17. LA rencontre, lors des "résultats du BAC"



BARNABÉ – CHAPITRE DIX-SEPT

Il est huit heures quand je me réveille, la tête bien enfouie dans mon oreiller. Gustave a ouvert les volets sans prendre en considération la violation de mes iris et s'est rhabillé. Il a remis son t-shirt, son jean un peu troué depuis que je l'ai poussé par terre sans faire exprès en sortant du ciné, ses chaussettes qui puent une fois sur deux et sa montre déréglée. J'ai attrapé son poignet mollement pour lui faire comprendre que je suis bien réveillé et qu'il ne va pas me refaire le coup du « je vais manger mes céréales avec mon lait à l'amande avant toi pour pas avoir honte de toi sale con ».

- Tu sais quel jour on est ? Questionne-t-il en m'aidant à me redresser.

J'ai froncé les sourcils en voyant son air tracassé.

- Le 5 juillet Thal', le 5 juillet. Les résultats du BAC sont affichés. Explique-t-il en tremblant légèrement.

Son stress renvoie de mauvaises ondes dans toutes la pièce.

- Si tu veux, je peux t'embrasser pour déstresser. Proposé-je avec un sourire au coin.

Il a ricané nerveusement.

- T'embrasser le matin c'est comme s'intoxiquer volontairement à cause d'une mauvaise haleine. Réplique-t-il en me souriant également.

Je lève les yeux au ciel et me permet de lui donner un petit coup.

- Si tu crois que me frapper le cul va m'amener sérénité et paix intérieure, t'as tout faux. Remarque-t-il en me donnant une pichenette au front.

Génial, frappé dès le matin. Je frotte mon front douloureux et enlève la couverture de mes jambes. Je me rends compte qu'on est bel et bien le 5 juillet et que la date n'a pas du tout la même signification pour lui et moi. Dans trois jours, ça fera un mois.

Un mois qu'on se voit quand on peut, tôt dans la journée, tard dans la nuit. On a passé le BAC avec la boule au ventre, lui le regard déterminé. On a repris les habitudes d'antan, ces heures à visionner des vidéos de chats qui ne disparaissent absolument pas.

Tout se passe bien. Et un mois après la fête où on s'est remis ensemble, l'impression ressenti diffère complètement de l'impression ressenti après notre premier mois en couple datant d'il y a trois mois.

- T'auras ta mention Très Bien Pyth'. Assuré-je en m'habillant également entre deux bâillements.

Il est sorti, s'est gratté la tempe et m'a souri pas trop sûr de lui. Il est chou à stresser ainsi mais lui et moi savons à quel point il est plutôt doué en cours.

- Oublie pas que juste après, on va au café avec Agabin. Donc n'oublie pas de rejoindre Gabin, moi je rejoindrai Agathe devant le lycée.

Il soupire, fait la moue exaspérée.

- Je les connais pas. Rappelle-t-il.

Je prends la défense du couple de beaufs.

- Ah ça non, tu ne te défiles pas. C'est grâce à Agathe qu'on est ensemble, elle avait prévu son coup pour nous inviter à la soirée.

Il s'est avoué vaincu et est sorti de ma chambre pour préparer le petit déj'. On a mangé en se regardant stresser. Moi ça allait, j'allais avoir mon BAC, après la mention, c'était pas sûr. Lui, il la voulait sa mention très bien, coûte que coûte.

On s'est brossé les dents avec le même dentifrice. On s'est échangé un baiser vite fait comme quand les couples se disent au revoir, c'était nul vu que je préférais les trucs plus passionnés. Il est sorti de chez moi quelques minutes plus tôt et a pris son vélo. J'ai rejoint mon lycée à pied.

