6. Une fois toi sur deux moi |NESSA|
Deux hommes étaient entrés dans la tente. Le premier ressemblait à Sylli, mais il était plus jeune, un regard et un corps plus frêle que le grand chef. Le second ne ressemblait pas à l'un des leurs. Il portait leur vêtement, mais il n'avait pas cet air insulaire reconnaissable chez tous les Sylphes. Sa grandeur m'a d'abord frappé, presque aussi grand que Sylli, et puis je m'étais attardée sur ses yeux d'un bleu indécis. Il avait l'air de venir de très loin, et pourtant il était là, parmi le peuple Sylphe. C'était la première fois que je venais dans leur ville, où plutôt que je me trouvais. Mais ce n'était pas rare d'en croiser dans la forêt près des chutes notamment.
Sylli s'était levé et nous avait laissé tous les trois en disant qu'il rejoignait une hutte remplie d'hommes.
- Aquila, fils de Loi et Tehera Richet, se présenta le premier garçon. Mais clairement on s'en fou, je le fais par politesse.
- Nessa, fille de Corduan et Anna Shenes, et je suis honorée de mon sang.
J'attendais que le mystérieux regard-bleu-indécis se présente à son tour, mais inconsciemment je l'avais deviné.
- Tauri, tout court, avait-il prononcé.
Pas de parents ? Je ravalais ma curiosité en évitant de paraître désolée.
- Enchantée, Tauri Tout-court, lançais-je. Sylli m'a dit que tu m'avais trouvé dans les bois...
- Oui, tu étais seule au bord du désespoir...
Il y avait une pointe de mélancolie et en même temps de l'apaisement dans sa voix, j'attendais qu'il finisse.
- J'ai attendu que tu te calmes pour te faire venir ici et te soigner.
- Est ce qu'il y avait un loup avec moi?
- Oui il y en avait un, c'est lui qui t'a transporté jusqu'au village, tu te doute bien qu'on ne pouvait pas prendre le risque de te toucher Nessa, déclara Aquila.
C'est vrai, le Vanesco les effrayait tous. J'allai demandais où ce loup se trouvait lorsque Aquila me tendit un plateau de fruit. Des baies de Roseliers. Depuis combien de temps je n'en avais pas mangé ?
- Prends des forces jeune Frappeur. J'ai pu guérir tes blessures avec ma trace. Mais ton ventre n'a pas bénéficié des bienfaits de notre don.
J'avais souri en entendant mon estomac gargouiller. Les garçons avaient feint d'ignorer, et c'était encore plus gênant. Je saisis le plateau de fruit, et me promis de recouvrir mes forces au plus vite pour retrouver mon père.
Il était en danger, si Ora avait réussi à le faire distancer de Ricey et des Anciens, il n'était plus en sécurité. Je repensais aux événements, il avait crié après Ricey qu'il savait "pourquoi la nature se méfiait de moi". Api avait basculé dans le camp ennemi à l'instant où il a ignoré les plaintes de mon père.
J'ai pris une baie dans ma bouche, des souvenirs intenses me sont parvenus. J'étais aux chutes d'eau, j'entendais Abraham chantonner une mélodie que seul lui et moi connaissions. Il connaissait les paroles de toute la mélodie, et je ne connaissais que la première partie.
Cours au loin,
À quoi bon s'arrêter,
Si jamais le noir t'emporte
Quand l'amour t'a enlevé
Il te possédera,
Tu pourras te relever,
Il te dominera,
Et aider les tiens,
Tu fuiras
Sans craindre le contact
Et je ne serai plus avec toi.
Et tout renaîtra de ses cendres.
Nous ne savions pas d'où cette mélodie provenait, ni comment nous l'avions apprise. On la connaissait, depuis toujours. C'était tout. Je ne me souvenais plus du titre.
- Nessa ?
Tauri me scrutait du pas de la porte. Aquila était parti chercher de l'huile de Cagas à appliquer sur mes cicatrices.
- Tu te sens mieux ? me demanda t-il.
Je ne l'avais pas remercié.
- Ça va, je te suis reconnaissante de m'avoir sorti des bois. Comment tu m'as trouvée ?
- Je te l'ai déjà dit, tu étais en sale état. Je traînais pas loin, j'ai appelé Aquila pour venir m'aider.
- Merci.
J'étais captivée par ses yeux bleus, mais sa réponse ne me suffisait pas.
- Tu n'as pas eu peur de me toucher ? demandais-je curieuse.
- Non, avait-il dit d'un sourire. J'ai un bouclier efficace contre toi.
Il a dit contre toi. Je détestais ces Griffins, pour nous avoir maudit, Tauri ne devrait pas avoir de bouclier contre moi.
