10. Le marsolia |NESSA|
Ses lèvres étaient étonnamment puissantes. Je me sentais prise dans un tourbillon de chaleur. Et je n'arrivais pas à savoir si je détestais ou non cette sensation. Tu en raffoles, sifflotait une voix en moi. Il fallait que je fasse taire cette conscience un peu trop bavarde. Génial, maintenant ma conscience me parlait.
Je pouvais sentir tout le marsolia de mon corps se transférer au sien. Il y avait deux façons de le faire: une poignée de main ou un baiser. Mais la poignée ne fonctionnait que pour quelqu'un qui venait du même peuple que vous. Je ne l'avais jamais utilisé était donné que dans le monde réel, nous ne pouvions pas nous toucher. Même entre Frappeurs. Le Vanesco ne nous condamnait pas uniquement à envoyer les personnes ici, non c'était bien plus. Il nous bloquait l'accès à tous les Catams. Nous rendant impuissants et en même temps coupables de leur mort. Nous ne pouvions pas transférer notre marsolia en dehors du Vanesco, évidemment. J'étais persuadée de ne jamais avoir à utiliser cette méthode pour donner un peu de mon énergie. Méthode que je trouvais idiote... Mais le marsolia est un don vital offert à tous les êtres vivants par Sierra, déesse notre galaxie. La déesse de la prospérité et de l'espoir. On raconte que le marsolia est une partie de son âme, qu'elle nous a accordé par grâce et amour. Mais pour nous dissuader d'en abuser, elle avait choisi l'acte le plus intime, enfin pré-intime, si on souhaitait se transmettre du marsolia entre nous. Efficace, puisque la majorité des Catams étaient particulièrement pudiques et nous ne nous embrassions pas couramment dans les rues. Ceci étant, je ne m'attendais pas à devoir l'embrasser. Je m'étais éloignée de lui considérant qu'il m'avait pris plus de marsolia que l'on ne l'aurait voulu tous les deux.
- Ouais, j'ai vraiment cru qu'il allait te vider de tes forces Nessa, pouffa Aquila. Bon allez ! Ensuite ?
- Dans ce... Portail...
Je perdais mes mots, encore étourdie par le taux de marsolia que Tauri m'avait pris. Ou par le baiser.
- Vous devrez affronter le gardien qui ouvre l'accès à vos peurs, continuais-je.
- Comment ça ? questionna Tauri.
J'avais oublié qu'il était complètement nu. Fais chier... Il pouvait pas avoir la clémence de mettre ses mains devant ! Mon cerveau n'arrivait toujours pas à assimiler qu'il était le loup ambre. Il m'avait caché tellement de choses et j'avais encore à découvrir. Je le sentais.
- Mon père me disait que nous avions tous un gardien dans notre esprit. Il est bon comme mauvais. C'est l'être le plus subjectif qu'il soit créé par Sierra. Mais on peut décider de quelle côté il peut être dominé. Cela dépend de nos intentions.
- Qu'est ce que ça veut dire? Me demanda Aquila.
- J'en sais rien, ce sont ses mots. Peut être que ça dépend de qui on est réellement dans le fond.
- C'est pas possible, on va se battre contre un homme qui vit dans notre esprit ?
- Heu... C'est pas tout à fait un homme...
- Quoi une femme ? Je déteste les femmes, ce sont les plus sauvages si elles savent se battre ! se lamentait Aquila d'un air taquin.
Je ne savais pas quoi penser. Mais j'avais clairement pris ça pour un compliment.
- Enfaite... C'est plus une bête. Et ce sera celle dont vous craignez le plus sur Catamia...
Pour moi. Un Buffel-Tahal.
- Et si on ne craint aucune bête ? rétorqua Tauri.
J'étais étonnée de le voir si calme. Ses yeux bleus me scrutaient. Comment avais-je pu ne pas reconnaître la couleur de celle du loup?
- C'est que ne l'as pas encore rencontré sur Catamia. Elle te sera révélée.
J'étais contente de leur apprendre quelque chose. J'avais l'impression de ne rien savoir sur Catamia. Mais ces deux garçons en savaient visiblement moins.
