XIII. Ma Licorne

Après le vote des créatures, Marie B décida de couper un maximum les liens avec le monde créaturien. Les révélations faites par Uranie lors de la réunion l'avait fait se remettre en question et elle avait décidé de se consacrer uniquement à son couple, sa mère, ses amis, et sa recherche de travail. Une vie d'humaine standard pour une jeune fille qui voulait devenir humaine à tout prix.

En 2011, Orlando et elle décidèrent de s'installer ensemble, sûrs de leur amour. Un studio à Maisons-Alfort, quelque peu protégé de l'agitation et la pollution de Paris. Deux grandes fenêtres apportaient le soleil de l'après-midi, ce qui changeait de la lucarne de la chambre de bonne parisienne. Le lit deux personnes (une découverte pour le couple, qui avait fini par s'habituer à dormir à deux dans un lit une personne) était au fond de la pièce, à l'opposé de la télévision. Ils prirent l'habitude de bouger la table du repas en fonction des moments de la journée, ayant l'impression que leur appartement changeait tout le temps. La cuisine était trop petite à leur goût et ils avaient plaisanté en s'installant en se disant que cela devait être un placard à l'origine. Marie B avait ramené des plantes pour orner les fenêtres et pour poser sur les meubles déjà chargés de décoration, la jeune femme détestant le vide et les décorations « classiques ». Se trouvaient donc pêle-mêle des photographies d'eux deux, de leurs amis, des affiches de films, des dessins de Disney, des « bibelots » en tout genre (en bois, en verre, des fées et des goules), chacun ayant un souvenir particulier pour le couple. Tout leur univers se retrouvait dans cette espace réservé aux seuls intimes. Comme le disait souvent Marie B, seuls les proches avaient accès à leur antre et, si quelqu'un n'était pas content de la décoration, il n'avait qu'à prendre la porte ou sortir par la fenêtre.

Orlando avait trouvé un travail, en plus en contrat à durée indéterminée, ce qui leur assurait une certaine sécurité financière. La jeune femme, malgré son Master, n'arrivait pas à décrocher un emploi, tout comme Ho Sang. Toutes deux avaient décidé de passer un nouveau Master, mais professionnel cette fois.    


Orlando entra chez lui en cette fin avril et fut heureux, comme chaque jour, de voir Marie B. Elle était resplendissante et il l'aimait plus que tout. Il savait que la rupture de sa petite-amie avec le monde créaturien était toujours douloureuse pour elle, mais elle ne le faisait pas voir.

- Qu'est-ce que tu as fait aujourd'hui ?, demanda-t-il.

- Du Just Dance et de la muscu. Un peu d'écriture aussi. Ah oui, ma mère m'a appelée, j'ai été sélectionné pour le Master pro ! Et Jigoro a téléphoné à Ho Sang, elle est prise aussi !

- Supers nouvelles !

Pour fêter les sélections, le couple décida de partir avec Ho Sang et Shinji dans un restaurant japonais de la ville. La soirée se déroula très bien et ils rentrèrent ensuite chez Orlando et Marie B. L'alcool et la joie aidant, les deux jeunes femmes s'embrassèrent devant les deux jeunes hommes qui les rejoignirent. Leur étreinte dura une bonne partie de la nuit.Telle était leur conception de la vie, où amitié et sexualité pouvaient se mêler sans aucun problème. Et ça, Marie B aurait aimé pouvoir le partager avec Wladimir et Rama...


- On part une semaine en Allemagne avec Lóng et Shinji en septembre. Ça te va, pour les congés, ma Licorne ?, demanda Marie B.

- Super !, s'exclama son petit-ami. Vous rentrez bien en Master début octobre, c'est ça ?

La jeune femme acquiesça. Elle était heureuse de partir avec ses amis et son petit-ami, sa Licorne à elle. Leur vie était belle et elle aimait passionnément Orlando. Elle aurait aimé que Wladimir et Rama fassent vraiment partie de sa vie... Mais elle essayait de faire sans eux.Orlando était presque parfait à ses yeux, un homme idéal, gentil, attentionné,très drôle et intelligent. Grâce à lui, même les moments les plus tristes devenaient moins terribles à vivre. Il savait la faire sourire en toutes circonstances et, elle en était sûre, il serait l'amour de sa vie.     


Septembre 2011. Le samedi matin sonnait le départ pour l'Allemagne des quatre amis. Des vacances bien méritées pour Marie B, dont la mère venait de tomber malade. Ils passèrent deux jours dans un parc d'attractions, Europa Park, enchaînant coasters, manèges ludiques, restaurants et soirées au bord du feu de camp.

Ensuite, ils démontèrent leur tente et partirent pour la Bavière, une région chère à Marie B. Ils profitèrent de ces jours pour visiter les châteaux de Ludwig II, faire un saut à Innsbruck en Autriche et se relaxer en se promenant en montagne, forçant Orlando à passer outre son vertige, montant au Zugspitze, le toit de l'Allemagne, dominant tous les monts environnants, empli d'une brume épaisse.

Ils redescendirent un peu pour mieux profiter du paysage et du soleil qui se levait.

- C'est beau, n'est-ce pas ?, dit Orlando, du haut de la montagne.

- Magnifique, ajouta Shinji.

- Ça va toi, Marie B ?, demanda Ho Sang.

- Oui, j'ai eu ma mère au téléphone. Jigoro et Rachelle sont chez elle. Ils forment un beau couple !, répondit-elle, en essayant d'orienter la conversation vers quelqu'un d'autre que sa mère.

