VII. Créature
Quelques semaines après la mort d'Orlando, la musique à fond, Rama entraîna le Messager dans une danse endiablée. La femme, tout d'abord sceptique, se laissa entraîner par son ami et finit dans ses bras en riant. Finalement, avec le recul, elle était heureuse d'être entrée dans le monde créaturien si longtemps auparavant...
Natacha et Dimitri gardèrent le secret de l'existence du Messager de la Vie et de la Mort, comme le père l'avait promis à son fils. La comtesse ne voyait pas d'un bon œil l'existence de la jeune fille mais elle savait Wladimir têtu. De plus, Dimitri donnait une grande valeur à la parole, et jamais il ne trahirait son enfant, ni ne laisserait sa femme parler.
Cependant, à l'été 2006, au Ministère, Satan commençait à gagner de plus en plus de voix pour lui. La rumeur de sa création emballait toutes les créatures lassées des humains et impressionnaient les autres... Le clan Kergianov et ses clans alliés peinaient à maintenir l'idée selon laquelle le Messager de la Vie et de la Mort n'était qu'une légende. Tous savaient que Satan était capable de tout, y compris de l'impossible.
De retour de la dernière réunion du Ministère, Natacha tint à s'entretenir avec son mari à ce sujet.
- Il faut contrer Satan et son clan. Il devient trop dangereux et attise les foules... Le Messager doit être révélé, décréta la comtesse.
- Ce n'est pas aussi simple, Natacha, rétorqua son mari. Ce n'est qu'une enfant. Nous ne pouvons pas lui faire affronter le Ministère...
- Et as-tu une autre solution pour contrer Satan ? Peut-être continuer ce jeu du « Mais non, il n'y a pas de Messager » ? Cela ne tient plus debout ! Tu sais comme moi que Satan est un très grand orateur !
- Tu ne parviendras jamais à convaincre Wladimir... Il est sur la défensive avec toi...
- Avec moi, peut-être. Mais pas avec toi !, insista Natacha.
Dimitri s'avoua vaincu. Sa femme avait raison et la paix se jouerait entre les mains de leur fils. Il se devait de convaincre Wladimir de présenter la jeune fille afin de tenter de casser le mythe qui se créait autour d'elle.
Les vacances avaient commencé deux semaines avant et Marie B s'était installée chez Wladimir. Elle avait validé avec brio sa première année à la faculté d'Histoire et continuait donc son apprentissage auprès de son mentor. Après presque deux années, elle parlait à présent couramment créaturien. Elle avait commencé à apprendre l'alphabet et ne s'en sortait pas trop mal. Quant aux arts de l'épée, elle était fière d'elle car elle réussissait à parer son ami.
Wladimir regardait la jeune fille taper dans le sac de frappe qu'il lui avait installé dans le parc. Sa force allait grandissant, sa vivacité et sa détermination aussi. Elle s'embellissait de jour en jour et, à ses yeux, elle était magnifique. Même si bien des créatures femelles possédaient une plus grande beauté, la jeune fille était dotée d'un magnétisme envoûtant. Ses fins cheveux blonds cendrés qui agaçaient tellement Marie B se paraient de reflets roux avec le soleil d'été. Le regard de la créature se posa sur la poitrine de Marie B et il baissa les yeux, légèrement honteux. Il était son mentor, son grand frère, comment pouvait-il la désirer ainsi ?
Rama partait pour rejoindre son frère d'armes et Marie B. Depuis le passage de Natacha et Dimitri, il s'était rapproché de la jeune fille. Ce soir-là, il l'avait défendue face aux parents de Wladimir et elle s'était réfugiée vers lui lorsque son mentor s'était levé contre ses agresseurs. Au fur et à mesure de l'année et des entraînements, Rama et Marie B avaient appris à se connaître et à s'accepter. Ils étaient passés d'un statuquo à un début d'amitié. Ils n'avaient jamais reparlé de la torture qu'il lui avait infligée, préférant laisser le temps en effacer toute trace. Mais Rama doutait. La jeune fille pourrait-elle le pardonner un jour ?
Il voulut chasser cette pensée de son esprit et monta le son de la musique. Les paroles du groupe de métal qu'il écoutait le saisirent et il préféra éteindre l'autoradio. Il n'avait plus qu'une hâte,arriver chez son frère d'armes et mettre ainsi un terme à la culpabilité qui le rongeait dès qu'il était loin de la jeune fille.
Marie B arrêta de frapper dans le sac, lançant ses gants de boxe par terre, et rejoignit Wladimir, qui avait les yeux dans le vide.
- A l'attaque !
Elle sauta sur la créature, la fit tomber, et se retrouva à cheval sur lui. Mais Wladimir ne semblait pas d'humeur à s'amuser.
