Déchirement


Elle ne l'avait pas repoussé. Elle l'avait même encouragé à continuer en nouant ses bras autour de son cou alors qu'elle était une femme mariée, une femme qui devait avoir un comportement exemplaire même si son mari était le pire des goujats.

Sarah soupira en se disant qu'elle ne valait pas mieux que ces femmes aux mœurs légères et à la vie dissolue qui fréquentaient les tavernes de la ville. Même si Thomas était bien plus grand qu'elle, il n'avait que seize ans !

Après l'avoir embrassée, il était sorti précipitamment de la pièce quand Virginia s'était annoncée et depuis, elle ne savait pas où il était parti. La jeune femme se demanda alors si elle allait oser rejoindre la salle à manger pour partager son repas avec Thomas. Après avoir hésité longtemps, elle appela Susan pour lui demander de lui servir un plateau léger dans sa chambre.

Thomas de son côté était sorti dans le parc pour tenter d'évaluer les conséquences de son geste. Quand il rentra dans la maison et qu'il s'installa ensuite dans la salle à manger, il ne fut pas étonné d'apprendre que Sarah avait souhaité rester dans sa chambre. Il avala rapidement son repas puis il se dirigea à nouveau vers les appartements de l'épouse de John Beckett. Il craint un instant que la jeune femme refuse de le voir mais elle le fit entrer dans son salon sans dire un mot.

Sarah se dirigea alors vers l'une des fenêtres pour éviter de croiser le regard de Thomas. Ce dernier s'approcha d'elle puis il posa délicatement sa main sur son épaule.

- Sarah...

La jeune femme frissonna, songeant à son devoir d'épouse et à l'envie de céder à son désir. Elle perdit totalement pied quand Thomas s'adressa alors à elle d'une voix rauque.

- Je devrais m'excuser mais je ne le ferai pas parce que je ne regrette pas. Et je sais que tu penses la même chose que moi.

Quand il l'obligea à se retourner pour lui faire face, Sarah se laissa faire et Thomas en profita pour poser ses lèvres sur les siennes. Sarah sentit le sang battre à ses tempes et tous ses muscles se tendirent quand le jeune homme commença à faire voyager ses mains sur son corps. Thomas accentua la pression sur les lèvres de Sarah. L'épouse du gouverneur laissa chaque baiser se faire plus intense, plus intime, plus dévastateur que le précédent. Ses sens étaient en ébullition et un feu brûlant se répandit en elle tandis qu'elle laissait le jeune homme l'embrasser comme il le désirait.

Sarah savait que si aucun des deux ne reprenait ses esprits il n'y aurait plus de retour en arrière possible. Mais très vite, elle se rendit compte qu'elle ne pourrait pas lutter et qu'elle n'en avait pas envie. Le souffle court, Thomas mit un terme à leur étreinte enflammée puis il posa ses yeux sur la jeune femme sans pour autant retirer ses mains de ses hanches.

L'arrivée impromptue de Virginia obligea le couple à se séparer brusquement. Pris sur le fait, Sarah redouta que sa domestique n'aille tout répéter au gouverneur mais Virginia, avec sa spontanéité qui faisait souvent rire l'épouse de John Beckett leur dit :

- Ne craignez rien Madame. Le gouverneur n'en saura rien. J'ai toujours dit que Monsieur Thomas était l'homme qu'il vous fallait et je suis bien heureuse de voir que vous avez enfin...

Mais je vais vous laisser. J'ai du travail qui m'attend.

Les joues écarlates, Sarah regarda Virginia sortir de la pièce en coup de vent.

Les jours suivants, le gouverneur était tellement pris par son travail et ses discussions avec Thomas, qu'il ne remarqua pas pendant les repas qu'ils prenaient tous ensemble le matin et plus rarement le soir, que sa jeune épouse affichait une mine bien plus épanouie qu'au début de leur mariage.

Sarah essayait tant bien que mal de ne pas regarder celui qui affolait tous ses sens et bien souvent, elle était la première à quitter la table prétextant la fatigue ou un ouvrage à terminer sans provoquer le courroux du gouverneur. Ce dernier en réalité était satisfait de pouvoir discuter bien plus longtemps avec Thomas de projets qui ne concernaient pas sa femme et qui à son sens ne devaient pas être connus d'elle. John Beckett avait en effet en tête de vider la forteresse de tous ses détenus et il envisageait de transformer les pendaisons en exécutions publiques. Il avait également prévu de traquer tous les enfants qui, de près ou de loin, avaient fréquenté les pirates qui infestaient les eaux de la région. Le gouverneur multiplia ses réunions de travail avec le Commodore Tyndall permettant ainsi, et sans le savoir, à Thomas et Sarah de bénéficier de nombreux moments d'intimité seuls dans la grande demeure.

Cependant, même s'il mourrait d'envie d'amener Sarah dans son lit, le jeune homme ne voulait surtout pas la brusquer.
Il savait que la jeune femme culpabilisait énormément et pendant plusieurs semaines il fit tout ce qu'il put pour la rassurer. Après tout, John Beckett n'avait eu aucun scrupule à tromper son épouse quelques mois seulement après leur mariage.

