8. La Trace |NESSA|
L'ardeur ... Tauri avait dit la même chose que mon père. Ça m'avait perturbé.
Je lui avait parlé du Vanesco sans remords. C'était bien la première fois. Même entre Frappeurs, nous n'aimons pas en parler. Mais Tauri n'avait pas l'air de me voir comme une menace, il se préoccupait du Vanesco autant que je me souciais de cet histoire d'enlèvements d'enfants Sylphes.
Aquila était près de nous, nous attendions toujours qu'il se lève. Lorsque je l'ai vu à deux doigts de tomber, j'ai quasiment craqué. Je ne supportais pas de perdre à nouveau quelqu'un sous mes yeux, cette malédiction m'empêchait de protéger la vie des gens.
Et parfois même ça les tuait, sifflotait une voix dans mon oreille.
- Je ne sais pas comment vous vivez ce sortilège maudit, avait dit Tauri. Mais je comprends ton frère, j'aurai été déterminé à tout faire pour arrêter ça, même si il fallait courir après une légende.
C'était ça le problème, la pierre lunaire était-elle réellement une légende ? Où pouvait-elle bien être aujourd'hui?
- Oui, mais malheureusement, il n'y a que les Griffins qui sachent où la pierre pourrait se trouver.
- Et étant donné leur sympathie à votre égard, je doute fortement qu'ils acceptent de te le dire... déclara t-il d'un rire niais.
- Si seulement ils ne détestaient pas autant les Frappeurs... La malédiction n'aurait jamais été prononcé.
- À quand cela remonte t-il? demanda Tauri.
C'était une longue histoire, sombre et sinistre. C'était même devenu un mythe, une fable effrayante que les Anciens nous contaient en Hahime, pour éviter les oreilles indiscrètes.
- Ça remonte à moins de vingt lunes, commençais-je. Ça ne fait pas si longtemps quand on y repense, et pourtant, une seule vie avec le Vanesco dans la peau paraît si longue.
Tauri me regardait, ses yeux bleus scrutait l'horizon, mais je savais qu'il m'écoutait sérieusement.
- Quand la Frontière verte n'existait pas encore, quand les Buffel-Tahal ne s'en prenaient pas encore aux hommes, les Frappeurs vivaient en harmonie dans les montagnes. Mon peuple était heureux, nous étions les plus fascinés par la nature et la beauté de la création, continuais-je en imitant les Anciens. Mais un jour, il y a eu cette jeune Frappeur. Assoiffée de pouvoir, elle n'a pas hésité à user de son charme pour séduire le Prince des Griffins, Amon Callking ; mais pour seul but qu'il lui révèle l'endroit où ils cachaient le Livre Cosmique.
Les Frappeurs étaient appréciés pour leur physique, grand et en général doté d'un charme sauvage attractif.
- Ce livre... Les Sylphes en parle souvent. Ils sont persuadés que tous les secrets du cosmos sont énoncés, ajouta Tauri.
- Oui, répondis-je. Y compris la façon de créer vos propres démons.
Cette fois, Tauri se retourna vers moi.
- Amon est tombé fou amoureux d'elle, alors elle n'a pas hésité à l'utiliser comme une marionnette. Il faut croire que sa beauté aveuglait n'importe qui. Mais heureusement pour l'univers, la famille Royale s'était opposée à un appariement entre un Griffin et une jeune Frappeur, au lieu de cela, le Prince a été forcé de s'unir à Rosalie, gardienne des portes de la Sietha. Quand à la jeune Frappeur, on devina aisément ses mauvaises intentions, et elle fut envoyé à jamais dans le Vanesco. Pour punir notre peuple, considéré comme des traîtres, les Griffins nous maudirent tous et proclamèrent que dès la première lune d'un nouveau nés Frappeur, quiconque le touchera sera envoyé dans le Vanesco.
- Sournois, commenta Tauri.
- Mais visiblement efficace, nous avons perdu contact avec les autres peuples, et une grande Frontière remplie de brume verte s'étend dorénavant autour de nos montagnes, nous persuadant de nous isoler. Les Anciens sont tout de même parvenus à négocier une passerelle pour nous laisser la possibilité de découvrir Catamia.
