20. LA rencontre, lors d'un "moment au phare"


GUSTAVE – CHAPITRE VINGT

Cacahuète est adorable. Tellement adorable que je me demande comment Barnabé a réussi à adopter un chaton aussi mignon. Il miaule, griffe, me ramène des souris qu'il dépose sur le paillasson. Mon frère a peur de l'écraser, ma mère de lui donner un coup de pied. Alors je lui tends la main, il me tend la patte et je lui caresse le dos. Bref, mon chaton est adorable.

Seulement, ce soir, c'est le dernier soir avant que je ne quitte le foyer familial et m'installe définitivement pendant quelques années à Paris. Barnabé a insisté pour organiser un repas chez lui, où il me présentera à sa famille. Les points sont doublés si Delphine présente Théo par la même occasion. Moi, je veux juste présenter Cacahuète à l'autre famille qui a sa garde et qui l'appellera bêtement « Paul ».

- Tout est prêt, on peut y aller. Informe ma mère en remettant correctement la cravate de mon beau-père.

Théo sait maintenant pour Barnabé et moi. Il l'a très mal pris et m'a très mal regardé par la même occasion. Ce n'est pas si choquant étant donné qu'il est un immense con de première classe. Il m'a traité de « pédé » et de « tafiole » à de nombreuses reprises et j'ai arrêté de lui acheter du PQ par la même occasion. Qu'il se démerde avec son homophobie à la con.

- Maman, vous êtes trop habillés avec papa. Remarqué-je en dépassant la porte d'entrée.

Celle-ci a sorti une petite robe et des escarpins qu'elle ne porte jamais. Mon beau-père a mis une cravate et mon frère détruit l'image chic de la famille en sortant en survêtements.

- Cacahuète dort dans son box de voyage. Go. Informé-je en entamant la marche, le box dans les mains.

Je déglutis en repensant aux indications que Barnabé m'a données au sujet de ses parents. Si mes parents le connaissent bien, je n'ai aucune idée de qui sont Solange et Patrick Basquin. D'après Barnabé, Solange est une mère qui a ses règles 24h/24 et même après la ménopause elle gardera ce mauvais caractère. Le père, un toulousain, est un homme qui dit « chocolatine » à la place de « pain au chocolat ». Depuis, je comprends comment l'union de ces deux personnes a permis la naissance de Delphine la grosse folle et Barnabé, le mec qui met son lait avant ses céréales.

Une vingtaine de minutes plus tard, ma mère se gare devant le pavillon de la famille Basquin. Je sors de la voiture en premier et sonne la gorge nouée.

- N'aie pas peur Cacahuète, ton autre famille est perchée mais avec moi, tu seras en sécurité. Chuchoté-je au chaton qui vient de se réveiller.

Delphine m'ouvre.

- Barnabé prend sa douche, il m'a donné la mission de te de dire que si t'arrives très en avance, tu pourrais aller le rejoindre en haut. M'explique-t-elle après avoir fait la bise à mes parents et embrassé son petit-copain.

Solange Basquin, une grande femme élancée à la peau aussi bronzée qu'un candidat des Marseillais à la télé, apparaît dans mon champ de vision et elle me serre dans ses bras.

- Alors c'est toi le gars avec qui mon fils dévalise le distributeur de capotes du coin ? C'est bien de vous protéger les jeun'z. Le repas sera prêt dans dix minutes.

Je me suis étouffé avec ma salive quand elle a prononcé ces mots. Déjà que je suis un gars malaisant, alors une famille malaisante introduite à ma famille en plus, non merci. Le malaise est là, mais au moins, cette dame ressemble clairement à ses gosses. Puis vient les embrassades avec le papa, un mec imposant qui porte également une cravate. Tout le monde fait la connaissance de tout le monde et je monte les escaliers vers la salle de bain du con.

Je toque et ouvre la porte sans permission. Barnabé est en train de se sécher les cheveux, le cul à l'air. Je cache les yeux de Cacahuète, que je viens de sortir du box.

- Dépêche-toi Thal', y a mes parents qui t'attendent en bas.

Je ressors avec Cacahuète de la salle de bain et soupire de soulagement quand mon copain sort quelques minutes plus tard, tout habillé avec des dents toutes blanches.

- Wow, je rêve où le grand Gustave Allain, intouchable homme à l'ego viril, stresse à cause de ce dîner de famille ? Interroge le brun après avoir posé ses lèvres sur mon front.

