8. Peut-être une rencontre, mais pas à sa "soirée"



GUSTAVE – CHAPITRE HUIT

J'ai reçu un appel vers deux heures du matin. Honnêtement, je m'en fichais. Ensuite, c'est devenu une longue série d'appels et ça m'a irrité. J'ai cru d'abord à une farce. Puis bien agacé par les vibrations répétées, j'ai mis en pause mon replay des Reines du Shopping et ai décroché au bout du cinquième appel. La personne à l'autre bout du fil raccrocha la seconde d'après. Ensuite, plus rien. C'était un numéro inconnu de mon répertoire qui commençait par 07. En descendant un peu plus bas dans les notifications, le message de Delphine Basquin est apparu dans mon champ de vision :

« J'ai dû passer ton numéro à mon frère. Il est bourré et il a forcé pour l'avoir, ne m'en veux pas trop. »

J'ai soupiré. Crétin. Ça me soûlait. À deux heures et demi alors que Ludivine testait un legging léopard dégueulasse à l'écran, on m'a rappelé. Encore le numéro 07. J'ai décroché, énervé.

- Arrête de m'appeler sombre con ! Ordonné-je avant de raccrocher.

J'aurais voulu crier mais ma mère dormait à côté. Si je réveille ma mère, mon frère qui fait le mur va se faire défoncer. Je suis chiant mais pas au point de commettre cette haute trahison. J'ai attrapé ma doudoune, mis mes chaussures et suis sorti de chez moi en faisant attention à ne pas claquer la porte. Verrouillée à double tour et les clefs rangés dans ma poche, j'ai décroché une nouvelle fois, arrivé hors de l'immeuble.

Thalès qui m'appelle, c'est nouveau. Ça fait des semaines que je n'ai pas croisé le regard du tocard – Heureusement ! – sinon je lui aurai fait bouffer ses nuggets de merde de force. Je l'ai encore au travers de ma gorge. Les événements de ce soir-là persistent dans mon esprit, pas de grand chaos mais ça m'occupe quelques fois et me déconcentre lorsque j'écoute les conseils de Cristina Cordula à la télé.

« Qu'est-ce que tu veux ? » demandé-je en décrochant.

Je n'entends rien de perceptible. Au bout de deux minutes, j'ajoute un « je raccroche ». Comme par hasard, ce con réagit à ce moment précis.

« Ton frère ne va pas bien, tu peux aller le chercher ? Il est chez moi, à ma fête, ouais la fête que j'ai organisée où t'es pas invité, avec pleins de gens cools, sauf toi, parce que t'es pas cool avec moi ! et tu sais pourquoi t'es pas cool.... »

J'ai ignoré sa dernière remarque en raccrochant et me suis mis à marcher. À cette heure-ci, il n'y avait plus de bus. J'ai attrapé mon vélo et fait le trajet dans le froid, le nez sûrement devenu rouge. Le vent soufflait fort mais au fond, qu'est-ce qu'on s'en fiche du vent qui souffle.

*

L'entrée est grande ouverte et je pose mon pied à l'intérieur avec une certaine appréhension. Si je croise Thalès, est-ce que je lui ferais bouffer ses morts ou lui décocherai un énorme coup de poing ? Ça fait des semaines que je ne l'ai pas eu dans mes baskets mais il a réussi à s'infiltrer dans mes pensées. Depuis, ça fait des semaines que j'ai l'image de cet énergumène qui s'accroche à mon esprit, avec écrit « con » sur son front.

Au même moment, un gars s'est arrêté devant moi, en plein milieu de mon chemin, j'ai trouvé ça agaçant. Celui-ci portait une fille sur son épaule droite. Il aurait pu paraître stylé s'il n'était pas penché de trois quarts vers la droite. Il n'est pas assez musclé pour porter une fille, il n'est pas assez musclé pour porter quoi que ce soit qui pèse plus qu'un sac de riz. (et c'est un compliment que je fais là, je suis sûr qu'il galérerait, un sac de riz sur l'épaule).

- Salut, Gustave. Belle soirée, hein ? Lança-t-il avec un sourire narquois.

