Au départ, personne ne me prenait réellement au sérieux. Comment auriez-vous réagit si vous appreniez que la déesse que vous aviez toujours vénérer était une véritable schizophrène à la fois bonne et diabolique ? Donc ça a été un choc, encore. Mais il s'agissait certainement de la dernière révélation. Nous avons toutes les cartes en main pour agir désormais. Je devais savoir si une part de ma mère était toujours en vie dans son corps, je devais essayer de rentrer en contact avec la "gentille" Sierra. Mais je ne savais pas du tout comment faire.

- Les rêves que nous faisions, c'est bien Sierra qui nous les a envoyé pour nous guider, conclua Abraham. Donc une partie de Luna est encore en vie. 

Je repensais à ce que mon gardien m'avait dit : Je la vois dans la bonté des Golicorfes, dans la solidarité des meutes de loups, je la vois en l'amitié que tu portes pour les tiens et l'amour que tu as pour Tauri . Une partie de son Esprit était parmi nous, mais où ?

Le temps nous pressait. Déjà, de nombreux Frappeurs avaient  rejoint le village des Sylphes pour connaître d'avantage la stratégie à suivre. Andromède a été envoyé pour la faire connaître à Elliot, au Royaume elvique. Seuls les Griffins ne firent part d'aucun signe pour nous rejoindre à défendre Catamia. Depuis longtemps, je crois que l'Elphège ne fait plus partie de Catamia. Je ressentais une profonde amertume envers mon père qui devait se prélasser sagement dans ses quartiers. Mais je devais essayer de le convaincre, au moins essayer. Nous ne serions jamais assez nombreux face à l'armée noire. Nous étions conscients d'avoir un avantage en vue du nombre de guérisseurs à nos côtés, mais combien d'Elvs aux pouvoirs élémentaires avaient basculé dans les ténèbres ? 

- Nessa ? m'appela Silly. On vient d'établir un nouveau plan d'attaque. 

Je pénétrais dans la grande Hutte au centre du village, Larissa me précédant. Nous étions les deux seules femmes à entrer dans cette toile réservée aux chefs Sylphes. Instinctivement je cherchais Tauri parmi les cent visages qui me scrutaient.

- Je suis là, souffla t-il derrière mon oreille. 

Sa présence me réconfortait, j'avais tout de suite beaucoup plus d'assurance. 

- Larissa Shenes a pu interpréter l'un de mes rêves, commença Silly. Selon elle, les troupes de Teryel vont nous attendre de l'autre côté de la rivière des Torrents. 

- Elle sait qu'il y aura une bataille alors ? 

- Elle sait tout, s' il s'agit bien de Sierra comme tu l'as prétendu, alors elle connaît même notre première stratégie, déclara Saeros. 

Elle avait toujours une longueur d'avance sur nous. Comment vouliez-vous battre une déesse qui anticipe à l'avance les stratégies possibles de son ennemi ? Jusqu'où s'étendait ses pouvoirs ? 

- Ça ne sert à rien de sur-estimer ton ennemi Nessa, lança Tauri. N'oublie pas que beaucoup parmi son armée ne l'ont rejoint que par peur, nous sommes égaux à son armée.

- En force certainement, mais en nombre, on ne fait pas le poids. 

- Tu vaux plus de cent soldats à toi toute seule, souria t-il. 

Je n'aimais pas quand il me sur-estimait. Je n'étais pas plus forte que lui, que Saeros, que Jenelly, ou que Aquila. Ma seule force, je la puisais dans ma peur, l'impuissance. 

- Il a raison, déclara Larissa. Vous êtes tous les deux palingénèses, et le troisième sort n'est toujours pas apparu. La bonne Sierra pourrait te le révéler à un moment crucial...

J'attendais impatiemment ce dernier sortilège. J'espérais être assez digne pour le recevoir au plus vite, et avec, sauver les miens. 

- Quelle est la stratégie ? dis-je pour en savoir plus. 

- C'est assez simple, ce n'est pas sûre que ça fonctionne, mais il faudra prendre plus d'un risque si on veut gagner cette guerre.

Ce n'est pas moi qui allait le contredire. Il étendit devant moi une carte de Catamia. Je n'en avais jamais vu une aussi complète, avec autant de détails et de précisions. 

- Dès ce soir, on envoie des troupes dans les montagnes, et au Royaume des Elvs. L'objectif serait que l'armée se fasse encerclé des trois côtés. On gagnerait en espace, et ça nous faciliterai la tâche pour nous retirer au cas où les choses s'envenimaient.

- Mais comme tu l'as dit, Sierra sait tout, elle comprendrait aussitôt ce qui l'attend, déclara Tauri.

- Si tu as une meilleure proposition à faire, soupira Silly. 

- Il faudrait les bloquer avant qu'il n'atteigne la rivière, dit Abraham. 

Il était face à moi, contemplant la carte brune sous ses yeux. 

- On devrait les attendre ou les surprendre au bord de la mer. Les Golicorfes dans l'eau vont se trouver juste devant la rive en espérant un cadavre se vider de son marsolia, ils nettoieraient le chantier. 

- C'est glauque, cracha Aquila. 

- Oui, mais en fait, je pensais à un meilleur plan pour nous mettre à l'abri si ça dégénérait, dit Abraham en levant le regard vers Tauri. L'Elphège planera juste au dessus de l'Ombreux, tu pourrais invoquer le pont bleu pour transporter le maximum de survivant sur le satellite non?

- C'est le moins que je puisse faire, acquisa Tauri. Si ça se gatte, un beau nombre irait se réfugier sur l'Elphège. Mais le pont ne serait pas assez large pour faire passer plus de cinq Catams, on se retrouverait tous à la queue-leu-leu. L'armée noir nous rattraperait avant même que certains ait le temps de monter dessus, on serait trop lent, inefficace. 

