Embuscade
La frustration de Thomas augmentait de jour en jour : le gouverneur Beckett semblait avoir totalement abandonné l'idée de découvrir l'œil de Satan et le médaillon de Lord Ascott. En quatre ans, le jeune homme n'avait pu fournir que quelques minces renseignements à Samuel Hawkins. Sa seule certitude était que le gouverneur avait envoyé dix hommes en mission et qu'aucun n'était revenu à ce jour.
A présent âgé de seize ans, il avait l'autorisation de sortir seul dans les rues de Port Saint-Mary et Thomas se rendait fréquemment chez les amis du pirate pour avoir des informations au sujet des projets du capitaine du Storm. Celui-ci ne voulait rien tenter avant le gouverneur et il attendait donc patiemment que Thomas lui fournisse enfin une information intéressante. Il avait également menacé, via l'un de ses comparses de s'en prendre à lui s'il refusait de continuer sa mission auprès de John Beckett.
Jonas, l'un des hommes d'Hawkins était un ami de Jane, la tenancière de l'auberge où Thomas s'était retrouvé à son arrivée à Port Saint-Mary et le jeune homme s'était lié d'amitié avec la truculente et énergique propriétaire. Il privilégiait donc à présent ce lieu de rencontre qui lui permettait également de passer un bon moment et d'oublier momentanément son rôle d'espion.
Un jour, Jonas ne laissa même pas le temps à Thomas d'aller saluer Jane et il l'entraîna dans un coin de l'immense salle de l'auberge.
- Le capitaine a une mission pour toi. Nous allons attaquer le gouverneur.
- Quoi ? Mais c'est de la folie !
- Attends. Nous allons faire semblant de l'attaquer. Beckett t'apprécie mais pas assez pour te confier ses secrets et le capitaine est fatigué d'attendre. Le gouverneur va tomber dans une embuscade et toi, tu vas faire en sorte de lui sauver la vie. Ou, du moins, de faire en sorte qu'il s'imagine que tu lui as sauvé la vie.
- Je suppose que je n'ai pas le choix ?
- Ça te pose un problème ?
- Pour être honnête, je préfèrerais le laisser crever.
- Tu n'es pas le seul. Mais nous avons besoin de son fric.
- Je le sais bien Jonas ! D'accord. Quand ?
- Demain.
- Quoi ? Non, impossible.
- Pourquoi ?
- Parce qu'il a prévu de faire une petite visite de courtoisie chez Tyndall avec Lady Sarah.
- Et alors ?
- Vous n'allez quand même pas...
- Ne t'inquiète pas, on ne touchera pas à ta jolie Sarah. Ha, ne fait pas cette tête-là mon ami. J'ai bien remarqué depuis quelques temps que tu ne regardais qu'elle.
- Quoi ? Tu délires Jonas. Tu as encore abusé du rhum de notre chère Jane !
- Figure toi que je suis encore sobre ce matin. Et je t'ai bien observé. Ça crève les yeux que tu en pinces pour la demoiselle.
- Et si tu me parlais de ton plan au lieu de débiter des âneries ?
- Susceptible le petit hein ? Bon, écoute-moi bien, voilà comment nous allons procéder...
En rentrant chez le gouverneur Beckett, Thomas était songeur. Il s'installa à l'arrière de la maison, sur la vaste terrasse qui donnait sur l'immense parc arboré de la propriété. Il resta là pendant deux bonnes heures, retournant dans sa tête toutes les possibilités et n'arrivant pas à écarter un mauvais pressentiment au sujet de l'embuscade prévue le lendemain.
- Tu ne viens pas manger ?
Le jeune homme se retourna brusquement pour apercevoir Sarah qui se tenait non loin de lui. L'épouse de John Beckett avait revêtu une robe blanche toute simple qui lui donnait l'allure d'une adolescente et non d'une femme mariée. Thomas songea qu'ainsi elle était terriblement attirante. Il soupira et se leva pour se rendre dans la grande salle à manger afin de ne pas laisser son esprit vagabonder comme il le faisait bien trop souvent ces derniers temps au sujet de Lady Sarah.
Le repas se déroula en silence : Thomas évitait de croiser le regard de la jeune femme et feignait d'être à nouveau plongé dans ses pensées tandis que Sarah se demandait si elle avait fait quelque chose qui avait heurté ou contrarié le jeune homme.
Lorsque ce dernier se leva de table, Sarah se décida à aborder avec lui ce qui la tracassait. Elle s'était attachée à Thomas et, dans sa morne existence, il était l'unique rayon de soleil qui lui permettait de ne pas sombrer.
- J'ai l'impression que tu m'évites ces derniers temps.
- Quoi ? Non, non pas du tout.
