IV. Une alliance obligatoire / Partie 1

 Le Messager était assise à table face à Wladimir et Rama. Elle avait sorti des photographies du début de sa vie de créature et les avait regardées toute la nuit. L'une d'entre elles avait retenu son attention et elle la montra aux deux créatures. Il s'agissait de leur première photographie à trois, avec leurs épées, image qui scellait leur union et le début de leur amitié... 



En octobre 2004, trois semaines après le kidnapping de Marie B par Rama et le sauvetage par Wladimir, la jeune fille devait entrer à la faculté. Mais elle avait la tête ailleurs et rata son premier cours...

Wladimir était venu parler à ses parents quand elle était revenue de vacances, omettant sciemment de parler de Rama. Tous deux avaient accepté la créature et ses propositions d'entrainer leur enfant (qui avait déjà dit oui), même s'ils le voyaient d'un mauvais œil. La mère de Marie B avait du mal à accepter d'être tombée amoureuse, à une époque, d'un monstre comme Satan. Son père avait reçu un choc car, certes il savait qu'il n'était pas le géniteur de la jeune fille, mais il se sentait impuissant face à cet ennemi inconnu. Bien sûr, comme tous les humains, ils connaissaient tous les deux l'existence des créatures. Cela faisait quatre générations humaines, soit environ quatre-vingts ans, que cette espèce était connue des Hommes, même si elle restait très discrète sur ses traditions et sa culture. Les parents de Marie B étaient rassurés de savoir que la créature veillait sur elle, mais également très inquiets du futur pour leur enfant. Elle était en danger, et aucune législation humaine ne pouvait rien pour eux. Wladimir avait donc été désigné comme le protecteur de Marie B et ce, en dehors de tout cadre légal créaturien...

La jeune fille était légèrement perturbée par toutes ces informations. Elle s'était remise physiquement de la torture dont elle avait été la victime, mais ce souvenir était encore psychologiquement douloureux. Elle avait peur de ce Satan dont elle ignorait tout. Elle était perdue et choquée de faire partie de cette espèce que les humains préféraient bien souvent oublier. Certes, tous savaient que les créatures vivaient au milieu des Hommes, mais cette espèce mystérieuse préférait ne rien laisser transparaître de leurs coutumes et de leurs mœurs, se fondant au milieu de la foule, tels des humains lambda. Elle ne savait donc rien sur elles, excepté ce que Wladimir lui apprenait, ce qui était fort déroutant.

Avec tous ces événements, Marie B se trouvait rassurée, stupidement peut-être, de pouvoir reprendre le kung-fu... 


Premier mercredi du mois d'octobre. Ce jour voyait le retour des meilleurs élèves de kung-fu au dojo et Ho Sang et Shinji avaient hâte de voir leur niveau. Assis tous deux dans un coin du tatami, ils discutaient du lycée et d'un autre adolescent qui était venu les aborder la veille et ce, malgré leur apparence peu sympathique.

- Il a l'air sympa le gars qui s'appelle Orlando, commença Shinji. Au moins, il ne nous regarde pas comme si nous étions des bêtes de cirque...

- Oui c'est sûr..., acquiesça Ho Sang, les yeux dans le vide. Mais je ne suis pas encore prête à faire confiance à quelqu'un d'inconnu.

- Les gens que vous rencontrerez seront toujours des inconnus pour vous si vous ne leur laissez aucune chance de se dévoiler... et de vous connaitre, rétorqua le père de Ho Sang, Jigoro.

La jeune fille acquiesça de la tête mais ne semblait pas aussi convaincue que son père. Les stigmates des évènements de New-York, les bagarres, les clans, la haine et la mort étaient encore très présents chez elle. Comme chez chacun d'entre eux. Les bras de la jeune fille porteraient à jamais les cicatrices de sa tentative de suicide cinq mois plus tôt, lorsqu'elle avait refusé de choisir entre son père et son Maître. Aujourd'hui, les deux hommes s'étaient alliés et vivaient sous le même toit. Une fois par mois, Ho Sang et Shinji descendaient sur Paris chez Vulcain et Rê, les « frères » adoptifs de la jeune fille, et fils adoptifs de Takeshi, son Maître.

