34. Amon Calking |NESSA|

Je n'avais pas dormi. Du haut de la toile d'Aquila, j'avais une vue sur la crevasse sombre que j'avais formé. C'était une mauvaise idée. Je n'aurai pas dû prétendre être suffisamment forte pour invoquer le pont. Tauri avait eu tord de croire en moi. Cette crevasse ne se refermera jamais d'elle même, sauf si elle doit aussi être absorbée par le Vanesco, dès demain. Jenelly s'était entraînée d'arrache pieds au tir à l'arc, Saeŕos arborait de nouvelles techniques pour maîtriser l'air, Tauri et Aquila n'ont fait que peaufiner la stratégie près de la mer. Silly ne m'adressa pas la parole de la journée, pratiquement tout le monde en fait, excépté Tauri qui s'excusait de m'avoir poussé à défier mes propres forces. Je me dégageais de l'étreinte de Tauri, sans le réveiller. Notre armée n'était pas assez grande pour oser défier celle de Teryel. De plus, nous n'étions pas tous expérimentés au combat, et certains comme moi, ne savait pas encore utiliser leurs dons. Il nous fallait d'autres Catams, et il ne restait que les habitants de l'Elphège.

Je sortis discrètement jusqu'aux portes sylphiques. Alors que je pensais à comment franchir l'entrée sans faire le moindre bruit, Tamika s'avança vers moi. Je m'attendais à voir Jenelly derrière elle, mais la louve était seule. Comme si elle avait lu en moi, elle fourra son museau sous mes pieds, et me força à monter sur son dos. 

- Qu'est ce que tu fais ma belle ? 


Elle prit un petit élan, et sauta de l'autre côté du mur du village et courut en direction de la forêt. Je m'agrippais sans mal à sa douce fourrure blanche et lui transmis un peu de mon marsolia pour redoubler sa vitesse. Je ne savais pas pourquoi l'Egal de Jenelly m'aidait moi sans que celle-ci ne lui ait donné l'ordre, mais elle m'avait fait sortir du Village, et je me contenterais de son acte. 

Elle s'arrêta en bas de la cascade de la rivière des Torrents. Je ne voyais pas les couleurs ternies de notre belle nature dans la nuit, mais j'arrivais à voir quelles images tristes et sombres pouvaient apparaître dès la lumière du jour. 
Je descendis du dos de Tamika et toucha l'eau du bout des doigts. Elle était glacée, et quasiment vaporeuse, comme si elle disparaissait. L'absence de contact attendu m'avait fait pâlir, me rappelant le but premier de Sierra dans le corps de Teryel: engloutir Catamia dans le Vanesco. 

Le plus dur maintenant que j'étais éloignée du Village, c'était de trouver comment me rendre sur notre satellite. Il était hors de question que je tente à nouveau d'invoquer moi même le pont bleu. Ça aurait été plus facile si Tauri était là, près de moi... Je souriais d'avance en imaginant la tête qui va faire en me voyant absente dans la toile. 
Une lueur lumineuse venait de planer dans le ciel obscur: Andromède. Il étendit ses ailes devant moi, avant de se poser à mes pieds. Pour une raison que j'ignorais, les deux fidèles créatures de mes amis venaient de se soumettre à mon service. Je ne réfléchis pas, et grimpais sur le dos du phénix argenté. S'il restait une partie bénie de Sierra en chacun de ses êtres, j'étais persuadée qu'elle voulait encore m'aider par le biais de sa création. 
Andromède fuyait la nuit, il volait dans le sens contraire du vent. 


- Un point commun entre toi et moi ce soir, on ne suit pas le mouvement imposé, soufflais-je.

Il navigua longtemps au-dessus des brises de la nuit, et je fus saisi d'effroi par la vue de notre sol dépouillé de toute verdure, de toute vie. C'est à la nuit détruite que ressemblera Catamia si on se laisse emporter par le Vanesco. 
Quand nous accostâmes les bords de l'île flottante, l'ambiance n'était pas complètement différente. En m'enfonçant d'avantage dans la cité, je retrouvais exactement les mêmes places que Tauri me décrivait, les quartiers ruraux, les collines, les jardins fleuris d'Elliot et de Liousa, et au centre, le palais de mon père. 
La ville ne dormait pas, elle veillait. On entendait encore des rires, des discussions en provenance des habitations, des chaumières de pierres. Andromède me suivait toujours de près. Dans la rue, on se retournait vers moi, certains étaient attirés par l'oiseau, d'autres par mes empiècements et mes airs orientaux différents des leurs. Cette cité vivait-elle la nuit ? Les habitants avaient l'air en forme, quasiment d'humeur matinal ! Je me forçais à ne pas être distraite par les discussions qui émanaient autour de moi, et fonça jusqu'à la porte du palais. Contrairement à ce que j'imaginais, il n'avait rien d'un château flambant neuf qui s'enorgueillait de sa toute puissance. C'était plutôt humble, presque confondus dans le décor de la nature derrière. 

