9. Une rencontre, et des "céréales"
BARNABÉ – CHAPITRE NEUF
J'ai attrapé mon bol favori, avec le petit bout cassé sur le côté. Pythagore – qui s'appelle en réalité Gustave – ouvre les volets dans le salon et la lumière englobe entièrement la pièce. Je le regarde marcher parmi les tas de cannettes, en t-shirt et en caleçon, les cheveux ébouriffés. Il m'a l'air mou ce matin, lent à la détente et n'a aucune réaction vis-à-vis de la nuit passée. Il y a une trentaine de minutes, c'est lui qui m'a réveillé en me pinçant énergiquement le bras, ça a été vachement douloureux et ingénieux. Du Pythagore tout craché quoi.
- Tu peux me passer mes céréales ? Demandé-je en voyant le paquet sur le comptoir.
Pyth' me les tend avec lassitude. J'attrape ma bouteille de lait, remplis le bol aux deux tiers avant de verser mes corn flakes. J'ai attrapé ma cuillère, ai pris ma première bouchée sous les yeux ébahis du gars debout devant moi.
- Je rêve où tu viens de mettre ton lait avant tes céréales ?
Sa question résonne dans la pièce comme une parole fatidique qui attend une réponse qui l'est toute autant. Je toussote légèrement. Sa demande est posée avec trop d'énergie pour un être mou au réveil, c'est inquiétant.
- Bah oui, comme tout le monde. Répliqué-je en mâchant mes céréales.
Il cligne des yeux puis baisse son regard, consterné. Quelque chose ne va pas avec ma réponse.
- « Comme tout le monde », wow mais t'es complètement con ! Alors déjà, t'es un gars qui s'appelle Barnabé qui porte toujours un k-way jaune ; c'est plus ou moins acceptable. Débute-t-il en se tournant vers moi. Mais là, Thalès, mettre son lait avant ses céréales, moi je ne peux pas continuer comme ça.
Je lâche ma cuillère dans le bol, ébahi.
- Tu romps avec moi à cause de ma façon de prendre mon petit-déjeuner ? Et c'est moi la drama queen dans l'histoire ?
Pythagore déglutit et répond sur-le-champ :
- Attends, on sort ensemble ?
On s'est regardé dans le blanc des yeux pendant deux longues minutes. C'est grave de rompre ainsi avant de se mettre ensemble ? C'est encore un peu flou au sujet de la soirée mais les événements de la nuit sont restées claires et gravées dans mon esprit. Et pendant un instant, j'ai vraiment cru qu'on s'était mis ensemble.
- Je blaguais hein. Lâche-t-il en se mettant à rire.
Qu'il ne blague plus jamais en ma présence, la tension et le malaise palpable se sont infiltrés dans la pièce. Son humour est vache. C'était bizarre d'avoir un Pythagore blagueur qui rit de façon toujours aussi horrible.
- Franchement, t'as vraiment une tête de con. Et dire que je surmonte tes habitudes déplacées par amour. Achève-t-il en s'installant autour de la table avec un soupir.
J'ai levé la tête. Est-ce qu'il vient de caser le mot « amour » ?
- T'es bizarre ce matin. Avoué-je légèrement inquiet.
Il a froncé les sourcils à cette remarque.
- Pourquoi ?
Je soupire.
- Bah je ne sais pas, t'es gentil.
Le blanc qui a suivi a prouvé que Gustave Allain avait une terrible envie de me baffer. Alors j'ai mangé en silence avant de rire de mes propres mots. Il m'a jeté une tartine grillée dans la gueule.
*
Il est rentré chez lui après avoir aidé à ranger. On ne s'est pas embrassé quand il est parti, il a juste pris son vélo et s'est barré avec sa grosse doudoune sur le dos. Puis j'ai compris pourquoi le gars préférait prendre le bus à la place de son vélo. Pythagore n'a pas de gants et ne pas avoir de gants en hiver sur un vélo, c'est comme du suicide des doigts. Il gèle trop dehors pour se laisser faire des petites folies.
Lorsque j'ai refermé la porte derrière moi, Delphine est sortie subitement de sa chambre avec un grand sourire. Pour une fois, aucun mec ne sort de la pièce, en caleçon.
- Salut sœurette. Lancé-je en ramassant des gobelets remplis de cendres.
Elle a éclaté de rire devant moi. Une vraie folle.
- Je veux tous les détails, ici et maintenant. Ordonne-t-elle en m'obligeant à m'asseoir sur le canapé.
