11. Une rencontre, et un "bar"




BARNABÉ -- CHAPITRE ONZE

Plusieurs semaines se sont écoulées tranquillement. On pense que la vie change du jour au lendemain mais ici en Bretagne, rien ne change vraiment. Pendant les jours où il a cours, Pythagore mime disparaître sur Terre, on ne sait pas s'il est en vie ou s'il est surmené par ses devoirs, mais en tout cas, Gustave Allain disparaît. Les samedis midis, je viens le chercher. Les samedis soirs, je vais en soirée. Les dimanches, il continue ses devoirs. Il n'y a que l'après-midi occasionnel du samedi où on se permet de nous allonger sur son lit en train de regarder des vidéos de chats ou compilations de vidéos marrantes. Il faut qu'il fasse très beau et que les rayons du soleil apparaissent pour qu'on décide de sortir sur la pelouse.

Rapidement, c'est devenu une routine. On apprend à se connaître : Pythagore n'aime pas les vidéos où les gens chutent ou atterrissent dans la neige ; Pythagore adore quand les candidats de télé sortent des « la mer noire » et « je ne suis pas venue ici pour souffrir oOookaYYY » : il éclate toujours de rire en me disant que ça lui rappelle que je suis un con quand je les imite. Il n'aime pas les cacahuètes et est allergique aux pêches et n'aime pas manger des moules. (J'ai fait une mauvaise blague sur ça, il m'a fait très mal avec son poing en réponse à celle-ci...)

On peut dire que tout va bien dans le meilleur des mondes. Mais je n'en ai absolument pas l'impression. Gustave parle de moins en moins à mes côtés, il ne répond même plus à mes messages, il lève les yeux au ciel quand je lui propose de venir me chercher. Il continue à me détester.

Et à force de ne pas se faire apprécier, moi, Barnabé Basquin, recommence à être atteint du syndrome du Dom Juan, où je me mets à mater des jolies filles de ma classe sans discrétion, aller discuter avec des filles en soirée. Je ne les embrasse pas, ne leur propose rien mais après des cuites, il y a toujours ambiguïté. On ne franchit jamais le pas mais ça m'embête de penser à Pythagore qui raccourcit notre temps ensemble et qui me délaisse pour ses cours. Et il y a cette petite hésitation qui me ramène à la réalité. Je comprends alors que je ne peux plus faire tout ce que je veux, que je suis censé être en couple et cetera.

Toute cette merde n'arrive que quand je ne suis pas près de lui. Le reste du temps, sur son lit à l'entendre rire, j'oublie qu'il s'en fiche de moi et que pour lui, toute cette histoire de couple semble horrible. On ne s'embrasse qu'après s'être disputé, on se hait à cause de mes céréales et les montagnes russes émotionnelles s'enchaînent.

J'en ai parlé à Val' qui m'a dit que ce n'était pas un couple très sain. Elle m'a proposé de l'amener à un premier rendez-vous comme les gens habituels font pour nous resituer au bout d'un certain temps.

- Notre premier rendez-vous c'était dans les toilettes de son bahut ! Rappelé-je avec conviction.

La brune m'a toisé et a pris son fameux air dédaigneux.

- Vous êtes vraiment en couple ou vous êtes des plans culs longue durée du samedi aprem' ?

J'ai voulu répliquer, motivé mais me suis vite découragé. Je n'en savais rien. Peut-être qu'on était un peu les deux à la fois.

- En plus, t'es vraiment un con pour flirter avec des filles en soirée. T'es en couple quand même, il faut qu'il y ait de la confiance dans l'air. Gronde ma meilleure amie en me tirant l'oreille.

J'ai rapidement gémi de douleur en la suppliant de me lâcher.

- C'est plus fort que moi, je vois le sourire d'une fille et je chavire.

Un rire moqueur s'entend. Marjorie nous écoute sûrement dans l'autre chambre. La sœur de ma meilleure amie réagit toujours dans les discussions où elle n'a rien à faire dedans. « Les murs sont fins » explique-t-elle à longueur de journée. Valentine soupire et reprend d'une plus petite voix :

- Alors tu vas rompre avec lui.

Mes yeux se sont écarquillés sous la brutalité de ses mots. Hors de question. Jusque là, la notion de rupture n'existait pas pour moi. C'était aussi nouveau que de s'engager dans une relation. Même si je ne suis vraiment pas un petit-copain exemplaire et qu'il ne l'est pas non plus, je commence à percer sa carapace et l'apprécier une fois sur cinquante-sept.

- Je ne blague pas Barnabé, ne crois pas qu'un petit copain a moins de sentiments qu'une petite copine. Et si tu commences à jouer avec les extrêmes, je sais que ça va dégénérer et il va beaucoup souffrir. C'est un type bien, il sort avec toi, il arrive à te supporter plus que toutes les personnes que t'as déjà embrassées. Explique-t-elle sérieusement.

J'ai ouvert la bouche, à la recherche de mots en creusant tout ce que j'avais dans ma répartie. Finalement, j'ai lâché :

- Promis, je ne ferai pas le con avec lui.

**

Val' organisait comme tous les samedis d'avril, sa tournée des bars. Elle les trouvait vivifiants. On s'est installé dans un coin et j'ai attendu avec elle le reste du groupe. Rapidement, le bar s'est rempli de jeunes du lycée et une personne dont le faciès m'était particulièrement connu est apparu.