« BASQUIN BARNABÉ – ADMIS MENTION ASSEZ BIEN »

Et hop, j'ai décroché une mention. Val' m'a serré dans ses bras quand elle a vu son « MENTION TRÈS BIEN » et je me suis senti un peu nostalgique. On est sorti du secrétariat avec nos dossiers dans les mains. C'est bel et bien fini le lycée. Toutes les personnes, sur le trottoir, perdues dans notre bulle privée depuis des années vont devenir des personnes avec des avenirs et des chemins opposés. C'est spécial comme impression. Fini la Terminale, terminé le BAC, enfin. Toutes ces années d'études nous ont amenés, ici, là maintenant.

J'ai reconnu Agathe dans la foule et elle m'a saluée.

- Hey ! Dis-je en la voyant tout sourire.

On se fait la bise comme les jeunes de nos âges le font naturellement. La métisse est au téléphone avec son copain, celle-ci m'informe qu'il a trouvé le mien parmi la foule de lycéens et qu'ils sont sur le trajet vers le café.

- On y va ? Propose-t-elle en entamant la marche.

Au bout d'une dizaine de minutes, nous arrivons à destination. Gabin et Gustave sont déjà installés sur la terrasse, Gus' une clope à la main et Gabin en train de lire le menu.

- Regarde les sardines Gustave, elles ont l'air pas mal ! Lance Gabin en saluant sa petite-amie.

Mon copain regarde sur le menu.

- Il est 10 heures et j'ai pas envie de sardines donc non merci.

Gabin décoche un sourire puis partage un regard complice avec Agathe. Je m'installe à côté de Pythagore en l'interrogeant du regard.

- J'ai eu félicitations du jury. Avoue-t-il.

J'ai écarquillé les yeux.

- Mais je croyais que c'était un mythe ça !

Agathe corrige :

- Un mythe pour le brevet mais pas pour le bac, félicitations du jury BAC S Spé Maths, franchement chapeau.

Gabin s'est mis à applaudir. Gustave, n'aimant pas les scènes en public l'a foudroyé du regard. Il l'a quand même remercié d'un air détaché et j'ai frappé son front pour qu'il se reprenne en main.

- Ta banque va trop adorer ta mention ! Déclaré-je après avoir commandé mon cappuccino.

Gustave m'a ri au nez. J'aurais bien voulu l'embrasser mais Agabin était juste à côté en train de s'échanger leurs avis sur leur mention BIEN et celui-ci avait l'air concentré à boire son café sans sucre.

On a discuté à 4 des vacances qui allaient venir, de leurs projets pour l'année prochaine. Gustave va faire Science Po Paris. Moi j'ai fait le choix de rentrer en prépa CPGE pour les grandes écoles même si je vais me foirer. L'autre couple affirme rester sur Brest ou en Bretagne. On s'est quitté après avoir payé la maudite somme de 2€70 l'expresso et sommes partis contents d'avoir eu notre BAC et de pouvoir enfin entamer l'été.

Sur le chemin du retour, Pythagore m'a paru distant. Il marchait un peu plus vite ou un peu plus lentement que moi, jamais à mon allure. Il avait son air nonchalant des jours où il adore m'ignorer.

- Qu'est-ce qui ne va pas ?

Ma question s'est faite entendre sur le pallier de chez moi et s'est tourné vers moi mollement.

- Je suis en train de réaliser que le lycée c'est terminé.

J'ai attendu qu'il développe. Il l'a perçu dans mon regard assez insistant.

- Et je me sens bizarre parce que j'ai toujours voulu que ça s'arrête. Et maintenant que ça s'est arrêté, je réalise que ça a été les pires années de ma vie. Tous les rageurs, haineux, vipères, cons qui m'ont rabaissé pendant des années, c'est fini. Et je leur ai même pas foutu la pire raclée de leur vie. Je les déteste Thalès. Et c'est fini. Je me sens soulagé, déçu de ces années, content d'ouvrir une nouvelle page mais effrayé par ce qui m'attend.

J'ai dégluti. On s'est regardé en silence.

- Tu vas aller à Science Po Paris Gustave, tu vas faire des rencontres dingues.

Il a pris ma joue dans sa main. Un geste très tendre de sa part et j'ai dû réprimer un frisson.

- Ils seront pas aussi cons que toi. Ça va me soûler ça.