J'avais eu le souffle coupé un instant. Tauri parut perplexe.
- Le livre Cosmique n'a jamais été retrouvé, tu le savais ? me dit-il.
- Quoi?
Ce n'était pas possible, si le livre était entre les mains d'une personne au cœur épris de pouvoir, Catamia pourrait être vouée à une véritable menace.
- Qui l'aurait volé ?
- Personne ne le sait, mais si cette jeune Frappeur avait réussi à trouver le livre Cosmique avant d'être envoyé dans le Vanesco. Il se peut qu'elle l'ai toujours sur elle, de là où elle se trouve, avait-il dit d'un air glaçant. Quelle est son nom?
- Teryel, ais-je répondu.
- Ce n'est pas commun, en sierratha ça signifie sombre songe, m'expliqua t-il.
- Oui, mais dans tous les cas, les Griffins ont eu la cruauté de condamner tout notre peuple pour un mal individuel, ais-je rétorqué. Je ne peux pas les supporter, je dois tenir ça de ma mère.
C'était sans doute la première fois que je pensais à ma mère depuis mon bannissement. J'espérais qu'elle ait fui avec mon père...
- Ce serait injuste de tous leur en vouloir, a t-il murmuré.
Il n'avait pas tord, je m'étais indignée qu'ils aient puni tout le peuple, et moi je les détestais tous; c'était sans doute illégitime de ma part.
Aquila avait ouvert ses yeux, je m'étais penchée au dessus de lui. Il était incapable d'utiliser sa trace sur lui même.
La mienne était située derrière mon oreille droite, j'avais demandé à Chita de me graver un Roselier dont les branches remontaient jusqu'à mes tempes. Une petite feuille pointait en direction de mon œil. La trace des Frappeurs nous permettait de faire ressortir une personne du Vanesco, mais il fallait savoir comment dompter nos propres cauchemars, donc très peu l'utilisait.
- Je vous écoute depuis longtemps, nous dit Aquila. Je n'avais jamais réellement entendu parler des origines du Vanesco, Nessa. C'est vraiment sournois.
Aquila avait tenté de se relever, et il sentit sa blessure sur le front.
- Tu ne sais pas comment tu t'es fait ça ? demanda Tauri.
- Non, je me suis réveillé tôt, et dès que je me suis levé, j'ai reçu quelque chose sur la tête, répondit-il outrée.
- Donc on est pas en sécurité, annonçais-je. Il va falloir repartir au plus vite. Tu crois que tu peux marcher ?
- Ça picote juste, dit-il. Mais ça devrait aller, c'est dommage que vous ne soyez pas Sylphes, tous les deux!
Tiens... mais Tauri n'est-il pas un Sylphe ?
Les deux garçons m'observèrent comme si ils avaient été pris la main dans le sac en train de voler des baies. Ils m'avaient caché quelque chose. Je m'étais relevée en les regardant avec méfiance. C'est vrai, comment ais-je pu ne pas me rendre compte que Tauri aurait pu utiliser sa trace pour guérir Aquila ? Mon instinct de Frappeur a refait surface.
- Écoute Nessa, c'est pas ce que tu crois, déclara Tauri.
- Je ne crois en rien ces derniers jours, mais peut être, ais-je mis foi en de mauvaises personnes ? crachais-je littéralement.
J'avais sauté sur un autre Cagas, comptant bien m'éloigner le plus loin possible de ces deux garçons. Je n'ai pas été assez prudente, comment ais-je pu m'aventurer avec eux ? Je ne les connaissais même pas ! Quelle idiote je fais !
- Nessa attends ! hurla Tauri.
Je m'étais arrêtée à quelques dizaine de semès.
- Est ce que vous me prenez pour une idiote ?!
- Pas du tout, pesta t-il. J'allais te le dire, mais j'attendais d'être arrivé à la passerelle !
- Pourquoi? rétorquais-je.
Sans prendre garde, je reçus un violent coup contre mon bras. Un caillou. Pendant deux secondes la douleur m'avait endolori mon épaule déjà blessé. Nous avions tous les trois dirigés notre regard vers la gauche...