- Comment on fait pour l'affronter ? demanda prestement Aquila.
- Affronter ne veut pas forcément dire combattre. Mais il ne vous reconnaîtra pas, et pour lui tout être jaillissant du Vanesco ne peut être que mauvais. Il faudra soit forcer le passage, soit le convaincre.
- Génial. Le gardien de mon esprit ne reconnaît même pas le maître dont il garde les peurs !
- C'est plutôt fascinant je trouve, avais-je répondu.
Je le pensais. Rencontrer un gardien de son âme n'avait rien d'annodin. Le monde des vivants étaient extrêmement bien protégé par un portail bien gardé. Sinon n'importe qui du Vanesco pourrait en jaillir. Catamia serait livrée à elle même dans ses propres terreurs. Il me paraissait normal d'affronter un bon gardien pour retrouver ma place parmis les vivants. Les vrais.
Tauri s'était avancé à ma gauche. Je me refusais de me retourner vers lui. Je sentis sa main se poser doucement derrière ma nuque. Le contact m'électrisait, mon marsolia s'agitait partout dans mon corps.
- Je vois le portail, déclara t-il.
- Pourquoi je ne le vois pas moi? s'épouvanta Aquila.
- Il faut que tu touches sa trace abruti.
Aquila avait légèrement souri avant d'imiter Tauri. Ce Sylphe était un peu l'ouest. Le Vanesco avait dû l'effrayer pour qu'il devienne aussi maladroit.
- Bon aller, on a que quelques secondes. On fonce.
Et pris dans un même élan, nous sautâmes tous les trois dans l'épaisse lumière blanche.
***
Une chose de faite. J'avais réussi à faire apparaître le portail. Ce à quoi je croyais ne jamais être capable. Mais j'avais foi en ces deux garçons. En Tauri.
J'étais à présent entourée par des remparts sombres. Le ciel noir s'élevait beaucoup plus haut que d'habitude, le rendant plus inaccessible qu'il ne l'était déjà.
- Bonjour Nessa.
Je m'étais retournée face au Buffel-Tahal qui venait de parler derrière moi. Mais étrangement je n'avais pas peur, encore plus étrange, il me connaissait. Pourtant il ne devrait pas.
- C'est vrai je ne devrais pas, déclara t-il.
- Non seulement tu parles, mais tu lis dans mes pensées, dis-je étonnée.
- Ne sois plus si surprise.
- Est ce que vous êtes le Buffel-Tahal qui s'en ai pris à moi et à Abraham ?
J'aurai pu le reconnaître entre mille. Le même pelage, le même air affamé.
- Oui. Ton peuple a bien fait de me brûler pour mon hommage.
- C'est grossier.
- Non, c'est simplement la suite logique de ce que vous avait fait tous les deux.
- On a rien fait de mal, c'est toi qui nous a attaqué. Et si tu avais cette même bonne conscience que tu as là, mon frère aurait été vivant.
- Les choses sont différents sur Catamia que dans l'univers des esprits.
- Tu es esprit maintenant ?
- Oui grâce à votre acte d'honneur envers moi. C'est ce qui arrive à chaque fois que vous brûlez dignement une des créations de Sierra.
Ça paraissait irréel. Je parlais avec un Buffel-Tahal, celui qui avait attaqué Abraham, celui qui avait voulu ma mort. Et mieux encore, c'était le gardien de mes peurs, et je ne ressentais aucune haine envers lui.
- Je ne te poserai qu'une seule question pour que tu accèdes à nouveau à Catamia. Tes amis t'attendent là bas.
C'est moi qui avait des questions. Mais je me retenais de les poser. J'étais déjà assez heureuse qu'il me dise que Tauri et Aquila avait réussi.
- Je t'écoute.
La bête s'était avancé vers moi et dès lors nous étions à nouveau devant la Frontière Verte, près de mes montagnes. Elles me manquaient.
- Est ce que c'est chez toi Nessa ?
- Pardon ? C'est ça m'a question?
- Oui.
Je pensais que ce Buffel-Tahal avait le sens de l'humour. Mais il était réellement sérieux. C'était une question piège.
- Ma question est simple pourtant, pourquoi doutes-tu?