Rachelle et son petit frère Damien entrèrent dans le dojo et Ho Sang sourit en voyant l'attitude de son père face à cette journaliste qu'il avait voulu éliminer quelques mois auparavant, de peur qu'elle ne découvre son secret. Aujourd'hui, il était presque timide, réservé, et des sentiments naissaient entre les deux trentenaires. Rachelle venait manger tous les soirs, en rentrant de son train parisien, au restaurant tenu par Kei-Ying et Yan, les grands-parents de Ho Sang, qui se situait à côté du dojo. Et elle passait tous les jours au dojo discuter avec Jigoro. Damien, quant à lui, devait intégrer le cours de karaté du jeudi soir et était scolarisé en classe de seconde dans le même lycée que les deux Chinois.

Les élèves du cours de kung-fu arrivèrent peu à peu. Ils étaient une quinzaine, mais une seule personne intéressa Ho Sang. Une jeune fille de sa taille environ, aux cheveux courts blonds cendrés et dont les réflexes semblaient très affutés. Lorsque Jigoro fit l'appel, sa fille comprit qu'il s'agissait de la fameuse « Marie B ». Et le regard que la nouvelle avait parla tout de suite à la Chinoise... C'était le regard de quelqu'un qui cachait un lourd secret, le même regard qu'elle-même avait depuis des années...


Orlando consulta son téléphone portable, qui venait de vibrer. Il venait de recevoir un message de Shinji, qui était au dojo de son beau-père. Avec sa gentillesse naturelle qui le caractérisait, Orlando avait approché les nouveaux venus Chinois. Il aimait beaucoup les gens et avait trouvé triste le fait que le couple n'arrive pas à s'intégrer. Il avait discuté du lycée leur proposant de leur faire visiter les lieux, ce qu'ils avaient accepté et avait donné son numéro de téléphone au jeune homme. Pour le remercier, le couple lui avait également proposé de venir manger au restaurant des grands-parents de Ho-Sang, ce qui lui avait fait plaisir. Ils avaient donc tous trois convenu d'une date début novembre, après les vacances de la Toussaint.

Malheureusement, sa copine très jalouse avait râlé et ils s'étaient embrouillés... Il était donc seul pour se promener dans la ville en cette fin d'après-midi d'automne. Il faisait encore bon et, au-dessus de son T-shirt de jeu vidéo, il n'avait mis qu'une légère veste en jean. Il déambulait dans les rues du quartier Saint-Leu, le quartier médiéval de la ville, à la recherche d'un cadeau pour l'anniversaire d'une de ses sœurs. N'ayant pas beaucoup d'argent de poche, il opta rapidement pour un magasin qui vendait des bijoux à prix peu élevés. La balade lui fit du bien et lui permit, pendant quelques instants, de ne pas se souvenir du désaccord qu'il avait eu avec sa copine. Mais, lorsqu'il passa devant le dojo du père de Ho Sang, il se rappela soudain de l'invitation. Il ne savait pas ce qu'il allait en faire.


Marie B était en train de préparer ses affaires pour partir chez Wladimir. Elle avait beaucoup aimé les cours de kung-fu du mercredi et du vendredi soirs, et elle avait repéré deux autres jeunes qui avaient un excellent niveau, un couple de Chinois dont la fille semblait être l'enfant du Maître.

Elle avait complètement raté sa première semaine de fac et, devant l'urgence et le risque qu'elle encourait, elle avait décidé de profiter de cette année pour apprendre auprès de son mentor créaturien leur langue, leur façon de combattre, leurs coutumes et leurs mœurs. A l'opposé de l'Homme, les créatures semblaient avoir conservé une seule société dans le monde entier. Les coutumes étaient les mêmes en Europe qu'en Amérique ou encore en Asie. Cela aurait pu rendre le travail d'apprentissage plus simple pour la jeune fille si cette société n'avait pas été tant différente de celles des humains. Pour couronner le tout, Wladimir lui avait dit qu'ils découvriraient certainement ensemble des caractéristiques et des « dons » inconnus chez elle, ce qui avait tendance à la stresser d'avantage.

