18. Face à l'océan |NESSA|
Tamika avait couru durant près de neuf quart de soleil. Jenelly lui transmettait son propre marsolia pour qu'elle puisse continuer le plus loin possible du Royaume Elvs. Mes doigts étaient toujours en compote, mais je ne m'en souciais pas. Grâce à la primo, nous allions atteindre l'océan d'ici une dizaine de minutes. J'avais eu le temps d'observer le paysage forestier sous mes yeux. Les racines des Cagas avaient noircis, les Roseliers autrefois gigantesques, n'étaient plus qu'un amas de pétales rouge pâle au sol. La nature se mourrait... Pourquoi Teryel s'en prendrait-elle à elle ?
J'évitais de penser à mon père, à Larissa, que je ne pouvais pas reconnaître comme ma mère. En prenant du recul, je ne lui ressemblais pas. Nous avions toutes les deux cet air oriental mais à part ça...
- Comment tu te sens Nessa ? me demanda Saeŕos.
- J'ai connu mieux, répondis-je franchement.
Il avait remis ses gants qu'il avait enlevé et me pris doucement ma main et l'examina. Il avait sorti une fiole bleu que Bellina avait glissé dans son sac, et me versa précautionneusement le liquide sur mes doigts engourdis.
- Tu vas connaître pire bientôt, marmonna t-il. Alors ne sois pas bouleversée pour ça.
- Sans doute. Qu'est ce que c'est que ce liquide ?
- De la Bénadote, ce sont des radicelles qui poussent dans l'eau de la rivière des Torrents. Ils soulagent les plaies et pénètrent dans les tissus pour soigner les fractures, m'apprena t-il. Bellina a crée toutes ces potions, c'est de son savoir-faire.
Il me souriait et rangea la fiole à moitié pleine. Je repensais à Bellina, je l'avais mal jugée. Je lui en avais voulu d'une certaine manière à cause de sa relation avec mon père. Je ne voulais même pas imaginer. Pourtant, elle avait décidé de nous laisser toutes ces cartes en mains pour nous aider à nous évader. Jenelly restait concentrée pour transférer son marsolia à Tamika. Elles allaient bientôt être toutes les deux épuisées.
- Arrête Jen, on arrive bientôt. On va descendre et continuer à pieds, vous devez vous reposer toutes les deux, dis-je.
- Ok, ça me va.
La Bénadote n'était pas aussi efficace que le don guérisseur des Sylphes, mais ça m'avait permis de ne plus sentir la douleur. Merci Bellina.
Nous entendions déjà l'océan gronder au loin. Enfin, on aurait plutôt dit les hurlements d'une bête sauvage. La nuit était déjà tombée mais cela ne nous avait pas ralenti. Je n'étais ni émerveillée, ni épouvantée par l'étendue d'eau qui se tenait face à moi. Certes les vagues étaient immenses, mais je trouvais les menaces de l'océan moins horribles à voir que celle des hommes.
- Bon, comment on fait pour traverser ? demanda Jenelly. C'est mort d'y aller à la nage.
Nous pouvions voir l'île au loin, à plus de deux mille semès. Si la terre nous séparait j'aurai pu y accéder en courant en moins de soixante secondes. Mais la nage, c'était autre chose. Nos montagnes étaient situés au bord de grandes falaises surplombant la mer. Mais l'eau était tellement froide qu'on trouvait très peu de nourriture, et on ne s'y baignait jamais. Je crois qu'aucun Frappeur ne sait nager. Comment Tauri et Aquila s'y étaient-ils rendus ?
- J'ai une idée, mais c'est extrêmement risqué. Il vaut mieux trouver d'autres solutions plus envisageables, déclara Saeŕos.
- Propose quand même, lui dis-je.
Jenelly était descendue de Tamika et lui avait ordonné de repartir loin d'ici.
- Je t'appellerai à mon retour, lui murmura t-elle en touchant son cristal. Rejoins ta meute, tu sera plus en sécurité avec eux.
La louve avait reculé doucement sans quitter Jenelly des yeux. Puis elle avait bondit vers la forêt, sans se retourner.
- Parfois, je me dis que je suis ignoble de lui avoir privé de sa liberté d'être une louve indépendante, bredouilla t-elle en silence sans détourner ses yeux de là où Tamika avait disparu. Bon aller, c'est quoi le plan ?
Saeŕos avait brandit un poignard de son sac. Je l'enviais. Qui n'enviait pas les armes des Elvs ? Jenelly bavait devant son arc, et je jalousais la finesse de cette lame. Et je venais de m'apercevoir qu'à part Saeŕos, nous n'étions pas armées.
- Vous... voulez une arme peut-être ? proposa t-il.
Nous avions toutes les deux hoché bêtement de la tête.
- Je dois avoir deux trois poignards en plus dans ma besace, annonça t-il. Un deuxième arc pour toi aussi Jenelly.