Je lance un coup d'œil au derrière de la pauvre fille qui doit supporter ce mec pas malin. Son visage me rappelle quelqu'un, sûrement quelqu'un du lycée. Avec hésitation, j'ai répondu :

- Euh... Salut...

Le nom me chatouille la langue. Il est juste là, je le connais. C'est le beauf.

- Gabin. Terminé-je avec plus de confiance.

J'aurai bien voulu le pousser pour qu'il s'en aille de mon chemin mais d'un point de vue stratégique, j'ai préféré le laisser passer, ça m'évite d'attendre qu'il se décale pour moi.

J'ai enjambé les verres par terre. D'allure, la soirée avait l'air pas trop mal, les gens s'amusaient. Le crétin fait de meilleures soirées que mon frère, c'est assez rassurant.

- Hé mais c'est Gus' qu'est-ce que tu fiches là ? T'es pas assez stylé pour être là salaud. Lancent des gars cons, amis avec mon frère.

Ça tombe bien que je puisse tomber sur eux, ça m'évitera de passer par la case connard de première classe nommé Faux-Thalès. Je les méprise autant que l'autre con mais en degré de connerie, Thalès pourrait paraître intelligent à côté d'eux.

- On m'a dit que mon frère était une vieille merde en situation délicate à cette soirée. Je viens le chercher. Il est où ? Demandé-je avec la sensation de perdre mon temps.

Parler avec les potes de mon frère me donnent toujours cet arrière-goût amer dans la gorge. Après tout, c'est bien eux qui m'ont enfermé, sous l'ordre de Théo, dans une cabane sans rien au beau milieu de nulle part quand j'avais cinq ans. Plus ou moins traumatisant. Je les hais.

Finalement, je n'ai pas eu recours à leur réponse. J'ai repéré sa dégaine au milieu de tous et me suis approché. De loin, on aurait pu croire qu'il était bourré. De près, ce n'est pas le cas. Théo est juste adossé contre un mur, une bière à la main en train de discuter tranquillement avec Delphine. Ils se reparlent, c'est bête.

Thalès m'a dupé et m'a fait venir pour rien. Je l'ai cherché dans la pièce, excédé. J'avais des épisodes d'émissions à rattraper et lui, me fait poser les pieds à la pire fête au monde. Qu'il aille se faire foutre.

Pour la première fois de ma vie, c'est moi qui suis allé le voir. Je l'ai repéré au milieu de gens qui semblent être ses seuls amis. Il est assis, une bouteille de polia pure dans les mains, quasi-vide. Il a sûrement tout bu. Je le vois sortir son portable, hésiter avant d'appeler. Encore un appel, j'ai raccroché.

Je me suis approché de leur bande énergiquement, les dents serrées. À quoi joue-t-il bon sang ? Qu'est-ce qu'il me veut à m'harceler par appel pendant la nuit ?

- Thalès ! M'écrié-je d'une voix dure.

Tout le monde se retourne dans la pièce, surpris. Personne ne connaît de Thalès, et bien sûr que ça intrigue de savoir qui c'est. Je le vois ne pas réagir, pas bouger d'un pouce alors qu'il m'a très bien entendu.

- Barnabé, je crois que l'inconnu te parle, remarque une fille sur sa droite.

Barnabé ? Ai-je bien entendu, « Barnabé » ? Je n'ai pas le temps de me moquer de lui, celui-ci réplique à son amie :

- Lâche-moi Val', ne crois pas ma sœur, j'ai pécho personne ces vacances. Et puis c'est qui lui encore ? Il ne me parle pas Val', j'te jure, il cherche un Thalès...

Dégonflé.

Je me mets à rire nerveusement. S'il veut régler ses comptes, qu'il assume ici et maintenant. Hors de question que j'attende la diva pour pouvoir dire à quel point il est exécrable.

La fête reprend son cours, dans une ambiance artificielle et je m'incruste dans leur groupe le temps de poser des questions.

- Est-ce que vous connaissez un Thalès, par hasard ?

Personne dans le groupe répond positivement à la question. Le prénommé Barnabé ne réagit pas, la bouteille aux lèvres.

