Rama portait la jeune fille dans ses bras après l'avoir endormie avec du chloroforme. Elle s'était bien débattue, mais n'avait pas encore assez de force contre lui, une créature mâle en pleine force de l'âge. Il remonta les dunes jusqu'à un coin isolé et attendit que la nuit tombe pour repartir, après avoir remis une dose de produit dans les narines du Messager. Grâce à ses sens de créature, bien plus développés que ceux des humains, il pouvait s'orienter sans problème au sein de cette nuit obscure. Les sons qui lui arrivaient aux oreilles lui permirent de se diriger vers la ville, tandis que son odorat l'aidait à savoir s'il y avait ou non des humains dans les parages. Il arriva à sa voiture et, après avoir lié les pieds et les mains de la jeune fille, il la posa dans le coffre. Il démarra, direction son manoir en Picardie pour interroger le Messager et l'achever...

Wladimir se leva de son lit en posant le cadre de son mariage sur la table de chevet. Il avait finalement pris sa décision. Il allait sauver l'animal innocent créé par Satan des griffes de son frère d'armes. Il regarda l'heure qui s'affichait sur l'horloge et eut un recul de surprise. Déjà presque vingt-quatre heures qu'il ruminait. « Vingt-quatre heures », se répéta-t-il dans sa tête. Rama avait eu tout le temps de tuer le Messager. Il descendit les marches de son escalier avec hâte. Rama n'avait pas répondu à ses appels. Il devait déjà avoir trouvé le Messager. Il s'engouffra dans sa voiture et partit donc en trombe vers le manoir de la créature, situé à une heure de route de chez lui. Il espérait juste ne pas arriver trop tard pour le Messager...

Les paupières de Marie B étaient lourdes et ses muscles endoloris... Elle essaya de bouger son bras et sentit quelque chose qui retenait son poignet. Elle ouvrit les yeux, comme électrocutée par ce constat étrange d'être attachée... Lorsque sa vue se fut adaptée à la pénombre environnante, elle fut tout de suite choquée par la vue de fouets, de bâtons de métal et de couteaux. Elle sentit le stress monter en elle. Où était-elle ? Elle ne se souvenait que de cette odeur horrible et de quelqu'un qui l'avait empoignée... Elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Elle repensa à toutes les émissions qu'elle avait vues et se demanda sur quel sadique elle avait pu tomber...

Sa réflexion fut de courte durée, car une lumière aveuglante l'éblouit et, après quelques secondes, elle reconnut l'homme qui l'avait abordée sur la plage. Elle fut surprise et choquée de le voir. Il lui avait semblé si aimable, si loin de l'image des pervers qu'elle se faisait... Il la regarda quelques instants, puis lui demanda :

- L'as-tu déjà vu ?

Marie B ne comprit pas la question. De qui parlait cet homme ? Elle ne répondit pas et la sentence se fit sentir immédiatement. Rama décrocha un fouet et il cingla le ventre de la jeune fille, qui hurla de douleur.

- As-tu vu ton créateur, Messager de la Vie et de la Mort ?, insista la créature.

- Mais de quoi parlez-vous ? Vous faites partie d'une secte ou quoi ?, hurla Marie B.

Un deuxième coup lui lacéra les jambes. L'interrogatoire de Rama reprit, Marie B ne comprenant rien à ce que lui voulait cet homme... Les coups pleuvaient et, malgré sa résistance physique et psychologique, la jeune fille se sentit défaillir... Elle avait mal, elle avait peur. Elle ne pouvait pas répondre. L'homme parlait de Messager, de créateur et de clan à choisir. Elle ne voyait pas du tout de quoi il pouvait s'agir, et les coups incessants n'arrangeaient rien aux capacités intellectuelles de la jeune fille... Malgré tout, le reflet du couteau qui se rapprochait d'elle raviva son instinct de survie et, tout en essayant de se détacher, elle hurla aussi fort qu'elle en était capable, espérant que quelqu'un allait l'entendre et venir à son secours avant qu'elle ne se fasse égorger...

Wladimir arriva au manoir de Rama, entra le code du portail, et, après avoir traversé en voiture l'allée qui précédait l'habitation, se dépêcha de descendre de sa voiture. Il entra avec la clef qu'il avait gardée toutes ces années et s'en remercia intérieurement. A peine avait-il franchi la porte qu'il entendit un cri strident venu du sous-sol. Il s'y précipita, connaissant le manoir comme sa propre demeure, dégringolant les marches quatre à quatre dans sa hâte. Arrivé en bas, son sang ne fit qu'un tour et il fondit sur Rama et son couteau, qu'il lui arracha aussitôt.

- Mais qu'est-ce que tu fais Rama ?, hurla Wladimir.

Il tourna la tête vers la jeune fille et devina tout de suite qu'il s'agissait du Messager. Elle était en piteux état et il défit les liens qui entravaient les pieds et les mains de Marie B.