Et ce fut Sarah qui, involontairement, amena Thomas dans sa chambre deux mois plus tard. Le jeune homme, qui avait de plus en plus de mal à lutter contre son désir, demanda un jour à Virginia de les laisser seuls tout l'après-midi afin qu'ils puissent avoir une discussion sereine sur leur avenir commun. La domestique, qui savait que, plus les jours avançaient, plus il allait devenir compliqué aux deux jeunes gens de se cacher, avait rassuré Thomas en lui promettant qu'aucun autre employé ne viendrait à l'étage de la maison tant qu'il ne serait pas venu la prévenir.

Cependant, Sarah, qui avait taché sa robe et souhaitait changer de tenue, crut que Virginia revenait dans son salon alors qu'il s'agissait de Thomas qui venait de remercier la domestique. L'épouse de John Beckett s'avança donc vers la porte vêtue uniquement d'une chemise blanche très fine au décolleté plongeant et elle manqua d'heurter le jeune homme. Quand le regard de Thomas se posa sur elle et qu'il détailla ses courbes qu'il pouvait deviner grâce à la transparence légère de la chemise, Sarah sut qu'ils allaient franchir une nouvelle étape dans leur relation.

Thomas vint presser son corps contre celui de sa compagne et celle-ci glissa ses doigts dans ses cheveux tout en le laissant prendre à nouveau possession de sa bouche. Jamais Sarah n'aurait pu imaginer une telle ivresse. Même si elle l'avait voulu, elle aurait été totalement incapable de combattre le désir dévastateur qui avait envahi son corps. Les quelques rares contacts physiques qu'elle avait eu avec John Beckett au début de leur mariage n'avaient été que des expériences traumatisantes et répugnantes. Mais avec Thomas, elle était enfin comblée et elle ressentait un bonheur exquis.

Quand le jeune homme interrompit leur baiser elle plongea son regard sans le sien. Curieusement, malgré le désir violent qu'il ressentait pour elle, Sarah comprit qu'il hésitait et qu'il semblait attendre son autorisation pour aller plus loin.

***

Thomas caressa lentement le dos nu de Sarah. Il avait souhaité de toutes ses forces ce qui venait de se produire entre eux mais cela lui semblait encore irréel. Il se rappela alors les consignes de Samuel Hawkins et il se demanda s'il n'avait pas abusé en quelque sorte de la confiance de la jeune femme. Naturellement, à douze ans, il ne songeait pas à elle comme une possible amante mais, comme le pirate lui avait suggéré, il s'était toujours montré prévenant avec elle et sans doute qu'il avait précipité en quelque sorte leur rapprochement.

- Thomas ? Est-ce que tu...regrettes ?

- Non ! Non, pourquoi dis-tu cela ?

- Tu sembles si...distant à présent.

- Excuse-moi. Je...Sarah, je ne veux pas que tu t'imagines que j'ai voulu profité de toi d'une manière ou d'une autre, que je...

- Ne dis plus rien. Je sais que tu n'es pas ce genre d'homme.

- Je suis plus jeune que toi Sarah.

- C'est cela qui te tracasse ? Thomas,...c'est de toi dont j'ai besoin. Je n'ai que vingt-deux ans, je ne veux pas gâcher ma vie après d'un homme qui ne m'aime pas.

- Mais qu'allons-nous faire ? Tu es encore liée à...lui pendant quatre ans.

- J'ai une copie de notre contrat de mariage. Il y a peut-être une disposition qui pourrait me permettre de demander le divorce plus tôt.

Aveuglé par ses sentiments, Thomas n'avait pas un seul instant réfléchi aux conséquences d'une liaison avec Sarah et il redoutait à présent que la jeune femme ne soit victime de représailles de la part du gouverneur. Il savait que tôt ou tard, ils finiraient par se trahir ou que John Beckett remarquerait quelque chose et cette perspective l'angoissait affreusement.

Ce soir-là, les deux jeunes gens ne virent pas le gouverneur qui avait fait transmettre un message à son épouse lui signifiant qu'il restait à la forteresse de Port Saint-Mary et qu'il ne rentrerait que le lendemain matin. Thomas et Sarah profitèrent de son absence pour passer leur première nuit ensemble.

Trois mois plus tard, John Beckett n'avait toujours pas remarqué ce qui se déroulait sous son propre toit et pourtant un examen attentif de sa part lui aurait permis de remarquer que son épouse était bien plus souriante, que son visage était épanoui et que Thomas la dévorait littéralement du regard.

Sarah pensait avoir trouvé une faille dans son contrat de mariage mais pour en être certaine elle devait consulter la totalité du dossier établi par John Beckett et ce dernier se trouvait dans son bureau dans une armoire fermée à clé. Elle n'avait cependant pas eu l'occasion d'en faire part à Thomas car la jeune femme avait d'autres préoccupations en tête. Depuis plusieurs jours elle avait toutes les peines du monde à enfiler ses robes qui la serraient de plus en plus au ventre. Un matin, Virginia en eut assez d'essayer de nouer les liens dans le dos de sa maîtresse et elle lui dit :

- Il va vous falloir de nouveaux vêtements Madame.