On voulait coincer l'armée dès leur arrivée face à la mer. A les entendre parler de plan d'évasion, de fuite, j'avais l'impression qu'ils abandonnaient tous d'avance. Je me sentais plus inutile que jamais. Je n'avais aucun don pour guérir, je ne contrôlais aucun élément primaires, je n'avais même pas d'Egal, je courais simplement vite d'après Corduan. Mais cette seule vérité avait tenu par un menteur qui s'était fait passé pour mon père. Et moi, en tant qu'héritière d'Amon, je ne pouvais rien faire. Décidément dans les deux cas, aucun d'eux n'avaient réussi à gagner ma confiance. Mi-frappeur-, mi-griffin... une bâtarde de Catamia, je servais à rien. La main de Tauri se glissa derrière mon dos, et il déposa un léger baiser dans mes cheveux. 

- Est-ce que tu sais que tous les Griffins peuvent invoquer le pont bleu ? souffla t-il.

- Oui mais je ne suis qu'une mi-griffin. 

- C'est amplement suffisant, dit-il en me tirant vers l'extérieur. 

En sortant de la hutte, j'avais inconsciemment respiré l'air frais sous mon nez. Ma poitrine relâcha toute la pression que je venais de ressentir. 

- L'idéal ça serait que tu puisses toi aussi invoquer le pont bleu avec moi, on l'élargirait assez pour que tout le monde puisse se rendre sur l'Elphège, m'expliqua t-il tandis que les autres sortaient de la hutte pour nous voir. Regarde le satellite là-haut...

Il était à plus de vingt mille semès de moi. Je ne voyais presqu'un point flottant dans le ciel.  

- Concentre toi sur ta trace, essaie d'imaginer à quoi ressemblerait ce pont si il apparaissait devant toi. Ferme les yeux, ça t'aidera à te l'imaginer. Invoque ta trace et pense très fort à ce pont, pense à ceux que tu voudrais sauver si il le faut. Il te faut beaucoup d'ondes émotives pour l'invoquer.

La voix de Tauri me guidait, il était tout aussi excité que moi à l'idée de me voir invoquer le pont. Paisiblement, je me laissais guider par ses directives. Je sentais ma trace chauffer au niveau de ma tempe, j'imaginais ce pont. Autour de moi, je me voyais planer dans notre belle Galaxie, celle que je voulais sauver. Le pont vers l'Elphège était bleu, je me représentais plutôt une fine couche de poussière bleutée lumineuse. 

- Vas-y continue Nessa, il apparaît... 

Je gardais mes yeux fermés, et cherchais encore au fond de moi à élargir ce pont. Mais soudain, la lumière bleue se changea en une inquiétante brume verte, elle avalait la douce lumière qui disparaissait petit à petit. Je reculais au fur et à mesure que cette brume avançait vers moi, et trébuchais. J'avais automatiquement ouvert mes yeux. 

- Abraham ! s'écria Jenelly.

Une énorme crevasse s'était formé droit devant moi sur plus de cent semès en direction de l'Elphège. Une fumée verte planait au fond du gouffre, une copie parfaite de la Frontière Verte. Abraham venait de trébucher et tentait vainement de se maintenir sur le bord. J'étais pétrifiée...

- Referme-le ! me cria Jenelly. 

Tauri avait accouru à l'intérieur pour aller récupérer des gants et attrapa Abraham par les épaules. Aquila l'avait rejoint lui aussi les mains couvertes, et tous deux le remontèrent sur le sol ferme. Jenelly se précipita sur moi, mais Saeros la bloqua au passage. 

- T'es malade ?! Ça t'as pas suffit de ne pas le voir pendant cinq ans ?! hurlait-elle. 

- Q-Qu'est ce que... j'ai fait ? 

- Jenelly, arrête, c'est pas sa faute, souffla Abraham. Elle ne contrôle pas ses dons. 

Tauri se leva, et me prit dans ses bras. Mais je regardais Abraham, tu as failli le tuer une deuxième fois. 

- Et bien elle devrait ! C'est demain la grande guerre ! C'est un peu trop tard pour lui apprendre comment maîtriser ses dons ! 

- Jen... 

- Elle a raison, coupa Silly. On a eu de la chance aujourd'hui, Nessa. Imagine que d'autres hommes se trouvaient face à toi pendant que tu invoquais le pont ? On aurait pu perdre beaucoup d'hommes... 

- Silly, ce qu'elle vient de faire, ça peut être une autre arme pour nous, dit Aquila. Si elle ne peut pas invoquer le pont, elle peut faire tomber plus d'un ennemi dans cette brume. 

- Non, je ne ferais jamais ça ! m'écriais-je.

Mais demandait-on mon avis ? Je venais de créer une deuxième Frontière Verte à l'intérieur de leur paisible village. 

- Je ne sais pas ce qui m'a poussé à croire que tu étais un élément majeur pour nous assurer la victoire Nessa, lança Silly. T'en fais pas, cette brume va aussi être aspiré par le Vanesco demain. 

Sa remarque m'a fait l'effet d'une claque. Je ne faisais qu'être un poids lourd, un danger pour ceux qui m'entouraient. 

- Ce n'est pas de sa faute ! s'énerva Tauri.

- Non, mon garçon, c'est la tienne.

Jenelly pleurait à chaude larmes, Abraham fixait sombrement le fond de la crevasse. Tous venaient d'admettre ce qui était déjà évident: nous ne sortirions tous pas vivants de cette bataille. 

Abraham avait tord, je n'ai jamais été la lueur d'espoir de Catamia. Je n'étais que la première à nous pousser dans le gouffre.