- Qu'y a-t-il ?, demanda la jeune fille.
- Rien, ce n'est pas ta faute, répondit la créature en se relevant, la repoussant doucement.
Marie B posa des yeux surpris sur son mentor. Elle ne comprenait pas cette réaction si surprenante. Ce n'était pourtant pas la première fois qu'elle lui sautait dessus à l'improviste. Elle le regarda se lever. Sa chemise n'était pas tachée, il ne pouvait donc pas être fâché pour cette raison. Peut-être avait-elle était trop violente ? Elle rejeta très vite cette hypothèse. Wladimir était une créature adulte, ce n'était pas cette action qui pouvait l'endolorir. Elle se leva pour ramasser ses gants de boxe, pensant que le fait qu'elle les jette une fois de plus à terre avait pu agacer son mentor. En posant les gants sur le banc, elle jeta à nouveau un œil sur son ami. Il ne la regardait pas et conservait son regard droit, comme fixé sur un point inexistant.
Elle entendit Rama klaxonner en se garant près d'eux. Marie B s'élança aussitôt vers lui pour l'embrasser, soulagée de le voir arriver.
- Il est de mauvaise humeur, l'avertit-elle.
- Pourquoi ?
- Je ne sais pas, il fait la tête, il ne veut pas s'amuser, pas jouer, il a le visage fermé... ça me saoule ! Il m'a envoyée chier !
- Je vais lui parler, ne t'inquiète pas, poupée.
Marie B regarda tristement Rama partir vers Wladimir...
Dimitri avait discuté avec Natacha et elle avait accepté qu'il parte seul voir leur fils, après plusieurs heures de négociations. Il espérait réussir à faire entendre raison à Wladimir et à sa protégée. Après avoir appelé un taxi depuis son bureau, il descendit les marches de leur escalier de marbre et salua sa femme avant de sortir de leur château et de pénétrer dans le véhicule qui l'attendait, patiemment, dans leur cour.
Il ne se doutait pas que la comtesse avait toujours dans l'idée de faire disparaître le Messager.
- Bon, alors, il parait que tu tires la tronche ?, demanda discrètement Rama à son ami, toujours debout, le regard dans le vide.
- Mais non... qu'est-ce que vous avez aujourd'hui ?
- Tu as envoyé paître la gamine. Te rends-tu compte ? C'est la première fois... Tu n'imagines même pas dans quel état de nerfs elle se trouve...
- J'ai honte...
- D'elle ? Tu rigoles ou quoi ? Tu as vu les progrès phénoménaux qu'elle a fait..., commença Rama.
- Non. De moi.
Wladimir s'assit sur le banc, et Rama se posa à côté de lui. Ils restèrent quelques minutes sans parler. Puis, Rama rompit le silence.
- Tu as le droit de faire le deuil de Blanche, tu as le droit de vivre sans elle.
- Je sais..., soupira Wladimir. Mais j'ai honte de mon regard vis-à-vis de Petit loup.
- Elle est mignonne, belle, souriante, pleine de vie, c'est normal d'être attiré par elle. Elle respire la jeunesse !
Wladimir regarda son ami. Cela ne l'étonnait pas vraiment que ce coureur de jupons soit bluffé par la jeune fille.
- Laisse-toi aller Wladimir, tente !
- Non, je suis son mentor, elle a confiance en moi.
- Oui, c'est vrai que si tu la tires, elle n'aura plus confiance en toi. C'est logique !
- Je te signale que tu parles de Petit loup, grogna Wladimir, jetant un regard noir à son ami.
- Et elle a fait quoi, Petit loup ?
Les deux créatures se retournèrent. Marie B se trouvait debout derrière eux.
- Tu es là depuis longtemps ?, demanda Wladimir.
- Non, pourquoi, j'ai raté quelque chose ?, répondit-elle.
Rama observa son frère d'armes et vit qu'il ne savait pas quoi répondre. Il décida donc de le sauver de son embarras.
- Je disais juste à Wladimir que je te mettrais bien dans mon lit, dit-il à la jeune fille, en se levant et en l'entourant de ses bras.
- Dans tes rêves, sac à puces, rétorqua-t-elle, le repoussant en riant.
Wladimir soupira. Il pouvait remercier Rama, même si ce n'était pas très élégant de sa part. Il se leva à son tour, attrapa le bras de la jeune fille et ils partirent tous les trois dans le manoir.
Dimitri avait pris le premier vol pour Paris depuis Moscou. Il voulait arriver au plus vite chez son fils avant que sa femme ne change d'avis et ne les rejoigne. Il savait que si elle était là, son fils serait plus tendu et donc moins enclin à l'écouter. Durant les quatre heures de vol, il se remémora tous les arguments qu'ils pourraient utiliser pour convaincre son enfant. Il fallait qu'il accède à sa requête. Le Messager de la Vie et de la Mort devait se révéler au grand jour.
