2. Sur une autre planète |Thaïs|

Je sens des picotements le long de ma colonne vertébrale. Je sens le carrelage froid même à travers mon tee-shirt. J'ai la tête qui tourne. Mon jean est encore trempée. Je sens l'odeur du bacon brûlé dans la cuisine, c'est insupportable. Je tente de me remémorer en vitesse ce qui s'est passé hier soir pour que je me retrouve ici, seul un nom me revient: Tauri. Ais-je rêvé ? Halluciné ? Mais j'exclue ses hypothèses quand je vois la marre d'eau à mes pieds, il s'est levé. Je regarde ma montre, il est déjà onze heure. Je suis certaine qu'Alice est la responsable en cuisine qui cuit sa tranche de viande rose. J'en ai un haut le cœur... Soudain, je l'entends crier du salon. Elle hurle tellement fort que ça réveille aussi Camryn, de nature marmotte. Quand je la rejoins en bas, je m'aperçois que tous les jeunes sont déjà rentrés, tous sauf un.

- Putain ! Il sort d'où celui-là ? lance Alice, l'assiette de bacon par terre.

Je regarde Tauri, beaucoup plus sec que moi, les mains en l'air.

- On est pas flic, baisse tes mains joli corps ! marmonne Camryn a moitié dans les vapes.

- Je ne comprends pas ce que vous dites, déclare Tauri en gardant ses mains en l'air.

Pourtant il me comprenait hier ? Est-ce qu'on avait parlé ?

- Elle te dit que tu peux baisser les bras, dis-je pas certaine qu'il me comprenne.

A ce moment, les trois personnes se retournent vers moi et me dévisage. Les filles ont l'air stupéfaite, et Tauri s'est rapproché de moi.

- Tu parles notre langue ? lance Tauri, les yeux brillants.

- Heu... oui, je crois, enfin... C'est quoi ta langue ?

- Le Sierratha !

Il a l'air enjoué, comme s'il venait de se faire sa première amie. Alice enjambe le pas pour éviter l'assiette de bacon au sol et me tire le bras. Camryn est carrément réveillé et ne quitte pas Tauri des yeux, ou plutôt son torse des yeux.

- Thaïs, tu viens de parler comme lui ! s'écrie Alice.

- Qu'est ce que tu racontes ?

- Merde alors ! Elle s'en rend même pas compte ! s'étonne t-elle.

- Peut-être qu'ils se sont inventés une langue hier tous les deux, en étant ivre, suggère Camryn.

Elle noue ses cheveux frisés dans un chignon malpropre et et pose ses mains sur ses hanches, les yeux brillants d'excitation.

- T'es allée jusqu'où avec ce missile ? sourit-elle. Me dit pas que tu l'as fait, j'aurais aimé être la pre...

- Cam! Il y a rien eu de tout ça ! Et on ne s'est pas inventé une nouvelle langue à deux...

- Bah quoi ? Vous l'avez utilisé ?

Je me tais et je me retourne vers Tauri. Il ne nous comprends pas visiblement, vu sa tête. Je file dans la chambre de mon père et lui lance un tee-shirt propre. Je fixe son pantalon et je retourne finalement au placard pour aller lui chercher un jean et une ceinture. Sa quasi nudité me perturbe, et il a pas l'air de se gêner ! Je le vois sourire et commencer à retirer son pantalon sale.

- Attends ! je m'écrie. Tu peux utiliser la chambre de mon père pour te changer !

- C'est une proposition ou ...

- Un ordre, je le coupe. Pas ici.

Il opine de la tête et entre dans la chambre. Mes amies me foudroient du regard.

- Tu nous a gâché ce plaisir ! Pourquoi tu protèges nos yeux de ce... magnifique spécimen ?!

- Je le protège de vous deux, je lance sans un regard en ouvrant le frigo pour me verser du jus d'orange.

Alice se jette sur mon portable me se met à me filmer.

