Retouvailles
Il était trop tard pour le Storm de quitter son point d'ancrage. Peter décida, en l'absence de son père de manœuvrer pour positionner correctement le navire face à son adversaire et augmenter l'efficacité de ses canons. Ce que le jeune homme ne savait pas c'est que le HMS Liberty, le bateau qui fonçait droit sur eux, était dans l'impossibilité d'utiliser son artillerie sans que ce problème ne soit connu de son capitaine.
En effet, Thomas Stanford se trouvait à bord de ce bâtiment et depuis le départ de Port Saint-Mary, il avait fait en sorte de saboter patiemment et en toute discrétion toutes les armes à disposition de l'équipage. Ayant choisi son camp, le jeune homme ne pouvait pas combattre contre celui pour lequel il travaillait. Sachant également que Samuel Hawkins observerait le navire anglais avec sa longue-vue, Thomas avait attaché à sa ceinture, un petit carré de tissu permettant au pirate de l'identifier comme étant un des leurs. Ce fut bien évidemment Peter qui remarqua la présence de Thomas sur le bateau et il en informa ses hommes.
Les Anglais, sous la conduite de Christopher Tyndall, s'apprêtaient à faire feu sur le Storm quand un soldat se précipita tout essoufflé vers le fils du Commodore.
- Monsieur... Monsieur Tyndall... les canons...ils sont...inutilisables.
- Comment cela, inutilisables ?
- Nous ne pouvons les faire fonctionner. Ils...
Pour ne pas attirer l'attention sur lui, Thomas se composa une mine furibonde :
- Monsieur Compton, vos hommes ne devaient-ils pas, sous votre supervision, vérifier l'état du navire avant notre départ ?
- Cela a été fait Lord Stanford, je vous assure !
- Mal, manifestement. Vos fusils fonctionnent-ils au moins ?
- Je...Hum...oui mais...
- Mais ?
- Nous n'avons pas assez de munitions pour ...
- Ça suffit, taisez-vous ! Christopher, si nous nous en sortons vivants, je pense qu'il sera nécessaire d'avoir une discussion avec votre père. Le gouverneur n'est franchement pas satisfait de son travail ni des bévues continuelles de ses hommes. En attendant, réfléchissons à ce que nous allons faire.
- A part tentez de sauver notre peau je ne vois pas très bien...
Christopher et Thomas furent alors projetés par terre par le souffle des premiers tirs provenant du Storm. Peter, voyant que les anglais avaient stoppé leur navire, ordonna de foncer droit sur lui. Les canons détruisirent une partie du bâtiment mais pas suffisamment pour le faire couler. Quelques soldats anglais grimpèrent à bord du Storm et se ruèrent sur les pirates. Thomas suivit le mouvement accompagné de Christopher et lorsqu'ils eurent posé le pied sur le pont du navire, il assena un violent coup de poing au fils du Commodore et il l'attacha solidement à un mat. Le jeune homme interpela ensuite un pirate pour lui demander où se trouvait le capitaine tout en montrant son bout de tissu accroché à sa ceinture. Le forban lui désigna Peter du doigt en lui criant qu'il s'agissait de son fils.
Ce dernier était aux prises avec trois anglais et il accueillit avec soulagement l'aide providentielle de Thomas. Ensemble ils réussirent à neutraliser les soldats puis, inquiet, Peter se mit à chercher Kathryn du regard. La jeune fille luttait également contre l'un des hommes de Tyndall et alors qu'il s'apprêtait à la rejoindre il la vit planter son épée dans le corps de son adversaire. Son répit ne fut cependant que temporaire car plusieurs anglais ayant fui le HMS Liberty qui sombrait peu à peu vaincu par les tirs de canon, se ruèrent sur elle. Kathryn parvint à les neutraliser pendant un bon moment mais petit à petit elle finit par se retrouver encerclée. Peter se rua près d'elle, suivit de près par Thomas. La jeune fille, en voyant le fils du capitaine Hawkins arriver près d'elle, retrouva toute sa hargne et à elle seule elle tua trois des cinq assaillants.
