16. Plus qu'une rencontre, ft. les "sagesses d'un quasi-roux"
GUSTAVE — CHAPITRE SEIZE
L'invitation m'était parvenue début mai, alors que je traînais sur Twitter, une canette de coca dans une main. Pour une raison quelconque, une fille nommée Agathe Desfontaines, dont je ne connaissais absolument pas l'existence m'a invité à la fête d'anniversaire de Gabin par DM Twitter. J'ai beaucoup hésité à accepter, avant de recevoir son autre message : « Gabin t'apprécie beaucoup, ça lui ferait vraiment plaisir. » J'ai cédé à la requête et ai approuvé ma présence à cet anniversaire surprise où je ne connaîtrai absolument personne. Le pire c'est que je ne suis jamais invité à des soirées, et accepter l'offre m'a paru vraiment louche au bout d'un certain temps.
Nous sommes le 8 juin 2016, il fait beau dehors, les gens ont même sorti leurs lunettes de soleil. Dans une semaine, a lieu ma première épreuve de philo'. J'ai révisé tout le mois de mai, en prenant soin de bien répartir mon temps. Je ne suis pas encore prêt à passer l'examen mentalement et j'en arrive à regarder des vidéos YouTube parlant du BAC à la place de réviser.
Ma vie n'est pas très formidable, elle n'a pas changé d'un pouce depuis début mai. Le lycée est miteux, la famille compliquée et la librairie merveilleuse. Voilà. Et dire que ça fait sept ans, depuis la 6ème, qu'on me rabâche sans arrêt la question du fameux BAC.
Les BAC blancs m'ont entraîné. Mais finalement, d'un point de vue psychologique, personne n'est vraiment prêt à affronter cet examen auquel on se prépare depuis si longtemps.
Ma mère a repassé ma chemise pour l'occasion de cette soirée. Je l'ai trouvée généreuse de faire cet effort mais j'aurais très pu le faire moi-même ou ne pas la repasser tout court. De toute façon, à part avoir la réputation du « gars à la chemise non repassée », qu'est-ce que ça changerait ?
J'ai même acheté poliment un cadeau sur Amazon : un livre grand format sur la pêche. Il m'a paru sympa en tendances et l'ai mis dans mon panier. C'était un cadeau nul mais qui passait pour tous. Puis c'est toujours cool de voir la mine déconfite et confuse de la personne d'en face quand elle aperçoit ce bouquin sur la pêche.
Tout est fin prêt pour que je passe une soirée pas trop naze. Ma dernière soirée remonte à... l'autre fois où j'ai dû m'incruster chez Barnabé. Ça remonte à loin finalement. La plaie de la rupture s'est plus ou moins cicatrisée mais s'était rouverte un dimanche au parc. Ça m'avait énervé de devoir refaire des efforts pour oublier ce qu'il m'avait dit.
J'y suis allé en vélo avec une petite veste en cuir brune dont l'intérieur est d'un faux-mouton vachement doux – mais ça on s'en fout – jusqu'au lieu de la soirée, une maison qui est censée appartenir au cousin de Gabin. La soirée est programmée à 19h mais on doit tous arriver à 18h40 pour être fin prêt à crier l'énorme « SURPRISE » quand le tintement de la clef s'entendra du salon.
J'ai sonné et toqué. Un groupe de personnes de la famille de Gabin m'a ouvert avec un grand sourire et m'a proposé de poser mes affaires sur un lit à l'étage. C'est ce que j'ai fait. Je suis redescendu serein de voir qu'il y a du monde et que je n'ai pas forcément besoin de socialiser avec tout le monde par manque d'effectif. J'ai piqué quelques bonbons dans le buffet, ai croqué deux chips nature et me suis versé un verre d'Ice Tea. J'étais prêt à passer ma soirée assis. Mais quelques minutes plus tard, assis au loin, je l'ai aperçu.
Au départ, je ne l'ai pas vraiment reconnu, parce qu'il était plus grand que d'habitude, avec des cheveux un tout petit peu plus long et légèrement ondulés. Il avait lâché son ciré jaune pour un t-shirt marin avec les bandes bleues et blanches. Une partie de moi a trouvé cet inconnu très charismatique avant de me rendre compte que c'était Barnabé, en chair et en os après un mois et demi d'absence dans ma vie.
Ce qui est vachement bizarre, c'est qu'il m'a remarqué lui aussi mais n'a pas du tout le même air affolé que j'ai au même instant. Il m'a l'air plutôt mal à l'aise et dévie son regard pour rejoindre un gars à l'accent chantant du sud.
J'ai hésité à me casser de la soirée mais une dame nous a tous forcés à nous cacher la minute où je m'apprêtais à me barrer. Le monde s'est mis derrière un canapé, quelques uns derrière la porte, moi, derrière le fauteuil en tête à tête avec un lampadaire.