- C'est le Messager de la Vie et de la Mort, c'est la création de Satan, Wladimir ! Elle est dangereuse pour notre alliance avec les humains, répondit Rama. Elle n'a d'ailleurs rien voulu dévoiler !

- C'est une gamine innocente !, s'exclama Wladimir, qui soutenait la jeune fille. Elle ignore tout de ce qu'elle est, c'est pour ça qu'elle ne t'a rien dit !

Rama baissa les yeux, puis regarda Marie B et son corps strié par les coups de fouet qu'il lui avait infligés en essayant de lui faire avouer qu'elle était un danger pour les humains. Etait-elle aussi innocente que son frère d'armes voulait le croire ? Wladimir avait quitté le monde depuis bien longtemps, emmuré dans son manoir avec sa peine. Comment pouvait-il être à ce point sûr que cette jeune fille ne mentait pas ?

Marie B, la tête lourde, la peau douloureuse des coups qu'elle avait reçus, les yeux quasiment clos, observait cet homme, ce sauveur qui l'avait arrachée à son tortionnaire. Il était très grand, les cheveux lisses noirs jusqu'aux épaules, une belle musculature et des yeux verts comme deux émeraudes. Il lui disait quelque chose. Mais ensuite, la douleur eut raison d'elle et elle s'évanouit...

Marie B se réveilla dans un lieu, encore une fois, inconnu, quasiment nue dans un lit, les draps remontés jusqu'à son cou. Elle regarda tout de suite son corps, ne sentant aucune douleur, et fut surprise de ne découvrir aucun stigmate des coups qu'elle avait reçus peu de temps auparavant, à un tel point qu'elle se demandait si tout cela avait vraiment eu lieu. Mais cette chambre n'était pas la sienne, ni sa tente, ni une chambre d'hôpital... C'était une pièce rectangulaire, relativement grande, dont les murs étaient faits en pierres blanches et le sol recouvert d'un parquet en bois. Aucune photographie ni aucune décoration ne pouvaient permettre à la jeune fille de savoir à qui elle appartenait.

Elle se leva, un peu nauséeuse, et attrapa des vêtements qui avaient dû être placés pour elle sur une chaise. Elle enfila donc la robe courte blanche, plaça ses crocs aux pieds et se dirigea vers la porte, qu'elle ouvrit. Elle ne comprenait pas ce qu'il se passait, cet enlèvement, cette torture et, là, cette chambre étrange qui donnait sur un couloir. Cependant, son instinct de survie prit encore une fois le dessus, et elle s'élança en courant dans le couloir et un escalier.

Wladimir avait ramené le Messager chez lui. Rama l'avait suivi et ils discutaient tous les deux dans le salon.

- C'est encore une jeune fille et nous pouvons la rallier à notre cause. Elle a été élevée par des humains, elle ne peut donc pas prendre le parti de Satan, avança Wladimir.

- Et si elle se rallie à lui ?, demanda Rama d'une voix forte. Avec ses pouvoirs et sa force probables, elle pourrait faire basculer notre équilibre précaire avec les humains. Elle représente un danger, tu le sais comme moi ! Ouvre les yeux, le monde a changé depuis que tu es parti ! Et tu ne le connais que par tes concerts ou ce que je t'en dis depuis tout ce temps !

- Je vais m'occuper d'elle, Rama. Elle est forte, elle l'a bien prouvé tout à l'heure, et je pense qu'elle pourra être un allié précieux...

Rama n'eut pas le courage de contredire son ami. Il savait qu'il pouvait être têtu lorsqu'il le voulait. Il décida donc de lui laisser le Messager et de rentrer chez lui.

Rama rejoignit son manoir, mais ses sentiments étaient partagés. D'un côté, il regrettait de ne pas avoir supprimé le Messager. D'un autre, les réflexions de Wladimir trottaient dans sa tête et il avait l'impression d'être un monstre... Si Wladimir parvenait à ranger le Messager dans leur cause pour les humains et contre Satan, Rama doutait de faire un jour de la jeune fille son alliée...

Lorsqu'elle atteignit enfin la porte d'entrée de ce qu'elle pensait être un manoir, Marie B se rendit compte qu'elle était fermée. Elle courut vers une des immenses fenêtres, prête à l'ouvrir, mais ses muscles se contractèrent lorsqu'elle entendit :

- A votre place, jeune fille, j'écouterais ce que j'ai à vous dire avant de sauter par cette fenêtre.

Lorsque ses muscles acceptèrent de lui obéir à nouveau, Marie B se retourna et vit l'homme qui l'avait sauvée la veille. Elle ouvrit tout de même la fenêtre et s'apprêtait à sauter. Mais elle regarda les yeux de son sauveur. Il l'avait aidée, tirée des griffes de son ravisseur. Elle se ravisa, sa curiosité ayant pris le dessus sur son instinct de survie. Elle n'était pas sûre de ce qu'elle faisait, mais s'avança vers l'homme...