- Tauri ! appela Aquila. Sylli te demande !
- Je reviens, me dit il.
J'avais envie de lui dire que je n'avais pas besoin qu'il me dise qu'il reviendrait. Ça me perturbait...
Une fois que Tauri a quitté la tente, Aquila m'a demandé si je m'étais assez reposer.
- Je te fais visiter le village si ça te dit ? m'a t-il proposé.
J'avais accepté, parce que le village des Sylphes était admiré par les trois peuples. Nous envions tous leur maîtrise d'art. J'étais émerveillée de la façon dont il polissait l'écorce de Cagas, de Sommes ou des pierres étincelantes des chutes d'eaux. Leur habitat était toujours en hauteur à plus d'une cinquantaine de semès du sol, comme si la terre ferme les effrayait. Comme si ils vivaient dans les arbres. Un point en commun avec les Frappeurs qui préférait dormir dans les trous des montagnes le plus en hauteur.
Aquila me montra la Hutte, le bâtiment le plus rustique et le plus imposant du village. Ils y faisaient de nombreuses réunions, et parfois des banquets lors d'un appariement entre un garçon et une fille.
- Ma soeur Stella s'est appariés au futur chef de notre peuple, m'expliqua Aquila en me montrant la hutte. C'était magique...
Il y avait un ton triste dans cet aveu. Comme si ce jour heureux avait quand même vu sa part de regret. Je regardais ces yeux, je ne faisais plus que ça; observer la couleur des yeux des gens. Ils étaient verts, extrêmement pétillants et plein de malice.
- Stella, Aquila... Vos parents ont rendu un bel hommage à notre Galaxie Sietha, dis-je en tentant de changer de sujet.
- Oui, Aquila c'est le nom de l'astre la plus brillante dans la contellation de l'aigle. Stella, ça veut juste dire étoile. Mais Stella avait une jumelle à l'époque, et elle n'avait pas du tout un nom d'astre, loin de là.
Elle avait une jumelle. Moi qui voulait rebondir sur un sujet plus gai. Décidément, la vie était tristement sombre ces derniers jours.
Ora. Papa. Abraham...
Depuis sa mort, ma vie avait basculé.
- Aquila, je dois retourner chez les Frappeurs. Je vous serez reconnaissante pour votre accueil, et l'égard que vous portez pour la vie de tous les Catams. Mais mon père est en danger, je dois aller voir si tout va bien.
Il me comprenait. Il n'allait pas m'en empêcher, mais il ne semblait pas prêt à me laisser partir aussi vite.
- D'accord, mais attends demain matin. Les nuits ne sont plus très sûrs ces derniers jours, et ça donnera du repos à ton épaule. Je vais te mettre un peu d'huile de Cagas.
J'avais suivi les conseils d'Aquila. Il était d'une oreille attentive et patiente. Est ce que tous les Sylphes avaient ces qualités ? Il avait utilisé des gants pour m'appliquer l'huile de Cagas sur mes plaies, le tissus qui frottait avait été désagréable. Je dormais à présent dans l'ancienne chambre de Stella, dans la tente d'Aquila. En principe, Tauri ne dormait pas ici, même si Aquila me racontait qu'ils passaient la plupart de leur journée ensemble. Ils se considéraient comme des frères. Je me suis demandée comment ces deux là s'étaient rencontrés. Mais mes pensées se sont vites tournées vers mon peuple. Ils m'avaient huée, ils me voyaient comme une demonesse. La dernière qui ait vécu à Catamia avait été condamné dans le Vanesco. Cela doit remonter à près de vingt lunes, je n'étais pas née, et c'est mon père qui m'avait raconté l'histoire de cette grande sorcière. Je me souviens encore de son nom.
Teryel.
***
Lorsque le soleil a montré ses premiers rayons à l'horizon, un cri strident avait réveillé tout le village. J'avais bondi hors de mon lit et Aquila avait accouru dans ma chambre, en sueur.
- Ça va ?! a t-il demandé.
- Oui, qu'est ce qui s'est passé ?
- Je ne sais pas, je pensais que c'était toi.
Une nouvelle fois, une femme avait crié. Nous courrions en direction de la hutte principale.
- Il y a déjà foule, remarqua Aquila.
Si la veille, les Sylphes ne faisaient pas attention à moi, cette fois on me dévisageait avec méfiance.
Aquila avait frayé un chemin dans la foule jusqu'à ce que nous puissions voir ce qui avait horrifié le village.
Une femme, une mère sans doute, tenait désespérément un petit garçon dont le cœur avait été arraché. Le sang se mouvait sur la chair décapitée, ouvert férocement. J'en avais la nausée. Les gens se sont mis à genou, il se tenait tous l'épaule les uns aux autres.
