III. Messager / Partie 1

Le Messager se retrouvait, pour la troisième fois, dans la salle d'attente de la psychologue. La dernière fois, elles avaient discuté de la crémation d'Orlando et de son ressenti...

Hélène la salua et elles entrèrent dans la pièce, le Messager s'asseyant à la même place que les fois précédentes. La psychologue demanda :

- Alors, comment ça va ?

Le Messager regarda la femme. A part son nom et son prénom, elle ne savait rien d'elle, et cela devait être fait exprès pour faciliter leur relation. La psychologue était là pour écouter le Messager, l'aiguiller, faire le lien entre différents pans de son histoire et la rassurer d'un point de vue psychologique. Non, le Messager n'avait pas de trouble de la personnalité, non elle n'avait pas de dédoublement. Elle était juste un peu barrée. Petit à petit, le Messager tentait de se dévoiler et d'assouplir ses carapaces pour permettre à Hélène de la connaitre davantage.

- Ça va, répondit le Messager. Je suis toujours vivante !

Elle souriait, mais ses yeux et son cœur étaient à la mélancolie.

- Mes deux amis, Wladimir et Rama, se relaient à la maison pour me surveiller ! Il ne me reste qu'eux maintenant...

La psychologue rebondit sur cette amitié, ce qui renvoya le Messager soixante-huit ans auparavant, alors qu'elle n'était encore qu'humaine... 



Début septembre 2004. Son baccalauréat scientifique en poche depuis juin, Marie B devait partir en vacances avant la rentrée en faculté d'octobre. Elle mit sa tente et son réchaud à gaz dans sa voiture, que lui avaient offerte ses parents pour ses dix-huit ans le mois d'avant. Elle embrassa sa mère et son père, puis partit gaiement, musique de métal à fond, vers la côte picarde. Elle y allait seule, mais cela ne la dérangeait aucunement, elle aimait la solitude qui lui permettait de se recentrer sur elle-même et d'apprécier ce qui l'entourait. Elle aimait la nature, les animaux, les plantes, mais également, de manière surprenante, la robotique, le numérique et les arts martiaux !

Elle rêvassait quelque peu en conduisant, encore la tête dans l'ouvrage qu'elle écrivait en ce moment. Elle espérait d'ailleurs récupérer un peu d'inspiration en pleine nature. Elle était bien loin d'imaginer ce qu'allaient donner ses vacances en solitaire, pendant lesquelles elle avait prévenu ses parents qu'elle couperait son téléphone afin de se ressourcer... 


Rama était fier de lui. Après dix-huit années de recherches, il avait enfin retrouvé le Messager et ce, avant Satan. Même si la mère du Messager avait tout fait pour ne pas qu'on la retrouve, la description physique qu'il en avait lue en fouillant dans les archives de Satan l'avait perdue. Les gens ont beau changer de coupe, de couleur de cheveux, de style vestimentaire ou de région, ils restent eux-mêmes malgré tout. Et il avait fallu un pur hasard, des courses dans un marché de campagne, pour qu'il y croise la génitrice et son enfant. Une jeune fille qui allait fêter ses dix-huit ans, blonde cendrée et aux yeux bleus-gris comme son créateur, petite comme une humaine, et très enjouée. Pas vraiment le portrait qu'il s'en était fait. Non pas qu'il aurait attendu que ce soit un mâle car, pour les créatures, l'égalité entre mâles et femelles existait depuis très longtemps. Mais il s'attendait à ce que le Messager soit plus grand (comme les créatures) et plus « spécial ». Il avait suivi le duo pour voir où elles habitaient, après avoir entendu que la jeune fille partirait en vacances en septembre.

Il avait dû attendre presque deux mois les vacances pendant lesquelles la jeune fille serait seule et vulnérable. Mais là, il était satisfait d'observer arriver à son camping le Messager, qu'il suivait en voiture depuis quasiment son départ. Il avait décidé de la kidnapper lorsqu'elle serait isolée... et quelque chose lui disait qu'il n'allait pas attendre longtemps...


