XXI. Satan / Partie 1

- Et comment s'est passé ce début de vie créaturienne ?, demanda la psychologue.

- Pas vraiment comme je me l'étais imaginée..., répondit le Messager. Rock'n roll. A l'image de ma vie, je dirais...



- Il nous faut agir vite, très vite ! Vous deux, vous le gardez. Ce trésor est ma plus belle création depuis le Messager de la Vie et de la Mort, annonça Satan à ses deux alliés.

- Mais Satan..., commença l'un d'entre eux.

- Je la tue et je reviens. Nous nous retrouvons au lieu de rendez-vous, ordonna-t-il.

- Bien Satan, acquiescèrent ses deux alliés.

Ils quittèrent le château avec le trésor de leur chef. Ils devaient le protéger. L'avenir de leur clan était en jeu...


Belzébuth était, une fois de plus, écrasé par le poids de ce lourd secret qu'il gardait depuis plus de cent ans... Il en voulait énormément à Satan, ce frère qui l'avait embarqué dans toute cette rage contre les humains pendant si longtemps. Ce poids était d'autant plus difficile à porter en étant à la table de Wladimir. En entendant le rire franc de Rama, il se rendit compte qu'il n'avait jamais accepté ce passé. Il ne pourrait jamais vivre en paix avec lui-même. Et tout ça, à cause de son frère, ce frère perdu dans sa haine contre les humains... Il pensa alors à son autre frère, Lucifer. Lui-aussi ignorait tout de ce qui le tiraillait de l'intérieur. Personne ne savait... Personne à part Satan et ses alliés.

Son regard fut accaparé un instant par Marie B, qui riait des dires de Wladimir. « Pauvre enfant », songea-t-il. Elle n'avait rien demandé à personne, et pourtant elle avait été créée. Et, malgré tout ce que la vie lui mettait sur la route, elle continuait de tenter d'avancer, de rester droite et fidèle à ses convictions. Il soupira. Au moins Satan n'aurait pas cette arme-là. Il se ressaisit, il ne devait pas montrer aux autres ses tourments.

- Tu m'as surprise la semaine dernière, Messager, annonça Belzébuth. Tu as défendu ta loi comme j'avais rarement vu. On aurait dit que ta vie en dépendait...

La femme ne répondit pas, craignant que son secret ne soit découvert. Elle regarda furtivement son frère d'armes, qui détourna la conversation sur une autre proposition de loi qui devait être votée lors de la prochaine réunion. Elle se sentit soulagée. Oui, sa vie en dépendait mais personne ne devait le savoir avant que la loi n'ait été votée. Le risque était trop grand pour Orlando et elle. Seuls Rama et Wladimir étaient au courant de son mariage humain et il fallait que cela reste ainsi jusqu'à ce que cette loi ne passe. Elle n'avait pas mis le nom de son époux à la suite du sien pour éviter que les créatures ne se rendent compte de ce mariage. Elle ne portait pas son alliance lorsqu'elle était en présence des autres et enfilait une bague articulée pour cacher la différence de couleur de peau due à la présence de l'anneau. Pour les créatures qui la connaissaient un peu, elle était juste en couple avec Orlando et cela restait toléré par le Ministère au nom de son appartenance partielle à l'espèce humaine. Mais un mariage aurait été prohibé et elle connaissait les risques encourus dans cette société. Son couple avec sa Licorne dépendait donc de cette loi...


A la fin du repas, tous les quatre se rendirent dans le salon pour boire un digestif et terminer leurs conversations. Alors que les deux autres étaient montés se reposer, Wladimir attira Marie B vers lui. Elle était stressée et il le sentait. Il la prit dans ses bras et la berça, comme il la berçait lorsqu'elle était une jeune créature. La femme s'endormit dans ses bras, et son ancien tuteur créaturien la monta dans sa chambre. Il la déposa délicatement dans son lit. Il posa sur la table de chevet assortie au lit en chêne massif le téléphone portable de sa protégée puis tira doucement les draps sur le corps de Marie B. Il se dirigea vers la grande fenêtre afin de fermer les rideaux bordeaux. Il regarda vers la forêt. Tout semblait calme et cette nuit presque sans lune ne l'aidait pas à voir plus loin. Un hibou traversa l'obscurité en hululant. En repassant devant le lit de Marie B, il se pencha vers elle, lui déposa un baiser sur le front, puis rejoignit sa propre chambre pour se coucher.