C'est le même canapé où elle et Pythagore s'étaient alliés contre moi. Une vaste arnaque.
- Vous vous êtes protégés, j'espère ? Interroge-t-elle avec sérieux.
J'ai toussé fortement. Ça me gênait. La routine c'est qu'elle me demande si la fille avec qui j'ai baisé à la soirée était quelqu'un de bien. Pas qu'elle me pose des questions sur les protections.
- Durex quoi.
Elle sourit.
- Qui était en haut ?
Habituellement avec ma sœur, il n'y a aucun tabou. Aujourd'hui, c'est différent, je préfère garder la part de mystère que je garde pour moi. J'ignore sa question.
- C'est du sérieux sinon ? Demande-t-elle en croisant les doigts sous la table (elle fait toujours ça, j'ai l'habitude)
Moment de gêne n°2.
- J'en sais rien. Lâché-je honnêtement.
Elle m'a paru contrariée.
- Comment ça t'en sais rien ? Ça se sait. Regarde avec Théo, la première fois qu'on s'est mis ensemble, ce n'était pas sérieux du tout, là, il me propose un premier rendez-vous, ça devient sérieux.
Delphine a poursuivi en attachant ses cheveux :
- Barnabé Basquin, tu m'écoutes bien sur ce coup-là, interdiction de baisser le regard parce que t'as couché avec un gars. Surtout un gars dont t'as l'air bien entiché. Regarde-moi dans les yeux et ne te mens pas à toi-même, je te connais et je suis sûre que t'es gaga de lui, mais à un point.... Même moi j'ai voulu me le faire à un moment mais je me suis dit que c'était le tien... Donc ne me fais pas regretter ce choix. T'es tout blême, qu'est-ce qu'il y a ?
J'ai bredouillé :
- Tu m'as trop bien éduqué Delphine, tu sais. Maintenant à force d'aimer les filles de passage, j'ai du mal à me projeter avec un gars.
Elle soupire, s'excuse de m'avoir modelé en fuckboy et a précisé :
- Parles-en avec lui. Faut pas rester dans le flou comme ça, ce n'est pas très sain.
Ma sœur a attrapé un sac poubelle, on a rangé en musique et j'ai réfléchi à ce que Pythagore a dit pendant la matinée. Est-ce qu'il blaguait pour la rupture ou le fait qu'on puisse être en couple ? Il y avait une nuance, et ça me chiffonnait. Après tout, il ne m'a pas embrassé en partant et c'est bien ce que font les couples normalement. Gustave est juste parti en me faisant un doigt avec un affreux sourire.
*
Je suis chez Val'. Celle-ci a allumé sa Wii U et a débuté une partie de Mario Kart contre moi. Démaquillée, en pyjama et fatiguée depuis sa gueule de bois, celle-ci m'a demandé de tout lui raconter au sujet du gars de la soirée. Je ne me souvenais pas du fait qu'elle était au courant mais ai obéi. Je lui ai parlé des paris, de sa façon crue de me parler, de ma recherche de rencontre et des baisers. C'était tout con de le raconter à ma meilleure amie mais ça m'a fait du bien. Comme d'habitude, elle me gronde pour le lui avoir caché et qu'elle est fière d'elle pour avoir pressenti mon changement de comportement à la rentrée. Ensuite, elle m'a donné l'avis signé Valentine, l'avis que j'attends toujours en extrême urgence.
- En gros, si j'ai bien tout pigé, vous ne vous supportez tellement pas que ça finit par s'aimer.
Je me crispe.
- C'est fort quand même « aimer » comme notion. Remarqué-je embarrassé.
Ma meilleure amie tapote mon front, comme pour chercher des signes de fièvre.
- Est-ce par hasard ça t'embête de kiffer un garçon ? Du genre, l'homosexualité, la bisexualité etc. parce que le Barnabé que je connais est hyper ouvert à ce sujet, ça me surprend de te voir aussi angoissé. Ça serait hypocrite de trouver les homos géniaux pour finir par trouver l'homosexualité terrible quand elle envoie des signes en toi.
J'ai réagi aussi vite que j'ai pu :
- Non, rien à voir !
La brune m'a paru soulagée.
- Alors c'est quoi le souci, t'as l'air paumé Barnabé.
J'ai soupiré longuement. Peut-être que je l'étais. J'en sais rien finalement.