Wladimir regardait le cadre qu'il tenait dans ses mains. La photographie de son mariage avec Blanche en mille neuf-cents vingt-six. A cette époque, c'était une jeune fille de quinze ans, magnifique, avec de longs cheveux bruns ondulés, des yeux verts émeraude, une taille marquée, des seins ronds. Fille de mineurs, elle avait été scolarisée dans son village avant d'être placée comme bonne chez des bourgeois. C'est à cet endroit que Wladimir l'avait rencontrée pour la première fois. Elle n'avait que quatorze ans, mais ses grands yeux tristes avaient eu raison de la créature. Pendant presque une année, il était venu presque toutes les semaines dans cette maison bourgeoise, surtout pour revoir les yeux émeraude et pouvoir parler avec Blanche. Dix mois plus tard, il demanda aux parents de la jeune fille leur consentement pour le mariage. Ils acceptèrent. Le mariage entre humains et créatures étant interdit par les lois créaturiennes, Wladimir cacha leur union à tous, excepté à son frère d'armes et ami Rama. Installés tous deux dans son manoir de Picardie, Blanche et Wladimir vécurent dix années merveilleuses, dont le seul point noir avait été leur incapacité à avoir un enfant, leurs deux espèces n'étant pas compatibles génétiquement. Ce fut un jour de juillet 1936 que le malheur s'abattit sur eux. Blanche était partie dans le Nord visiter sa famille. Un incendie dévasta le petit coron dans lequel ils vivaient. Le feu avait été rapidement maîtrisé, mais il fit quatre victimes, dont les parents de Blanche, son petit frère, et Blanche elle-même.

Le souvenir de ce bonheur perdu rendait mélancolique Wladimir. Il savait que l'incendie qui avait coûté la vie à sa bien-aimée était d'origine criminelle, mais il n'avait jamais réussi à découvrir le coupable qui, il en était persuadé, faisait partie des créatures... A la suite du décès de Blanche, Wladimir s'était peu à peu éloigné de ses amis, dont Rama. Mais, malgré cette distance, il avait entendu parler du Messager et de la recherche de Rama et Satan pour le retrouver. Il savait que Rama voulait retrouver le Messager pour le supprimer, empêchant ainsi Satan de terminer son œuvre et de créer un animal hors norme, une machine de guerre inventée pour écraser les humains. Wladimir ne savait que faire : devait-il laisser Rama tuer un être innocent, Satan récupérer le Messager et le « dresser » contre les humains, ou devait-il revenir et retrouver sa place parmi les créatures en sauvant cet animal inconnu ?


Ho Sang regarda par la fenêtre de sa nouvelle chambre le jardin fleuri. Son petit-ami Shinji et son père, Jigoro, étaient occupés à bêcher, prévoyant les futures plantations. Ils étaient arrivés en France depuis trois mois, après avoir quitté New-York et son mauvais souvenir. Le père de Ho Sang s'était installé dans un village avec sa fille, son « fils » adoptif Shinji et Takeshi, son ancien maître. Tous les quatre habitaient dans une belle maison et vivaient du travail de Jigoro, qui donnait des cours d'arts martiaux à Amiens.

Quelqu'un frappa à la porte et la jeune fille descendit les escaliers de bois pour ouvrir à ses grands-parents, Yan et Kei-Ying. Elle était heureuse d'avoir leur présence à ses côtés et ils apprenaient tous trois à se connaître, les deux personnes âgées ayant appris seulement trois mois plus tôt que leur défunte fille avait mis au monde une enfant dix-huit ans plus tôt.

Ho Sang les fit entrer et ils traversèrent la salle à manger aux couleurs épurées pour se rendre dans le jardin à la rencontre de Shinji et Jigoro. Le jeune homme serra sa petite-amie dans ses bras. Il n'en revenait pas d'être autant amoureux d'une personne qu'il avait tant haïe sans la connaître. Mais tout semblait possible dans ce pays. Peut-être parviendraient-ils à effacer leurs stigmates.

- Horoku a besoin que je vienne au dojo, annonça Jigoro, en raccrochant son téléphone portable.

- Shinji et moi venons avec toi !, s'écria Ho Sang. J'ai hâte de voir les noms des inscrits au kung-fu ! Et puis, comme ça, nous pourrons voir Rachelle et Damien ! Elle rentre de Paris par le train de dix-huit heures quatre !

Devant l'insistance de sa fille, Jigoro céda et tous trois se rendirent sur Amiens. Il était rare que Ho Sang soit aussi enjouée, et il sentait qu'elle s'entendait vraiment bien avec la journaliste Rachelle, qui les avait beaucoup aidés à New-York. Il savait que ses « frères » adoptifs, Rê et Vulcain, installés à Paris depuis leur arrivée en France lui manquaient beaucoup. Mais la jeune fille ne montrait pas ce qu'elle considérait comme une faiblesse. Malgré les dix-huit ans de Ho Sang et les vingt ans de Shinji, les deux jeunes gens avaient été inscrits en terminale, afin de peaufiner leur français et de s'intégrer à ce pays et à cette mentalité inconnus pour eux.

