Chez le gouverneur
Média : le gouverneur John Beckett
- Thomas ? John t'attend dans son bureau. N'ai pas peur, il accepte que tu restes avec nous.
Le jeune garçon entra avec appréhension dans le vaste et très luxueux cabinet de travail du gouverneur Beckett. L'homme portait une lourde perruque blanche qui lui donnait l'air bien plus âgé que ses trente-deux ans.
Son regard perçant et qui se voulait intimidant se fixa sur l'enfant mais Thomas ne baissa pas la tête pour montrer qu'il n'avait pas peur de lui.
Immédiatement le gouverneur comprit que le jeune garçon avait du caractère et il imagina quelques projets intéressants pour son futur.
- Assied-toi Thomas. Je te présente mes condoléances. Sarah m'a indiqué que tes parents avaient malheureusement péri dans le naufrage du navire qui devait vous amener jusqu'ici.
- Merci Monsieur.
- Elle m'a indiqué que ton père devait travailler pour moi mais...je n'ai ici aucun Stanford sur la liste de mes employés.
- Je ne sais pas Monsieur. Mon père m'a simplement indiqué qu'il devait travailler pour vous. Je regrette de ne pas en savoir plus.
- Que faisait ton père ?
- Oh...à peu près tout. Il était capable de tout réparer dans une maison, il était très bon pécheur, il savait manœuvrer un bateau,...
- Hum...je vois. Et tu viens...de Londres ?
- Oui Monsieur.
- L'un de mes assistants l'aura sans doute rencontré là-bas. Il devait effectivement m'amener quelques personnes pour l'entretien du parc mais...je l'attends toujours. Te rappelle tu avoir voyagé avec un certain Monsieur Norreys ?
- Non, je regrette Monsieur, je ne me rappelle pas.
- Tant pis. Bien, sais-tu lire et écrire Thomas ?
- Un peu.
- Je vais demander à Sarah de t'apprendre la lecture, l'écriture, le calcul, tout ce qui te sera nécessaire afin de travailler avec moi. Dans quelques années bien entendu tu es encore trop jeune...
- Vous...vous accepteriez de me prendre à votre service ?
- Cela te plairait ?
- Oh oui Monsieur !
- Bien. Nous allons commencer dès ce soir. Je m'entraîne tous les jours au combat à l'épée, je pense que tu es assez grand pour débuter ta première leçon.
Fatigué mais très satisfait de lui, Thomas gagna sa chambre après deux bonnes heures de cours en compagnie de John Beckett et un repas léger pris en compagnie du gouverneur et de sa femme.
Le jeune garçon se rappela des paroles de Samuel Hawkins et il fut bien en peine de décider lequel des deux hommes il détestait le plus.
Le gouverneur de Port Saint-Mary était un homme froid, imbu de sa personne, ne supportant pas la critique et surtout, avide de richesses et de pouvoir.
Thomas était plutôt satisfait de savoir qu'il allait très peu le côtoyer car cet homme ne lui inspirait pas confiance.
Il ne valait pas mieux en tout cas que Samuel Hawkins car si le gouverneur Beckett n'avait jamais, selon lui, tué le moindre pirate ou le moindre voleur, il avait confié à Thomas qu'il supervisait chaque jour entre dix et deux-cent-cinquante exécutions.
La manière dont il l'avait énoncé au jeune garçon, sans même sourciller, sans la moindre émotion avait fortement choqué Thomas qui ne comprenait toujours pas comment Lady Sarah pouvait le défendre alors qu'il avait compris grâce à Virginia qu'elle n'était pas heureuse avec lui.
Le jeune garçon eut un aperçu assez précis de la personnalité du gouverneur dès le lendemain matin quand il partagea le petit déjeuner avec John Beckett et Lady Sarah.
L'homme commença à désapprouver la coiffure de sa femme, trouvant que cela lui donner un air bien trop juvénile puis il lui reprocha de ne pas l'accompagner à la forteresse pour assister aux pendaisons et aux exécutions.
(média : Lady Sarah)
Enfin, avant de se lever, il lui demanda de ne pas perdre son temps à lire ses livres qui, à son sens, étaient des histoires sans queue ni tête et à mille lieues de la réalité.
Pas une seule fois la jeune femme n'osa contredire son époux et elle garda la tête baissée durant tout le repas.