Elle avait conscience qu'elle allait sacrifier une année d'études, mais cela lui semblait bien moins grave que d'être poursuivie par un tueur dangereux et impitoyable...


Rama avait discuté plusieurs fois avec Wladimir depuis que ce dernier était venu sauver le Messager. Au moins, l'arrivée de la jeune fille lui avait permis de communiquer à nouveau réellement avec son meilleur ami et frère d'armes, qu'il avait perdu depuis le décès de Blanche. Depuis ce décès, Wladimir s'était tellement recentré sur lui-même qu'il ne sortait plus que pour ses concerts de violon, pour lesquels il était mondialement connu. Durant toutes ces années, leurs seuls échanges concernaient les appels que Rama passaient à Wladimir pour le tenir au courant des changements dans le monde créaturien, histoire qu'il ne se mette pas complètement à l'écart. Créature de l'ombre, il avait tenu à ce que son frère d'armes conserve tout de même connaissance de ce qui se passait en dehors du manoir dans lequel il s'était reclus, sans jamais attendre de remerciements ou d'attention. Comme s'il s'occupait d'un enfant, Rama avait couvé et protégé sans jamais lui dire son ami, prenant sur lui toutes les fois où des créatures avaient voulu entrer en contact avec Wladimir.

Grâce à l'arrivée de la jeune fille, il rétablissait enfin se contact qui lui avait tant manqué. Cependant, il était partagé entre des sentiments contradictoires. Il craignait toujours que le Messager ne tombe entre les mains de Satan et se rallie à sa cause. Pourtant, il croyait en Wladimir, et cela lui faisait plaisir de voir son meilleur ami sortir enfin de sa coquille. Ce soudain retour de son frère d'armes était ce qui lui semblait le plus important pour le moment. Wladimir Kergianov faisait enfin son retour parmi les vivants.


Wladimir regardait la photographie de son mariage avec Blanche, une fois de plus, assis sur son lit. Il était mélancolique devant l'image de ce bonheur perdu tant d'années auparavant. Il repensait à son épouse. Cependant, lorsqu'il reposa le cadre, il le retourna pour ne plus le voir. L'enlever aurait été trop compliqué pour lui. Mais il sentait qu'il avait besoin d'avancer.

En cette journée ensoleillée d'Octobre, une partie de ses pensées étaient accaparées par le Messager, et non plus par sa femme. Il avait déjà passé quelques jours avec la jeune fille et son intelligence, sa mémoire, sa force, ses principes lui plaisaient. Sa vivacité et sa jeunesse redonnaient de la fougue et de la vie à la créature. Après presque soixante-dix ans de deuil compliqué, il avait trouvé un nouveau but dans sa vie et une envie de ne plus survivre, mais de vivre.


Marie B travaillait son créaturien sur un cahier avant que n'arrive Wladimir. Assise sur une chaise dans le jardin de ses parents, elle profitait des rayons de soleil avant que n'arrive l'hiver. Cette langue pouvait sembler relativement proche du grec ancien, mais beaucoup de mot se terminaient en « a », « sha », « rha »... La créature lui avait déjà appris les pronoms et un début de conjugaison. Marie B pesta contre elle-même de ne jamais avoir été très bonne en cours en langues et d'avoir préféré la physique et la chimie. Cependant, il fallait se rendre à l'évidence. Cette langue était très complexe et très éloignée des langues humaines. De plus, la jeune fille l'apprenait en écriture latine, puisque les créatures avaient un alphabet particulier, propre à elles. Elle lisait donc avec attention chaque mot qu'elle voyait en tentant de se rappeler tout ce que son protecteur lui avait déjà enseigné.

Elle fut coupée dans sa lecture par sa mère, qui lui proposait de boire un thé. Elle accepta en souriant et la femme se posa sur une chaise à côté d'elle.