Je n'avais jamais vu d'animaux aussi gros. Ils se déplaçaient de branches en branches à l'aide de leurs bras qui mesuraient la longueur de leurs corps; ils étaient dégarnis de poils juste au dessus du crâne. Leur mâchoire imposante tirée vers l'avant faisait apparaître des dents acérées redoutables. Mais ce qui m'avait frappée, c'était le sourire démoniaque sur leur gueule qui transmettait leur plaisir intense de faire de nous leur proie.
- On est dans la merde, souffla Aquila.
Tauri avait sorti un grappin du sac d'Aquila et il lança l'accroche métallique contre le tronc de mon arbre. Sans réfléchir, les deux garçons glissèrent le long de la corde reliée au crochet, pour me rejoindre sur mon Cagas.
- On reparlera de Tauri plus tard tu veux ? proposa prestement Aquila. Pour l'heure, ces Motlous ne vont pas nous lâcher jusqu'à faire de nous leur réserve pour la journée ! Matin, midi et soir ! a t-il ajouté en nous pointant tous les trois du doigt, un sourire inquiet en coin.
J'avais hoché la tête avant de sauter à terre. Les garçons me suivirent derrière en courant, ils m'avaient rattrapés très vite. Les monstres des arbres nous poursuivaient toujours, j'ai eu la chair de poule lorsque l'un d'eux s'est mis à rugir sauvagement, son hurlement avait été suivi d'un long silence dans la forêt jusqu'à que ces cent autres compagnons redoublèrent leur vitesse.
- On est mal les gars ! nous avertit Aquila. Motlous droit devant !
J'avais immédiatement dévié ma trajectoire à droite. Est ce que le Motlou braillard venait d'inviter d'autres convives pour le repas ? La merde..
Nous courrions à perte d'haleine, nous avions ralenti tous les trois et ces bêtes commençaient à nous rattraper. Je ne pouvais pas abandonner, observe Nessa. Pourquoi le Vanesco ne pouvait-il pas marcher avec les animaux ? J'aurais pu en envoyer la moitié ! Tauri s'était arrêté pour leur faire face. Il ne comptait tout de même pas se battre contre plus de deux cents singes affamés ?
- Tauri ! cria Aquila. C'est pas le moment de vouloir nous impressionner par un sacrifice !
A quoi il jouait ?! Nessa, réfléchis tu peux faire quelque chose...
- Venez près de moi ! nous ordonna t-il.
J'avais couru jusqu'à lui, Aquila me suivant de près derrière. Dès que nous fûmes assez proches tous les trois, il se concentra durant quelques secondes avant qu'un faisceau de lumière jaillisse derrière son dos, les mèches lumineuses avaient brûler son haut. Un bouclier de flammes bleus nous recouvrait désormais tous les trois, tandis qu'un Motlou sauta dans les flammes pour se faire consumer rageusement par les langues de feu. Je ne savais pas ce qui m'avait le plus chamboulé, la découverte d'une nouvelle espèce dans la forêt, ou l'incroyable pouvoir de protection de Tauri. Il était dos à moi, je voyais parfaitement sa trace peinte sur toute la longueur; le profil d'un loup dont l'intérieur de la pupille formait un globe de notre planète, Catamia.
- Je pensais que ta trace était inefficace ? s'étonna Aquila.
Son meilleur ami n'était même pas au courant.
- Heu ouais, enfaite, je ne peux faire que ça. Me protéger, répondit-il. Et vous aussi.
Il était maintenant face à moi, j'avais envie de savoir qui était ce Tauri. Mes yeux s'étaient un peu trop attardés sur son torse, je n'avais pas fait attention à ce qu'il me disait.
- Il va falloir qu'on sorte de ce bouclier, Nessa, déclara Aquila.
Oui, mais je ne pouvais rien faire. Autour de nous, les Motlous attendaient sagement qu'on sorte de notre bouclier.
- Ils sont pas bêtes, ça aurait été plus facile, si ils sautaient tous eux même dans les flammes, dit Tauri.
Les garçons avaient fait ce qu'ils falaient faire. Combien de fois allais-je leur être redevable ?
- C'est ma faute, je n'aurais pas du vous embarquer dans cette mission, annonça t-il.
- Dis pas n'importe quoi, lui dis-je. C'est moi qui suis en partie responsable, et là, je ne peux rien faire pour nous sortir de là !