- Je respecte ta vie privée, tu...tu n'es plus un enfant à présent mais...tu sais bien que tu peux tout me dire Thomas. Si tu as des ennuis, si quelque chose te dérange...
Thomas détourna la tête un instant. Oui il avait un problème mais il était évident qu'il ne pouvait pas lui dire tout l'émoi qu'elle suscitait chez lui. Il était tout à fait inconcevable qu'il lui avoue qu'il la désirait un peu plus chaque jour alors qu'elle était mariée à John Beckett et qu'elle avait six ans de plus que lui.
En soupirant, Thomas se retourna vers la jeune femme :
- J'ai entendu quelques conversations en ville. Cette visite chez Andrew Tyndall demain, est-ce vraiment nécessaire ?
- Nous ne serons pas seuls. Les hommes du Commodore nous escorteront.
- Hum.
- Nous ne resterons pas longtemps. John doit simplement signer quelques papiers. Thomas,...tu ne crois quand même pas les stupidités que Susan s'amuse à raconter au sujet de Christopher et de... moi tout de même ?
- Non...bien sûr que non. Je ne t'imagine pas dans les bras de ce prétentieux. Tu es mariée et tu le détestes autant que moi n'est-ce pas ?
Sarah se contenta de faire un petit sourire au jeune homme puis elle se retira dans sa chambre pour dormir un peu. Le sourire de l'épouse de John Beckett s'effaça immédiatement quand elle se retrouva seule dans ses appartements. Les changements dans le comportement de Thomas étaient si...brutaux, si étranges...Il semblait la fuir depuis plusieurs semaines alors que jusqu'à présent ils avaient toujours été très proches.
Sa manière de la regarder quand il avait parlé de Christopher sonnait comme un avertissement à son égard. Pourquoi ? Avait-il compris ?
Sarah avait vu l'enfant évoluer, grandir et se transformer en un jeune homme très séduisant. Elle savait qu'il attirait tous les regards en ville car elle l'avait remarqué lors de leurs rares sorties ensemble et Virginia lui en avait également fait la confidence. Délaissée par son époux qu'elle n'aimait pas, Sarah ne se rappelait plus à quel moment elle avait commencé à regarder Thomas différemment, à oublier qu'il était cet enfant qu'elle avait recueilli pour tromper sa solitude.
Ayant passé presque toute sa vie dans un couvent pour n'en sortir qu'au moment de son mariage sans jamais avoir rencontré John Beckett une seule fois, Sarah avait dû laisser s'envoler ses rêves de jeune fille d'avoir un mari qui l'aimerait et qui se montrerait tendre avec elle. Le gouverneur avait toujours été froid avec elle, même durant leur nuit de noces et très vite elle avait compris qu'il n'attendait d'elle qu'un héritier, un fils qui pourrait assurer la continuité de son illustre nom.
Thomas quant à lui, s'était toujours montré très attentif à elle, il était souriant, il aimait discuter de tout avec elle et quand elle lui donnait ses leçons, elle était toujours étonnée devant sa soif d'apprendre. Mais en était-elle réellement tombée amoureuse ? Tout ce que Sarah connaissait de l'amour elle l'avait lu dans ses livres et ce n'était pas grand-chose.
L'arrivée de Virginia qui venait faire un peu de ménage interrompit les réflexions de la jeune femme. La servante remarqua rapidement l'air absent de sa maîtresse et elle ne put s'empêcher de la questionner à ce sujet.
- Est-ce que vous allez bien Madame ?
- Quoi ? Oh, oui, oui Virginia merci. Je suis juste...un peu fatiguée. La chaleur sans doute. Même après quatre ans je ne m'y habitue toujours pas.
- Puis-je vous poser une question ?
- Bien entendu.
- Et bien...Susan se demande si les sorties fréquentes de notre petit Thomas ne cachent pas quelque chose. Il a seize ans et il est beau garçon.
- Et ?
- Et bien,... à vrai dire je ne suis pas de son avis. Mais ça, je ne lui ai pas dit naturellement.
- Je ne vois pas où tu veux en venir Virginia.
- Vous l'aimez n'est-ce pas ?
- Je te demande pardon ?
- Je vous assure, je ne dirais rien, je...
- Qui t'a mis une idée pareille en tête ?
- Vous êtes différente depuis quelques temps. Et si vous voulez mon avis, vous lui plaisez également.
Déstabilisée par les propos de sa servante, Sarah quitta précipitamment sa chambre pour aller se réfugier sur la terrasse, là même où Thomas se trouvait quelques heures auparavant. La jeune femme prit peur en songeant que si Virginia en était arrivée à cette conclusion, son époux devait sans doute avoir remarqué quelque chose également. Totalement paniquée, Sarah se demanda si elle ne devait pas avoir une conversation avec Thomas avant de subir les foudres du gouverneur.