L'attitude du gouverneur changea alors du tout au tout quand il s'adressa à Thomas pour le complimenter à nouveau sur son entraînement à l'épée de la veille et il lui donna une petite tape amicale sur l'épaule en lui disant qu'il était impatient de lui donner une autre leçon.
Quand il eut quitté la pièce, Thomas se tourna vers Lady Sarah et il la regarda terriblement gêné car il se sentait très mal à l'aise d'être aussi bien accepté par le maître des lieux alors que la jeune femme elle n'avait droit qu'aux moqueries et aux sarcasmes.
Très vite, Lady Sarah et Thomas instaurèrent une sorte de petite routine journalière : ils marchaient pendant deux bonnes heures dans le parc de la propriété tous les matins puis le jeune garçon avait une leçon d'écriture et de lecture d'une heure et demie pour clôturer la matinée.
L'après-midi était encore plus studieuse car il avait non seulement de nouveaux exercices d'écriture et de lecture mais Lady Sarah ajoutait du calcul et également de l'histoire et de la géographie.
Le soir, avant le repas, il suivait John Beckett dans une salle spécialement aménagée pour l'apprentissage du maniement de l'épée et les nombreux combats que le gouverneur aimait mener contre ses assistants mais également contre les hommes du Commodore Andrew Tyndall.
Thomas fit d'ailleurs rapidement la connaissance de Christopher, le fils unique de l'officier de la Royal Navy, âgé de douze ans comme lui. Ce dernier fut amené chez le gouverneur par son père afin de bénéficier à son tour des leçons d'escrime.
Les deux garçons apprirent à se battre ensemble mais malgré le nombre d'heures qu'ils passaient ensemble, ils ne s'appréciaient pas vraiment : Christopher avait écouté son père lui relater l'histoire de Thomas Stanford et il n'aimait pas du tout la manière dont le garçon avait réussi à s'attirer les faveurs de John Beckett. Leurs relations demeurèrent courtoises mais froides.
Thomas, de son côté, trouvait Christopher beaucoup trop sûr de lui et terriblement guindé.
S'il avait dans un premier temps totalement oublié la mission confiée par le capitaine Hawkins, il avait eu l'occasion de s'en rappeler d'une manière assez désagréable. Il avait un jour accompagné Virginia pour quelques emplettes en ville sous la surveillance d'un assistant de John Beckett. Il avait néanmoins réussit à leur fausser compagnie quelques minutes sans qu'ils ne s'en aperçoivent et sa première rencontre avec l'un des hommes de main du pirate s'était très mal déroulée.
Manifestement, le dénommé Josh le surveillait et il savait qu'il n'était jusqu'à présent pas encore sortir de la maison du gouverneur.
Thomas le quitta en lui faisant la promesse de revenir le voir endéans le mois afin de lui transmettre quelques informations au sujet de John Beckett.
La lame que l'homme avait placée sur sa gorge avait eu le don de faire comprendre à Thomas que Samuel Hawkins ne plaisantait pas et pendant les semaines suivantes il fut très attentif aux moindres paroles du gouverneur sans toutefois réussir à obtenir des renseignements intéressants.
Deux années passèrent.
Thomas, malgré la mission qu'il remplissait consciencieusement pour le capitaine du Storm, n'avait plus revu ce dernier et il avait totalement oublié la petite Kathryn Rotherfield.
Le jeune garçon avait fini par faire un choix entre le pirate et le gouverneur Beckett : l'attitude de celui qui régnait tel un monarque sur Port Saint-Mary l'avait tellement dégoûté qu'il avait fini par se ranger du côté d'Hawkins.
Chaque jour, Thomas pouvait assister aux actes méprisants de John Beckett envers son épouse et un peu moins de deux ans après son arrivée dans la demeure du gouverneur, Lady Sarah lui avoua qu'elle ne dormait plus avec son époux depuis plus de six mois.
Le garçon avait du mal à tenir sa langue tant il était révolté par le comportement du gouverneur qui ne se faisait pas prié pour amener l'une ou l'autre maîtresse dans sa propre demeure. S'il présentait les choses comme de simples réunions de travail au sujet du commerce entre la ville et l'Angleterre, les bruits que Thomas avait entendu à plusieurs reprises en provenance du bureau étaient assez éloquents pour lui faire comprendre que John Beckett trompait sa femme sous son propre toit.