- Pourquoi dis-tu cela ?

- Et bien...votre ventre va encore s'arrondir dans les prochains mois.

- Comment ?

- Je crois que vous savez très bien ce que je veux dire Madame. Vous allez avoir un enfant de Monsieur Thomas.

Sarah se dévisagea dans le miroir de sa chambre : elle avait songé à cette éventualité mais au-delà de sa joie d'être presque certaine de porter l'enfant de Thomas, elle était surtout terrifiée à l'idée que son époux ne l'apprenne. Elle n'allait sans doute bientôt plus pouvoir cacher ses rondeurs, il lui fallait absolument trouver une solution. La jeune femme s'assit alors brusquement sur son lit en se prenant la tête entre les mains.

- Madame ? Vous allez bien ?

- Il a seize ans Virginia ! Seize ans ! Comment pourrait-il accepter cela ? Il va sans doute penser que...que je me suis servie de lui pour devenir mère. Oh mon dieu, il va sûrement être furieux !

- Calmez-vous madame ! Je suis certaine que vous vous trompez ! Monsieur Thomas est jeune certes mais pourquoi ne serait-il pas fier de cette nouvelle ? Il vous aime.

Sarah fondit en larmes et elle n'entendit pas Virginia aller ouvrir la porte de ses appartements pour faire entrer le jeune homme.

- Sarah ? Sarah, que se passe-t-il ?

Désemparée, l'épouse du gouverneur observa avec crainte son amant puis elle chercha sa domestique du regard qui lui fit un petit signe de tête avant de sortir pour les laisser seuls.

- Tu n'es pas encore habillée ?

- Je...je n'arrive pas à mettre mes robes.

De légères rougeurs apparurent sur les joues de la jeune femme et elle s'éloigna de Thomas. Elle baissa alors la tête et, sans le regarder, elle dit dans un murmure :

- J'attends un bébé, ton bébé.

Thomas fixa Sarah un bref instant le temps d'assimiler ses paroles.

- Je ne voulais pas te piéger je t'assure ! Thomas, je...je suis désolée...

- Désolée ? Non...non ne dit pas ça ! Nous...tu en es certaine ?

- Oui...

- Sarah...c'est vrai, je...je suis surpris. C'est...je ne m'y attendais pas mais...ne crois pas un seul instant que je ne veux pas de ce bébé.

Est-ce que tu as peur que je...que je ne puisse pas m'en occuper ?

- Non, je...

- Je vais avoir dix-sept ans dans dix jours. Je vais chercher du travail en ville pour gagner un peu d'argent rapidement et quand j'aurais une somme suffisante, nous retournerons en Angleterre. Sarah... je ne vais pas t'abandonner, je te le promets.

Thomas s'était approché de sa compagne et il la prit dans ses bras. Les deux jeunes gens se dévisagèrent un instant sans prononcer un mot puis le jeune homme embrassa doucement Sarah.

- John m'a demandé de transmettre quelques messages en ville, je...venais te voir pour t'en informer. Je vais en profiter pour essayer de gagner un peu d'argent. Je rentrerais sans doute pour le repas de ce soir.

Avant de refermer la porte du salon, Thomas se retourna une dernière fois vers l'épouse du gouverneur et lui dit :

- Prends soin de toi. Et de notre bébé.

***

Thomas marchait le cœur léger dans l'allée qui menait à l'imposante demeure de John Beckett. Jane avait pu lui dénicher quelques petites tâches à gauche et à droite et il avait déjà gagné une somme intéressante. Il avait rapidement calculé qu'il lui faudrait environs deux petites semaines pour rassembler de quoi pouvoir rentrer en Angleterre et trouver une petite chambre à louer à Londres. Quand il pénétra dans le vaste hall d'entrée de la maison, le jeune homme rencontra Virginia qui l'informa que Sarah lui avait donné sa journée car elle souhaitait se reposer dans sa chambre et elle ne voulait pas être dérangée.

Thomas remercia la domestique puis il grimpa les escaliers rapidement pour rejoindre les appartements de sa compagne. Il fronça alors les sourcils en constatant qu'une chaise était renversée dans le salon et, inquiet, il se dirigea vers la chambre de Sarah. Son hurlement s'entendit jusque dans les cuisines.

Face à lui, étendue sur le lit, l'épouse de John Beckett gisait inanimée, dans une mare de sang foncé. Thomas se précipita vers elle et il tenta de la ranimer en versant un peu d'eau fraiche sur son visage mais la jeune femme ne réagit pas. En sanglotant, il appela à l'aide et Susan s'empressa d'aller chercher un médecin.

Tout en ne cessant de lui parler, de la secouer en espérant qu'elle se réveille, Thomas remarqua alors que les jambes et le bas-ventre de Sarah était couverts de sang, du sang séché, poisseux et noirâtre. Quand son regard croisa celui de Virginia, il comprit et il s'effondra alors sur le corps sans vie de Sarah en criant son désespoir et en demandant qu'on le laisse seul.


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Vous avez l'autorisation de me détester à vie...

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