- Qu'est ce que tu fais ?

- Soit tu fais semblant avec nous, soit tu ne t'en rends vraiment pas compte et ce mec a certainement dû te filer un truc plutôt cool, alors je veux te montrer.

Je lève les yeux au ciel et ignore l'objectif de mon portable.

- Plutôt cool ton iPhone, c'est le dernier ? lance Camryn.

- Non, l'avant dernier.

- Ben voyons, ce que ça change !

Tauri ressort de la chambre de mon père et au moment où Alice tourne mon portable vers elle, il se baisse violemment au sol.

- Heu... désolé... Il doit être protégé par le droit à l'image, s'étonne Alice en abaissant mon portable.

- Qu'est ce que c'est ? demande t-il, réellement inquiet.

- Un portable, je répond pas certaine de voir s'il s'agit d'un canular de la part des filles.

- C'est quoi ? interroge t-il.

- Eh bien... C'est pour appeler une personne à distance, je crois.

Alice est toujours en train de nous filmer. Je n'arrive pas à croire qu'elle filme cette scène. Et comme une évidence, je comprends.

- Je passe sur Video gag c'est ça ? je m'écrie. Vous m'avez pas eu les filles, je vous ai démasqué avant que vous me le sortez ! Très bon acteur au passage, dis-je à Tauri.

Les trois se regardent comme s'ils ne comprenaient pas ma réaction. Que du bluff. Pendant un instant, j'ai l'air de m'être faite passé pour la gourde.

- Tu veux... voir la vidéo ? me propose Alice sérieusement.

Je lui arrache mon iPhone des mains et lance la lecture. Tout paraît normal jusqu'à ce Tauri fasse irruption dans la pièce et se baisse au sol. J'entends la voix d'Alice dire "Il doit être protégé par le droit à l'image", mais ensuite c'est lui que j'entends. C'est sa voix, mais il ne parle pas comme nous. Je suis figée quand j'entends ma propre voix lui répondre : Esi lono. On voit à nouveau Tauri demander "c'est quoi" en mode langage-à-lui et puis je lui réponds à nouveau "Melin... Tezerth kil lomo rel deressa, ail bali".

- Whaou... je chuchote.

- Tu t'en rends compte ? me demande Camryn.

Je suis scotchée et je tire ma révérence.

- Bravo Alice, tu t'es amélioré en informatique, tu maîtrises parfaitement ton logiciel de ...

- Thaïs, on te promet que... on n'y est pour rien, dit-elle en lançant un regard méfiant vers Tauri.

Je ne peux pas le croire, c'est complètement bidon.

- Ecoutez, je n'ai rien fait avec lui. Il est arrivé, ivre et soul hier soir. Je l'ai juste mis sous la douche pour le réveiller et ce matin en me levant, c'est Alice qui l'a retrouvé avant moi !

- Ouais okay, on veut bien te croire, mais...

- C'est pas que vous voulez ou pas me croire, c'est que vous devez !

- Mais comment tu nous expliques que tu le comprennes et pas nous ? s'énerve Alice.

Je n'en savais rien. Pourquoi moi et pas elle ? J'ai envie de sortir une bétise comme quoi elles auraient dû être là hier soir pour m'aider à le traîner jusqu'à la douche, peut-être que l'effet d'illumination de langage aurait pu se répandre sur elles aussi, mais c'est n'importe quoi. A ce moment là, Tauri s'approche de moi et cherche à capter mon regard.

- Je vais m'en aller... Thaïs ? C'est ça ?

- Ouais.

- Je m'en vais, mais je vais revenir. Avec d'autres de mon espèce, pour comprendre ce qui se passe.

- Ok, ça devient carrément barge là, lance Camryn.