J'ai ri. Après s'être embrassé, j'ai trouvé son comportement vraiment différent des autres jours. D'un coup, Pythagore s'est soucié de l'avenir, alors qu'il ne se soucie toujours que du présent. Son air morose et mélancolique me déprime.

On est rentré dans le salon. La maison est vide et ça me rassure. Il déteste quand ma sœur est dans les parages. Il la trouve trop vilaine comme nana. Ce qui n'est pas faux.

- On s'est ramolli. Lâche-t-il après s'être assis à mes côtés sur le canapé.

On s'est moqué de soi et s'est donné des coups de pieds. Avec un coup un peu violent, il a remonté un pan de mon pantalon et le brun a remarqué une cicatrice sur ma jambe gauche.

- Tu t'es fait ça comment ? Interroge-t-il avec un sourcil levé, curieusement.

J'ai touché la cicatrice par réflexe.

- Gabin et ses emmerdes. Un fil de fer cassé qui nous a transpercé la peau. Très douloureux. On était comme des fillettes sur le bord de la route. Tu demanderas à Gabin, normalement, il a la même sur le ventre.

Il s'est moqué ouvertement.

- Raconte-moi aussi l'histoire de tes cicatrices sur le bas de ton cou et tes bras. Tenté-je en désignant la zone en question.

Le brun s'est mis à froncer ses sourcils sous l'étonnement.

- Tu les as remarquées depuis quand ?

J'ai avalé ma salive, un peu rouge.

- Quand on a baisé pour la première fois. Les détails de ton corps m'échappent pas. Bredouillé-je en essayant de ne pas croiser son regard.

Il a fait soudainement très chaud dans la pièce. Peut-être parce qu'on parlait du sujet à l'oral ou parce que le regard de mon petit copain me donnait envie de copuler sur place. Mais ça c'est mon problème à contrôler mes pulsions d'antan. Il a baissé les yeux.

- Le grand-frère d'une meuf à qui j'avais refusé de sortir avec m'a explosé une bouteille de verre sur cette zone en seconde. J'ai été transporté à l'hôpital. Pas glorieux.

J'ai froncé les sourcils, les dents serrées et les poings tremblants. À quoi les gens jouent dans son lycée ?

- J'ai toujours été la bête noire au lycée Thal', on peut pas changer ça. Et même si j'ai encore envie de défoncer ce gars, il ne me cherche plus de problèmes donc je me vengerai pas.

La rage bout en moi.

- T'as eu une vie de merde un peu jusqu'à présent. Constaté-je honnêtement.

Il a haussé les épaules.

- C'est clair.

Là tout de suite, j'aurais vraiment eu envie de trouver les bons mots pour lui dire qu'à partir d'aujourd'hui, il n'aurait plus jamais une vie de merde. Mais je ne suis pas bon avec les mots. Lui exprimer ma compassion, lui donner la chance de se convaincre lui-même que ça irait mieux, c'est dépassé par mon manque de bon sens en tirades inspirantes.

On est pas toujours la personne qui sait quoi caser quand il faut. Guider une personne c'est pas si facile que ça en a l'air.

- Hé, regarde-moi. Débuté-je d'une petite voix.

Il a relevé les yeux nonchalamment. Une lueur sombre brillait dans ses yeux éteints.

- T'es aussi con que courageux Gustave. Et arrête d'avoir l'air intouchable tout le temps, quelques fois, t'as le droit de te sentir mal. Donc là, si ça va vraiment pas, dis-moi.

Il n'a pas pleuré comme j'aurais anticipé. Il a juste calé sa tête sur mon épaule avec une tendresse infinie. Je l'ai à peine reconnu sur le coup.

- Merci Thal', merci.

Mes bras se sont enroulés autour de lui instinctivement.

Ma respiration s'est coupée et mon cœur a explosé la seconde qui a suivi. Sous ses apparences de mec détaché, Gustave Allain n'est, au fond, qu'un petit gars empli de fragilités.

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