Freddy
Minuit passé, il était temps de laisser ses pensées mûrir dans la solitude pour trouver un peu de sommeil. Le château baignait dans le calme. Dehors, l'averse avait redoublé de force et battait les carreaux des fenêtres avec obstination. Soudain, la cloche de la porte principale résonna dans le silence. Qui pouvait venir à une heure aussi tardive ? Les domestiques étaient couchés depuis longtemps, aussi Robert se leva pour aller voir lui-même. Intrigué, il posa son verre de whisky sur un guéridon, traversa à grands pas la bibliothèque, le hall et ouvrit la porte d'entrée. Jane ! La surprise secoua son cœur. La sidération le privait de mots. Elle était devant lui, figée, pâle et ruisselante sous la pluie. Elle portait une robe bleue, aussi trempée que son manteau. Entourés de cernes, ses yeux cherchaient un espoir auquel se raccrocher. Tétanisé, le Comte put seulement s'exclamer :
"Jane !
_ Milord, je suis désolée de vous importuner ainsi, mais Freddy a disparu ! Je le cherche depuis hier soir. Il devait me rejoindre chez nous après son dernier cours, mais il n'est jamais arrivé ! Je suis allée au poste de police, mais un sergent m'a dit que Freddy avait sûrement fugué, et qu'il n'avait pas le temps de chercher quelqu'un qui reviendrait de lui-même.
Sa voix s'étrangla dans le désespoir, elle ne put dire une parole de plus. Rongée par le froid, elle tremblait et devient subitement plus pâle encore. Ecrasée de fatigue, ses jambes ne pouvant plus la porter, elle chancela. Au moment où Robert voulut la faire entrer, elle tenta de faire un pas mais sa vue se troubla et elle s'évanouit dans les bras du Comte.
"Goodness ! " s'écria-t-il en la rattrapant contre lui. D'un geste vif, il passa son bras sous ses jambes et la souleva de terre. "Comme elle est fine et légère" pensa-t-il. Refermant la porte d'un coup d'épaule, il porta Jane jusqu'à la bibliothèque où il la déposa dans un fauteuil près du feu. Il versa du whisky dans un verre et quand il revint près d'elle, elle avait repris connaissance.
"Buvez un peu de whisky, cela vous fera du bien", lui dit-il.
Jane acquiesça en posant sa main sur celle du Comte, autour du verre. Ce contact fit frissonner Robert : la main de Jane était glacée, mais sentir sa peau sur la sienne lui rappelait leurs étreintes passées. Jane but péniblement une gorgée. Ses yeux continuaient de respirer la peur. Son corps tremblait dans sa robe glacée.
"Maintenant dites-moi : où et quand avez-vous vu votre fils pour la dernière fois ? Etait-il changé ces derniers temps ? Avait-il des ennuis ? Avez-vous remarqué un changement dans son attitude ?
_ Hier matin il est parti au lycée de Ripon, comme d'habitude. Je n'ai rien remarqué de particulier, il était tout à fait normal, c'est pourquoi je suis si inquiète. Freddy est un bon garçon, il travaille dur et je ne vois pas pour quelle raison il se serait enfui. J'ai si peur qu'il lui soit arrivé quelque chose !" La voix de Jane s'étrangla dans un sanglot.
"Il faut vous changer et vous mettre au chaud" lui dit Robert d'une voix grave et posée. Cette voix si chère que Jane avait gravée dans sa mémoire. Oh, comme cette voix lui avait manqué ! Sa raison chancelait à l'idée qu'elle avait osé se montrer au château en pleine nuit et demander ainsi l'aide du Comte pour retrouver Freddy. Malgré sa joie de revoir Robert, la terreur l'envahissait quand elle pensait que son fils était peut-être perdu. Dans sa détresse, elle savait que seul Lord Grantham pouvait l'aider à le retrouver.