Mes deux amies ont l'air carrément stupéfaite. Elles n'y sont pour rien. J'essaie d'imaginer toutes les possibilités. Peut-être que papa a organisé toute cette mise en scène pour moi ? Non, ce n'est pas son genre de s'amuser avec moi de cette façon, de s'amuser tout court. Je ne comprends pas ce que Tauri me raconte... Pourquoi il me parle d'espèce? Il ressemble pas à un chien, c'est un homme. A moins qu'il soit dérangé... ? Putain, mince, ce gars sort d'un asile, il devait se prendre pour... un loup !

- Restons sous le même ciel, Thaïs. Je pense te retrouver d'ici là, ton aide nous serait bien utile, me sourit-il.

Un garçon avec un si beau sourire ne devrait pas revenir d'un asile. Mais s'il le faut, il doit retourner là-bas, ou ça pourrait dégénérer chez moi. Alors je lui ouvre la porte de ma maison, et lui affiche mon plus beau sourire. J'attends d'être sûre qu'il soit de l'autre côté avant de refermer à double tour.

- Tu as failli lui écraser la porte au nez ! s'indigne Alice.

Je vérifie par l'orifice de la porte pour m'assurer qu'il soit parti. Mon histoire de prince charmant au cœur débordant d'amour vient de tomber à l'eau.

- Il revient d'un hospice les filles, il aurait pu nous attaquer.

- Quoi ? Qu'est ce que tu racontes ?

- Notre copine croit qu'on vient d'affronter un fou, explique Alice.

- Ah...

- Je suis sérieuse! On ne sait jamais, on ne le connaît pas. Il a débarqué mystérieusement hier soir, plein de boue sur son pantalon, et je ne l'avais même pas remarqué hier soir et pourtant il était bourré et dépressif.

- Dépressif ?

- Ouais, il pleurait.

Une forte image de lui sous le jet d'eau se fige dans mon esprit. Je le revois, mort de chagrin, quasiment sous le coup d'une... impuissance. Mais ce matin, il avait l'air robuste, plus fort. Sa douleur paraissait tellement réelle pour qu'il s'agisse d'un homme fou et bipolaire. Depuis quand je me mets à raconter n'importe quoi moi ? Quelqu'un vient toquer à la porte, et j'entends sa voix m'appeler. Je fonce vers la porte et tandis que je m'apprête à la barricader avec un meuble du hall, il s'écrie:

-Thaïs, elle va mourir !

Alice et Camryn qui, si j'ai bien compris, ne le comprenne pas, m'interdise du regard de lui ouvrir. Mais j'entends quelqu'un convulser derrière la porte. Je ne peux pas regarder par l'orifice, il est au sol, avec quelqu'un dans ses bras. Alors j'ouvre. C'est une fille, je ne la reconnais pas tout de suite, mais je la revois ressortir de la chambre de mon père aux côtés de Tom. Elle est inconsciente et son genou est violemment disloqué. Tauri l'a posé au sol et lui ouvre le col de sa chemise, ou plutôt il la déchire.

- Whou! Il a pas l'air commode au lit ! commente Camryn.

- Putain Cam, c'est pas le moment, va me chercher la trousse sous le lévier!

Je compose le numéro des secours mais mon portable s'éteins. Plus de batterie. C'est une blague.

- Alice! Ton téléphone !

- Heu... Je vais le chercher!

Mais je vois à son regard qu'elle ne sait pas où elle l'a mis et commence à chercher partout dans le salon. Je ne sais pas quoi faire, je suis totalement en panique.

- Ramène moi le fixe de la maison!

Mais tout est sens-dessus dessous, même le fixe n'est pas à sa place. Je me mets à improviser un massage cardiaque, mais je ne sais pas quoi faire exactement. Je sens soudainement une main se poser sur ma joue. Sa main me tourne vers son visage.

- Regarde moiThaïs, souffle Tauri. Ça ira, okay ?

Ses yeux m'apaisent, je sens comme une aura de calme et de sérénité se poser sur mes épaules. La sensation est incroyable.