Je ne peux m'empêcher de le foudroyer du regard en faisant attention à ne pas lâcher le chaton des mains.

- On forme même pas une famille Barnabé. J'ai dix-huit ans, qu'est-ce que je fous là.

Il se moque ouvertement de moi et m'ordonne de le suivre.

- Je connais ce regard, non, pas de clope ce soir. Ajoute-t-il en posant son pied sur la dernière marche.

Ma déception est telle que je laisse le chaton me filer des doigts. Je le rattrape à temps et le mets dans son box de voyage le temps que je finisse de manger pour m'occuper convenablement de lui dans la chambre de l'autre con.

- T'es trop chou avec Paul. Remarque mon copain en m'attrapant par le poignet pour me donner le courage d'affronter les inconnus que sont ses parents.

Bref, tout ça reste vachement intimidant.

**

Au bout d'une heure et demi de repas, la part de Kouign amann dans le bide, je suis sorti de la table. On m'a posé quelques questions basiques sur moi mais à chaque fois, je répondais avec mon ton cru et sec que j'ai toujours avec les inconnus.

Barnabé m'a rejoint dans sa chambre une dizaine de minutes plus tard alors que je jouais avec le chaton et un sac plastique trouvé dans la pièce. En entrant dans la chambre, il soupire à ma vue.

- Mes parents sont si intimidants que ça ? demande-t-il en refermant la porte derrière lui.

J'ai froncé les sourcils.

- Ta mère m'a accueilli en sous-entendant que c'était super bien de me protéger quand je baisais avec toi. Rappelé-je en essayant de marquer des points dans mon camp.

Barnabé se moque de moi, une nouvelle fois.

- Tout ça m'emmerde. Avoué-je de but en blanc.

Rencontrer ses parents est tout à fait naturel dans une relation saine mais j'aurais aimé les rencontrer dans une autre situation, un autre moment, pas le dernier soir que j'ai à passer avec lui et mes parents. C'est égoïste mais pour une fois, je voulais juste profiter de ce que j'avais sans faire d'efforts envers d'autres inconnus.

- Avoue-le. T'as juste pas envie de connaître mes parents, c'est tout. Tu peux faire un effort pour être cool avec eux. Même ton frère, la grosse merde y arrive. Gronde Thalès en s'asseyant sur son lit.

Le problème est là. Barnabé est clairement dans l'idée de rendre la relation la plus sérieuse et officielle possible dans un délai d'une soirée. Mon frère a appris pour lui et moi il y a à peine quelques heures et je dois connaître ses parents dans la soirée.

- C'est pas ça Thal'.

Le climat dans le chambre est pourri. J'ai l'impression qu'un éclair peut fendre la pièce en deux si je ne me rattrape pas. Il est blessé. C'est normal, je suis en train de ruiner tous ses efforts pour que sa famille m'intègre.

- Mais t'as quoi alors bon sang, j'aime pas quand tu fais ça. Rumine-t-il en passant sa main dans ses cheveux.

Même le chaton n'arrive plus à me concentrer sur autre chose que sur la vérité.

- OK ça fait QUE trois mois et demi qu'on sort ensemble, mais t'as pas l'impression qu'on est ensemble depuis la nuit des temps ? Parce que moi je le ressens comme ça tu vois, avec toi, j'ai l'impression que ça fait tellement longtemps que j'ai le droit de partager l'existence d'une des personnes les plus importantes de ma vie à mes parents. Je suis désolé si t'es pas prêt mais je croyais qu'on était sur la même longueur d'onde sur le sujet.

Ses mots s'emboîtent dans mon esprit et je ne peux que m'avouer fautif dans la situation.

- Excuse-moi, j'ai paniqué avec toute cette histoire de relation présentée à ta famille. C'est juste que... je sais pas, j'aurais préféré une soirée juste à nous deux tu vois, sans les questions de tes parents, sans avoir l'impression de ne pas t'avoir dit un « au revoir » digne de ce nom. Avoué-je en avalant ma salive.

Barnabé me fixe, l'air douloureux.

- Je suis trop con, c'est la dernière fois qu'on se voit avant Toussaint et là je fous la merde encore une fois. Merde, quoi, pfff.