- Carrément !, répondit la chinoise. Je suis heureuse que mon père se soit mis avec elle.

- C'est génial de voir qu'il a retrouvé l'amour !, acquiesça Shinji.

Cette remarque fit un pincement au cœur de Marie B. Elle pensa aussitôt à Wladimir...

Les vacances finies, le quatuor rentra tranquillement en Picardie. Les deux jeunes hommes ne reprenaient le travail que deux jours plus tard. Ils allaient donc profiter des derniers jours de l'été indien. La réalité de la maladie de sa mère frappa à nouveau Marie B...    


Wladimir était au téléphone avec Rama depuis près d'une heure déjà.

- Elle rejette tous mes appels !

- Je sais, Rama. Mais laisse-lui le temps de digérer... Elle a déjà eu ton refus de son couple et... on va dire qu'Uranie n'a pas aidé... Elle a rajouté de l'huile sur le feu. Comprends Petit loup, je sais que tu aurais fait pareil à sa place...

- Je sais. Mais j'aimerais tellement me faire pardonner... Une fois de plus... Peut-être la fois de trop...

- Continue de veiller sur elle de loin, comme tu le fais depuis que je suis parti.

- Ne t'inquiète pas, mon frère, je veille sur la gamine, comme toujours...

Lorsqu'il raccrocha, Rama regarda la maison de Marie B. Comme souvent, il était venu faire une ronde afin de vérifier qu'aucun membre du clan de Satan ne soit dans les parages...


Marie B commençait à s'habituer à jongler entre les cours intensifs de son Master et la maladie de sa mère. Elle passait la plupart des cours à rire, et sa voix forte et grave faisait écho dans tout le bâtiment. Tous pensaient qu'elle allait bien et qu'elle n'avait aucun problème. Comme lorsque son père était malade, puis était décédé. La même maladie, le même sort... et la même Marie B au milieu... Le cancer dont sa mère souffrait était cependant plus rapide que celui de son père. En à peine quelques mois, les métastases atteignirent sa jambe, puis son cerveau. Marie B passait de nombreuses heures au téléphone avec les médecins entre chaque pause et à chaque fois qu'elle préparait un travail en groupe. Heureusement pour elle, Ho Sang avait obtenu l'autorisation de la responsable du Master, devant la maladie de la mère de Marie B, de faire partie des mêmes groupes de travail que la jeune femme. Cela lui permettait de pouvoirs'éclipser facilement à chaque appel de l'hôpital, demandant quasiment tous les jours à Marie B de choisir entre des traitements pour sa mère, de signer des autorisations de sortie, la menaçant même parfois de faire recours à la justice si sa mère décédait chez elle alors que les médecins refusaient qu'elle ne sorte de l'hôpital. Pour pallier au temps qu'elle perdait durant la journée, la jeune femme recommença ses cocktails à base de thé vert, de guarana et de nicotine pour travailler ses cours et ses exposés la nuit et réduire au maximum ses heures de sommeil. L'histoire semblait ne pas avoir de fin et se répéter inexorablement pour elle. A un détail près. Tous les soirs de la semaine,lorsqu'elle rentrait à Maisons-Alfort, son petit-ami l'attendait, toujours prévenant, prêt à revoir une fois de plus « Lilo and Stitch » ou« La Belle et la Bête », à aller se promener aux bords de la Marne, à inviter Ho Sang et Shinji ou à entourer simplement sa petite-amie de ses grands bras accueillants.     


Marie B rejeta un nouvel appel de Rama. Malgré les mois et les saisons qui étaient passés, en ce printemps 2012, elle ne se sentait pas prête à lui reparler. Elle voulait simplement vivre sa vie d'humaine avec sa Licorne, vivre cet amour qu'on avait voulu lui enlever.

- Encore lui ?, demanda Orlando en regardant la mine dépitée de sa compagne.

- Oui... Encore et toujours...

Elle se laissa enlacer par son copain et soupira. Elle se sentait si bien quand elle se trouvait dans ses bras. Elle avait l'impression, toujours éphémère malheureusement, que tout irait bien, que rien ne pouvait l'atteindre. A chaque fois, elle oubliait la maladie de sa mère,cette souffrance, les nuits passées sans dormir lorsqu'elle rentrait, tous les vendredis soirs, en Picardie, pour en repartir le lundi matin, avec seulement cinq heures de sommeil à son actif. Elle ne pensait plus à la mort prononcée de celle qui lui avait donné la vie, l'avait élevée, aimée, protégée. Elle ne voyait plus cette femme tant aimée maigrir jour après jour, dévastée par la maladie qui la rongeait, ce cancer intraitable... A cet instant précis, tout lui paraissait loin, sa mère et ses douleurs, ses insomnies, ses cours épuisants,sa rupture avec le monde des créatures... Elle était juste avec Orlando, et elle voulait juste profiter, comme tous les jeunes couples de vingt-cinq ans, de ce moment de tendresse...    



- Et vous n'avez pas rappelé votre ami ?, demanda la psychologue.

- Disons que cette année fut légèrement compliquée, entre le Master et la maladie de ma mère..., expliqua le Messager.

- Je pense que nous allons arrêter là pour aujourd'hui.

- Je suis d'accord, conclut la femme.

De retour chez elle, le Messager fut accueillie par Rama. Comment aurait-elle pu penser au moment de leur séparation en 2011 que la créature ferait son premier grand retour peu de temps après et resterait avec elle ?    

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