- Qui es-tu ? me demanda une douce voix.

Quand elle apparut dans la nuit, je n'eus pas de mal à la reconnaître, elle était comme Tauri me l'avait décrite, Rosalie Calking. 


- Je m'appelle Nessa, dis-je en évitant de dire mon nom de famille. Je viens  pour rencontrer le roi Amon.

- Il s'est endormi, me répondit-elle. Revenez demain.

Je retenais la porte qu'elle voulut refermer sous mon nez. Et ajouta:


- Demain, je n'aurais pas l'occasion. Et il va faire jour dans moins d'un quart de soleil sur Catamia.

- Vous êtes habitante du sol ? 

- Oui, et les miens sont en dangers. Nous sommes tous menacés par le Vanesco...

Elle observa les alentours et me fit entrer prudemment à l'intérieur. Si l'extérieur m'avait étonné, l'intérieur en revanche n'avait rien à voir avec l'humilité qu'on croyait. C'était intensément lumineux et grand. De nombreuses pierres précieuses perlaient le long des murs, le sol blanc devait être entretenus tous les jours pour qu'il brille autant. Pourtant, bien loin du sentiment majestueux et honorifique qu'on pourrait ressentir, on avait l'impression d'être emporté par une douce ambiance chaleureuse. 

Devant moi, Amon et Rosalie me dévisageait. Je n'aurai jamais imaginé les rencontrer sans intermédiaires pour me présenter à eux.

- Ma femme a rêvé de ta venue cette nuit, nous t'attendions, déclara t-il d'une voix rauque. Que nous vaut ta visite ?

Leur attitude ne m'étonnait pas, pourtant Rosalie avait quand même voulu me refermer la porte au nez tout à l'heure. Mais qu'importait, je devais leur dire la raison de ma venue. Quand je relevais la tête, je fus stupéfaite de voir la lueur ambre dans les yeux du roi. J'avais son regard, la couleur de ses cheveux. Il était grand, presque intimidant surtout parce que je le voyais plus que comme le grand dirigeant des habitants du sol, comme dirait sa femme. 


- Catamia a besoin de vous, lançais-je.


- Et qu'attends-tu de moi, jeune Frappeur ?

J'aurais dû être vexé parce qu'il m'avait jugé simplement à l'aide de mes accoutrements, mais j'étais plus attristée parce qu'il n'avait pas l'air de savoir qui j'étais. Je décidais de commencer par ce qui les intéresserait le plus.

- Teryel s'est avérée toujours être en vie, et elle est là pour se venger, mentais-je. 


A l'évocation de son prénom, Amon ordonna doucement à Rosalie de sortir et de le laisser seul avec moi. Lorsqu'elle referma la porte derrière elle, je lui dis:


- Elle avait le droit de savoir.


- Elle sait déjà, elle n'est pas dupe à ce que je lui cache depuis plus de vingt lunes.

- En réalité, ça fait seulement dix huit lunes que vous avez envoyé Teryel dans le Vanesco.


- Pourquoi viens-tu me parler d'elle ?

- Comme je vous l'ai dit, elle veut détruire Catamia. Et en tant que dirigeant, j'implore votre coopération.

Ça me rendait folle de devoir vouvoyer mon père, mais ça aurait été plus dingue de lui avouer maintenant qui j'étais. 

- Je ne peux rien faire, désolée.

- Dites aux Griffins de rejoindre nos rangs ! 

- Je ne les enverrais pas à l'abattoir ! cracha t-il .

Whoua ! Quelle lâcheté ! Proclamer son impuissance au nom de la survie de ses hommes ! 

- Vous êtes assez nombreux pour que nous puissions vaincre leur armée !

- Mais pas cette démonesse ! grogna t-il.

- Vous savez très bien, qu'elle n'en était pas une ! 