La porte s'est ouverte, pleins de têtes sont apparues. Et le « SURPRISE » général s'est fait entendre. En me relevant, je me suis cogné la tête contre le maudit lampadaire, ai dit mon « surprise » muet en retard et ai regardé la réaction en décalé.
Des gens ont sauté dans les bras de deux gars bronzés archi souriants et Gabin a réagi avec un grand sourire :
- Quoi ? tout ça ? pour moi ? Alors là, je m'y attendais vraiment pas !
Tout le monde s'est mis à rire en chœur – sauf moi parce qu'il a forcé un peu le ton sur le « vraiment ». Ce n'est donc pas une si grande surprise que ça. Mais tout le monde est heureux, chaque personne de la pièce rit et sourit. Mes yeux ne quittent pas la mine joyeuse de Barnabé qui lève une bière en direction d'Agathe.
L'atmosphère est chaleureuse, formidable, festive. Je respire un grand coup, m'assois sur le fauteuil en sirotant ma boisson.
Voir le monde entier si heureux me fait réaliser qu'au fond de moi, quelque chose ne va pas.
**
La soirée a l'air de battre son plein. Tout le monde discute, s'écrie, rit. C'est un double anniversaire d'après les infos confiées par Agathe : celui de Gabin et l'un des gars souriants.
J'ai bu quelques cocktails pas terribles et me suis enfoncé dans un fauteuil pendant une bonne partie de la soirée. J'ai tweeté, ai regardé mon fil d'actualité en faisant attention à ne rater aucun thread inintéressant. Une fille nommée @so_lerman a tweeté son décompte des carreaux d'une feuille entière de petits carreaux et j'ai souri bêtement pour la première fois de la soirée.
Quelque fois, je laisse mon regard dériver un instant sur Barnabé. Il discute, danse, rigole, fait connaissance avec un peu tout le monde. C'est pratique qu'il puisse m'ignorer. Au moins ça a le mérite de me ficher la paix.
Mais j'ai la gorge nouée depuis le moment où je l'ai vu dans la même pièce que moi. Mon humeur est aussi grisée que d'habitude alors que tout autour de moi rayonne de mille feux.
- Qu'est-ce qui va pas ? T'es tout seul dans ton coin, toi. Lance l'un des gars bronzés souriant qui accompagnait Gabin.
J'ai mis un instant à comprendre qu'il me parlait ai ai répondu honnêtement, d'un air las :
- Je sais toujours pas pourquoi je suis là.
Il réplique :
- Donc toi t'es pas heureux ?
Le même inconnu s'assoit sur le fauteuil juste à côté de moi. Ce gars veut que je lui confie mes crasses dans ma vie. Il a donc du temps à perdre à m'écouter, c'est sincèrement courageux.
- Surtout perdu je crois.
Il hoche la tête de haut en bas comme s'il comprend très bien où je veux en venir.
- Si tu es perdu, pourquoi t'es venu ici ? Tu te baladais, t'es là pour le gâteau ou peut-être que t'avais une vraie raison de venir. Si t'en a une, c'est déjà une première étape pour arrêter d'être perdu. Si t'en as pas, pourquoi tu restes ? T'as une raison de rester ?
Je pose ma boisson sur une table basse surpris par les paroles de l'inconnu. Il fonce dans le tas, est très direct et touche rapidement les points importants de ma pensée. Il sait s'y prendre pour guider les gens.
Une raison ?
Je pose mes yeux sur Barnabé, morfale devant le buffet avec une part de gâteau dans une assiette. Je ris intérieurement en voyant la crème qui s'est étalée sur un bout de sa joue. J'hésite à en parler à ce Yoda venu sûrement d'un pays comme le Pérou ou la Mongolie.
- Une raison ? Tu vois le gars qui bouffe là-bas ? On sortait ensemble avant. Ça fait un mois et demi qu'on ne se parle plus depuis qu'il m'a dit qu'il m'aimait. Et c'est dingue parce que le voir là, ça me soûle mais me fait sûrement rester. Dévoilé-je en m'arrêtant dans ma lancée.
Je raconte trop ma vie et l'envie de devenir un gars qui étale sa vie au premier inconnu croisé ne m'enchante pas.
- Je parle trop, désolé d'avoir raconté ma vie, je devrais partir, faut que tu profites aussi de la soirée, fais pas comme moi. Je poursuis en reprenant une gorgée de mon mélange vodka-redbull très bizarre.
Il hoche une nouvelle fois la tête, toujours avec cet air incroyablement compréhensif.