La rentrée avait eu lieu une semaine auparavant, et la tendance agressive de Ho Sang combinée au dédain de Shinji faisaient qu'ils s'étaient déjà faits des ennemis. Mais le couple n'en avait que faire et attendait toujours avec impatience chaque soir et week-end de pouvoir retourner au dojo de Jigoro.

Une fois arrivée au dojo, Ho Sang courut consulter la liste des inscrits au cours de kung-fu du mercredi et vendredi soirs et commenta :

- Marie B... drôle de prénom...

- C'est certainement un surnom, comme toi avec Lóng, rétorqua son père.

- En tout cas, j'ai hâte de voir leur niveau !, s'exclama Shinji.

- Qui sait, murmura Jigoro pour lui-même, peut être Lóng et Shinji se feront-ils un ami...


Une semaine venait de se dérouler depuis la rentrée en terminale scientifique d'Orlando. Le jeune homme de dix-sept ans avait retrouvé dans sa classe ses potes de première et sa petite-amie, avec laquelle il vivait une relation quelque peu compliquée, mais à laquelle il était attaché, et dont il était très dépendant affectivement.

C'était un beau jeune homme, très grand pour son âge, avec des cheveux châtains-roux et aux yeux bleus. Très sensible et gentil, il était apprécié de beaucoup de monde et son bavardage naturel aidait aux rapprochements. Un peu nurd, il vivait dans un monde bien à lui, bien souvent sur les jeux vidéos dans lesquels il faisait des compétitions nationales. Habitué au monde des ordinateurs, il montait toujours avec joie et entrain les configurations qu'il proposait à ses camarades, ce qui lui valait d'être connu dans tout le lycée comme le « geek cool » et sociable. Il avait regardé avec curiosité et intérêt deux nouveaux-venus dans son lycée, un couple de Chinois avec un accent légèrement américain.

Sa vie se déroulait tranquillement, interne la semaine dans son lycée à Amiens et repartant le week-end dans sa famille, habitant le sud de l'Oise, à une heure de train. Il était heureux, malgré un couple compliqué et un manque de confiance en lui flagrant. 


Satan regardait les quelques bocaux de formol, avec dans chacun un embryon décédé avec terme. Il conservait tous ces fœtus qui étaient décédés bien avant terme dans le sous-sol de son château. Une salle qui ne laissait pas présager une telle « collection ». La créature l'avait aménagée avec soin. Le carrelage était d'un blanc immaculé, les murs d'un crème parfait et, même si les rayons du soleil n'atteignaient pas cette salle sans fenêtre, l'éclairage était doux et apaisant. Pour Satan, avoir des bocaux de formols ne signifiait pas être un être sans goût. Il caressa de sa main épaisse les récipients et soupira. Une centaine d'ovules fécondés pour rien, des centaines de femmes humaines, à une époque violées, puis charmées grâce à sa beauté créaturienne, pour rien... Jusqu'à ce que l'une d'elles tombe enfin enceinte, presque dix-neuf ans auparavant... Et qu'elle s'enfuie et disparaisse, après avoir réalisé qu'il n'était pas l'homme idéal qu'elle pensait... Il avait tout fait pour tenter de la retrouver, mais elle avait été plus maligne qu'il ne l'avait imaginé et il avait dû se rendre à l'évidence : elle ne lui avait pas donné son vrai nom. Il rageait chaque jour de savoir que la seule humaine à avoir été enfin enceinte avait été cette femme intelligente et de caractère qui lui avait échappé.

Mais, heureusement pour la créature, et malheureusement pour l'enfant de cette femme, Sa création, ses alliés avaient des oreilles fines qui traînaient dans toutes les strates de la société des créatures... Et d'aucuns avaient laissé à penser que Rama, un de ses pires ennemis, avait retrouvé la trace de son œuvre...