(Spoiler : ce n'est pas Pythagore)

Théo, le grand brun à la mâchoire aussi définie qu'Hulk est apparu au bras d'une petite blonde à la poitrine chargée. Ce n'était pas Delphine, ça n'avait pas marché ce mois-ci mais ils se remettront sûrement ensemble d'ici juin. Elle l'a quand même invité avec nous à Belle-Ile pour les vacances.

- T'as laissé ton frère chez toi ? Interrogé-je après l'avoir salué.

Il a roulé des yeux.

- Gus' fait son chien avec ses oraux. Il révise depuis ce matin avec une nana. Je ne sais pas s'il la drague ou s'ils bossent vraiment ensemble. Réplique-t-il en haussant les épaules.

Théo ne sait pas pour son frère et moi. Il pense qu'on est assez pote pour se voir une fois par semaine. Pas plus.

J'ai appelé mon copain. La phrase sonne bizarre mais je m'y suis fait après un mois et demi passé ensemble. C'est plus qu'un record, c'est LE record de Barnabé Basquin. Il a répondu au bout du quatrième appel et je l'ai entendu grogner. Une voix féminine vachement chouette a résonné à l'autre bout du fil et j'ai froncé les sourcils sous la surprise.

C'est étrange. Gustave ne traîne pas avec grand monde les samedis soirs. Il veut garder son temps pour lui et ses lectures et annule toujours tous mes plans proposés.

« Qu'est-ce que tu veux Thal' ? »

J'ai toussoté bruyamment dans le bar, inquiet et stupéfié par son ton rude et sec.

« Je voulais te proposer de venir me rejoindre au bar... »

Il a raccroché. Ça m'a vachement inquiété. Je sais qu'il me raccroche souvent à la figure mais de là à raccrocher sans rien préciser avant, ça ne lui ressemble pas.

Je rappelle. Un rire féminin emplit mes oreilles. S'ajoute le sien. Elle rit avec lui. Il rit plus qu'il ne l'a jamais fait avec moi.

« Je suis occupé, je finis de réviser pour l'oral de lundi avec Violaine donc laisse-moi tranquille, pas de bar ce soir. »

Il a de nouveau raccroché et ma bière a eu un arrière-goût amer. C'est la première fois qu'il me parle de cette « Violaine ». C'est la première fois qu'il se fait une amie dans son lycée, je le sais, il me dit toujours qu'il se la joue solitaire. J'ai appuyé sur l'application Facebook et ai appuyé sur le profil de Pythagore. Dessus, j'ai cherché cette fille dans ses amis. Trouvée, j'ai compris qu'un grand drame s'annonçait. Je connaissais la fille. J'ai même son numéro. On a couché ensemble plusieurs fois en soirée l'année dernière. Et elle est bien plus extraordinaire que moi. Elle l'est autant que Delphine. Et j'ai senti la compétition me ronger. Merde.

J'ai eu du mal à finir ma pinte de bière, les yeux baissés, embêté.

- Quelque chose ne va pas jeune homme, des shots vous feraient peut-être oublier vos problèmes ? Demande la barmaid en essuyant des verres.

J'ai dégluti et ai posé les yeux sur la jolie femme. Le teint bien bronzé, le piercing étincelant. Elle m'a passé des shots et je lui ai souri d'un air charmeur. C'était une bonne distraction, qui sait si elle n'est pas LA rencontre qu'on attend tous. Je ne suis pas LA rencontre de Pythagore et au fond de moi ça me tue parce qu'il rit incroyablement fort avec cette fille et que c'est sûrement elle, SA rencontre à lui.

J'ai observé Val' embrasser un gars, Théo prendre une blonde par la taille, Loïc manger ses chips. Je vois ce Loïc plus que mon copain, c'est dingue.

J'ai ingéré les shots un à un, avec la gorge qui brûlait. C'était pas terrible. La barmaid m'en a proposé d'autres que j'ai accepté. Elle m'a souri et mon cœur recommence à chavirer. J'adore les nanas. Les personnes de l'autre sexe sont jolies et pétillantes. Elles sont plus belles que des gars. Beaucoup plus attirante que Pythagore qui parle tout le temps de son chien.

- Ça vous dirait un verre après votre service ? demandé-je en regrettant la proposition la seconde qui a suivi.

Elle accepte. Elle s'appelle Anika. Je lui souris en retour. Je bois à nouveau.

Valentine a raison. On construit quelque chose mais je ne suis pas foutu de me contrôler en présence d'une charmante barmaid. Je panique à l'idée de le voir fréquenter des personnes plus formidables que moi, le gros naze pas malin.

Ce n'est pas facile d'être en couple. Encore ce matin, je trouvais ça passable. Le soir, je trouve ça insoutenable. C'est périlleux, la liberté est vaine. On bâtit forcément un truc mais j'ai l'impression qu'on s'enfonce sous terre.

Ça ne peut pas marcher dans ces conditions. OK, c'est tout con. Mais les mots de Val' me hantent l'esprit.

Au final, je n'ai jamais été prêt à être un petit-copain comme il faudrait.

Et j'ai promis de ne pas faire le con. J'ai hésité, ai remué mes méninges, réfléchis en buvant.

Avec le peu de lucidité qui me restait, j'ai tapé pour la première fois les deux mots terribles :

« On rompt. »

Mon message s'est envoyé à vingt-trois heures.

Je ne sais pas s'il l'a lu.

Je ne sais pas si j'ai bien fait.

Je regrette longuement.

Mais je ne peux rien y faire.


Cette histoire est conne. Ce soir, l'amour est con et la vie est conne. Mais, après tout, je ne suis qu'un simple con qui se tente de se prénommer Thalès.

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