Après le repas qui permit aux trois amis de discuter et de mettre fin au malaise de Wladimir, Rama et Marie B s'entraînèrent à l'épée. Ils avaient laissé Wladimir à son salon de musique, la créature faisait de nouvelles compositions de violon pour un nouvel album et une série de concerts. Rama apprenait de nouvelles parades à la jeune fille, car son style était quelque peu différent de celui de son ami. Comme Wladimir, il était impressionné par elle, car ils discutaient en même temps en langue créaturienne. Mais ce cours plutôt orthodoxe le lassa rapidement et il préféra lancer un défi à Marie B.
- Cap ou pas cap ?
- De faire quoi ?
- Non, tu dois répondre avant... à moins que tu ne te dégonfles ?
La fierté de Marie B fut piquée au vif et elle répondit un « Cap » autoritaire. Rama sourit et l'entraîna avec lui dans le grenier, prenant soin de ne pas faire de bruit en montant les marches menant au deuxième étage...
Wladimir était assis dans son salon de musique. L'inspiration ne venait pas... Il avait beau penser à la nature, aux animaux, à la montagne ou à la mer, rien ne venait... Il passa une main dans ses cheveux tout en regardant sa pièce. Les murs de pierres blanches tranchaient avec la couleur bois de ses violons ou légèrement rouge de ses deux Stradivarius. Les étagères étaient remplies de ses précédentes compositions, dont la plus ancienne datait de mille neuf-cents un, alors qu'il n'avait que huit ans. Il se décida à fouiller dans ces papiers jaunis par le temps et cornés. Mais rien ne semblait vouloir l'aider à trouver de l'inspiration. Il marcha bientôt dans les vingt mètres carrés du salon de musique, ses pas faisant craquer le parquet en point de Hongrie, tentant en vain de trouver un déclic qui lui permettrait de composer.
Soudain, un edelweiss lui vint à l'esprit. La fleur préférée de Marie B. Il accorda son violon fétiche et commença à jouer un air mélancolique. « Edelweiss bleu », tel serait le nom de cette musique,en l'honneur de la couleur dominante des yeux de la jeune fille, sa muse...
Une fois arrivés discrètement dans le grenier, Rama exposa son test à Marie B.
- Tu vois les deux cordes ? On les attache en haut du pignon, on saute dans le vide, et on se rattrape à elles au dernier moment.
La jeune fille se pencha à la lucarne et regarda le vide en bas. Elle sentit l'adrénaline couler dans ses veines.
- On accroche ?, demanda-t-elle, avec un clin d'œil complice.
Rama escalada la façade, attacha les cordes au pignon, et, après être redescendu dans le grenier, prit la main de la jeune fille dans la sienne. Ils sautèrent.
En entendant le cri de Marie B, Wladimir sursauta et cassa une de ses cordes. Il se précipita à la fenêtre et vit ses deux amis accrochés à deux cordes à environ deux mètres du sol, riant. Agacé, il posa son violon, qu'il tenait encore dans sa main, et se précipita dans les escaliers pour les rejoindre dans le parc.
- Mais qu'est-ce que tu fais Rama ?, hurla-t-il.
Rama expliqua leur jeu, qui ne plut pas à son frère d'armes.
- Tu ne te rends pas compte de ce que tu fais, Rama ? Es-tu si puéril ? C'est dangereux !, vociféra le protecteur.
- Wladimir, c'est aussi une créature. Si on veut la pousser au maximum et la laisser découvrir ses dons, il faut de l'adrénaline. Elle ne craignait physiquement rien.
Wladimir protesta, mais Marie B rétorqua :
- Moi, j'ai trouvé ça marrant. Ça fait du bien de s'amuser, Wlad. Tu devrais essayer !
La phrase eut l'effet d'un coup de couteau dans le cœur de la créature. Il avait l'impression qu'il était en train de perdre Marie B, et cela le faisait souffrir.
Après avoir atterri à l'aéroport Charles de Gaulle, Dimitri loua une voiture pour se rendre chez son fils. Il savait exactement ce qu'il allait lui dire, mais il craignait un quelconque refus de la part de Wladimir. Il fallait qu'il accepte de présenter le Messager de la Vie et de la Mort au Ministère. Il était de leur devoir de contrer le clan de Satan. Cette pensée le guida tout au long de sa route. Il en était sûr, cette discussion serait l'une des plus importantes pour l'avenir du Messager.