- Je ne doute pas ! Bien au contraire. C'est parce que c'est simple que je me demande si tu ne me tends pas un piège.
- Peut être devrais tu prendre garde ?
- Je le fais toujours ou que j'aille.
Je réfléchissais, pourquoi me parlait-il de ça maintenant ? Biensûr que c'était chez moi, même si on m'avait banni.
- Si je répond faux, je retourne dans le Vanesco c'est ça ?
- Oui.
- J'aurais finalement préféré te combattre...
- Moi aussi.
Très sympathique. Je ne comprenais rien.
- Évidemment que c'est chez moi. On m'a banni, mais des personnes qui m'aiment sont là bas, c'est pour eux que je vis dans ces montagnes.
J'étais sûre de moi. Mes parents étaient là bas. Ces montagnes étaient mon abri, ma maison. Biensûr que c'était chez moi.
- Peut être aurais-je dû te formuler ça autrement. Mais tu n'as pas menti. Cours jusqu'au bout de ce remparts. Une voix te guidera jusqu'à la sortie.
- Quelle voix ?
- Celle de celui qui se fait un sang d'encre pour toi, évidemment.
Je pensais aussitôt à Tauri. Mais peut être que non. Peut être était-ce mon père?
Je m'apprêtais à courir pour lui demander comment cela se faisait-il que mon gardien me connaissait, mais une autre question me taraudait.
- Comment aurais-tu reformuler ta question ? demandais-je.
Il semblait hésiter. Mais déclara tout de même:
- Est ce que les personnes qui vivent là bas sont vraiment des tiens ? Es-tu réellement une Frappeur ?
Je croyais avoir mal compris. Mais les mots avaient à nouveau résonné en moi. Es tu réellement une Frappeur? Qu'est ce que ça voulait dire...
Je n'eus pas le temps de réfléchir. Le sol sous mes pieds s'effondrait, je devais courir jusqu'au bord du rempart. Sans me retourner vers mon gardien, je forçais droit vers cette voix qui m'appelait.
Tauri.
Sa voix fusait au delà des remparts. Et je savais exactement où me diriger.
***
- Nessa !
J'avais jailli hors du trou obscur qui nous avait envoyé dans le Vanesco. Nous étions revenus dans la forêt, là où nous étions encerclés par les Motlous. Tauri se précipita sur moi avant que je ne flanche. Mais je le repoussais doucement d'un geste de la main, j'avais besoin de m'allonger au sol. Cette course m'avait épuisée et puis...
- Tu n'as pas envie d'y retourner si?
- J'avais oublié que tu étais redevenue intouchable.
Je laissais mon corps s'écrouler contre la terre. On était de retour. Les deux garçons s'étaient accroupis au dessus de moi. Après avoir respiré deux secondes, je m'étais redressé d'un coup. Ils avaient été surpris et se redressèrent subitement. Aquila était retombé sur ses fesses.
- Nom d'un loup Nessa! Moi j'ai pas envie de te retoucher! Alors s'il te plait, sois moins brusque dans tes mouvements ! s'écria t-il.
- Jure pas sur un loup, rétorqua Tauri.
Mon corps s'était soudainement crispé. Tauri était le loup ambre... Tauri n'était pas un Sylphe. Je m'étais relevée rapidement pour reprendre mon chemin.
- Attends !
- Nos chemins s'arrêtent ici ! Sifflais-je.
- Nessa !
J'étais trop épuisée pour reprendre une nouvelle course. Je les laissais me rattraper, uniquement parce que j'étais fatiguée. Menteuse, tu adores leur compagnie, ça te change, tu as toujours été seule !
- Allez viens, elle nous en veut pas, chuchota indiscrètement Tauri.
Je le fusillai aussitôt du regard. Ça l'avait stoppé net.
- Non seulement tu n'es pas un Sylphe, tu es un loup. Mais en plus tu lis dans les pensées des gens ?!
- Seulement les tienne, me répondit-il d'un large sourire.
Il m'énervait. Ce stupide loup m'énervait !
- Génial.
Je n'aimais pas ça. Je ne croyais pas en ces histoires à l'eau de rose de liaisons alchimiques indescriptibles unilatérales entre deux êtres qui pouvaient se comprendre rien qu'en télépathie.