"Accrochez-vous à moi, je vais vous installer dans une chambre" dit-il en se penchant vers elle. Soudain leurs visages furent si proches qu'il crut perdre tout contrôle de lui-même. L'espace d'une seconde, ils restèrent figés à se regarder. Mais d'un geste lent et épuisé, Jane passa le bras autour du cou de Robert. Il l'aida à monter les escaliers jusqu'à la galerie. Une chambre d'ami était chauffée en permanence pour les éventuels visiteurs. Une lampe de chevet y diffusait une lumière tamisée. Tapissée de velours bordeaux et de lourds rideaux assortis, il y régnait une atmosphère chaude et tranquille. Robert installa Jane sur le lit.
"Je vais chercher Anna, elle vous aidera à vous coucher, ensuite j'appellerai la police pour qu'ils recherchent Freddy".
Anna, qui était très amie avec Jane, l'aida à se déshabiller. Depuis le départ de Jane, elles s'étaient souvent écrit, et Anna connaissait l'attirance de la jeune veuve de guerre pour le Comte. En fait, Anna et Jane étaient confidentes. Anna était donc au courant de toute l'histoire qui liait son amie au maître de Downton. Quand Robert remonta dans la chambre, Jane semblait plus calme et commençait à se réchauffer sous les couvertures. Anna était à son chevet. Robert sentit la complicité qui unissait les deux jeunes femmes.
"Merci pour votre aide Anna. Vous pouvez retourner vous coucher, il est tard, et je vais veiller sur elle."
_ Très bien, Milord" répondit Anna en jetant à son amie un sourire tendre et malicieux à la fois.
Robert s'approcha et prit la place d'Anna sur la chaise auprès du lit. Jane tourna son visage vers lui. Elle restait épuisée et désespérée. Robert savait qu'il fallait la rassurer et qu'une personne en état de choc devait surtout dormir. Aussi essaya-t-il de se montrer le plus doux possible.
"J'ai appelé la police, le capitaine Sipley est un vieil ami. Il a mobilisé tous ses hommes pour retrouver votre fils. Il pense que si Freddy n'a pas fugué, il ne peut pas être bien loin".
_ Je dois vous dire à quel point je suis désolée de m'être présentée ainsi devant vous, mais face au refus de la polie de m'aider, je ne savais plus vers qui me tourner, répondit Jane d'une voix faible. J'espère... que Lady Grantham n'en sera pas offensée.
Robert plissa les yeux et soupira.
_ Ne craignez rien pour cela, dit Robert. Lady Grantham est... partie. Du moins temporairement. Elle a rejoint sa mère à New York le temps de... de faire le point.
_ Je n'en savais rien, je suis désolée...
_ Ne soyez pas désolée avec moi. La seule chose qui compte, c'est que vous récupériez. Le capitaine Sipley va retrouver Freddy, c'est le meilleur officier de police que je connaisse, et il a toute ma confiance."
Tout en lui parlant doucement, le Comte regardait Jane et son visage lui semblait si doux. Malgré l'épuisement, le corps de la jeune femme lui évoquait la grâce et la finesse. Elle lui avait tant manqué ! Il avait tant espéré sa présence que parfois leurs anciennes étreintes lui semblaient un rêve. Son regard glissa sur la bouche de Jane, si désirable, puis sur son cou si délicat. La blancheur de sa peau... Soudain, ce qu'il vit le figea. Le médaillon ! Le médaillon qu'il lui avait offert avant son départ ! Elle le portait sur la poitrine ! C'était un camée de forme ovale représentant une femme, suspendu en pendentif au bout d'une chaine dorée. Il lui venait de lointaines aïeules, un bijou féminin et précieux. Lors de leur dernière entrevue, ce jour maudit où il l'avait laissée partir, il l'avait déposé dans sa main, et plongeant ses yeux bleus dans les siens, lui avait murmuré d'une voix rauque : "Ne m'oubliez pas." Ils avaient unis leurs lèvres une dernière fois, dans un baiser de rupture et de désespoir. Si Jane portait encore le médaillon, c'est que répondant à son injonction d'amour, elle ne l'avait pas oublié ! Robert releva les yeux et croisa le regard de Jane. Il vit qu'elle avait deviné ses pensées. Mais elle était exténuée, et après un sourire, elle s'endormit, vaincue, sous le regard éperdu du Comte.
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