Plus tard, je me souvenais de cette connexion solidaire, mais pour l'heure j'étais terrifiée par la violence qui avait frappée ce jeune garçon. On pouvait lire un message inscrit sur le mur de la hutte, avec le sang de la jeune victime. Personne ne pouvait comprendre. Personne sauf moi. C'était du Hahime, l'ancienne langue des Frappeurs avant que les Griffins instaurent une langue universel, le Sierratha. Le message avait été souligné du même encre que l'écriture.
Maeste Yuma feli Kil.
Je savais parfaitement ce que ça signifiait, mais dans les circonstances, ce message était un véritable mystère.
À chaque lune suffit sa peine.
- Elle est des leurs ! hurla un homme en me pointant du doigt. C'est du Hahime !
- Elle a tué Jonas ! s'est exclamé une jeune fille.
Je ne savait pas quoi faire. Hier j'étais une demonesse, aujourd'hui le soleil m'avait réveillée pour faire de moi une tueuse d'enfant. Je n'en pouvais plus, mes tripes remontaient.
J'ai senti de fermes mains sur mes épaules. Sylli.
- Parle Nessa. Si tu n'as rien à te reprocher. Dis moi ce que ça signifie.
- Sylli, je te promets, je n'y suis pour rien, égaillais-je.
Je me sentais prise au piège. Qui me croirait ? J'étais l'étrangère qui venait de débarquer, et dès le lendemain un enfant mort et un message menaçant étaient apparus dans une langue connue de mon peuple.
- À chaque lune suffit sa peine, ais-je murmuré. C'est écrit ça.
- Emmenez-la ! ordonna t-il soudainement.
J'ai attendu que les cris reprennent, que les coups m'atteignent . Deux grands Sylphes m'ont saisi chaque bras, ça m'a rappelé immédiatement mon père qui avait été coincé entre deux Anciens, lors de la fin de la Cession. J'aurai pu me laisser faire ou attendre que quelqu'un me revienne en aide.
Et j'ai décidé que non, je ne fuirais plus. Je n'attendrais plus. Il fallait que je contrôle tout ce qui m'arrivait ces derniers jours, je ne peux pas laisser mes émotions prendre le dessus. Ils me mènent toujours droit à la fuite. Tu sais te battre, me suis-je dis en pensant aux paroles de mon père. Mes bras étaient bloqués par les deux Sylphes, j'ai immédiatement senti la douleur quand on a forcé sur mon épaule blessé. Mais j'avais les deux jambes libres, j'ai renversé à terre mon adversaire de droite en donnant un coup dans le creux de son articulation du genou, libérant l'emprise insupportable sur ma déchirure musculaire. En revanche, il avait hurlé en voyant son genou se déboîter. Avant que mon combattant de gauche ne puisse réagir, j'avais pivoté face à lui, lui frappant le devant de son cou à l'aide de ma paume. Il m'avait lâché aussitôt, je le renversais à terre en balayant le périmètre dans lequel il se trouvait avec ma jambe gauche. Je m'étais relevée pour observer si un autre des leurs voulait s'en prendre à moi. Tu n'es plus si lente que ça ma vieille.
- J'ai peut-être baisser ma garde en vous pensant l'esprit plus ouvert, Sylli, ais-je craché. J'ai déjà fui une fois, je ne le ferai pas à nouveau, encore moins parmi des gens qui ne font pas partie de mon peuple. Laisser moi m'en aller moi même, ou réfléchissons ensemble sur cet acte scandaleux.
J'étais consciente des blessures que je venais d'infliger, mais je ne m'étais pas rendue compte à quel point j'avais joué la fille innocente jusqu'ici. J'aurai dû me battre plus tôt ! Désormais, on ne s'approchait pas de moi. J'avais réagi différemment quand les miens m'ont traité de demonesse, je leur avait prononcé une menace. Les Sylphes, eux, avaient réellement vu ce que je pourrais faire si on m'empêchait d'atteindre mon but. Je ne m'inquiétais pas pour les deux blessés, il n'avait qu'à utiliser leur don si parfait pour les aider ! Moi je me défendais avec ma propre peau. J'avais aperçu Aquila qui s'était mis à mes côtés.
- Elle n'a rien fait, a t-il articulé. Elle est restée toute la nuit dans la chambre de Stella cette nuit.
- Qu'est ce que tu en sais ? Elle est peut-être sortie en cachette !
- C'est impossible, est intervenu Tauri de nulle part. J'ai veillé cette nuit sur les toits.
J'étais ravie de constater que des personnes s'étaient mis de mon côté, ça me paraissait plus agréable d'avoir du soutien.
- Tu l'as peut-être loupé cette nuit ! hurla la femme au sol près de son enfant, déterminée à trouver un coupable...