Mon ventre se tord. Le brun est aussi mal en point que moi à l'idée de vivre à une centaine de kilomètres l'un de l'autre. C'est tout con, mais pendant tout l'été, on a passé notre temps à nous voir chaque jour, même quand il réservait des journées entières pour sortir avec ses amis.

- Viens, on se barre d'ici, juste quelques heures pour nous deux. Proposé-je en cachant mon incroyable envie de me casser de sa baraque cette fois-ci.

Il met sa veste jaune. Cacahuète s'est endormi dans un coin. On décide de laisser la porte verrouillée.

- J'ai lu que c'était pas une bonne idée de faire changer d'environnement au chat. Dis-je pour apaiser l'atmosphère quand on sort sans prévenir la tablée.

Barnabé hausse les épaules.

- Alors tu garderas Paul à plein temps. T'es plus heureux avec lui qu'avec moi dans les parages. Répond-t-il avec un sourire adorable.

Je corrige. Barnabé est aussi adorable que Cacahuète ce soir.

- On va où ? Interrogé-je alors que sa maison m'a l'air bien loin derrière.

Mon petit ami enroule mes épaules avec son bras.

- Au phare. Je suis sûr que ça craint pas trop là-bas.

J'ai acquiescé et me suis contenté de le suivre en silence, l'esprit embrouillé.

**

On n'a pas pu entrer parce que tout est automatisé et que des caméras nous surveillent sûrement quelque part dans la nuit. On s'est tous les deux posés, à côté, dans un coin où on peut admirer l'océan.

- Promets-moi que tu vas pas commencer à fricoter avec des personnes super intelligentes à Sciences Po, je pourrai jamais arriver à leur hauteur niveau culture G. Commence Barnabé en évitant mon regard.

On ne se dit pas adieu en sachant pertinemment que demain, on s'appellera pour que je lui raconte mon aménagement. Le truc, c'est qu'il faut qu'on tienne d'ici la prochaine fois qu'on se verra. C'est pas si compliqué que ça de préserver sa relation à distance mais la distance effrite et renfonce le couple dans un même temps.

Et je sais ce qui m'effraie plus que tout pour une fois : Etre seul, encore et encore chaque jour.

- Eh. Dis pas ça. Baise pas n'importe qui dans ta prépa toi, j'ai confiance en toi pour pas merder sur le coup. Répliqué-je d'une voix languissante.

C'est bizarre de se sentir aussi mal ce soir. La perspective de quitter l'Ouest, de trouver de nouveaux repères et de balayer tout ce qu'on a construit depuis quelques mois pour les laisser de côté m'effraient plus que tout.

- Pourquoi on bade comme ça déjà ? Questionne-t-il alors que le vent marin souffle plus ou moins brutalement ce soir.

J'ai fermé les yeux pour sentir la chaleur de sa main dans la mienne, me rappeler à quel point ça fait du bien d'apprécier la présence d'un vrai connard et de toucher du doigt l'apaisement. C'est fou ce qu'il peut me rassurer parfois quand il n'est pas trop loin de moi.

- J'ai peur. Me confié-je honnêtement.

Il a répondu sur-le-champ :

- Non c'est moi qui ai le plus peur !

On s'est chamaillé pour savoir qui était la plus couille-molle de nous deux et je me suis rappelé à quel point c'est dingue et banal ce que j'ai vécu avec lui ces quelques semaines.

- Excuse-moi d'avance pour le pavé gnangnan que je vais te lâcher dans... 3...2...1...

Il a ri en m'écoutant et ça m'a redonné du baume au cœur pour poursuivre ma confidence.

- J'ai peur parce que j'ai jamais cru en une relation à distance, ni en une relation tout court. Parce que toute ma vie des cons m'ont répété que la meilleure chose qui puisse m'arriver est de ne pas être mort à l'heure qu'il est. Mais les gens savent pas que j'ai cette rage au fond de moi. Personne ne sait. Je fais mon gars intouchable, toujours prêt à répondre avec sa répartie broyeuse de côtes. Mais au fond, c'est tout con mais j'ai perdu depuis longtemps l'envie de faire des efforts pour d'autres personnes. C'est pour ça que j'ai eu une réticence envers tes parents, c'est pour ça que j'ai toujours du mal avec l'inconnu et que ça m'étonnerait même pas que je me ridiculise à Sciences Po, où certains seront tellement plus imbu de soi ou fier d'être là que je vais devoir faire des efforts pour m'intégrer là-bas. Et argh. Ça me tue de devoir accorder de l'attention à ces personnes qui n'en méritent pas. J'ai jamais fait d'efforts pour quoi que ce soit parce que j'ai toujours pensé que les personnes n'en méritaient pas. Ainsi, même si on me crachait dessus, je n'ai jamais craché en retour. Si on m'écrase, je n'ai jamais tenté de me venger pour les noyer sous de la peine. Je sais pas. Et avec toi, j'ai commencé à faire des efforts et pour la première fois de ma vie, j'ai l'impression que c'est bien. Vraiment bien. Et là je me casse la tête parce que si ça ne marche pas, j'aurais trop peur de perdre ce nouveau repère. Parce que c'est cool d'être amoureux au fond, on a la possibilité de se donner une chance grotesque mais porteuse d'espoir.

