dimitri, qui venait de les rejoindre.

- La peur et la non-acceptation, soupira la femme... Ce sont pour moi les bases du racisme...

- Hé, ma belle, secoue-toi ! Tu vaux mieux que ça ! Tu es meilleure qu'eux, car toi, tu as appris à aimer les gens et à les accepter, malgré leurs différences !, s'écria Rama.

La remarque fit sourire Marie B. L'acceptation des autres était primordiale pour elle. Comprendre que des gens aient des enfants alors qu'elle n'en voulait pas, que certains soient jaloux tandis qu'elle était en couple libre, que les goûts, les façons de penser, de vivre, soient différents des siens, cela faisait partie de sa façon d'être. Prise dans ses pensées, elle se demanda si le monde ne serait pas meilleur si les personnes apprenaient à s'accepter les uns les autres, en faisant de leurs différences leur force, une richesse...


Depuis sa première discussion avec ses collègues, Marie B évitait de manger avec eux et s'éclipsait souvent afin de se nourrir de sandwichs ou de salades composées. Cependant, les échanges verbaux avaient aussi lieu dans le bureau et l'agaçaient beaucoup. Une fois de plus, une des femmes remit sur le tapis leur ancienne collègue créaturienne. Marie B vissa son casque sur ses oreilles pour essayer d'entendre le moins possible la discussion qui animait à nouveau les mauvaises langues. Elle n'écoutait que très rarement de la musique classique, car ce n'était pas dans ses goûts mais, à cet instant précis, elle avait besoin de la présence de son ancien tuteur créaturien. Ce fut donc logiquement qu'elle écouta « Message de paix ».

Elle se sentit mal et sortit téléphoner à son supérieur afin de demander un changement de client, prétextant une mauvaise adaptation au poste et des conflits internes. La réponse qu'elle obtint lui rappela son burnout quelques années plus tôt. Attendre, patienter, prendre sur soi. Elle sentait que cela ne passerait pas cette fois-ci. Son supérieur avait intérêt à bouger très vite. Sinon, elle sentait qu'elle allait devoir, une fois de plus, démissionner. Les humains la dépassaient souvent. Elle était en colère contre elle, et contre eux...



Et voilà, la première partie de chapitre V, la prochaine sera demain et le VI mercredi pour fêter mes six mois sur Wattpad !!!

Alors, que pensez-vous de la vision des humains sur les créatures, puisque c'est la première fois que j'aborde ce thème ? ^^

Pour Ho Sang, que dîtes-vous à présent de sa rancune contre Marie B, quand on sait qu'elle a elle-même déjà menti par omission ? ;)

Que pensez-vous que Marie B va faire maintenant ??? ^^

N'oubliez pas de voter, commenter, blablater... si vous avez aimer (ou pas ^^) :)

Sanguinement-vôtre,

Gothycka

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top