- Pourquoi tu le cherches ? Demande la même fille qui a réagi tout à l'heure.

Je gratte une clope à un des gars et l'allume avec mon nouveau briquet.

- Ce n'est pas moi qui le cherche, c'est lui qui me cherche. C'est un lâche Il m'a appelé 16 fois cette nuit pour finir par se dégonfler.

La fille a tout capté en voyant le portable dans la main de son pote. Elle toussote légèrement pour détendre l'atmosphère.

- C'est quoi ton petit nom ? Interroge-t-elle en essayant de sympathiser.

Je souris à pleine dents à l'autre crétin.

- Gustave, Gustave Allain. Barnabé, c'est ça, ouais, Barnabé, c'est toi qui organise la soirée non ? Tu connais sûrement Thalès, t'as dû l'inviter parmi cette foule de monde.

J'ai prétendu socialiser avec cette bande en riant à de mauvaises remarques nulles et sans humour. La fille qui a les couilles de me poser des questions a échangé de place avec son pote pour se mettre à côté de moi. Elle m'a tendu son joint que j'ai refusé poliment. Puis elle m'a chuchoté à l'oreille :

- Je vais faire sortir ton Thalès deux minutes à l'étage. Fais comme si tu veux aller aux toilettes. Rejoins-le dans la chambre et tu pourras discuter avec lui.

J'ai ricané. Cette fille organise une bagarre. Je l'aime bien.

*

J'ai rejoint le drama queen dans sa chambre, très sobre avec un énorme placard rempli de vêtements. Son amie est sortie en refermant la porte derrière elle et le gars devant moi a dû affronter mon regard.

J'ai éclaté de rire en repensant à son nom.

Barnabé ?

Et puis quoi encore. Il n'a pas du tout une tête à s'appeler Barnabé. Il a une tête à s'appeler Thalès finalement. Cette soirée est la preuve que tout cette amitié de merde était une supercherie, qu'on ne connaît même pas nos vrais noms et qu'il n'assume même pas le fait qu'il ait pu se donner une identité en ma présence.

- Pourquoi t'as menti pour mon frère ? Encore à la recherche d'attention ? En manque d'amis ou de paris ? Qu'est-ce qu'il y a ? T'es devenu sourd ?

Il m'a toisé. Je l'ai toisé à mon tour.

- Je suis bourré, laisse-moi tranquille.

Son excuse ? Être bourré. Formidable, c'est génial. Je le gifle ou je l'encule ? (à ne pas prendre au premier degrés merci)

- Tu te fous de moi ? Te laisser tranquille alors que tu m'appelles continuellement. Je ne t'ai pas encore bloqué mais je vais le faire en rentrant chez moi. T'es pitoyable, mec. Te laisser tranquille ? Répète pour voir.

Je suis de très mauvaise humeur et la violence verbale m'a toujours l'air nécessaire quand je rencontre des cons de son type. Il s'est relevé, très droit. Il a sûrement dû être bourré durant la soirée, mais pour tenir droit comme ça, c'est qu'il est assez lucide pour le faire.

- C'est toi qui m'a embrassé, je n'ai rien demandé ! Et vu que je suis bourré je t'ai appelé ! Parce que tu m'as traumatisé !

J'ai pouffé. Traumatisé ? Il s'entend au moins ?

- Tu te fous de moi, c'était un baiser. Un baiser. Tu baises bien tes putes dans un parc, tu ne vas quand même pas chanter le mélodrame de ta vie parce que t'as partagé ma salive deux secondes. Je t'ai embrassé pour te prouver que t'étais con et te dire de te barrer de ma vie. Ce soir c'est toi qui m'a appelé, pas le contraire. T'as sorti ton excuse bidon avec mon frère pour que je vienne. Tu sais que je viens toujours récupérer mon frère. T'es lâche, Barnabé.

J'ai prononcé son nom comme une blague, en insistant sur toutes les syllabes.

Il est devenu tout rouge, furieux. S'il a envie de me frapper, qu'il le fasse, je sais que je suis un connard.

- Tu m'as traumatisé OK ?

