19. Démon |TAURI|

Notre séjour à Elphège a été de courte durée. J'étais tout de même passé voir ma mère qui m'avait vu courir le long du pont bleu. Dès que nous sommes arrivés, j'avais actionné à nouveau mon rubis pour nous connecter à l'île l'Ombreux.

Le sable de l'île était noir mais très doux au touché. On aurait dit de la cendre. Plus nous nous enfoncions dans le coeur de l'île, plus nous étions déboussolés. J'ai cru devenir fou avec les beuglements incessants tous les quarts solaires, de cette bête menaçante.

- Elle hurle soit pour deux raisons qu'elle subit: la faim ou la torture, dis je à Aquila après un énième mugissement sourd.

- Traduction: nous sommes soit ces sauveurs, soit son prochain repas, chantonna t-il.

Aquila avait repéré des traces de pas dans le sable humide. Des pieds gigantesques, et visiblement, il n'avait pas de chaussure.

- Tu crois que ça pourrait être un humain?

- De cette taille, je ne suis pas sûre, lui répondis-je.

Je m'étais retourné vers la mer en ressentant une secousse violente au sol. Au loin, une gigantesque Golicorfe venait de réaliser un magnifique plongeon dans le fond de l'eau.

- J'irai jamais dans l'eau de la mer, dit Aquila d'un air effrayé. Ce sont les plus grosses créatures de Catamia...

Je n'avais rien contre les Golicorfes. Le peu d'histoires haineuses que l'on racontait à leur sujet n'avaient jamais été prouvé. J'avais pu croiser le regard de l'une d'entre elles un jour, et j'étais persuadé qu'elles étaient à elles seules la réincarnation du bien et de la sagesse de tous les meilleurs Catams. Même si elles raffolaient de marsolia.

- Tu as entendu ce rire ? chuchota subitement Aquila.

Je tendis mon oreille pour percevoir le rire. Sérieusement, je détestais les rires dans des endroits sombres et isolés comme l'Ombreux !
Je n'entendais pas, mais je sentais une horrible odeur de pourriture. Je me laissais guider par mon instinct pour savoir d'où provenait cette odeur infâme. Je m'enfonçais sans réfléchir entre les grands feuillages et les arbres qui m'étaient totalement inconnus, arrachant la verdure qui m'empêchait d'avancer jusque là où je voulais aller. Mais la scène sous mes yeux m'avaient saisi d'effroi. Aquila s'était arrêté en même temps que moi.

- Merde. C'est quoi ça ? chuchota Aquila.

On aurait dit une femme géante, dont la tête était deux fois plus grosse que le reste de son corps. Ses membres frêles et squelettiques s'acharnaient sur un Buffel-Tahal qu'elle était en train de dévorer. Le Buffel-Tahal était déformé, beaucoup trop disproportionné pour reconnaître que s'en était un. Mais ce qui m'avait terrifié, c'était cette joie que ce monstre reflétait pendant qu'elle décapitait la chair. Elle riait vraiment, un rire nerveux mais satisfait de boire du sang de la bête. Son visage n'était pas humain, pourtant elle avait un nez maladroit, une mâchoire en avant, des yeux noir. Un visage demi-humain demi-bête. Elle devait nous surpasser de plus de dix semès. J'allais vomir...
Une main venait de se poser sur mon dos.

- Il faut vraiment partir et se trouver un endroit sûr, murmura Jenelly.

Oh non. Ils étaient venus, Nessa était là !

- Où est-elle ? demandais-je.

Il fallait qu'elle soit de l'autre côté de l'océan ! Elle ne doit pas être sur cette île diabolique. Au même instant, mon regard s'était posé sur celui de la femme-monstre. Elle nous fixait, et son sourire s'était élargie. Putain de sourire !

- Les arbres ! cria Saeŕos. On doit se mettre en hauteur !

Il avait pris appui sur la première branche d'un arbre, puis grimpa le plus haut possible.
J'avais saisi le bras d'Aquila et le propulsa dans les airs pour qu'il attrape une branche solide assez haute. Jenelly avait grimpé quasiment aussi vite que Saeŕos. Où était Nessa ?

- Tauri ! Grouille !

Le monstre courait à toute allure sur moi. Ses cheveux noirs et humides virevoltaient brutalement autour de ses yeux. On aurait dit pire qu'un monstre, un véritable démon. Elle courait trop vite, même si je commençais à grimper, elle pourrait me cueillir facilement avec la hauteur qu'elle atteignait.
Même les autres n'étaient pas assez hauts. Les arbres eux même étaient trop petits à côté d'elle si elle se levait.
Il ne restait plus qu'une seule solution.

