13. Plus qu'une rencontre, ft. les "conseils de Val"


BARNABÉ – CHAPITRE TREIZE

- Et c'est tout ? Demande Delphine en se coiffant.

Je la regarde un instant, perplexe face à sa réaction détachée. Je viens pourtant de lui raconter l'un des pires moments de ma vie. Je m'apprêtais à recevoir des « Non mais c'est une blague ? » ou « Ça va pour tes blessures ? ». Son « Et c'est tout » sonne comme un « OK ta vie », ce qui est particulièrement blasant. Ma sœurette s'en fiche : elle s'en branle.

- Bah ouais en gros, je réponds simplement.

Quelques secondes plus tard, celle-ci me frappe violemment le front. Sa natte se défait en deux temps trois mouvements et je grogne de douleur.

- T'en fais pas, vous allez vous remettre ensemble très prochainement, c'est comme moi et Théo, ça fait des dramas mais on finit par se retrouver coincé dans une salle de ciné à se pécho.

Valentine, à l'autre bout du fil, en haut-parleur sur mon portable commence à me gronder :

« Quoi ! Pythalès c'est fini ? Je rêve, dis-moi que j'hallucine. Mais t'es complètement nul ! Tu viens de briser le plus beau couple que t'aurais pu avoir. Je sais que t'aimes suivre mes conseils mais tu n'avais qu'à faire un effort pour réaliser ta promesse. T'es con. Excuse-moi je t'enfonce, j'ai dit à haute voix ce que je pensais tout bas. Je t'aime mon pote, respire, je suis là si t'as besoin. »

Ma sœur hausse les épaules.

- Tu vois dans les bouquins le passage où les gens se retrouvent à s'embrasser dans la pluie ? Si ton karma est bon, t'as une chance de le faire avec lui dans la semaine qui suit ta rupture. Assure-t-elle en attachant ses cheveux en un chignon mal fait.

La discussion ne me plaît plus. J'explique à Val' que je dois aller faire mes devoirs. Ma sœur se permet de se moquer de moi en entendant ma remarque. Elle se fiche toujours de moi quand je commence à faire croire au monde que je vais bosser pour mon bac. Elle me dit que je lui ressemble beaucoup trop ces temps-ci – ce qui n'est vachement pas rassurant pour un gars comme moi qui trouve sa sœur horripilante.

Delphine est sortie de ma chambre et j'ai commencé à faire mon sac. Direction bibliothèque, pour me changer les idées, je me devais de faire quelque chose d'utile mais super chiant : étudier.

- Courage Barnabé, tu peux y arriver, faut juste sortir de la chambre et y aller. Murmuré-je à moi-même en quête de courage.

Je suis sorti de ma chambre avec pleins de grimaces de douleur, les bleus douloureux et les mauvaises plaies recouvertes de pansements se décollant à chaque étirement. Je suis bien amoché.

La bibliothèque est à quelques mètres du McDo à pied, si j'ai de la chance, je peux me trouver une place dans le fond. Les yeux plantés dans le vide, j'inspecte la salle de fond en comble. Je m'installe pas loin de la rangée de livres sur la préhistoire pour éviter tout enfant bruyant avec sa BD. Des gens étudient, le silence plane et on n'entend que les touches des claviers qui s'enfoncent. Pour une fois, j'ai envie de faire des fiches et soigner mes graphiques. Malgré tout, très vite, je me mets à gribouiller sur la feuille bristol, en oubliant à quel point mes pensées actuelles sont chaotiques et sans débouchées.

De l'extérieur, j'ai l'air de le vivre normalement. Même en racontant ce qui s'est passé aux deux nanas les plus proches de ma personne, je n'ai pas mis le ton. J'ai juste raconté comme si c'était une histoire à raconter entre potes, comme quand un prof vous avait salement noté pour un DM tout con.

À l'intérieur, c'est le chaos. Mes pensées s'embrouillent, je me pose des questions sur moi-même, sur ce que dit ma sœur sur cette « rupture » qui ne va jamais aboutir à la rupture totale. Au fond de moi, je pense qu'elle a faux. Au fond de moi, je sais que j'ai merdé tellement fort que je ne devrais même pas avoir le courage de sortir de mon lit le matin.

Ce qui est paradoxal, c'est que j'ai très vite des pensées contradictoires à aux pensées qui ont précédé la rupture. Le regret me bouffe.

Si on me pose la question : Est-ce que quelque chose a changé dans ma vie pour l'instant ? Je répondrai que non, que rien n'a vraiment changé. En effet, la vie continue. On est dimanche matin, on a dormi trop peu d'heures, on a bu son café bien serré sans sucres avec la même tronche dégueulasse. On est dimanche et chez moi, même après la rupture, la vie ne change pas.

Bien sûr que c'est facile de dire que rien ne change quand on se place de ce point de vue là.

Mais si on se met du point de vue du cœur ou de l'esprit – j'en sais rien –, on peut affirmer le fait que tout a changé. Tout.

Je me rappelle de cette terreur après avoir envoyé le message fâcheux, je me rappelle de cette appréhension quand il est arrivé chez moi pour me chercher et puis ; je me rappelle de tout ce qu'on s'est dit. Je ne sais pas si j'aurais pu dire autre chose. Je ne sais pas si j'aurais dû faire le choix de continuer à faire le con.