Un jour, n'y tenant plus, il décida de provoquer une discussion avec la douce Sarah.
- Je ne comprends pas, pourquoi ne le quittez-vous pas ?
- Ce n'est pas aussi simple que tu le penses Thomas. J'ai signé un contrat. Je suis liée à lui pour huit ans. Si j'avais pu lui donner un fils, j'aurais pu demander le divorce deux ans après notre mariage mais ce n'est pas le cas.
A présent, étant donné qu'il m'a chassé de son lit, il ne me reste qu'à attendre. Quatre ans ce n'est rien.
- Mais...mais que ferez-vous alors ?
- Voyons Thomas, tu es à la maison depuis deux ans maintenant. Appelle-moi Sarah !
Pour répondre à ta question, et bien,...je crois que je rentrerai à Londres.
J'ai vingt ans. Je ne serai pas trop vieille à vingt-quatre ans pour envisager un second mariage. Je pense ne pas être trop laide, j'espère pouvoir attirer le regard de quelques prétendants.
- Laide ? Vous...Sarah, n'as-tu donc pas écouté Virginia ? Tu es ravissante. Je suis certain qu'ils seront nombreux à accourir auprès de toi.
- Tu le penses vraiment ?
- Oui.
Lorsque Thomas s'était ensuite retiré dans sa chambre pour se changer en vue de son entraînement quotidien avec Christopher, il repensa à sa conversation avec Sarah.
Il ne lui avait pas menti, la jeune femme était très belle, peut-être trop et à n'en pas douter elle attirerait certainement les convoitises ou quelques messieurs mal intentionnés uniquement intéressés par la fortune de sa famille.
Il s'en voulait d'avoir joué avec elle au début de son séjour chez le gouverneur : il avait écouté les recommandations de Samuel Hawkins et il s'était montré très charmeur avec elle. Mais à présent il se rendait compte que la jeune femme s'était réellement attachée à lui et il était de plus en plus embarrassé de jouer son rôle d'espion pour le capitaine du Storm.
Sentant que le danger planait sur Lady Sarah, il avait exigé auprès de Josh qu'il transmette un message à Samuel Hawkins dans lequel il demandait qu'aucun mal ne soit fait à la jeune femme auquel cas il renoncerait immédiatement à travailler pour lui.
Sa demande semblait avoir été entendue car lors d'une de ses sorties en ville avec Sarah, il avait pu constater qu'aucun homme, et ils étaient nombreux à Port Saint-Mary à travailler pour le pirate, n'avait essayé de l'approcher et de l'ennuyer. Ils semblaient même veiller sur elle.
L'amitié naissante entre Lady Sarah et lui poussèrent un matin Thomas à confier à l'épouse de John Beckett ses souvenirs au sujet du naufrage. Pour une fois, il s'était laissé aller, évoquant avec elle les angoisses, les peurs qui l'avaient secoué avant qu'il n'arrive à Port Saint-Mary.
La jeune femme avait ensuite posé une main sur son épaule et son geste avait troublé Thomas.
Ce dernier avait ensuite mis cet émoi sur le fait que Sarah était la seule femme qu'il fréquentait quotidiennement puis il s'était rappelé d'un moment qu'il avait partagé avec le gouverneur, une conversation entre hommes comme John Beckett l'avait lui-même indiquée. A cette occasion le gouverneur lui avait gentiment fait remarquer qu'il grandissait et devenait joli garçon et qu'à ce titre, il devait se méfier des intrigantes qui peuplaient la ville.
A quatorze ans, Thomas n'en était pas encore à penser mariage ou fiançailles mais il avait effectivement remarqué que le regard des jeunes femmes sur lui avait légèrement changé.
Lui-même avait d'ailleurs repéré quelques jolies demoiselles mais son jeune âge ne lui permettait pas encore de les approcher.
Le garçon sourit en se couchant ce soir-là en se rappelant son trouble du matin. Le gouverneur avait raison, il n'était plus un enfant mais pas encore tout à fait un homme et ce genre d'émoi risquait de lui arriver encore à l'avenir, il devait s'y habituer.
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Deux ans ont passé... Que vous inspire ce chapitre ?
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