XII. Mais Paris, Liberté ? / Partie 2

Ho Sang et Marie B travaillaient chacune sur leur mémoire de recherches dans une bibliothèque parisienne. Elles étaient toutes deux en master d'Histoire et Archéologie, tandis que Shinji et Orlando s'étaient inscrits en Archives. Marie B était secouée par son embrouille avec Rama mais, comme pour le décès et le deuil de son père, elle noyait son chagrin dans les études. Plus loin, plus fort, plus vite. Telle était maintenant l'une de ses devises. Se réfugier dans ses études lui semblait la meilleure solution pour ne pas ruminer. Tant qu'elle aurait des textes à étudier, des objets à analyser, des hypothèses à écrire, elle ne penserait pas à ce qui lui pesait sur le cœur et lui rongeait l'esprit. Angoissée et stressée à outrance, elle passait bien souvent ses nerfs sur sa boule anti-stress ou sur ses doigts dont elle rongeait les cuticules inlassablement, allant jusqu'à se faire saigner, pour ensuite regarder les plaies se refermer comme par enchantement. Être à moitié créature avait au moins cet intérêt. Cachée derrière une pile d'ouvrages, les yeux alternant entre le papier et son écran d'ordinateur, elle travaillait sans relâche. Elle avait rêvé d'un Paris liberté, elle avait à présent un Paris prisonnier...


Orlando s'était excusé auprès de sa petite-amie après s'être emporté contre elle. Il avait conscience qu'elle faisait son possible pour concilier ses deux espèces. Il était désolé qu'elle ait dû se brouiller avec son frère d'armes car il savait à quel point elle tenait à lui. Au début de leur relation, il s'était demandé si elle n'était pas amoureuse de Rama. Les rapports qu'elle avait avec lui, tout comme avec Wladimir étaient ambigus et quelque peu surprenants. Lorsqu'il lui avait ouvertement posé la question, elle avait rétorqué que l'amitié était une forme d'amour. Donc, oui, elle aimait Rama de cet amour. Orlando n'aimait pas beaucoup la créature et s'en méfiait, mais il savait malgré tout que Rama serait toujours là pour protéger la jeune fille. Il espérait donc pour sa petite-amie que son frère d'armes allait accepter leur relation lors de la réunion et qu'ainsi tout rentrerait dans l'ordre.


Un mois et demi après que Marie B ait appris sa relation avec Orlando à Rama, Wladimir revenait en France. Il sortit de l'avion qui le ramenait de Russie lentement, comme si chaque pas était une étape supplémentaire à franchir. Il serait fidèle au rendez-vous que lui avait fixé Rama, mais n'était pas pressé d'assister à cette réunion. Son point de vue sur le choix de sa protégée n'avait pas bougé, il était prêt à défendre le couple de la jeune fille. Son bonheur était sa seule préoccupation. Mais, en téléphonant à Rama le matin-même, il avait senti que ce dernier ne lâcherait pas l'affaire. Lui aussi voulait le bonheur de Marie B. Leur conception du mot bonheur et de ce à quoi il correspondait pour la jeune fille divergeait totalement. Tandis que l'un voulait la voir en couple avec le jeune homme qu'elle aimait, l'autre se préoccupait de l'avenir impossible du nouveau couple. Il pressentait que la réunion allait mal finir...


Uranie était pressée d'arriver chez Wladimir. Elle allait contrer Rama et son projet d'interdire l'union entre Marie B et son petit-ami humain. Après tout, la jeune fille était à moitié humaine, ce qui lui offrait la possibilité d'aimer un humain. Son argumentaire était déjà préparé. Elle savait que la créature lui en voudrait mais, plus encore, elle était sûre que cela allait éloigner Rama de Marie B. Cela le ferait souffrir. Et elle aurait sa vengeance sur lui...


Lorsque Wladimir entra chez lui, Marie B était déjà arrivée. Dans le salon, il la découvrit regardant la photographie de sa cérémonie de passage. Cette vision lui fit mal au cœur. Il se revoyait lui-même dans la même position. Il aurait tellement aimé que la jeune fille ne se retrouve pas dans cette situation, que la vie lui sourit enfin ! Il aurait voulu revoir ce visage lumineux, rieur, plein d'émotions et de vivacité. Ce visage qui l'avait tant aidé à revivre. Mais, aujourd'hui, Marie B semblait renfermée et attristée.

- Qui aurait pu croire à ce moment-là que nous en arriverions là aujourd'hui ?, soupira la jeune fille. Pour qui vas-tu trancher ce soir ?

- Je ne suis peut-être pas un bon tuteur créaturien, mais ton bonheur est pour moi le principal.