- Putain, si seulement Aquila était là! crache t-il.

Et je ne m'attends pas à ce qu'il se met à faire. Il l'embrasse, mais vraiment. Sous mes yeux ébahis, je vois un liquide ocre ou jaune glisser parcourir sa gorge pour se déverser dans le corps de la fille inconsciente. Elle reprend subitement de la couleur et respire mieux. Quand il se détache, je n'arrive toujours pas à croire s'il s'agit d'un canular ou pas. Camryn arrive à ce moment là, et ouvre la trousse devant moi. Je vois la voîte sous mes yeux, c'est la première fois que je vais l'utiliser, bordel. J'y connais rien, tout ce que je sais c'est que son sang coule à flot de son genou.

- Je vais te prendre ta ceinture, je dis à Tauri.

Sans attendre sa réponse, je lui retire la ceinture en cuir de mon père et serre la jambe au dessus de son genou en formant un garrot solide. Tauri a ouvert la boîte de secours pour prendre un bandage blanc et le nouer autour de l'articulation.

- Il faut replacer son os, me lance Tauri. Elle perd trop de sang, ça ne tiendra pas, elle en a déjà perdu trop, ça doit faire au mois deux quarts solaire qu'elle est inconsciente.

- Quoi ?

De quoi il me parle ? Il me regarde pour me demander mon accord.

- Non non, de une je ne sais pas ce que c'est que deux quart solaire, et ensuite on ne va pas l'opérer sur le palier de ma porte !

- Je te guiderai ! Mais il faut faire vite, elle perd trop de sang ! Si c'est une des tiens, tu dois la sauver, dit-il avec défi.

Je ne sais pas ce que ce mec raconte, il parle comme si nous étions issus de peuples différents, mais il m'a convaincue. Je ne laisserais pas cette blonde qui a couché sur le lit de mon père ivre morte et disloqué sur mon palier. Hors de question.

- Putain, mon père va être dans tout ses états!

- Ok, je vais devoir lui tenir sa jambe et je vais l'anesthésier avec mon marsolia, pendant ce temps tu lui tiens la cuisse, je te demande juste de l'immobiliser, parce que ça va ...

- Lui faire un mal de chien ! Vas-y, je la tiens, qu'on en finisse !

Il acquise et je serre du mieux que je peux la cuisse. Il pose sa main sur son genou et je vois son dos briller derrière lui. J'y crois pas. D'un geste sec il lui retourne le genou, la fille me surprend quand je l'entends hurler et se redresser. Tauri me rappelle à l'ordre et m'oblige de la maintenir ferme. Il réalise un dernier retournement et retire sa main du genou.

- C'est bon, murmure t-il essoufflé.

Je relâche sa cuisse, les mains tremblantes.

- Désolée je sais que c'est trop te demander, mais tu pourrais lui faire un bandage, faut pas laisser son sang couler comme ça.

Camryn est sous le choc et Alice vient juste d'arriver, certainement depuis les hurlements de la blonde.

- Ce n'est pas trop me demander, je réponds.

- Laisse je vais faire, lance Alice. Il va falloir que je le fasse.

Alice était en première année d'étude dans une des écoles de médecine à Boston. Elle était revenue en Floride pour passer l'été avec moi et Camryn. Elle était la plus apte à réaliser un bandage.

- C'est moi qui soigne, toi t'es la mécano, sourit-elle faiblement.

- C'est quoi ? demande Tauri.

- Je répare des machines.

Je me mets à rire doucement, de soulagement et pour évacuer tout le stress de cette dernière heure. J'aide Tauri à se relever et le remercie. Je lui ai fait confiance aveuglément pour secourir cette fille alors que je l'avais traité de cinglé à peine deux minutes avant. En observant Alice réaliser le bandage, il ajoute d'une voix calme et sereine:

- Il n'y a pas tellement de différence entre un mécano et un soigneur,
Thaïs.

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