18. LA rencontre, lors d'une "visite de Paris"
GUSTAVE – CHAPITRE DIX-HUIT
Ce qui est génial avec le métro parisien, c'est que je me sens réellement dans mon élément. À faire la gueule, à bouder, ne jamais sourire : c'est ex-tra-or-di-nai-re. Les personnes qui pensent que c'est un mythe, sachez que ça ne l'est pas, à part quand un enfant gazouille ou que des gosses disent des petites répliques bêtes, personne ne sourit. Tout à fait grandiose.
Même Barnabé se sent dans son élément, à porter son ciré jaune. Dans les quartiers historiques vachement hipster, il se sent comme chez lui. Je sors d'une visite d'un studio à Paris. N'ayant pas trop les moyens de se payer un studio avec vue sur la tour Eiffel, mon beau-père m'a tout de même dégoter un studio dans le sixième arrondissement, à 15 minutes à pied de mon campus avec le Crous de Paris. Les procédures se sont faites plutôt à l'avance et j'ai mon logement. Heureusement.
- On a claqué quand même pas mal de sous pour venir à Paris, il me reste encore de l'argent pour m'acheter une casquette, laisse-moi aller dans les magasins... Steuplait steuplait steuplait.... Supplie Thalès en m'implorant les deux mains jointes.
J'ai soupiré. La ligne 11 est pas si bourrée que ça et j'ai accepté de nous arrêter au Marais, juste parce qu'il y a des magasins bobos comme Barnabé aime et que Pompidou pue la classe.
- On doit juste pas rater notre train ce soir à la Gare Montparnasse. Je veux pas avoir l'impression d'avoir fait le mauvais choix en claquant 40 balles pour un train.
Il a levé les yeux au ciel. Barnabé a des sous, pas moi, c'est le genre à prendre des œufs bio alors que je n'ai pas assez sur moi pour m'acheter du pain.
- Tu sais combien c'est 40€ en pâtes au moins ? Environ 20 kilos si j'arrive à trouver un supermarché pas cher sans compter les promos. Et tu sais combien ça vaut 20 kilos de pâtes Barnabé ? De l'or Thalès, de l'or.
Il s'est moqué de moi en sortant du wagon. Le brun m'a attrapé par les épaules et j'ai soupiré en me rappelant à quel point il ne vivait pas dans le même monde que moi avec ses tickets restaurants à 9 euros.
- Elle est où ta prépa' déjà ? Demandé-je en posant mes pieds sur un escalator crade.
Il a fait la moue.
- Rennes. Entre Brest et Paris, trois heures et demi de car, ça passe.
J'affiche un air étonné.
- T'as vraiment la déter' d'aller me rendre visite dans deux mois et demi. Remarqué-je agréablement surpris.
Il a répliqué avec un sourire pas-malin :
- J'ai surtout la déter' de visiter ta Tour Eiffel !
J'ai frappé l'arrière de son crâne et lui ai demandé d'avancer avant que je ne le fasse accidentellement tomber des escaliers. J'ai précisé un "t'es lourd" magistral et il s'est tu. En sortant sur la place de l'Hôtel de Ville, Barnabé et moi sommes bouches bée face à la taille de l'endroit.
- En hiver, on peut patiner là à ce qu'il paraît. C'est vachement sympa. Lance-t-il avec cette soif d'exposer des anecdotes pour montrer qu'il « connaît » Paris.
J'ai ri.
- Ouais non, la Bretagne c'est mieux. Ici la tempête, c'est une brise pour les bretons. En plus ils ne mangent que des crêpes en période de Mardi Gras. Rappelé-je en regardant les grandes rues.
Barnabé n'a pas l'air d'être d'accord.
- Ouais mais Paris c'est chouette, on marche vite et on mange super bobo et y a des salons de sieste. Ça existe pas ça chez nous !
J'ai écarquillé les yeux.
- T'es un faux-breton. Assuré-je en insistant sur le « faux ».
Le con comprend tout de suite la honte qu'il fait à sa région.
- Alors là, non, n'ose même pas prétendre le contraire de ma pensée. C'est toi qui aime le métro parisien alors ne commence pas à sous-entendre que je veux être un parisien ! De toute façon, le beurre salé c'est le base de mon alimentation. S'exclame-t-il en gonflant ses joues pour se donner des airs outrés.
Je me suis moqué de lui ouvertement en continuant mon chemin vers des petites rues sinueuses.
- Je te rappelle qu'on a le camping en Vendée cet été. Et si on a de la chance, on pourra même se payer des trous normands. L'ouest de la France, y a rien de mieux. Clamé-je sûr de moi.
Barnabé s'esclaffe.
- Je vais te voir chier dans les toilettes de camping. J'espère que tu sais tirer la chasse d'eau Pythagore...
Je l'ai poussé légèrement contre une fontaine où il se rattrape de justesse. On continue à se chamailler avant d'atteindre des boutiques où tout a l'air de coûter la peau du cul.
J'ai même fait une liste de choses pour repérer un magasin bobo parisien :
1) Il faut que le titre de la boutique soit écrit dans une typo super authentique
2) Le logo resplendit mais ne veut rien représenter
3) Les réseaux sociaux de la boutique sont notés dans un coin de la vitrine
4) Les produits sont basiques mais ça donne un « style »
5) Les vendeurs ont tous un style parisien, très streetwear avec la boucle d'oreille giga lourd
6) Le devant doit être d'une couleur unie
7) S'il y a un vélo devant la boutique, on est dans le summum du Hipster lifestyle
8) 20 kilos de pâtes valent le prix d'une coque d'iPhone avec la marque écrite dessus
En faisant attention à ne pas écraser des crottes de chien – qui me rappellent l'épisode de ma vie où je prenais toujours sur moi un sac plastique pour promener Choucroute – je me suis assis sur un banc en attendant que le provincial qui espère devenir un jour parisien sorte avec sa foutue casquette de merde. Un vrai fuckboy, il n'a plus qu'à descendre un peu son pantalon pour montrer son slip Calvin Klein et il brise lui-même le cliché du con vendu.