- Tu me veux comme amant ? ajouta Tauri.
- Arrête de faire ça !
- Je n'y peux rien! C'est plus fort que moi!
Très bien alors entends très fort mes pensées pour toi, trou du cul.
- Charmant ! s'exclama t-il avec un sourire.
- C'est mignon cette crise de couple, mais je me sens exclu, minauda Aquila.
- Vous êtes tous les deux exclu, je ne sais pas si je peux vous faire confiance. Vous êtes... Trop spéciaux.
- On sait, on nous le dit souvent ! rétorquèrent-ils tous les deux en coeur.
- Et l'humilité vous connaissez ? m'indignais -je.
Je ne savais plus quoi penser. Non. Je ne voulais plus penser. Ces deux garçons m'avaient aidé, mais je les avais aidé en retour. Nous étions quittes.
- Écoute Nessa, commença Tauri en courant jusqu'à moi. Je sais que j'aurai dû te le dire dès le départ, mais j' ai préféré attendre de te connaître mieux. Je ne peux pas dévoiler ma seconde nature à n'importe qui.
D'une certaine façon, je le comprenais, moi non plus je ne leur avais pas tout dit tout de suite. Mais il aurait dû savoir que ce loup avait de l'importance à mes yeux. Pour Ora. Ça m'était complètement passé par la tête !
- Tu connaissais Ora ?
- Oui, me dit-il. La plupart des loups connaissent les grands primo du coin.
- Ora était une primo?
- Oui, on les reconnaît avec leur patte avant gauche tracé en noir. Étant donné le pelage sombre de Ora, c'est normal que l'on ne pouvait pas tout de suite le deviner.
J'étais sidérée. La louve de mon frère était une primo. Je ne le savais même pas.
- Comment ça se fait qu'elle était là ? Vous paraissez proche...
- Ora est une louve sage, continua Aquila. Elle a également aidé notre peuple, lorsque nous manquions de vivres. Elle nous dirigeait là où nous pouvions nous rassasier.
- Cette louve était une déesse, commentais-je.
Depuis que le lien avait été coupé avec Abraham, elle ne cessait d'aider les Catams.
- Dans les bois, quand cette meute t'a attaqué, je suis partie la chercher, parce que c'était des jeunes loups de sa propre meute. Il n'y avait qu'elle qui pouvait te sauver ce jour là, reprit Tauri. Je suivais le groupe derrière parce que c'était le jour de la Cession. Et je n'avais plus assez de marsolia pour me transformer sous mon apparence humaine. Être près d'une meute dissuadait les jeunes cessionnaires a vouloir m'avoir comme Egal.
- Je vois...
Je ne savais pas quoi dire.
- Quand Ora t'as aperçu elle t' a tout de suite reconnu. Elle m'a ordonné de te prendre en charge, et de veiller sur toi parce qu'elle tenait à toi.
- Tu communiques avec les loups ?
- Oui, quand j'ai leur apparence.
Ora veillait sur moi. Elle n'a jamais voulu me laisser tomber. La mort de son Egal ne l' enchaînait simplement plus à notre famille.
- Il y a autre chose que tu dois savoir, déclara Aquila.
Il avait tourné son regard vers Tauri. Il avait hoché de la tête d'un air hésitant.
- Allez, je n'ai plus envie qu'elle s 'enfuie à chaque nouvelle révélation, murmura Aquila.
Peut être que j'en avais fait des tonnes. Je venais de remarquer un médaillon couleur or autour de son cou. La lettre E et L étaient gravé à l'intérieur.
- Elphèges, souffla Tauri.
- La cité maîtresse du royaume des Griffins ?
Mais je venais de formuler ma réponse. C'était un Griffin.
- C'est ce que je voulais te dire. Je suis Tauri Callking , le fils de Amon.
_________________
Marsolia: énergie vitale coulant en chaque Catam. Elle est essentielle quand on a recours à sa trace. Le taux de marsolia se produit dans le coeur même. Selon le désir que l'on peut ressentir, ce taux augmente. Et certains sombres désirs peuvent être puissants et menaçants.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top