Maintenant, le plus dur est d'assumer. Malgré le regret, le mal et le doute que ça nous a amenés. La rupture c'est grave. Et la personne qui rompt peut vivre une toute autre expérience que celle qui s'est faite plaquée. La personne qui a rompu doit vivre en cohabitation avec une nouvelle culpabilité.

Et là, je me demande : mais putain Barnabé qu'est-ce qui t'arrives, pourquoi penses-tu comme un personnage de roman ? Pourquoi commences-tu à philosopher sur ta vie ? Pleure un coup et arrête de faire ton perso chiant non ?

Mais c'est dur d'être con et de devoir se remettre en question ainsi avec un semblant d'intelligence. OK c'était juste un couple d'un mois et demi. OK c'était juste un gars parmi d'autres personnes baisables sur cette Terre. (il y a deux mensonges dans les deux dernières phrases)

Je marque un « t'es con » sur une feuille à carreaux. Rapidement, je grave ces trois mots partout sur celle-ci. Je la remplis de « t'es con ». Ouais, je suis carrément con.

Bordel de merde, qu'est-ce que je suis con. Et lâche, en plus.

Bien sûr que non, on ne va pas se remettre ensemble. Delphine a tout faux. Hé ho la réalité, c'est pas comme si Gustave ne m'avait pas lancé un énorme uppercut la nuit dernière de rage et de colère. C'est pas comme si j'avais l'impression d'avoir un truc terrible au fond du cœur. C'est super bizarre comme sensation, tellement bizarre que je vais devoir en parler à Val' pour des conseils.

J'attrape mon sac, range toutes mes feuilles de « t'es con » et sors précipitamment de la bibliothèque. Téléphone à la main, je compose le numéro de ma meilleure amie. Elle a toujours un truc à caser. C'est la voix de la sagesse de Bretagne, clairement.

Val' est bien chez elle et j'arrive dans son appartement une quinzaine de minutes plus tard, essoufflé. En montant les marches, je me suis me rendu compte qu'il y a à peine 24 heures, je montais ces mêmes marches sans cet énorme poids. C'est fou ce que ça peut changer sur une courte période de temps.

- T'aurais dû arriver il y a dix minutes, mon vernis a séché depuis. Lance-t-elle alors que je lui fais la bise.

Je m'affale sur son canapé et elle referme la porte derrière elle, un bandeau sur le front. Sa mère me salue et son père me toise sans gêne. Val' me conseille de nous installer dans sa chambre, ce que je fais avec lenteur.

- Alors qu'est-ce qui se passe ? Ce matin au téléphone t'avais l'air super passif, ça a changé ? Interroge-t-elle en entament un Capri'sun.

Ma gorge se noue à l'idée que les autres puissent penser que j'étais passif à tout ça. Avant l'envoi du message, j'étais passif, déterminé et motivé. Là, j'ai juste la culpabilité qui me brise les côtes.

- Tu ne te moques pas de moi hein ? Préviens-je sérieusement.

Elle hoche la tête de haut en bas avec vigueur. Je prends une grande inspiration et me lance dans une tirade inspirée :

- Je sens très bien mon regret, ma culpabilité et mes doutes sur moi-même. Genre vraiment, je le sens jusqu'aux tripes, je pourrais sûrement en vomir. Mais là c'est super chaud. J'ai une maudite sensation qui s'est collée à mon cœur. J'sais pas si tu vois de quoi je parle mais j'ai l'impression que ça amplifie tout mon regret et les autres merdes. Et ça fait un ÉNORME trou au cœur, genre je suis sûr que j'ai perdu un truc y a quelques heures. Et c'est trop bizarre parce que ça ne m'est jamais arrivé. C'est ma faute, Val', c'est tout le temps ma faute parce que je suis pas foutu de faire les choses de la bonne façon.

Valentine m'écoute avec attention, croise les jambes en demandant :

- Et tu te sens triste, mélancolique par moment ? T'as envie de pleurer ?

Je me moque de moi intérieurement en poussant un long soupir.

- J'sais pas, mes parents m'ont éduqué pour que je pleure le moins possible alors ouais, je sais pas, j'encaisse c'est tout.

Ma meilleure amie me sourit d'un air triste, emplie de compassion.

- Tu sais que t'es con pas vrai ?

Elle poursuit :

- Sois honnête avec moi et ne trouve pas la métaphore louche, c'est souvent parlant. C'est ma nouvelle théorie. Si t'étais un papier, tu serais plus froissé, déchiré, plié ou déchiqueté ?

J'ai avalé ma salive.

- Les quatre à la fois peut-être ?

Je lui souris douloureusement, en fermant les yeux à la rencontre de la lumière qui frappe à travers la fenêtre.

- Barnabé, c'était ta première relation sérieuse. Et tu l'as niquée. T'es humain, tu fais des erreurs. Normal de ressentir du regret ou de la culpabilité. Mais pour ton trou au cœur là, c'est particulier, c'est pas si rare que ça à l'échelle de l'humanité et ça fait bizarre de croire que tu puisses vivre ce syndrome-là.

J'ai levé mon regard dans sa direction, prêt à entendre ses indications judicieuses.

- De quoi tu parles Val' ? Je suis paumé, vraiment.

Elle m'a ébouriffé les cheveux avec tendresse et a souri encore plus tristement, les yeux mi-clos.

- Tu sais Barnabé, c'est tout con mais, je crois que tu baignes dans le syndrome du cœur brisé.

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