- Quoi ? Mais ton sac ne peut même pas contenir un lot de flèches !
- Ne sous-estime pas la magie elvique, répondit-il un sourire en coin. Bellina n'a pas seulement mis des fioles de Bénadote dans ce sac !
- Incroyable, s'émerveilla t-elle en ressortant l'arc argenté du sac.
- C'est celui de mon père, Elliot. Il a gravé son nom sur l'arc.
- Il a donné un nom à son arc ? s'étonna t-on.
- Pourquoi pas ?
C'était étrange comme un simple prénom sur quelque chose le rendait plus vivant que jamais. Jenelly avait de la chance.
- Je savais que vous n'étiez pas très armées, à part ton couteau dans ta cuirasse Nessa, vous êtes pratiquement vulnérable. Enfin, pas tout à fait si on exclu le Vanesco, je persiste à croire que ce n'est pas si injuste que ça, pour certain.
Saeŕos n'avait pas l'air effrayé le moins du monde du Vanesco, au contraire il l'avait décrit comme personne ne me l'avait fait voir avant. Un bouclier pour sauver les miens, une arme redoutable pour nos ennemis.
J'avais pris deux poignards dont la manche rouge était décoré de pierres vertes taillées en forme de lierre. Deux magnifiques bijoux. Jusqu'ici je n'avais jamais tué personne à mains nu, et j'espérais ne pas avoir à le faire. Je savais simplement où blesser gravement mon adversaire, comme je l'avais fait avec le Luneur en lui plantant un bout de métal dans sa nuque, mais je savais que ça ne l'avait pas tué. En revanche, j'avais déjà condamné deux personnes dans le Vanesco: un Luneur et Abraham. Peut-être que je pouvais me réconcilier avec moi même en me disant que j'avais réussi à faire sortir deux autres personnes ? Aquila et Tauri... Même si je leur en voulais, ils me manquaient. Ok Nessa, tu deviens trop sentimental là...
- Nessa tu m'écoutes ? demanda Saeŕos.
- Pardon, tu disais ?
- Il veut qu'on rentre dans la bouche d'un poisson mangeur de chair fraîche, déclara Jenelly.
- C'est une plaisanterie ?
- Si tu m'avais écouté ! grogna t-il. Je disais que les seuls créatures marines qui peuvent vivre dans ces eaux sont les Golicorfes.
Je n'en avais jamais vu. Mais mon père me racontait autrefois que ces créatures étaient gigantesques. Elles règnent dans l'océan autour de notre continent. Ce sont également à cause de leur présence que les Catams ne naviguent pas en mer, on ne sait pas de quoi elles se nourrissent, mais d'après les nombreuses descriptions, elles n'avaient pas l'air très amicales.
- Et alors ? Ne me dis pas qu'on va voyager tranquillement à dos d'un poisson géant ?
- Je pensais... Voyager à l'intérieur enfaite.
- Tu as raison, trouvons d'autres solutions plus envisageables, dis-je.
- Mais en faite, je suis sûre que c'est le meilleur moyen ! insista t-il.
-Je serai d'accord, si tu me disais que c'est bêtes se nourrissent essentiellement d'algues ou de fleurs aquatiques, et qu'elles ne supportent pas le goût de la chair fraîche. Mais on ne sait rien d'eux !
Mourir bêtement en s'étant jeté dans la gueule d'un poisson, ce serait le comble.
- Enfaite, si. Je sais ce qu'elles aiment manger, dit-il.
- Quoi ?
- Elles raffolent du goût du marsolia, marmonna t-il. Mais...
- C'est non Saeŕos, a t-on déclaré en même temps avec Jenelly.
Cet Elv était suicidaire, c'était pas possible...
- Elles ne nous attaqueraient jamais, je peux te l'assurer. Elles n'ont pas d'odorat et se basent uniquement sur la vue. Si elles ne voient pas la couleur de notre énergie, elles ne nous attaqueront pas. Ces créatures ne tuent pas, même si elles savent que du marsolia coule dans nos veines. Elles sont incroyablement intelligentes, faites moi confiance...
Lui faire confiance, ça je le pouvais. Mais pas à ces Golicorfes.
- Je l'ai déjà fait une fois, croyez moi.
Il s'était avancé vers le bord du riff et se tailla légèrement l'intérieur de la main. Il laissa son sang couler dans l'eau. On pouvait voir un mince filet couleur or ressortir de sa peau et se verser en même temps que son sang, c'était du marsolia. Puis, il se retourna vers Jenelly.
- Tu peux me soigner maintenant Jen ? demanda t-il d'une voix naïve. Je ne supporte pas la vue du sang.
J'avais presque envie de rire en voyant son visage devenu pâle.
- T'es pas possible Saeŕos, s'énerva Jen en invoquant sa trace pour refermer sa main.
Il était resté allongé deux minutes au sol avant de pouvoir tenir sur ses jambes. Son attitude était véritablement amusante.