Finalement les hommes de Samuel Hawkins prirent le dessus et après trois heures de combats acharnées, il ne resta plus un seul soldat anglais vivant. Ceux qui étaient restés sur le HMS Liberty avaient fui à bord d'une chaloupe. Certains pirates étaient blessés et trois d'entre eux avaient été tués au tout début de la bataille.
Peter serra alors la main de Thomas :
- Thomas Stanford je présume ?
- En effet.
Kathryn, qui s'était assise un instant à même le pont pour reprendre son souffle, se leva brusquement et elle s'approcha des deux hommes.
- Thomas ?
Ce dernier dévisagea interdit la mince silhouette qui se tenait devant lui : il détailla la jeune fille, remarquant le pantalon légèrement troué, la large chemise d'homme qu'elle portait en dessous d'un gilet long et il finit par croiser le regard franc de Kathryn. Ayant du mal à assimiler la situation, puisqu'il avait vu l'anglaise se battre aux côtés de Peter, Thomas se tourna alors vers le fils du capitaine Hawkins en quête de réponses à ses interrogations silencieuse.
- Kathryn Rotherfield, vous ne vous rappelez pas ? Mon père vous a trouvé ensemble sur son île.
- Mais...
- Oui, évidemment, elle n'allait pas continuer à porter sa robe. Elle a dû...s'adapter...
Le cri furieux de Christopher Tyndall interrompit le jeune homme.
- Vous nous avez amené un invité ?
- Le fils du Commodore. Je devais mener cette mission avec lui.
- Oh. Et bien je vais demander à ce qu'on l'enferme soigneusement.
Peter et Kathryn suivirent Thomas et ils observèrent avec attention leur nouveau prisonnier. Ce dernier, en comprenant que le protégé de John Beckett lui avait menti lui cracha à la figure en jurant qu'il ferait en sorte qu'il finisse pendu devant la forteresse de Port Saint-Mary. Tandis qu'il obligeait Christopher Tyndall à se relever, Peter se pencha vers Thomas et lui dit tout bas en désignant Kathryn de la main :
- Un conseil, évitez de la contrarier. Elle a la fâcheuse tendance de déchirer les vêtements de ses adversaires.
Après s'être assuré que le fils du Commodore ne risquait pas de s'échapper, Thomas retrouva Kathryn sur le pont. Il s'accouda au bastingage puis sans cesser de contempler la mer il lui dit :
- Tu sembles t'être bien adaptée. Tu...ils ne t'ont pas trop fait souffrir ?
- Je n'ai pas eu le choix.
- Tu manies l'épée drôlement bien.
- Il fallait bien que j'apprenne à me défendre. Je ne pouvais pas rester cachée durant chaque bataille.
- Et...Samuel Hawkins, il...s'est bien comporté avec toi ?
- Tu ne lui as jamais posé la question ? Tu travailles pour lui depuis six ans pourtant.
- Je...ce n'était pas volontaire mais je...je n'ai songé à toi que très récemment.
- Et qu'as-tu donc fait dans ce cas ?
- Samuel m'a demandé de l'informer sur les activités du gouverneur.
- Et tu l'as fait ?
- Oui. Cet homme...
Thomas serra les poings et sa voix se brisa. Kathryn comprit qu'il s'était passé quelque chose de grave durant son séjour à Port Saint-Mary. Elle l'observa sans parler puis le jeune homme se tourna vers elle, le regard triste.
- J'ai...j'ai eu une liaison avec son épouse.
- Je te demande pardon ?
- Je sais, c'est... Sarah avait six ans de plus que moi mais je...elle n'était pas heureuse, John la trompait ouvertement, il la considérait comme une moins que rien. Je...je me suis rapproché d'elle et nous...je l'ai aimée pendant cinq mois. John n'a jamais rien su.