- Je crois... que... je suis effrayé par ce qu'implique l'amour en général. Ce n'est pas le fait qu'il soit un gars qui me bloque. Loin de là, quand je vois sa tête de schnoque ou que je l'embrasse, je ne me dis pas « oh c'est un gars » ou « oh lui il a un pénis ! ». Non je me dis plutôt : « c'est lui, Pythagore ». Je crois que c'est le fait de s'engager dans quelque chose. Peut-être qu'il n'y a même pas de « quelque chose », je ne suis pas sûr, on a pas été clair hier soir et ce matin. C'est confus et je n'aime pas ça. J'aime bien quand c'est concret alors je me pose des questions. Est-ce que je dois faire comme les autres couples : l'appeler « bébé » « chaton » « mon prince », l'embrasser à tout moment, faire mon coming out sur youtube en appelant mes parents, vu que si tout est réel, je n'oserai pas en face tout de suite. Fin je ne sais pas, c'est les trucs que j'ai lus sur des pages WikiHow. Parce que ça ne va pas du tout si je dois faire tout ça comme ça.
Val' me regarde avec ses yeux d'hiboux, l'air très sérieuse et concentrée.
» Ne me prends pas pour un dingue mais la vérité c'est que quand je lui parle, je préférerai le pousser dans des orties que de lui tenir la main en regardant un film. Puis lui, sa tête prouve qu'il a envie de me gifler, tout le temps, c'est super déstabilisant, j'ai peur moi ! Donc, je ne comprends pas l'amour mais au fond j'aime bien ça.
La brune s'est redressée et a affiché une grimace.
- Barnabé, l'amour c'est pas que des étapes et des trucs à faire pour suivre un tutoriel. L'amour c'est pas un truc qu'on peut suivre sur WikiHow ou Youtube. Il faut que tu te le rentres dans ton crâne, p'tit con, parce que je sais que t'as pas l'habitude de vouloir te lancer et là on t'offre tout sur un plateau d'argent et tu te demandes si cette relation vaut le coup. On dirait un petit gosse mon chou à te poser des questions du genre « si je lui tiens la main, c'est normal ou pas ? » Au pire, soyez pas normaux. Faites ce que vous voulez, poussez-vous dans les orties si ça peut vraiment agrandir votre passion ! Soyez vous-mêmes !
J'ai tendu mes bras pour lui faire un câlin. Elle a refusé avec un sourire narquois.
- Qu'est-ce que tu fais encore là ? Demande-t-elle.
Je la regarde, l'air perdu.
- Hein ?
Elle me dégage avec un coussin.
- Bah, je croyais qu'après toutes ces discussions philosophiques t'allais aller le voir et lui dire je t'aime.
On a éclaté de rire sur le palier et j'ai suivi son conseil. Sur le chemin, je l'ai appelé, il a répondu au bout du troisième appel. Je lui ai donné rendez-vous sur la pelouse, en bas de chez lui, le seul point de rendez-vous qu'on connaît bien.
Il est descendu en chemise. Pythagore m'a expliqué qu'il devait se préparer pour un repas du dimanche avec sa famille. Il ressemblait à un gars normal, pas plus beau que ça. J'ai mis mes mains dans mon ciré et l'ai regardé tiré une taffe sur sa clope.
- Si tu veux bien sortir avec moi, je promets de faire un effort pour mettre les céréales avant le lait. Débuté-je en le regardant, lui et son air hautain relou.
Il a esquissé un léger sourire, presqu'une grimace. C'est fou ce qu'il peut sourire en ce moment. Je n'ai toujours pas l'habitude.
- On ne sort pas déjà ensemble ? interroge-t-il en levant les yeux au ciel.
J'ai ri.
- Et sinon, ne change pas pour les céréales et le lait. Reste comme t'es. Précise-t-il avec un peu plus de sérieux.
J'ai haussé un sourcil.
- Tu vas vraiment accepter ça « par amour » ? Ai-je rappelé en faisant les guillemets avec mes mains.
Peut-être qu'il se sentirait inconfortable en public si je l'embrassais là, devant la résidence de tous ses voisins. Mais une boule de bonheur s'est formée en moi.
- Nah. Je ne veux pas que tu deviennes aussi intelligent que mon chien. Reste con, conseil d'un petit-copain.
Je lui ai écrabouillé le pied. Il m'a embrassé brièvement. On a été quitte sur le coup.
Ouais.
Au final, quoique les romans en disent ou ce que les experts peuvent raconter sur le sujet : Sortir avec quelqu'un, c'est inconfortablement formidable.
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