Wladimir décida de s'amuser. Il voulait que la jeune fille le voie autrement que comme un mentor trop protecteur et vieux jeu. Il avait acheté une console à Marie B quelques mois auparavant et décida de proposer à ses amis un duel à un jeu de voitures. La jeune fille accepta, souriant. Ils firent plusieurs parties, les uns et les autres se chamaillant en se poussant et en essayant de tricher. Wladimir sentit son cœur rebattre lorsque la jeune fille lui lança :
- Wlad, t'es trop fun, j'adore !
Rama décocha à son ami un clin d'œil complice. Marie B semblait avoir complètement oublié leurs accrochages de la journée et s'amusait avec son protecteur avec joie. Elle voyait qu'il faisait des efforts pour plonger dans un univers qui n'était pas le sien et tentait de rattraper ses années d'isolement en découvrant les jeux vidéos. Rama s'amusait de la situation en indiquant à son frère d'armes les mauvaises touches du joystick, le faisant perdre face à une Marie B déterminée et compétitrice.
Mais leur répit fut de courte durée, car ils entendirent frapper à la porte.
Wladimir sortit du salon pour se diriger dans l'entrée. Dans la vidéo-surveillance, il vit son père. Il souffla... Qu'allait-il encore se passer ? Cependant, il le fit entrer.
- Bonsoir père, je ne m'attendais pas à ta venue, commença-t-il en embrassant la créature.
- Bonsoir mon fils. Je n'ai pas pris le temps de te prévenir. J'avais... un peu peur que tu refuses cette visite surprise...
- Cette phrase veut tout et rien dire à la fois. Pose ton sac ici, Rama et Marie B sont dans le salon, répondit Wladimir.
Il regarda son père poser sa sacoche d'ordinateur dans l'entrée, puis referma la porte à clef et l'accompagna dans le salon.
- Bon, les enfants, on a un invité surprise, annonça-t-il en entrant dans la pièce.
Rama ne se retourna pas, ayant reconnu l'odeur de Dimitri. Marie B, quant à elle, vit l'arrivée de la créature d'un mauvais œil et se rapprocha de son ami.
- Vous venez me dire que votre femme va me tuer ?, demanda-t-elle.
- Non, mais aujourd'hui, tu vas devoir faire un choix, lui répondit-il. Bonsoir Rama.
Dimitri s'installa sur un des fauteuils face au canapé sur lequel étaient déjà installés Rama et Marie B. Wladimir les rejoignit.
- Satan gagne des voix et de la place au Ministère depuis qu'il est revenu. La rumeur sur sa création impressionne tout le monde. Il faut que le Messager de la Vie et de la Mort s'y présente.
Marie B ne répondit pas, se contentant d'attendre l'avis de ses amis.
- Sauf qu'elle n'a pas trente ans. Elle va appartenir à Satan si nous la lâchons au milieu du Ministère, rétorqua Wladimir.
- Ta mère a un plan. Bon, je sais qu'elle n'aime pas vraiment le Messager, mais elle veut mettre en avant le fait que cette jeune fille est à moitié humaine avant que Satan ne la retrouve. Elle veut aussi accentuer le fait que tu es son mentor depuis presque deux ans...
- Et si ça ne marche pas ?, demanda Rama.
- Alors, il faudra la tuer, répondit Dimitri.
- Ça faisait longtemps, ironisa la jeune fille.
- C'est ton choix, Petit loup, conseilla Wladimir. Mais en aucun cas quelqu'un ne posera la main sur toi, ajouta-t-il en levant les yeux vers son père.
La jeune fille réfléchit un instant. Puis, elle regarda Dimitri et interrogea :
- Et que se passera-t-il si je refuse ?
- Il y a un risque, jeune fille, que Satan prenne encore plus de pouvoir au Ministère. De plus, s'il met la main sur toi, nous ne pourrons plus rien empêcher. Il est ton géniteur, il a des droits sur toi. Et je ne pense pas que tu réussisses à te cacher de lui pendant dix ans...
- Et vous, qu'en pensez-vous ?, demanda Marie B à ses deux amis.
- Que je ne veux pas risquer de te perdre, répondit Wladimir.
- Que la décision t'appartient, mais que nous serons là, Wladimir et moi, pour te protéger, ajouta Rama.
- Et il se réunit quand, ce Ministère ?, demanda la jeune fille à Dimitri.
- Dans trois semaines. Toujours au même endroit, un hôtel particulier de Paris, répondit l'intéressé.
- J'y serai, décida Marie B.
Rama et Wladimir se tournèrent vers elle.
- Et tu certaine de vouloir te présenter au Ministère ?, insista Wladimir. Ce choix sera lourd de conséquence, Petit loup...
Elle regarda ses deux amis dans les yeux, puis affirma :
- Oui, je veux entrer dans le monde créaturien.
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