- C'est ce que les gens ont cru pour elle, je ne me battrais pas contre... elle, dit-il d'une triste voix.

Je remarquais subitement ses cernes noires sous ses yeux. Ses sourcils fronçaient en permanence, ses mains tremblaient.

- Vous l'aimez depuis tout ce temps, devinais-je.

- Ne parlez pas d'amour, nous ne nous connaissons même pas, lâcha t-il.

C'était le moment. J'étais persuadée de venir sur l'Elphège pour beaucoup plus que demander du renfort. J'avais besoin de rencontrer mon père. 

- En effet, tu as daigné me condamner avec ma mère dans ce monde cauchemardesque, murmurais-je.

Il se retourna ébahi vers moi. Il ouvrit la bouche, mais aucun son ne sortit.

- Je suis Nessietha, fille de Teryel Shenes et Amon Calking. Les miens m'appellent tout simplement Nessa, parce que c'est sous ce nom que j'ai toujours vécu, durant plus de dix-huit lunes aujourd'hui.


- Tu es... sensée... 

- Etre morte, oui. Mais Corduan m'a sauvé, lançais-je.

- Non,  c'est moi qui t'ai confié à Corduan, je lui ai dit de te mettre à l'abri. Il m'a dit que tu avais été tué par une meute de loup dans les montagnes !


Aurais-je dû être surprise ? Non, c'était Corduan, il agissait pour sa cause. Ne voyant même pas qu'il servait aveuglément une déesse qui avait pris possession du corps de sa sœur.  Dire qu'il avait tout fait pour être le plus malin...

- Dans tous les cas, me voilà, souriais-je bêtement. 

Il s'approcha vers moi, mais je reculais et lui tourna le dos. Je tentais de ravaler mes larmes. La dernière fois, je crois bien que c'était dans les bois, avant de connaître Tauri. Je me rendais compte du sort qui s'acharnait depuis le début sur moi. Ce n'était pas la première fois, mais là, j'avais envie de me faire passer pour celle sur qui la vie se défoulait. On m'a privé d'une vraie mère, d'un vrai père, d'un vrai frère. On m'a choisi injustement pour être lié à la palingénésie qui ne me servait strictement à rien ! On m'a fait tourné en rond pour me faire découvrir mes vrais racines, on m'a exclu du peuple dont je pensais faire partie, dont je voulais servir. Au final, je n'étais qu'une mi-Griffin, mi-Frappeur, qui ne savait pas maîtrisé ses dons et ses actes. La seule chose qui m'ait été bonnement dû avait été la présence d'Abraham, de Jen même si je ne savais pas si elle me détestait à présent, du tendre Aquila, de Saeŕos, et de Tauri. Ce parcours aurait été insupportable sans lui. Nos destins avaient été lié dès le départ. Les larmes ne venaient plus, mais c'était pire, je me sentais brisée.

- Nessietha, je dois te dire... 

- Non, toi d'abord, tu vas m'écouter. Je me fiche éperdument de savoir que je suis venue au monde par la faute de vos nombreuses erreurs ! Je ne veux pas être lié aux divisions que votre amour à provoquer, aux nombres de vies que vous avez renversées ! Mais j'accepte les charges qui m'ont été attribué ! A mes yeux, tu n'auras été qu'un père absent, un roi silencieux, un homme démuni et incapable d'éprouver le pardon ! Mais je te demande, de sauver le monde dont tu as été désigné responsable, je ne veux pas que... le monde dans lequel je suis injustement née disparaisse... 


Ma voix tremblait, je sentais l'émotion prendre le dessus. 

- Si tu es né dans un monde dans lequel la vie a été si injuste avec toi, Nessietha, pourquoi veux-tu tant le protéger, pourquoi l'aimes-tu autant ? murmura t-il doucement en me relevant face à lui. 

Sa question m'avait perturbé, pourtant je pensais en connaître la réponse. Un rayon de soleil venait de transpercer le hublot de la fenêtre. Ils devaient déjà être en route pour la mer. Tauri devait s'inquiéter...

- En réalité, tu n'as pas ta place dans ce monde Nessa. Et si tu crois que Catamia ne veut pas de toi, toi, tu l'aimes. Les Griffins ont ce côté protecteur avec la nature, et les animaux de Sierra. Alors si tu es bien ma fille, ça ne m'étonne pas que tu es ce côté affectueux. D'ailleurs..., dit-il en se tournant vers Andromède. Si les animaux te font confiance, c'est parce qu'ils voient en toi une jeune fille dévouée à donner sa vie pour eux. Tu aimes Catamia...