Un peu plus loin, dans une chambre d'amis, Belzébuth ne parvenait à trouver le sommeil. Son douloureux passé le torturait encore, il était lassé de ne pouvoir en parler à personne, pas même à son frère Lucifer. Il se dirigea vers la fenêtre pour prendre l'air, l'ouvrit et fut surpris par une odeur familière. Il crut entendre quelqu'un prononcer son prénom. Il se pencha donc en avant et vit dans la cour Satan. Aussitôt, Belzébuth se saisit de son épée et sauta discrètement par la fenêtre. Le bruit de sa chute fut étouffé par les herbes qui entouraient le manoir. Il atterrit à quelques mètres de son frère et resta plusieurs minutes à l'observer sans qu'aucun d'entre eux ne vienne rompre le silence pesant qui s'était installé. Belzébuth se sentait écœuré d'avoir autant de points communs avec celui qu'il détestait tant. Les mêmes cheveux fins, même si les siens étaient d'avantage blonds que ceux de son frère, plus cendrés. Un nez droit. Des yeux bleus-gris, comme un sceau apposé par leurs parents à chacun de leurs trois fils. Un « détail » qui les relierait à jamais à leur ancien clan, avant que celui-ci ne prenne le nom de « Clan de Satan ». Au moins Marie B avait-elle hérité de sa mère d'un liseré vert qui faisaient d'eux un miroir unique. Satan rompit le silence brusquement, tirant son frère de son observation.

- Tu dois m'aider mon frère. C'est ton devoir.

- J'aimerais savoir ce qui me retient de te tuer, rétorqua Belzébuth. Et comment es-tu rentré ici ?

- En trafiquant le système de sécurité..., répondit simplement Satan. Mais là n'est pas le propos. Tu sais que tu es aussi coupable que moi. Toi aussi, tu avais des comptes à rendre aux humains, je te rappelle...


Marie B, toujours habituée des insomnies, venait de se réveiller. Elle se leva et se dirigea machinalement vers ses toilettes, comme elle le faisait toujours. Cela lui permettait de se dégourdir les jambes et de bouger un peu. Le cauchemar qu'elle venait de faire dérivait toujours dans son esprit et elle regarda par la fenêtre de sa salle de bain la forêt que le ciel rendait obscure. Elle donnait sur l'arrière du manoir et Marie B l'ouvrit pour aérer ses neurones taquins qui avaient décidé de jouer avec ses nerfs à trois heures du matin. Malgré le mois de Juillet, il faisait frais dehors et l'air la réveilla quelque peu. Elle entendit une discussion dehors. Les sons étaient trop faibles pour qu'elle puisse distinguer à qui les deux voix appartenaient et les pâles ombres de cette nuit noire ne lui permettaient pas de distinguer qui étaient les individus. Poussée par sa curiosité, elle décida de sortir par la fenêtre pour écouter, se suspendant à la corniche.


- Tu m'as suivi au départ, alors tu me suivras maintenant, ordonna Satan.

- Non. Cela fait plus de cent ans que je cache ton secret et je ne te suivrai pas une nouvelle fois. Je ne suis plus dans ton clan. J'en suis sorti il y a bien longtemps !

- Mon secret ? Notre secret ! C'est toi qui as tué la petite, je te signale !

- J'entendrai à jamais les cris de cette famille... Nous ne devions pas tuer les enfants ! Je n'ai jamais voulu leur mort !

- Oui, et d'ailleurs, tu en as oublié un ! Si tu n'avais pas oublié Rama, tu nous aurais épargné bien des difficultés !


Marie B, en essayant de se pencher pour mieux écouter la discussion, glissa sur la corniche gelée et chuta du premier étage. Ses fesses étaient un peu endolories par le contact froid du sol mais, telle une créature, elle n'avait rien. Elle voulut se lever, mais ce qu'elle vit la pétrifia sur place. Elle ne comprenait pas. Que faisait donc Satan ici, chez son ancien tuteur créaturien ? Comment avait-il pénétré la propriété ? Et, surtout, pourquoi Belzébuth discutait-il avec lui ? Elle avait la douloureuse impression qu'il les avait trahis.

- Toi !, grogna Satan. Puisque tu n'es pas mienne, tu ne seras pas ! Je ne tolérerai pas que quelqu'un d'autre se saisisse de Ma création.

Il sortit son épée de son fourreau et s'approcha d'elle. Marie B ne parvenait pas à se ressaisir. Elle était comme tétanisée. Son esprit avait beau lui ordonner de bouger, de dégainer l'épée de Belzébuth, de transpercer Satan de part en part ou bien de hurler pour réveiller Wladimir et Rama, son corps ne répondait pas. Elle était subjuguée par son créateur. Elle lui ressemblait tellement, elle avait sa couleur de cheveux, son nez, une grande partie de ses yeux... Ce n'était pourtant pas la première fois qu'elle le voyait ou qu'elle était en position de proie face à lui. Elle suivit des yeux Belzébuth. Allait-il les trahir, leur clan et elle ou allait-il se mettre en travers de son frère ?

- Non ! Laisse-la !, hurla Belzébuth en se mettant devant la femme pour la protéger.

Satan regarda son frère avec mépris.

- Tu me déçois mon frère. Tu m'as toujours déçu. Tu n'as jamais été au bout de tes convictions...

Avant que Belzébuth ou Marie B n'aient eu le temps de réagir, Satan attrapa son frère par le col, lui planta son épée dans le haut du ventre, puis le rejeta à terre, près de la femme.

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