J'ai bien tenté de le raisonner. Mais c'est quasi-impossible de remettre un gars habillé d'un ciré jaune sur le droit chemin.
- Tadaa ! Avoue que j'ai l'air cool. S'écrie-t-il avec un grand sourire fier en sortant, le bidule sur la tête.
Il m'a montré sa trouvaille ridicule et j'ai tourné les talons en direction du centre Pompidou.
- Tu crains tu sais ?
Barnabé a fait son sourire idiot des jours chiants.
- Moi aussi je t'aime t'inquiète.
On s'est mutuellement montré nos doigts d'honneur et j'ai pris les devants en marchant. Idiot.
**
Finalement, on n'a pas raté notre train, malgré les problèmes sur la ligne 12. En cachant ma pitié lorsque celui-ci est sorti du wagon avec sa casquette pourrie, je me suis rappelé qu'on était samedi soir à 22 heures et que j'avais super faim. On s'est mis d'accord pour faire un tour au Mcdo avant d'aller dormir chez lui comme tous les samedis soirs depuis qu'il alterne soirée chez ses potes et soirée avec moi.
- Tu me dégoûtes avec tes nuggets. Lâché-je en le voyant tremper ses bouts de poussins un par un dans sa sauce chinoise.
Il a jeté un coup d'œil à mon menu à 5€.
- Tu sais bien que ce sont les dernières vacances qu'on passe tous les deux ensemble ; avant qu'on ne se revoie plus que pendant les vacances ou les week-ends où on se donnera la main en public ? Donc chut, ne te plains pas en ma présence mon chou.
Je mime une mine dégoûtée face au surnom et il lève les yeux au ciel.
- Si tu ne romps pas d'ici là. Ajouté-je naturellement.
Il s'est étouffé avec son morceau. J'ai dû lui frapper le dos pour qu'il le recrache parfaitement dans sa serviette. En buvant un peu de sa boisson, il m'a foudroyé du regard.
- C'est encore trop tôt pour les remarques du genre ? Interrogé-je sur un ton moqueur.
Barnabé a soupiré. J'avoue que j'ai pas été cool sur le coup mais c'est marrant de mon point de vue.
- Tant que tu ne me débloques pas sur Twitter, je ne t'autoriserais pas à lâcher des remarques du type.
Il m'a montré mon profil twitter où on peut lire qu'il est bloqué et qu'il ne peut pas voir mes tweets.
- Ouais bah reste bloqué. Notre relation n'est pas saine sinon.
L'idiot a piqué dans mes frites comme pour se « venger » et je lui ai frappé la main. Il s'est calmé sans discourir et j'ai regardé ma montre.
- Il est déjà minuit. J'ai mes replays de la Reine du Shopping qui m'attendent, je vais rentrer chez moi ce soir.
La tête qu'affiche Thalès est excellente. Il est offusqué.
- Mais comment ça, je croyais qu'on avait nos vidéos de chats et un Seigneur des Anneaux à voir ensemble cette nuit !
J'ai ramassé mon plateau, l'ai débarrassé dans le truc bizarre dont je ne connais pas le nom mais qui sert à tout jeter puis poser le plateau sur le dessus – big up à celui qui sait.
- Je sais que t'as une soirée chez ta meilleure amie. Elle m'a invité par texto. Vas-y, je veux pas ruiner ta vie sociale et tes habitudes pour de vrai. Ça sert à rien, consacre un peu de temps pour tes potes. Je sais que notre couple à la con c'est goal mais c'est pas une raison pour t'isoler avec moi et mettre tes best friends forever de côté alors que tu les verras moins que moi bientôt.
Barnabé a arrêté de mâcher ses derniers nuggets.
- Est-ce que t'es malade Gustave ? Non parce que Paris ça t'a retourné la tête là.
Il a posé sa main pleine de gras dégueulasse sur mon front et j'ai trouvé le contact répugnant. Attention l'hygiène, il devrait mettre un peu de gel désinfectant avant de me toucher.
- Je blague pas Thal'. Se kiffer c'est cool mais l'amitié c'est... de l'or comme des coquillettes.
Il en est resté bouche bée. Réplique de l'année.
- T'as géchan. Lâche-t-il en me souriant.
Barnabé s'est mis à rire tout seul comme si sa remarque était énorme.
- Ouais non, tais-toi et mange. Ordonné-je en lui fermant le clapet.
Je suis arrivé chez moi à une heure du mat' avant de réaliser que mon frère organisait une soirée. J'ai pris mon sac de survie, me suis installé sur la pelouse.
Tout se passait bien, même si l'idée de devoir vivre une relation à distance me préoccupait l'esprit. J'ai pissé une heure plus tard.
« Hé toi ! Le pisseur ! Ouais toi. Quoi de neuf ? »
La première réplique du crétin résonne en moi. C'est fou, même quand je pisse, j'arrive à penser à lui, c'est quoi la prochaine étape ? J'ai soupiré de fatigue, de lassitude ou d'un sentiment du même genre.
J'ai réellement cru qu'en recommençant à fréquenter un Thalès plus mature allait le rendre moins con à mes yeux : qu'il allait vraiment devenir de moins en moins con. C'est un énorme échec. Il restera toujours aussi con, bête, naze, un peu niais, collant et chiant. Mais au moins, depuis quelques temps, s'ajoute l'adjectif « aimé à souhait » qui me rend aussi godiche et cruche que lui. Même moi, je commence à me croire idiot.
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