- Merci Wlad.

Marie B se nicha dans les bras de son ami. Quelqu'un frappa à la porte d'entrée.


Rama venait d'arriver chez Wladimir. Il était le dernier à pénétrer dans le salon. Marie B était scotchée à son tuteur créaturien, Lucifer et Uranie sur deux fauteuils. Il restait encore une place dans le canapé, mais Rama préféra rapprocher un autre fauteuil. Sur la table basse se trouvaient cinq boissons, des cocktails à base de rhum. Rama prit la parole en premier.

- Selon les lois créaturiennes, Marie B n'a pas le droit de se lier à un humain. Je rejette donc ce couple.

- Rama, je suis son tuteur créaturien. Et je rejette ta proposition, rétorqua Wladimir.

- Je suis de l'avis de Wladimir, ajouta Uranie. C'est parce qu'elle est à moitié humaine qu'elle n'appartient pas à Satan aujourd'hui. C'est donc pour cette raison qu'elle peut avoir un compagnon humain.

- Depuis la cérémonie de passage, elle est créature, expliqua Rama.

- Mais putain Rama, comment peux-tu me faire ça ?, s'écria la jeune fille en se levant. Tu es mon frère d'armes, tu es mon ami ! Je t'aime ! Je t'ai pardonné ! Je pourrais donner ma vie pour toi !

- Moi aussi je t'aime et c'est pour cette raison que je fais ça !, cria l'intéressé. Je ne veux pas qu'il t'arrive la même chose qu'à Wladimir !

Uranie sentit que la discussion s'envenimait. Tous les pions étaient en place sur son échiquier. Elle n'avait plus qu'un coup et elle ferait tomber le roi, montrant son vrai visage aux yeux de la jeune fille.

- C'est surtout que tu es jaloux, Rama, rétorqua Uranie. Tu aurais voulu être à la place de cet humain. Tu voudrais t'endormir et te réveiller dans ses bras. Tu voudrais sentir sa poitrine entre tes mains et ton sexe dans le sien !

- Tais-toi !, hurla Rama.

Marie B regarda la scène, ne comprenant pas toutes les allusions. Elle ne voulait pas, elle ne pouvait pas comprendre. Elle n'était qu'à moitié créature. Tant de belles femelles entouraient son frère d'armes. C'était impossible qu'il ait jeté son dévolu sur elle. Elle qui était si quelconque, si « humaine ». Elle se tourna vers son ami et lui demanda :

- C'est vrai Rama ? Ce que dit Uranie ?

La créature ne répondit pas. Il regarda Wladimir, l'air implorant, le suppliant du regard de faire quelque chose.

- Uranie, ça suffit !, décréta Wladimir. Tu as toujours été jalouse de Rama, mais ce n'est pas la question aujourd'hui.

- Ce n'est pas non plus à toi de parler Wladimir. C'est pour t'éloigner d'elle que tu es parti à Moscou !, vociféra la femme.

Marie B était de plus en plus déconcertée. Après Rama, c'était son tuteur créaturien qui aurait des sentiments pour elle. C'était improbable, incompréhensible. Uranie disait-elle vrai ? Ses deux amis lui en voulaient-ils à cause de sentiments ? Wladimir était-il parti depuis si longtemps juste pour ne plus la voir ? Rama avait-il rejeté son couple avec Orlando par jalousie ?

- C'est vrai ?, demanda-t-elle à son tuteur créaturien.

- Je ne t'ai jamais abandonnée Petit loup. Et même si je ne suis pas d'accord avec Rama, je comprends les craintes qui l'ont poussé à prendre cette décision qui ne lui revient pas. Arrêtons là cette discussion insensée qui ne mène à rien de bon. Je propose que nous votions.

Marie B eut le droit de rester en couple avec Orlando. Seul Rama vota contre. Lucifer se rangea à l'avis des deux autres créatures. La jeune fille se leva et dit :

- Merci. Maintenant, je vais partir. Le monde créaturien est trop complexe pour moi. J'espère, Wlad et Rama, que vous me pardonnerez un jour mais là, je m'en vais. Je ne peux plus continuer ainsi. J'ai... j'ai juste besoin de vivre.

Uranie esquissa un rictus. Elle avait réussi. Elle s'était vengé de Rama...



- Vous êtes partie à ce moment-là ?, demanda la psychologue au Messager.

- Oui, je suis partie, répondit la femme.

- Et qu'avez-vous fait à partir de ce moment ?, questionna Hélène.

- J'ai tenté une vie d'humaine, répondit le Messager, songeuse... La première tentative d'une longue série...

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