- J'ai confiance en ce Wladimir, mais fais très attention à toi ma puce..., commença l'adulte.

- Ne t'inquiète pas pour moi, je suis entre de bonnes mains !, répondit en souriant la jeune fille. Il ne m'arrivera rien ! Tiens, d'ailleurs le voilà !

Wladimir avait garé sa voiture devant le portail et Marie B s'élança vers lui, après avoir embrassé ses parents, son sac dans son dos.


Satan avait retrouvé la trace, en suivant Wladimir, de sa création, le Messager. Il observa la jeune fille pénétrer dans la voiture de son ennemi et esquissa un rictus en voyant ses parents. C'était bien elle, la femme qu'il avait charmé dix-neuf ans plus tôt. Elle n'avait pas changé tant que ça. Ses cheveux étaient plus courts et coiffés différemment, elle avait vieilli, mais c'était bien elle. Et là, dans la voiture de Wladimir, c'était bien le Messager.

Il ne resta pas arrêté longtemps, ne voulant pas alerter son ennemi, et fit demi-tour dans le petit village. Après quelques kilomètres, il s'arrêta sur une place de stationnement et appela ses deux principaux alliés. Il devait lancer une réunion avec eux au plus vite afin de pouvoir kidnapper la jeune fille, malgré la protection de Wladimir, dont il savait être un adversaire redoutable.


Après plusieurs heures d'entrainement dans le parc de son manoir, l'épée de Wladimir fut contrée par celle de Marie B. La créature leva la tête vers elle et sourit.

- Je suis très fier de toi, Petit loup. Tu apprends très vite !

- « Petit loup » ? C'est amusant comme surnom !, commenta-t-elle.

- Allez, viens-là. Finis les arts de l'épée. On rentre se reposer.

Wladimir prit les deux armes dans sa main gauche pour permettre à la jeune fille de se reposer. Cette touche de galanterie un peu passée de mode fit sourire Marie B. Son protecteur avait tout de quelqu'un de bien et, même s'il était parfois un peu vieux jeu, elle appréciait ses attentions qui lui permettaient souvent d'oublier la menace qui planait sur elle.

La créature passa son bras sur l'épaule de la jeune fille et l'entraîna vers le manoir. A ce moment précis, il se sentait bien, il avait enfin trouvé sa place.


Belzébuth et Uranie se disputaient une fois de plus. Lucifer sortit, agacé par le conflit permanent entre sa femme et son frère. Il avait déjà perdu un frère, Satan, égaré dans sa haine contre les humains. Lucifer, lui, était pour la paix entre les deux espèces et avait encore le faible espoir que Satan allait changer d'avis et de façon de faire.

Lucifer regarda une fois de plus le duo. Son petit frère Belzébuth, né quatre ans après lui, en mille huit-cents trente-et-un, était également pour la paix entre les deux espèces, mais avait un sentiment de supériorité par rapport aux humains exacerbé. Uranie, quant à elle, était une magnifique créature noire, aux longs cheveux crépus, née en mille huit-cents cinquante-sept en Afrique. Lucifer l'avait épousée en mille neuf-cents quarante-six, et ils avaient décidé pour le moment de ne pas avoir d'enfant.

Belzébuth claqua la porte et rejoignit son frère.

- Uranie me saoule avec cette histoire de Messager créé par notre grand frère..., lâcha Belzébuth.

- Le bruit court parmi toutes les créatures et cela va bientôt monter au Ministère, tu sais. Satan risque gros, mais le Ministère aussi...

Uranie sortit, furieuse, et ragea :

- Je vais me renseigner auprès de Rama. Peut-être que lui en saura plus que ton plouc de frère sur votre propre famille !

A l'évocation de ce nom, Lucifer se tendit. Uranie l'avait déjà trompé par le passé avec ce coureur de jupons... Il ne voulait pas que son épouse le croise à nouveau seule. En quelques secondes, il décida qu'ils iraient tous les trois en Picardie, chez Rama.


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