X. Au revoir, Wladimir

Wladimir avait dû partir pour une tournée internationale. Le Messager se retrouvait seule avec Rama, chez elle. Avec le temps, elle s'était habituée aux départs fréquents, et régulièrement de longues durées, de son ancien tuteur créaturien. Mais elle se rappelait que cela n'avait pas toujours été le cas, et avait bien failli lui coûter cette amitié sacrée...    



- Pourquoi ?

La question gifla Wladimir en ce jour de mai 2008. Marie B le regardait, de ses yeux humides que la tristesse avait rendus plus verts.

- Mais réponds !, s'écria-t-elle.

- Je dois partir pour une tournée internationale. Etre violoniste, c'est mon travail, tu sais, expliqua la créature.

- Et tu reviens quand ?

- Je ne sais pas, je dois aussi passer quelques temps à Moscou avec mon père. Nous avons des affaires à régler...

- Donc ?, s'impatienta la jeune fille. Tu te réinstalles ici dans combien de semaines ?

- Tu devrais plutôt compter en années...

Marie B ne répondit pas, stupéfaite. Elle se retourna et sortit de la chambre de Wladimir. Elle dégringola les escaliers en courant, franchit l'entrée et se rendit sous un arbre. Là, elle libéra les larmes qui étaient montées en elle. Ça en était trop pour elle... La maladie de son père avait empiré, et elle ne supportait plus de le voir souffrir et diminuer jour après jour, inexorablement. Elle n'arrivait plus à jongler avec les différents cours de la faculté et le sommeil qu'elle avait en retard commençait à peser sur son moral. Son ami Orlando devait se marier alors qu'elle, elle venait de rompre avec son dernier petit copain, avec lequel la relation houleuse avait été un véritable échec... Et là, alors qu'elle pensait pouvoir se rattacher à son aspect créaturien, Wladimir lui annonçait qu'il partait. Sa vie allait s'écrouler... 


- Comment a-t-elle pris la nouvelle ?, demanda Rama, lorsqu'il arriva chez son frère d'armes.

- Très mal, soupira Wladimir.

Rama observa son ami. Il n'avait pas eu le temps de parler à Marie B car elle était partie avant son arrivée. Mais il savait qu'elle était touchée de ce départ incompréhensible pour elle. Lui, il se doutait des raisons qui poussaient Wladimir à partir. Mais il savait aussi qu'il n'avouerait jamais. 


Marie B regardait son père dormir dans la chambre d'hôpital. La maladie avait atteint le cervelet. Incurable et condamné. Il n'y avait plus aucun espoir pour lui. Les médecins étaient unanimes, même s'ils disaient qu'il fallait y croire, qu'une rémission pouvait être possible. La jeune fille savait que c'était faux, et qu'il ne s'agissait là que de paroles dîtes uniquement pour tenter d'alléger leur peine. Son père était à présent un mort en sursis, et elle devait se faire à l'idée qu'il partirait bientôt. Dans peu de temps, elle ne verrait plus les yeux marron de ton père pétiller devant elle, son sourire ensoleiller sa journée, sa voix et son rire forts envahir la maison. Sa vie allait être bouleversée, sa famille détruite.

L'infirmière frappa à la porte et entra pour faire les soins. Marie B en profita pour sortir fumer et regarder son téléphone. Elle avait un message de Rama, qui lui demandait de rappeler Wladimir. Mais elle ne pouvait pas. Son tuteur créaturien partait pour plusieurs années, au moment où elle avait le plus besoin de lui... Elle lui en voulait. Il voulait partir, qu'il parte, elle n'allait pas le retenir ! 


Wladimir avait préparé ses affaires. Il mit ses compositions dans son sac avec son Stradivarius fétiche. Une d'elles tomba, « Edelweiss bleu ». Une larme coula sur sa joue tandis qu'il ramassait sa composition. Sa muse allait lui manquer. Elle lui manquait déjà. Mais il devait partir, loin d'elle. Les sentiments qu'il développait à son égard, le regard qu'il avait sur elle le dérangeaient. De l'envie. Il avait envie d'elle, il était attiré par elle, tant d'un point de vue physique que psychologique. Et, plus que tout, il l'aimait. Et ça, en tant que tuteur créaturien, lui était interdit. Fuir devenait donc sa seule et unique solution...

Il prépara ses valises, les remplissant d'habits dont il aurait besoin durant plusieurs mois. Il n'avait pas besoin de beaucoup d'affaires, car il savait que son père lui avait acheté des vêtements. Il prit avec émotions une écharpe que lui avait offerte Marie B au précédent Noël. Elle n'irait pas en soute avec le reste de ses habits. Il mit l'étole autour de son cou. Là était sa place, auprès de son cœur. 


Marie B travaillait avec Ho Sang et Shinji chez Jigoro. Ils révisaient leurs partiels depuis plusieurs heures déjà. Takeshi jeta un œil dans la salle et demanda à la jeune fille de venir. Elle suivit le vieil homme. A l'entrée de la maison se trouvait Rama. Elle soupira.

- N'en veux pas à Wlad. Il souffre beaucoup, lui aussi.

- Il se barre au moment où j'ai le plus besoin de lui ! Comment veux-tu que je lui pardonne ?

- Il est obligé de le faire, tu le sais. C'est son travail.

- Et est-ce qu'il a pensé à moi ? Qu'est-ce que je vais devenir sans mon tuteur créaturien ?

Rama réfléchit un instant et proposa :

- Viens au Ministère avec moi.

Marie B ne s'attendait pas à cette réponse. Elle ne réfléchit pas longtemps avant de répondre.