- Tu as fait quoi ? demanda Jen.
- Elles captent la moindre goutte de marsolia versé dans l'océan, elles vont jaillir hors de l'eau pour voir d'où il provient. Préparez-vous à sauter sur elle.
Nous attendions debout au bord de la falaise. Prêts à sauter à tout moment.
- En faite Saeŕos, on saute où ?
Mais soudainement, une énorme Golicorfe était sorti de l'eau. Je n'en revenais pas, elle était comme on l'a décrivait. Le corps parsemé d'écailles vertes, un mandibule puissante, des yeux émeraudes quasiment transparentes. Mais ce qui m'avait frappé c'était la taille de ces nageoires, on aurait d'ailleurs plutôt dit des ailes. Elle ouvrait grand sa gueule comme si elle cherchait à respirer plus longtemps. Nous ne faisions même pas la taille de ses dents. J'étais partagée entre l'admiration et la peur.
- On saute dans sa bouche ! hurla Saeŕos avant de bondir entre ses canines.
- Cet Elv va me rendre folle ! grogna Jenelly.
Nous prenions toutes les deux un léger élan avant de sauter dans la gueule de la bête juste avant qu'elle ne se referme sur nous. Étonnamment, ce n'était pas l'obscurité qui m'attendait. De nombreuses lumières collées à son palais nous éclairait au dessus de nos têtes.
- Des algues luminescentes, expliqua Saeŕos. On va s'en servir pour la guider jusqu'à l'île. Elles sont attirées par tout ce qui brille.
- T'es en génie, mais tu comptes faire comment pour jeter des algues devant elle ?
- Tu vois cet orifice au dessus de nous ? dit-il en désignant le trou. Toutes les créatures marines en ont, ça leur permet de respirer et aérer leur organisme.
- C'est leur narine ? demanda Jenelly.
- Ouais, si tu veux. On va lancer un peu de ses algues droit vers l'île pour l'inciter à s'y rendre. Ça va marcher, je l'ai déjà fait.
Saeŕos avait l'air de connaître le monde abyssale marin mieux que quiconque. Il était incroyable, j'étais contente qu'il nous ait accompagné. On aurait été perdu avec Jenelly, sans armes et sans solutions.
- Tu as déjà voyagé à bord d'un Golicorfe ? demandais-je.
- Oui.
Il n'avait pas envie de m'en dire d'avantage, et je n'avais pas insisté pour savoir. Chacun avait ses secrets, et ça je l'acceptais la première.
Nous nous sommes mis à ramasser les algues collés contre les parois de sa bouche et entre ses dents. Contre toute attente, personne ne se plaignit de l'odeur insupportable de l'algue morte. J'avais aidé Saeŕos à monter jusqu'à l'orifice pour qu'il lance l'algue.
- Ça marche, elle se dirige vers l'île, nous cria t-il.
J'avais lâché un léger soupir. On avait réussi, il avait réussi.
- Saeŕos a été incroyable, murmura Jenelly en le regardant en haut. Ça doit être vachement beau là haut !
- Oui, tu veux que je t'aide à le rejoindre ? proposais-je avec un sourire taquin.
- Ne t'imagine rien, dit-elle. Je n'ai toujours pas oublié ton frère.
Une partie de moi le savait, mais une autre me disait que Jenelly était fatiguée de penser à lui.
- Moi non plus Jen. Je ne te dis pas d'aller voir ailleurs, mais je pense que tu ne devrais pas culpabiliser pour...
- Moi culpabiliser ? Tu veux rire ! Ton frère ne m'aimait pas, je n'avais pas assez de valeurs à ses yeux...
- Tu as tord, mon frère ne jugeait personne moins digne que lui.
- Non Nessa, toi, il ne te jugeait pas moins digne que lui. Il tenait à toi comme à la prunelle de ses yeux...
- On arrive ! s'écria Saeŕos.
Je devais aider Jenelly à atteindre l'orifice de la Golicorfe, en lui présentant un appui pour la propulser. Il fallait sortir de sa bouche avant qu'elle n'aille sous l'eau, sinon, on risquait de nous noyer dans son corps.
- Nessa ! Attends, comment tu vas faire ?
- Je me debrouillerai, t'en fais pas ! Saute !
Elle avait resisté durant une seconde, mais avant que l'eau ne pénètre dans la gueule du poisson, je la projetai avec force vers Saeŕos. J'eus le temps de voir ses bras se faire tirer par l'Elv pour sortir de la bouche; car très vite, une rafale d'eau glacée m'emporta au fond de la gorge de la Golicorfe.
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Golicorfe: atteignant trois fois la taille d'une baleine, ces êtres en réalité très pacifiques, cherchent sans arrêt du marsolia mais de façon juste qui tend à respecter les lois de la Nature. Ils ne tuent pas pour leur propre survie et leur plaisir.
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