Je grimpa à toute vitesse afin d'atteindre leur hauteur. Et lorsque la ferme poigne de la femme se referma sur ma jambe, mon bouclier enflammé s'était formé autour de nous cinq, brûlant ainsi toute sa main.

- Combien de temps tu pourras tenir Tauri ? demanda Saeŕos essoufflé.

- Un demi soleil, peut être moins. Où est Nessa ? renchérissais-je.

J'en avais marre de me répéter ! Jenelly et Saeŕos se regardèrent d'un air désolé.

- Répondez ! ordonnais-je.

- On pense qu'elle va bien, souffla Jenelly.

- Vous pensez ?!

Je sentais le visage du monstre juste de l'autre côté de mon bouclier. Elle guettait sagement avec son sourire.

- Elle est dans la gueule d'un Golicorfe... admit Jenelly.

C'était une blague ?

- Vous l'avez laissé venir et monter à bord d'un Golicorfe ? pestais -je.

J'étais certain qu'elle était barge sur certains bords mais quand même !

- C'était mon idée, déclara L'Elv. On ne savait pas vraiment comment faire pour traverser l'île !

- Je vais te fa...

- Tauri arrête ! m'interrompa Aquila. C'est pas le moment !

- Oh que si ! Ils n'ont même pas été capable de la retenir et maintenant elle se trouve quand la bouche d'une....

- Qui vous a dit de partir sans nous ? gronda Jenelly. Elle était furieuse quand elle s'est rendue compte que vous étiez partis ! Tu l'as connais on ne peut pas l'arrêter !

- Et ce n'est pas comme si on avait eu le choix de partir, déclara Saeŕos.

- Quoi?

- Le royaume a été attaqué par les Luneurs, les servants de Teryel. Corduan a été traîné sur le dos d'un Buffel-Tahal. On s'est enfui tous les trois.

Merde ! Nessa venait de retrouver son père, et il était déjà pris en otage. On avait pas assez de réponses pour pouvoir agir.

- Vous allez bien ? demanda Aquila en regardant sa soeur.

- Ça va, répondit-elle. Nessa a les doigts en compote à cause de Moragor, mais Saeŕos la soulager.

Je lui avais lancé un regard reconnaissant. Il l'avait aidé, et c'était suffisant pour mériter ma confiance. Enfin un peu. Les Luneurs avaient attaqué. Je m'en voulais de les avoir laissé là bas, mais je ne pouvais pas avoir de remords. Depuis que nous étions sur l'île, nous avions repéré des fumées au loin. Quelqu'un faisait du feu et nous avions entendu des cris d'enfants. Certains étaient encore vivants.

- Comment vous pouvez être sûrs qu'elle est en vie ? questionna Aquila.

- Je le sais, Nessa va s'en sortir, c'est tout, répondit Jenelly. Mais il faut qu'on détourne son attention à elle. Je sais pas vous, mais moi, je pisserai presque dans mon bas.

- Putain de sourire, marmonna Aquila.

Elle nous montrait ses grandes canines ensanglantés du reste du Buffel-Tahal. Mon estomac ne tenait plus... J'allais tout ressortir. Je sentais mon marsolia s'affaiblir. Moi même je partais. J'entendais la voix d'Aquila...

- Merde ! Il a utilisé trop de marsolia aujourd'hui...

Les flammes bleus de ma trace s'éteignaient, j'entendais Jenelly hurler et viser le torse du monstre. Saeŕos paniquait et fouillait désespérément dans un sac minuscule. Seul Aquila me tenait, il touchait mon crâne. Ça me picotait...

Et puis, elle est apparue entre les arbres. Elle avait dégainé deux poignards rouges derrière son dos et sauta sur la femme pour les lui planter dans les tempes.

J'avais laissé mes paupières se refermer sur le sourire du monstre qui s'était effacé.

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Note sur les Griffins: ils possèdent une forte dose de marsolia leur permettant de lancer aisément un objet même lourd à une centaine de semès.
Il faut énormément d'énergie pour invoquer le pont bleu deux fois en un soleil.
Le marsolia est essentiel à la vie d'un Catams. Bien plus précieux que leur sang qui nourrit leur corps, le marsolia alimente leur âme et leur don.

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