- Ne me parle pas d'amour, tu ne me connais pas, l'imitais-je sèchement.


- Mais ça se voit dans tes yeux. Tu as les miens, dit-il tristement. 


Je m'attendais à rencontrer un homme dur, démuni de sentiments et de bonté. Mais là, tout de suite, j'y voyais une réelle compassion. 

- J'ai un fils, qui en réalité, n'est pas le mien, commença t-il. J'ai pensé pouvoir l'aimé, mais j'en été incapable, surtout lorsque je voyais son propre père s'amuser avec lui dans les quartiers ruraux. Je me sentais...

- Impuissant... Je connais. Tauri vous a déjà pardonné, dis-je. 

- Tu le connais ?

- Il m'a sauvé plus d'une fois en forêt. Sierra nous a lié à la palingénésie...

- Et visiblement, vous n'êtes pas seulement liés par sa propre volonté, souria t-il. Il aura accomplit ce que j'aurais été incapable de faire. 

- Alors vous vous décidez à ne pas nous joindre ? m'indignais-je. 


Je n'y croyais pas. Il avait foi en Catamia... 

- Pourquoi avoir délaissé Catamia à ses propres soucis ? Pourquoi ne pas venir en aide à ceux qui vous voient comme leur dirigeant ? Pourquoi avoir fermé les yeux sur tout ça ? dis-je. 

- Je n'aimais jamais réussi à aimé une autre femme que Teryel, dit-il. Pas même la patience et l'amour de Rosalie n'a égalé la passion et l'émotion que je vivais avec elle. Tout le monde croit que j'ai maudit les Frappeurs par erreur en donnant l'accès à Teryel pour invoquer le portail pour ressortir du Vanesco, mais en réalité, je l'ai fait pour ça. Pour qu'elle en ressorte. Alors, si elle est à la tête de cette menace, je ne veux pas me battre contre elle, même si elle est aveuglé par la haine et la vengeance. Je l'aimerais encore, quoi qu'on en dise, j'ai voulu l'aimer, mais j'avais également la responsabilité des autres Catams sur moi, je ne pouvais pas être égoïste et penser à mon propre bonheur. Alors ne m'oblige pas à participer à un affront dans le quel je pourrais la perdre à nouveau. 

D'un côté, sa réponse n'aurait pas dû m'étonner, et pourtant, sa peine et sa douleur m'avait touché. Si nous avions un point en commun, alors c'était notre impuissance face à ceux que nous aimions. 

- Son âme a été détruite par Sierra. Aujourd'hui le côté obscur de notre déesse vit dans son corps, mais ce n'est pas elle. Dans tous les cas, tu ne la combattrais plus. Elle est partie rejoindre les astres, aujourd'hui, je te demande de te battre contre Sierra, et pour Teryel, pour le monde que ma mère aurait toujours voulu défendre. 

Je n'en pouvais plus. Je devais quitter ces lieux. Sans attendre une excuse de sa part, je sautais sur le dos d'Andromède et l'ordonna de voler en dehors du palais. 


- Nous serions au bord de la mer, face à l'Ombreux, ajoutais-je avant que l'oiseau ne prenne son envol. 


Très vite, Andromède survola l'Elphège et vogua en direction de la mer. Je m'étais à peine remis de mes émotions que la peur m'avait saisi d'effroi. Sous mes pieds, je voyais deux clans se tenir tête, leurs regards étaient rivés sur moi au moment où Andromède lâcha un cri perçant dans le ciel en plein éveil. La haine se déchaînait, la destruction régnait en maître sur notre sol autrefois pure et simple. Tous leurs visages se confondaient en une et milles émotions, peur, désir de pouvoir, vengeance, soumission, errance... Je voyais leurs armes s'entrechoquer, je voyais les guérisseurs se hâter vers les blessés allongés sur le sable noir. Des Elvs invoquaient les éléments pour combattre d'autres de leurs propres tribus, de mêmes que les Frappeurs qui utilisaient leurs propres techniques de combat entre eux.

Et Tauri, le seul Griffin qui ne comptait que sur ces propres forces pour sauver ceux qui comptaient pour lui. Mon cœur venait de faire un bond malgré l'atroce situation. Je l'aimais, et pour lui l'impuissance n'aura pas d'emprise sur moi.







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