Pendant ce temps, le jeune homme était retourné en ville pour transmettre à Jonas tout ce dont il avait besoin de savoir pour l'embuscade du lendemain. Il but rapidement un verre avec l'homme de main de Samuel Hawkins puis alors qu'il s'apprêtait à se lever, le pirate le retient par le bras.
- Jane a besoin de toi. Elle est au premier étage, la porte au fond du couloir.
A ta place je ne la ferai pas attendre.
Inquiet, Thomas salua Jonas et il se rendit à l'étage. Quand il entra dans la pièce et qu'il constata qu'il se trouvait dans une chambre, vraisemblablement celle de Jane, le jeune homme fronça les sourcils.
- Jonas a dit que...
- Chut...Viens par ici.
En remarquant que la tenue de la tenancière de l'auberge ne cachait presque rien de ses formes généreuses, Thomas déglutit lentement. A trente-deux ans, elle faisait toujours tourner bien des têtes et le jeune homme n'était pas insensible à ses charmes. L'esprit légèrement embrumé par l'alcool, il ne réagit pas quand Jane se leva pour le conduire vers le lit et il laissa ensuite son amie l'initier à des plaisirs encore inconnus pour lui.
Quand il entra dans le grand hall de la demeure du gouverneur, Thomas se sentit étrangement mal. Certes, Jane, après leurs ébats, lui avait dit qu'elle n'avait aucun sentiment pour lui mais que, comme elle était très attachée à lui, elle avant tenu à prendre en charge cet aspect particulier de son éducation. Certes, il n'était pas marié à Sarah et il n'avait aucune justification à lui apporter mais, en pénétrant dans la luxueuse maison, Thomas eut l'impression d'avoir trompé la jeune femme.
Tout comme Jonas, Jane avait compris que son petit protégé était tombé amoureux de l'épouse du gouverneur car lorsqu'il s'était rhabillé précipitamment, elle s'était approchée de lui et lui avait murmuré à l'oreille qu'à présent il serait capable d'apporter à la jeune femme tout ce qu'elle désirait.
Cette nuit-là Thomas dormit très mal, rêvant tour à tour qu'il partageait enfin son lit avec Sarah, qu'il se faisait renvoyer de la maison par le gouverneur qui avait découvert l'infidélité de sa femme puis qu'il était tué à la place de John Beckett pendant l'embuscade tendue par les hommes de Samuel Hawkins. Le lendemain matin, le jeune homme était épuisé et terriblement tendu.
Quand il arriva au domicile d'Andrew Tyndall et qu'il vit le gouverneur prendre délicatement la main de Sarah, Thomas eut toutes les peines du monde à se contenir. Les regards plus que tendancieux ensuite de Christopher Tyndall terminèrent d'irriter le jeune homme et il se sentit presque soulagé en quittant la demeure du Commodore.
La voiture du gouverneur attendait à quelques dizaines de mètres et, pour ne pas attirer l'attention sur lui, Thomas se tient en retrait du couple Beckett. Tout se passa très vite : les quatre hommes du Commodore chargés de les escorter furent ligotés puis un pirate pointa son épée sur la gorge de John Beckett tout en poussant Sarah sur le côté.
Il commença alors son petit discours soigneusement préparé par Jonas et Thomas et quand l'homme réclama une importante somme d'argent en échange de sa vie, le jeune homme entra en scène. Avec une vitesse stupéfiante, il désarma les cinq pirates qui avaient participé à l'embuscade puis il fit mine de libérer les gardes du Commodore pour permettre aux hommes de Samuel Hawkins de prendre la fuite. La voix mal assurée, le gouverneur lui demanda de ne pas les poursuivre mais de monter au plus vite dans sa voiture afin qu'ils puissent rentrer.
Quand Thomas pénétra dans la demeure de John Beckett, ce dernier l'entraîna dans son bureau pour le remercier de lui avoir sauver la vie.
- Sans toi mon garçon, nous serions morts Sarah et moi. Ce geste doit mériter une récompense. Je ne peux encore te le dire mais j'ai bien l'intention d'écrire à quelques amis afin que tu sois reconnu à ta juste valeur. Préviens mon épouse que je serai absent toute la journée. Je dois faire la lumière sur cette agression et interroger les hommes d'Andrew pour savoir lequel a révélé à ces bandits que je comptais lui rendre visite.
Lorsque le gouverneur eut à nouveau quitté sa propriété, Thomas se hâta vers les appartements de Sarah car il avait vu la jeune femme grimper précipitamment les escaliers lorsqu'ils étaient revenus de Port Saint-Mary.
Quand il entra dans le petit salon, l'épouse de John Beckett se leva rapidement du divan où elle était assise et elle s'élança vers Thomas.
Sans réfléchir, le jeune homme l'embrassa passionnément.
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