Wladimir était assis face à la jeune fille et l'observait tandis qu'elle buvait un verre d'eau. Ses yeux bleus-gris lui rappelaient Satan, mais le détail de cercle vert les rendait magnifiques. Il n'eut pas longtemps à attendre avant qu'elle ne lui pose une avalanche de questions.

- Je m'appelle Wladimir Kergianov, du clan créaturien des Kergianov. Et toi, quel est ton nom, jeune fille ?

- On me surnomme Marie B, du clan des humains, ironisa-t-elle.

Cette touche d'humour fit sourire la créature, mais il avait la lourde tâche de lui révéler sa véritable origine.

- Vous êtes Le Wladimir Kergianov ?, l'interrompit la jeune fille avant qu'il n'ait eu le temps de parler. C'est dingue ! Je ne pensais pas discuter un jour avec une créature...

- Non, tu n'es pas aussi humaine que tu le penses, Marie B.

- Comment ça ? Bien sûr que si, je suis humaine. Que voudriez-vous que je sois ?

Il lui expliqua donc que son géniteur était une créature, du nom de Satan, qui l'avait créée afin d'avoir une nouvelle arme pour dominer les créatures ennemies et les humains, le fameux « Messager de la Vie et de la Mort » dont avait parlé Rama.

Marie B n'en croyait pas ses oreilles... Elle savait que son père humain n'était pas son géniteur, mais à priori, même sa mère ignorait que son géniteur était une créature, les créatures et les humains n'étant pas compatibles. En plus, pour les humains, il était impossible de faire la distinction entre les deux espèces. Et qui était cet homme qui l'avait torturée ? Elle ne voulait pas y croire. Elle ne le pouvait pas. Elle était sidérée... Wladimir lui expliqua qui était Rama et pourquoi il l'avait kidnappée. Même si elle pouvait comprendre la crainte de Rama, Marie B n'acceptait pas les tortures qu'elle avait endurées. Wladimir lui expliqua qu'elle n'en avait aucun stigmate car elle était en partie créature et elle se souvint que, durant sa vie, elle ne s'était jamais rien cassé ou fêlé et qu'elle cicatrisait toujours très vite. Elle avait lu, comme beaucoup d'humains, des articles sur les créatures, mais ne connaissait pas toutes les subtilités de cette espèce.

- Nous autres, créatures, sommes des cousins de l'homo sapiens sapiens. Mais nous avons beaucoup de différences : notre espérance de vie est d'environ quatre-cents ans. Nous vieillissons jusqu'à environ trente ans, puis notre métabolisme se bloque jusqu'à environ trois-cents ans, où nous recommençons à vieillir. Nous sommes également plus grands que les humains.

- Vous avez inspiré les histoires de vampires dans le passé, c'est ça ?, demanda Marie B.

- Oui, car nos hématies ne se refont pas assez vite naturellement, nous avons besoin de boire régulièrement du sang de porc, avec lesquels nous sommes proches génétiquement, car il est interdit de boire du sang humain. A une époque, nous nous limions les canines pour mordre et nous vivions surtout la nuit pour éviter le contact avec les Hommes. Depuis la première guerre mondiale, à laquelle nous avons participé auprès des alliés, nous sommes connus et en statuquo avec la plupart des gouvernements humains.

Ils discutèrent encore, Marie B se détendait peu à peu. Cette créature élégante, gentille, intelligente, qui lui avait sauvé la vie, lui plaisait et elle se sentait en sécurité avec elle. De son coté, Wladimir observait la jeune fille. Forte, intelligente, mignonne. Il était heureux et soulagé de l'avoir sauvée. Il lui expliqua le minimum qu'elle devrait connaître sur le monde créaturien et également sur ce qu'elle était réellement, le Messager de la Vie et de la Mort.

- Tu es maintenant démasquée et en danger, prévint Wladimir. Satan doit déjà avoir retrouvé ta trace et il n'hésitera pas à te plier à sa volonté. Tu dois apprendre à te battre et à penser comme une créature.

- Je devrais plutôt prévenir la police...

- Elle ne pourra pas te défendre contre lui. Je te propose de t'entrainer et de magnifier les pouvoirs que tu vas te découvrir. Je serai toujours là pour te protéger.

Comprenant qu'elle n'avait pas vraiment le choix, et poussée par sa curiosité et sa soif d'aventures, Marie B accepta la proposition.

Dans la voiture qui ramena la jeune fille à son camping, Wladimir proposa de parler aux parents de la jeune fille, persuadé, à juste titre, qu'ils accepteraient qu'elle ait un protecteur.

- Rencontre intéressante avec vos deux meilleurs amis créaturiens, commenta la psychologue.

- C'est vrai, acquiesça le Messager.

- La prochaine fois, il faudrait également me parler de votre vie humaine. Rendez-vous dans deux semaines, dix heures trente, proposa Hélène.

Le Messager accepta et rentra chez elle, où Wladimir l'attendait.