Marie B venait de finir d'installer sa tente, de gonfler son matelas, de déplier sa table et sa chaise. Elle jeta nonchalamment sa couverture et son oreiller dans la partie chambre et ressortit aussitôt. La fin d'après-midi offrait un ciel bleu, parsemé de quelques nuages blancs, laissant présager une soirée fraîche mais sans pluie. L'air iodé de la mer que rapportait le vent chatouillait ses narines et, après avoir envoyé un message à ses parents pour leur dire qu'elle était bien arrivée et leur souhaiter une bonne semaine, la jeune fille éteignit son portable, qu'elle rangea dans son sac à main, et partit se promener. La plage était à quelques centaines de mètres et, la marée étant basse, elle eut le plaisir de pouvoir ramasser quelques coques. Elle se félicita d'avoir mis des chaussettes car, n'ayant pas pris de sac, elles servirent de contenant aux coquillages.

En retournant au camping, elle salua un homme sur la plage. Très grand, musclé, la chemise ouverte offrant à sa vue des pectoraux bien tracés, aux cheveux blonds mi-longs et aux magnifiques yeux bleus. Très bel homme selon la jeune fille. Il la salua en retour, esquissant un sourire éclatant qui fit rougir Marie B.

Après avoir cuisiné ses coques avec des pâtes, elle s'installa à sa table et écrivit deux poèmes. Puis, fatiguée du trajet et de sa longue promenade, elle entra dans sa tente, se posa sur son matelas gonflable et s'endormit. 


Rama avait croisé le Messager qui remontait la plage. Il avait hésité à la kidnapper à ce moment-là, mais s'était ravisé en apercevant deux autres promeneurs. Il avait préféré répondre au « Bonsoir » de la jeune fille tout en lui faisant un sourire pour la mettre en confiance et attendre le moment propice. Il rentra donc à son hôtel où il prit un dîner à base de sole, de riz et de salicornes mis en boîte peu avant (la saison de la cueillette venait juste de se terminer pour les professionnels comme pour les amateurs ramassant pour le loisir). Tout en dégustant son plat, il s'amusa des regards des jeunes femmes qu'il sentait sur lui. Il était très beau et charmeur, et il le savait. Après avoir traîné quelques temps avec une jolie femme, il décida d'aller se reposer. Il en était sûr, il pourrait enlever le Messager le lendemain.

Rama se réveilla de bonne heure. Il se doucha, prêtant attention à bien nettoyer chaque partie de son corps parfait, se rasa, et s'habilla d'un jean bleu et d'un T-shirt gris près du corps, qui serait plus pratique pour l'enlèvement que sa chemise, avant de descendre payer sa note d'hôtel et prendre son petit-déjeuner. Il se délecta lentement de chaque bouchée de son croissant encore chaud et de chacune des mouillettes qu'il trempait dans son œuf à la coque. Toujours dragueur, il aborda une jeune femme avec son bagou naturel. Ensuite, il sortit et prit sa voiture, direction la plage. Une fois arrivé, il sortit, prit son petit récipient de chloroforme et un mouchoir épais, qu'il glissa dans la poche de son pantalon, puis se dirigea vers la plage et le camping où dormait le Messager. 


Marie B se leva et, après avoir attendu dans la file d'attente pour pouvoir prendre une douche, rangea ses affaires dans sa tente. Elle ferma à clef sa voiture et prépara un sac avec quelques affaires pour partir en promenade toute la journée. Elle avait consulté les marées et avait décidé de se promener dans un coin un peu isolé, à l'écart des foules et des serviettes de plage les unes sur les autres. Elle aimait ce calme, le bruit des vagues, l'écume blanche qui léchait le sable humide, les dunes jaunes, les coquillages blancs parsemés ci et là le long du chemin qu'elle se faisait. Le paysage était propice à l'inspiration qu'elle cherchait pour écrire ses poèmes.

Après avoir marché pendant une bonne heure, elle décida de s'arrêter pour manger et s'assit sur une dune avec son sandwich. En se retournant, elle aperçut le bel homme qu'elle avait salué la veille au soir. L'homme la salua et parla avec elle quelques minutes de la météo, de la marée, et lui indiqua un lieu magnifique qu'il connaissait. Elle qui d'habitude était plutôt méfiante, se trouvait rassurée par la voix grave et apaisante de l'inconnu. Il dégageait quelque chose d'amical et était doté d'un sourire franc et de deux yeux qui reflétaient, pour la jeune fille, la sincérité.

Après son repas, elle décida donc de voir l'endroit que lui avait conseillé l'inconnu croisé deux fois en deux jours. Elle sentit une main se coller sur son visage, une odeur étrange, se débattit, mais sombra rapidement dans un profond sommeil...




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