Il a buté sur ses syllabes. Puis Thalès a repris, d'une voix sombre :

- Je n'arrête pas d'y penser. OK c'était juste un baiser mais est-ce que c'est normal qu'un baiser d'un mec que je déteste me hante ainsi l'esprit ? J'arrive même plus à embrasser une fille sans penser à toi. C'est immonde comme sensation, j'ai l'impression d'être piégé. Ça me répugne.

J'écarquille les yeux. Cool, j'embrasse mal, c'est encourageant.

- C'était mon premier baiser, bien sûr qu'il était immonde. Je n'ai jamais su comment faire. Ne me demande pas pourquoi je me justifie, je suis juste tellement à bout ce soir. Me justifié-je contre ma volonté.

Il tourne en rond dans la pièce, mal à l'aise, également excédé.

- Là, je suis entre le lucide et le bourré. Ce qui me répugne, tu vois c'est que quand je suis bourré je n'ai pas le contrôle de mes mots. Quand je suis sobre, je dis tout ce que je veux, j'ai mes aises en contrôle même en étant un moulin à parole. Mais là j'ai des choses à dire tu vois. Pleins. Et ça va sortir, tout ça parce que l'autre con de Gabin a mal compris ma proposition et que je me suis mis à boire pour oublier mon trouble.

Je l'ai foudroyé du regard. On tourne autour du pot.

- Dis ce que t'as à dire, et on se croisera plus de toute façon. On ne se connaît pas de base, la situation ne va pas changer.

Il s'est adossé au mur, a soupiré longuement.

- Le truc tu vois Pythagore, c'est que moi aussi j'aimerais qu'on se croise plus. Mais je me mens à moi-même. Regarde, j'ai fait que t'appeler pour affronter ta sale gueule de merde. On ne se connaît pas mais au final j'ai encore envie de te croiser. Le pari était con OK. Mais j'ai l'habitude des paris cons, c'est ma spécialité avec ma sœur. Mais quand t'as niqué le mien en m'embrassant. Bah t'as tout gâché. Parce que maintenant, je repense au baiser et je me dis qu'il était génial alors que j'étais tout pété. Je suis traumatisé OK ? Je fais que répéter des OK à longueur de journée parce que je ne suis pas OK. Parce que j'aimerais bien te pécho comme je pécho des filles habituellement. OK ? Moi j'en veux bien de tes baisers moisis, c'est ça le plus triste. Maintenant que j'ai trop dit, faut que... en fait non, je crois que je ne suis plus bourré, j'arrive à faire des tirades ! Donc... je disais.... Sinon...Ne te moque jamais de mon prénom, hors de question ! Surtout toi, t'es mal placé, tu t'appelles Gustave! C'est aussi ringard que Barnabé.

Je l'ai trouvé con. Surtout quand il s'est approché de moi pour m'embrasser. Je l'ai trouvé con parce que c'était bien mieux que la dernière fois vu qu'il dirigeait le baiser. J'aurais voulu le gifler. Il embrassait bien, ça donnait l'impression d'être plus grand que d'habitude. Puis ça m'a soûlé d'apprécier le baiser, ma colère s'est dégonflée et j'ai arrêté de penser à le gifler. Ce baiser est exaltant. Il coupe le souffle. Il tourne la tête. Même s'il a goût de vodka et que c'est répugnant.

Je me suis moqué de moi.

Je suis en train d'embrasser un Barnabé.

Ridicule.

L'embrasser équivaut à me prendre une énorme tarte. La gifle laisse une énorme trace sur le passage, un truc rouge, qui imprègne ta peau de chaque millimètre de sa main. Il est doué et ça fait mal à l'ego. On a atterri sur le lit tous les deux complètement morts. Peut-être de trouille ou de haine, on en sait rien.

- T'as gagné ton pari, ai-je lâché.

Je l'ai regardé dans les yeux. Il était à peu près lucide. Il n'a pas encore dégueulé ses tripes, bonne nouvelle. Il a dégluti, en évitant d'affronter mon regard. J'ai marmonné :

- Maintenant, Thalès, faut qu'on assume pour tous les baisers qui pourraient arriver.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top