- Non, je te jure, j'aime bien écouter les gens. Ça te soûle de le voir parce que c'est ton ex, tu l'aimais pas en retour, et t'en as marre de voir sa tronche, ou parce qu'il t'a dit qu'il t'aimait, tu l'as jamais dit en retour, et ça te soûle. Non parce que j'essaye de comprendre, tu m'as dit que vous sortiez ensemble, et qu'il t'aimait, jusque là, l'équation elle paraît simple.
Mais qui est donc ce gars ? Comment fait-il pour toucher au but en si peu de temps alors que j'essaye d'éclairer mes pensées comme un énorme galérien.
- Tu me conseillerais quoi, toi qui a l'air de comprendre l'équation ?
Il répond :
- Tu l'aimes, tu lui dis, tu l'aimes pas, tu lui dis aussi. Après, t'improvises. Tu pourras jamais avancer dans la vie si tu te trouves toujours dans un état entre deux, c'est con, mais à un moment, il faut faire des choix. Même s'ils nous effraient.
J'écoute ses mots avec attention. Tout sort de sa bouche avec tellement de naturel que je me demande d'où pourrait provenir un tel recul sur la vie. Il met en confiance pour la confidence. Ce gars est étonnant.
- C'est pas aussi facile que ça. De ta bouche on a l'impression que t'es tout simple, mais le problème dure depuis des mois et je ne sais juste pas. Avoué-je en soupirant.
Il réplique sur-le-champ :
- Tu sais pas quoi ? Tu sais pas si tu l'aimes ?
Normalement, j'aurais arrêté la discussion là mais son air sérieux mais décontracté influençait mon cerveau. Il dégage une aura admirable. Quelque chose en moi me dicte que lui dire clairement d'où vient le problème. Ça ne peut que me servir sur ce coup-là. J'ai cédé :
- Je sais pas si je l'aime ou si j'aime juste une partie de lui.
Cette phrase aurait pu faire sujet de blagues salaces mais la personne d'en face a sûrement résisté à la tentation. Il a enchaîné :
- Peut-être que c'est comme un pont suspendu dans le vide. T'as fait un premier pas, mais t'as tellement peur de continuer que tu te convaincs toi-même que tu es incapable d'avancer un peu plus. Si tu as commencé à aimer une partie de lui, c'est forcément que t'as cherché à tomber amoureux, à un moment. Et maintenant, tu te bloques au reste de sa personne, tu penses que tu ne peux pas le faire, parce qu'il parait différent, alors qu'en vérité, il suffit de prendre une grande inspiration, et foncer. Tu verras, tu seras surpris à quel point les choses viennent d'elle-même. Tu sais, la partie de lui que t'aimes, elle est sûrement bien toute seule, mais rattachée au reste, elle ne peut qu'être encore plus géniale. Parce que c'est toujours lui, ce n'est pas quelqu'un d'autre. C'est lui, plus d'autres trucs géniaux. C'est tout.
Ses mots font le chemin jusqu'à ma pensée et je ferme les yeux pour y réfléchir. Digérer un pavé de phrases véridiques, c'est indétrônable comme sensation. Pour une fois, tout a l'air d'être pas trop mal guidé dans mon esprit.
Ce mec a raison. J'ai fait fausse route depuis trop longtemps. On ne peut pas aimer une partie d'un gars en le blâmant de ne pas aimer l'autre. L'aimer dans son entièreté même s'il a des défauts, c'est pas si terrible si les efforts sont présents.
- Merci. Lâché-je en lui souriant amicalement.
J'ai poursuivi :
- Je m'appelle Gustave.
Il m'a tendu sa main.
- Priam.
Je l'ai serré. Et j'ai remercié grandement cet inconnu pour m'avoir si bien aidé en même pas une dizaine de minutes. Le deuxième gars bronzé qui souriait de toutes ses dents a crié son nom dans la pièce et lui a fait signe de le rejoindre. Il s'est relevé et m'a lancé un regard du type « Bonne chance, tu peux le faire. » en s'éloignant.
Le truc c'est qu'après avoir souffert, on sait pas si ça vaut vraiment le coup de recommencer une nouvelle fois. Quelle est la garantie à lui redonner une chance ? Mais tout mon être me conseille de foncer. C'est nouveau pour moi, vouloir essayer.
J'ai fini mon verre, ai repassé en boucle ses mots dans mon esprit. Barnabé n'est pas si loin que ça. Il a fini son gâteau, est en train de discuter brièvement avec une personne qui m'est inconnue. Je prends mon courage à deux mains, lance un regard au fameux Priam qui me lance un coup d'œil discret comme pour surveiller mes gestes après notre discussion.