- Peu importe sur qui on crache la responsabilité, c'est pas le soucis. Pour l'heure, j'aurais aimé vivre n'importe quoi plutôt que de me savoir encerclé par des Motlous, c'est les pires horreurs sur Catamia, affirma Aquila.
Non la pire horreur, ce serait de finir dans le Vanesco. Comme si il avait lu dans mes pensées, Tauri déclara subitement:
- Tu crois que tu pourrais nous refaire sortir du Vanesco Nessa ?
Les deux garçons me regardaient. Non, je ne pouvais pas prendre cette responsabilité. Je n'étais jamais allée dans le Vanesco, mon père m'avait narrer plusieurs fois de quelle façon il fallait procéder pour en sortir, mais je ne l'avais jamais fait !
- Je ne l'ai jamais fait !
- Il y a un début à tout ! annonça t-il.
Il s'était approché de moi prêt à me toucher la main. J'avais reculer hors du cercle protecteur, les flammes ne me brûlaient pas, mais un Motlou s'était dangereusement approché de moi, me forçant à rentrer dans mon abri.
- Je vous interdis de me toucher, lançais-je.
- Sinon quoi jeune Frappeur ? Tu vas nous attaquer ?
- Si je n'arrive pas à vous retrouver dans le Vanesco, marmonnais-je, je ne le supporterai jamais.
Je les regardais tous les deux, peu importe qui ils étaient alliés ou ennemis, ils n'ont jamais voulu faire de moi leur victime. Et il était hors de question qu'ils soient les miens.
Tauri se rapprocha de moi, je ne pouvais pas détourner mon regard. Ses yeux bleus me parurent soudainement familiers.
- Nessa, regarde autour de toi. On est coincé ici. Quitte à partir dans le Vanesco et essayer d'en ressortir, ça paraît plus jouable que d'attendre à trois et mourir ici, dit-il d'un air rassurant. Tu en es capable.
Aquila me souriait d'un air quelque peu inquiet, mais il savait aussi que Tauri avait raison.
- Je ne l'ai jamais fait... protestais-je doucement. Et si je ne vous retrouvais pas ?
- Tu réussiras, souffla t-il. Parce que tu le voudras ardemment Nessa.
Encore une fois, Tauri avait vu juste. Il avait ressorti les mêmes mots que mon père pour me dire de quelle façon l'impossible pouvait être possible. Aquila s'était approché et m'avait saisi la main, sans mes gants. J'avais murmuré son prénom avant qu'une enveloppe noire se forme autour de lui et ne l'absorbe dans l'univers redoutable du Vanesco. Je me suis retournée vers Tauri qui me regardait d'un air rassurant.
- Dès que je serais absorbé, mon bouclier disparaîtra. Fais vite, ne reste pas seule ici plus de deux secondes, m'informa t-il.
Je n'en revenais pas. Il y a moins de dix quart-solaires, je les avais regardé comme des menteurs, des traîtres. Et maintenant, ils me faisaient tous les deux confiances au point de croire que je pourrais les faire sortir du Vanesco. Mon coeur battait à mille allure...
Tu ne peux pas ne pas essayer Nessa.
- Je te promets que ça ira, me dit-il avant de me toucher ma trace derrière l'oreille.
Si les mèches bleus ne m'avaient rien fait, ce simple contact m'avait électrisé. Puis soudainement, la même vague noire s'abattit sur Tauri et il rejoignit aussitôt Aquila. Je n'avais pas le temps de réfléchir, le bouclier avait disparu et déjà les Motlous se ruèrent sur moi. J'eus le temps de déposer ma main sur ma trace, pour appeler à nouveau les ténèbres à moi. Je sentis le Roselier chauffer sur ma peau, dévoilant une centaine de rayons lumineux s'éteindre sur mon corps.
Je fus alors aspirer par ma propre lumière, couleur ambre.
Elle me transporta dans le Vanesco.
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Quart-solaire: correspond à quinze minute. Les Catams découpaient le soleil en partie, comme si il s'agissait d'une grande horloge. Le quart-solaire équivaut à 15 minutes.
Et ainsi de suite avec demi-soleil.
Ils parlent également de secondes, comme les terriens.
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