- Rien ! l'avait coupé Tauri. Rien ne m'échappe ! Qu'on soit clair là-dessus, Galine ! Tu as peut-être perdu ton fils, et j'en suis désolé ! Mais ce n'est pas en t'acharnant sur la première étrangère venue que tu aideras son âme à reposer en paix !
Il avait presque crié. Tout le monde l'écoutait. Si je devais me battre contre lui, je n'aurais jamais eu autant de volonté que lui, peut-être. Galine s'était remis à pleurer en tentant de ravaler ses sanglots.
- Sylli, je sais que ce genre de drame n'est encore jamais arrivé ici. Mais tu me connais, moi et Aquila, tu sais qu'on ne se trompe jamais. Cette fille n'a rien à voir avec ça.
C'était la première fois que ce peuple faisait face à un acte barbare. Pas étonnant que ces villageois pacifiques ne sachent pas comment réagir et se mettent à accuser le premier venu. Je les plaignais, et j'étais tout d'un coup désolée pour ce qui leur arrivait. Mais Tauri avait eu tord quand il a dit que ce massacre ne me concernait pas. C'était du Hahime, ma langue, mon peuple, mes habitants, peut-être même ma famille.
***
Mes deux blessés avaient été pris en charge par Sylli. J'avais présenté platement mes excuses parce qu'Aquila me l'avait conseillée, et aussi parce que j'étais redevable aux deux garçons. On avait enterré l'enfant dans un lieu paisible près d'un bois garnis, là où il aimait s'amuser avec ses frères. Ces derniers ne me regardaient, ils fuyaient ma présence.
- Ne leur en veut pas, me surpris Tauri.
- Non au contraire, avais-je dis plus calmement. Je les comprend.
Je me tenais à l'écart de ces obsèques pour ne pas que ma présence soit considérée comme une souillure. Tauri m'avait rejoint.
- Tu as tord de dire que je n'avais rien à voir dans ce massacre, ais-je soufflé.
- Je sais, mais l'âme de ce garçon avait besoin de partir au plus vite. Je ne pouvais pas te laisser fuir et en même temps laisser les Sylphes s'en prendre à toi. Je sais que tu n'as rien à voir là dedans mais les tiens, si.
- Si j'avais eu la moindre information, je n'aurai rien caché. Mais je ne comprends rien.
J'avais inspiré l'air longtemps, comme si mon corps réclamait une nouvelle énergie pour repousser celle qui avait été épuisé par cette matinée. Mon plan avait été simple hier soir: dormir, partir, retrouver mon père. Mais ce matin, quelque chose m'a retenue, et je me sentais prisonnière.
- Les enfants de notre village disparaissent depuis trois jours, m'informa subitement Tauri. Neufs jeunes Sylphes ont été enlevé, l'un d'eux a été retrouvé le cœur arraché ce matin, et on ne sait pas ce que les huit autres sont devenus. Mais si ils leur étaient arrivés la même chose qu'au fils de Galine, leur peuple ne vous le pardonnera jamais. Tu dois les comprendre, ils sont tous en panique. Les parents se demandent qui des leurs sera le prochain à se faire enlever.
Les Frappeurs avaient déjà de rudes tensions avec les Griffins, si nous devions avoir un autre voisin ennemi en plus, il se pourrait que nous perdions beaucoup. Mais il y avait des choses incohérentes, trop d'incohérences. Pourquoi notre peuple voudrait enlever des enfants ? Pourquoi on m'avait directement banni comme une jeune démoniaque ? Pourquoi les liens de la passerelle qui liait les montagnes et la verdure de l'autre côté de la Frontière Verte, avaient tout d'un coup été tranché sans la moindre pitié ?
Nessa, réfléchis. Tu n'as plus le droit de laisser d'autres vies s'envoler sous tes yeux. Tu es trop liée à tout ça. D'abord, les enlèvements ont commencé il y a trois jours. Et j'avais trois jours pour trouver mon Egal. Ensuite il y avait la Cession, elle avait débuté il y a exactement trois jours. Tout a commencé en même temps, tout s'est enchaîné durant ces trois derniers jours. Ce n'étaient pas des incohérences.
Évidemment...
Ça sautait aux yeux. Une personne, ou un groupe entier, avait profité des distractions de la Cession pour prévoir quelque chose d'effroyable contre les Sylphes, et peu importe de qui il s'agissait. Je ne le laisserai pas filer.
_______________
Hahime: ancienne langue Frappeur, il y a de cela moins d'une vingtaine de lunes, toute langue propre à chaque peuple a été proscrite par les dirigeants de Catamia, les Griffins. Remplacée par une langue universel le sierratha, ce qui signifie "Le parler de Sietha".
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