Debout, j'ai rétréci la distance entre Barnabé et moi. J'ai tapoté son épaule. Il s'est retourné. La personne est partie et on s'est regardé. Longuement. Dans un silence parfait.
- Salut Thal'.
Il a baissé les yeux pour contenir son énorme sourire.
- J'ai bien fait d'attendre. Dit-il avec un grand naturel.
Je fronce les sourcils, confus.
- Oh, merde, je l'ai dit à voix-haute. C'était juste une remarque à moi-même. On rembobine, on recommence. Explique-t-il en soupirant entre deux légers rires.
J'ai soupiré. Il est toujours aussi con. Je me suis prêté au jeu pour une fois.
- Salut Thal', recommencé-je en essayant de ne pas afficher mon sourire intérieur.
Un brin de malice s'entend dans ma voix.
- Salut Pyth', réplique-t-il en affichant un sourire plus timide.
J'ai rentré mes mains dans mes poches. C'était bizarre. Il y a encore quelques semaines, je le détestais de tout mon cœur. Là, j'en sais rien. Il a changé, je crois.
- T'as réfléchi à ce que je t'ai dit l'autre fois ? Demande-t-il plus sérieusement.
J'ai dégluti.
- Ouais.
La gêne entre nous est mignonne. Elle plane parce qu'on est gentil l'un envers l'autre. C'est spécial comme impression. Puis même si j'aimerais m'arrêter de parler, mon cœur ne m'écoute pas. Il se libère, pour une fois.
- On a pas mal merdé toi et moi. Remarqué-je en le voyant poser son verre sur la table.
Il a grandi, pas de beaucoup mais arrive maintenant à ma taille.
- C'est encore valable ce que tu m'as dit au parc ? Interrogé-je en me frottant la nuque.
Barnabé se mord la lèvre. Saloperie.
- Plus que valable depuis. Réplique-t-il avant de demander : Et toi, ce que tu m'as dit, c'est périmé ou c'est toujours valable ?
Je le fixe et sens la boule en moi dégonfler brutalement.
- Périmé. J'ai fait mon con en disant des choses connes. Je suis désolé Thalès.
Il sourit nerveusement. Mon ego est mis de côté ce soir.
- Ah ouais ?
Je n'avais jamais pensé au fait qu'il puisse ressentir autant de peine que moi sur le coup. C'est lui qui a merdé en premier. C'est lui qui ne voulait plus de moi. Je m'étais rentré l'idée dans la tête qu'il avait joué de moi comme tous ses autres coups.
- C'était ma faute au départ. Excuse-moi Pythagore.
Un long silence a suivi sa remarque et pour la première fois depuis presque deux décennies, mon cœur s'est attendri.
J'ai réfléchi, ai clos mes paupières le temps d'inspirer un bon coup. Le courage gonfle dans ma poitrine. Mes sens sont à l'écoute.
- Le truc c'est que je t'aime Barnabé Basquin. Avoué-je en retenant mon souffle.
J'ai posé ma main sur son cou, l'ai amené contre moi avec hésitation. Il avait déjà fermé ses yeux comme un débile. Je l'ai embrassé. C'était un baiser troublant. J'en crevais de l'intérieur. Il a passé sa main dans mes cheveux et la mienne a glissé son son haut sans m'en rendre compte. Comme si une ancienne habitude remontait en moi. On avait chaud à l'intérieur.
On s'est décollé avec hésitation. On respirait la niaiserie mais ça allait après tout le chaos de ces derniers mois.
- T'es con. On est en public tu sais. Ne me tente pas. Murmure-t-il en riant.
J'ai haussé les épaules. Ses fossettes accaparent ma vue et ses yeux brillent.
- Ça craint de dire « je t'aime » suivi d'un prénom de merde. Déclaré-je en me moquant.
Il a affiché une mine outrée.
- Et c'est toi qui dit ça ? Choqué, outré, déçu. Marmonne-t-il en levant les yeux au ciel.
Nos rires fusent. Crétin.
- On est con, tu sais. Clame-t-il d'un air moqueur.
J'ai acquiescé machinalement et on s'est rembrassé. Il a raison sur ce point. Un bon couple de cons.
C'est encore un peu bizarre parce que tout n'est pas cicatrisé. Ça ne peut pas disparaître d'un coup : la rancœur, le mal-être, la solitude, la sensation d'être abandonné pour de bon qui ont persisté pendant des mois. Mais en soit, c'est bien parti pour aller mieux. En tout cas, je ne ressens plus ça, debout face à lui et sa vieille gueule.
Finalement, je n'ai plus fait tache dans ce tas de bonheur durant cette soirée : exceptionnellement, j'ai rayonné autant de l'intérieur que de l'extérieur. Et je crois que, sans mentir, je me suis senti bel et bien vivant pour une fois.
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