- Non. Merci Rama. Mais j'ai trop à faire dans ma vie d'humaine pour m'intégrer au Ministère.

- Si jamais tu changes d'avis pour Wladimir, son avion décolle dans deux semaines à Charles de Gaulle. Je t'ai envoyé par mail la date, l'heure et le numéro de vol. Bonne journée, poupée.

Rama embrassa la jeune fille et s'en alla en lui faisant un signe de la main, la laissant perplexe et abandonnée sur le perron...


Les deux semaines séparant Marie B du départ de Wladimir passaient trop vite. Elle répondait de moins en moins souvent aux messages de son tuteur créaturien et évitait ses appels. Elle lui en voulait de partir et de la laisser.

Son père était enfin sorti de l'hôpital et avait rejoint leur maison. Mais les nouveaux traitements ne changèrent pas grand chose à son état. Il était toujours éprouvé par la maladie. Marie B ruminait tous les jours un peu plus, repensant à tous les instants de bonheur qu'elle connaîtrait plus... ou bien qu'elle ne connaîtrait jamais. Elle n'aurait pas la chance de voir son père la tenir par le bras si elle se mariait. Lorsqu'elle finirait ses études, il ne serait probablement plus là pour la féliciter. Bientôt, il n'y aurait plus d'emballages cadeaux à faire pour lui. Le jour même de l'anniversaire ne serait plus une fête, mais un obstacle à surmonter. C'était ainsi qu'elle concevait le reste de sa vie : morose, terne et mortel...


Rama se gara devant le manoir de Wladimir. Il entra et découvrit son ami, assis dans le canapé du salon. Il regardait deux photographies, celle de son mariage avec Blanche, et celle de la cérémonie de passage de Marie B. Il pleurait. Rama s'assit à côté de lui et lui tapa dans le dos.

- Tu pars parce que tu l'aimes, c'est ça ?

- Oui, c'est ça. Mais je n'en ai pas le droit, avoua son frère d'armes après un court silence.

- Moi non plus, ajouta Rama. Uranie avait raison.

- Comment ça ?

- Elle m'avait dit que nous aimions tous les deux la même personne...

Wladimir regarda son ami dans les yeux et lui demanda :

- Tu prendras soin de Petit loup, n'est-ce pas ? Tu me le promets ?

- Je te le promets, mon frère. Allez, il faut partir maintenant.

Rama aida son ami à charger ses affaires dans la voiture, puis ils partirent pour l'aéroport. L'avion devait décoller six heures plus tard, mais ils connaissaient suffisamment bien le trajet pour savoir que les bouchons parisiens pourraient les retarder.


- L'avion de Wladimir décolle bientôt ?, demanda Ho Sang à Marie B, avec qui elle travaillait à la bibliothèque universitaire.

Marie B regarda l'horloge avant de répondre.

- Dans six heures.

- Tu ne vas pas regretter de ne pas lui avoir dit au revoir ?, demanda Shinji.

Si, bien sûr. Elle le regrettait déjà... Même si Wladimir était sur le point de partir pour plusieurs années, il avait toujours été là pour elle depuis le début de sa vie de créature. Il l'avait sauvée, lui avait appris le créaturien, les coutumes, les mœurs, s'était fâché avec sa mère pour elle. Il l'avait épaulée durant toutes ses épreuves, il n'était pas seulement son tuteur créaturien, il était son ami, et elle l'aimait... Elle regarda à nouveau l'heure. Elle pouvait le faire.


Rama accompagnait Wladimir dans l'aéroport. Les bagages de soute avaient déjà été enregistrés. Wladimir avait gardé avec lui son violon et un sac d'ordinateur.

- Je t'accompagne jusqu'au passage en zone internationale, d'accord ? Tu vas au Parafe, comme d'habitude, proposa Rama.

Wladimir accepta, mais son esprit était ailleurs. Marie B avait encore rejeté son appel. Il aurait voulu lui dire au revoir avant de partir, lui parler. Il avait compris que la jeune fille lui en voulait, mais il aurait aimé la revoir, plonger à nouveau dans ses yeux bleus-gris, observer son sourire et sa vivacité. La longue file d'attente progressait lentement et la créature tenta un nouvel appel. Il fut mis directement sur la messagerie vocale. Marie B avait dû couper son téléphone. Il regarda les gens autour de lui. La plupart semblait être des vacanciers au regard soucieux mais heureux de partir en vacances pour de lointaines destinations. Ils se trouvaient également, çà et là, quelques hommes et femmes d'affaires, costumes et tailleurs fraîchement repassés, qui allaient être chiffonnés durant le vol. Il ne restait plus beaucoup de personnes devant lui et il allait bientôt devoir quitter Rama.

- Wladimir !

Le son de son prénom arriva tout de suite aux oreilles de la créature. Il vit des gens se pousser, râler derrière lui, dans la file d'attente. Et, fendant cet amas de personnes, il la vit, elle. Elle le serra dans ses bras en pleurant.

- J'ai fait au plus vite, j'avais peur de te rater.

- Je croyais que tu ne m'avais pas pardonné, Petit loup.

- Non, je t'aime trop Wladimir. Je ne voulais pas te voir partir. Tu es mon tuteur créaturien.

- Moi aussi je t'aime, ma louve.

La file d'attente avait avancé. Wladimir devait laisser là ses amis. Il embrassa Rama puis serra très fort Marie B en l'embrassant.

- Prends soin de toi, Petit loup. Rama sera là pour toi et j'essaierai de rentrer le plus souvent possible.

- Au revoir, Wladimir.

Le tuteur créaturien partit. La jeune fille se tourna vers Rama et le prit dans ses bras, se cachant dans la chemise de la créature pour pleurer.

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