- Vous...vous êtes séparés ?
- Non. Sarah est...décédée en perdant notre bébé.
Kathryn dévisagea tristement Thomas qui continua son récit, ressentant pour la première fois le besoin de parler de cet affreux souvenir.
- Elle venait de comprendre qu'elle attendait un enfant. J'allais avoir dix-sept ans mais je l'aimais comme un fou. Je suis parti une journée complète en ville pour faire quelques petits boulots afin de gagner un peu d'argent pour rentrer en Angleterre. Le soir...je l'ai retrouvée allongée sur son lit, il y avait du sang partout. Je...
- Je suis sincèrement désolée.
- Par la suite, j'ai cherché à me venger par tous les moyens de John Beckett. J'ai aidé à l'évasion d'enfants, je faisais en sorte que certains pirates ne soient pas jugés et condamnés à mort. Il n'a jamais découvert que c'était moi, il a toujours pensé que les hommes de Tyndall étaient responsables. Christopher n'a découvert mon vrai visage qu'aujourd'hui.
Thomas fixa à nouveau la mer sans vraiment la voir et il écrasa rageusement une larme sur sa joue.
- Il était temps que je quitte cette ville de malheur et j'espère bien ne plus jamais y retourner.
- Quelqu'un a...a su pour...toi et... ?
- Non. Mais je n'ai pas pu faire face. J'ai sombré il y a quelques mois : je n'en pouvais plus de vivre dans cette maison, de ressasser toujours les mêmes souvenirs. Alors j'ai commencé à passer mes soirées dans les tavernes de la ville, à boire plus que de raison et...à essayer d'oublier Sarah. Je ne me rappelle même pas le nom de toutes ces femmes avec lesquelles j'ai...j'ai...
- N'en dit pas plus. Ça ne sert à rien.
- Tu as raison, je suis déjà assez...enfin soit. Ce n'est sans doute pas une mauvaise chose que je me retrouve sur ce navire. Et toi ? Peter Hawkins te traite-il bien ?
- Moins je le vois, mieux je me porte.
- Oh ! Pourquoi ?
- Je préfère ne pas en parler. Rien que de lui être redevable pour m'avoir sauvé la vie me... m'exaspère au plus haut point.
Tout en nettoyant quelques fusils, Peter observait discrètement Thomas et Kathryn et il n'appréciait pas ce qu'il voyait devant lui. Bien qu'elle ne l'ait pas revu depuis six ans, la jeune fille n'avait pas envers Thomas Stanford ce regard de méfiance qu'elle avait avec lui. Peter détailla alors le nouvel arrivant : Thomas Stanford était grand, il avait des bras musclés, sans doute dû à un entraînement intensif à l'épée ou à un travail physique régulier. Ses cheveux bruns foncés presque noir, étaient assez longs et le jeune homme les retenait attachés. A sa ceinture de cuir noir étaient attachée une très belle épée et un pistolet. Ses vêtements bien que très simples étaient d'une excellente qualité et détonnaient avec les habits sales et abimés de Kathryn.
- Il me semble que tu vas avoir un sérieux rival mon fils...
Peter se retourna stupéfait en découvrant son père derrière lui. Samuel Hawkins, qui n'avait pas participé à la bataille contre le HMS Liberty, venait de regagner son navire et il regardait lui aussi Thomas Stanford attentivement.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Ce Thomas Stanford est plutôt beau garçon. Je suis certain qu'il ne doit pas laisser beaucoup de femmes indifférentes...D'ailleurs notre chère Kathryn...A ce propos, l'Ancêtre m'a rapporté quelques informations intéressantes.
- Oh, tais-toi !
- Un conseil mon fils : si tu veux cette femme, n'attends pas qu'elle rejoigne le lit de Thomas Stanford...
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Cohabitation mouvementée en vue ???
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