Je sens les larmes monter et je me trouve encore plus con.

» Et j'ai cette manie de toujours me préparer au pire. Surtout avec toi. T'es un type génial Barnabé. Vraiment. Bon sauf quand tu romps. Même si je te traite de crétin à longueur de journée alors que non t'es plus un crétin du tout depuis quelques temps, j'ai juste cette maudite habitude de te rabaisser dans mon esprit pour pas trop m'attacher. Alors là je délivre tout parce que c'est la dernière fois avant longtemps qu'on sera tous les deux en Bretagne à se croire invincibles comme jeunes bretons face au monde. Et là je philosophe comme l'autre gars de la soirée de Gabin, et ça me tue parce que j'arrive pas à arrêter de réfléchir à nous, au futur, à qui je suis et à ce que tout le monde aimerait que je sois.

J'ai terminé, essoufflé, le cœur en miettes. Barnabé m'a regardé, m'a serré vigourement la main et m'a souri tristement.

- Tu sais, moi j'ai toujours cru que tu ne m'aimerais jamais en retour, parce que je suis pas vraiment le type de personne qu'il te faut. Toi t'as besoin d'une fille qui s'appellerait Angèle, qui fait du piano et qui te donnerait tout l'amour du monde à chaque fois. Alors moi aussi je doute, parce que peut-être que tu connaîtras une Angèle à Paris et que moi je vais juste mourir de tracas à Rennes en pensant à ce que je rate à quelques kilomètres de toi.

Il poursuit :

- Le soir où j'ai rencontré un gars sur la pelouse en sortant de la fête, je faisais encore des paris cons avec ma sœur pour savoir qui j'allais pécho la prochaine fois. Je voulais qu'une personne soit la rencontre de ma vie, du genre rencontre rencontre, LA rencontre qui te change tellement comme dans les bouquins. Et en fait, y a pas que dans les bouquins que ça se fait parce que je t'ai rencontré toi. Je perds toute ma virilité Gustave, mais... j'ai pas les mots pour dire que tu es une personne formidable et niveau ego, on a rencontré trop de problèmes pour s'aimer normalement, alors faudrait qu'on s'accroche encore un grand bout de temps.

J'ai collé son front contre le mien et on s'est souri pitoyablement.

- Dis je t'aime en premier. Lancé-je en frôlant son nez avec le mien.

Il a levé un sourcil.

- Alors là, hors de question, tu dis je t'aime et je t'embrasse.

On s'est embrassé à minuit moins sept, avec tout le sel marin de l'air. Des « je t'aime » se sont perdus dans l'eau. On est reparti vers la maison quinze minutes plus tard en nous rappelant que tout irait bien. Paris, au final c'est pas si loin que ça.

- On est con de s'inquiéter pour rien. Achève-t-il sur le pas de sa porte alors que je m'apprête à partir rejoindre ma famille.

Je l'ai embrassé. Il m'a rembrassé. Il aurait bien voulu baiser. Moi aussi. Je suis monté dans la voiture de ma mère. J'ai regardé son visage tordu d'un rictus douloureux et il m'a fait un fuck au loin. Et Cacahuète que j'vais appeler Paul un jour dans les mains, j'ai pensé au fait que c'était notre chat et que ma nouvelle vie commencerait demain.

Demain.

Alors comme ça, Barnabé cherchait SA rencontre. En tout cas, ce faux-Thalès a eu tout faux. Pour le coup, il est surtout devenu LA rencontre de quelqu'un. Celui d'un pisseur qui redonnerait un million de fois son déo cette nuit-là.

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