Chapitre 1

— Rajani, salua Mike en levant les yeux de son jeu de dominos.

Il fit signe au plus jeune des hommes qui jouaient avec lui de se lever mais Nagendra Rajani secoua la tête :

— Laisse, Shutcall, je viens de me taper quatre heures de mécanique, j'étais plié en deux sous un capot toute la matinée.

Le maître officieux de leurs quartiers haussa les épaules et autorisa le jeune latino qui s'était levé avec empressement à s'asseoir.

— Qui gagne ? s'enquit Nagendra Rajani en faisant craquer ses cervicales.

Il s'était placé au hasard dans le dos du plus jeune et vit les mains de ce dernier se contracter. Il ne pouvait pas discerner les traits du gamin mais il savait déjà ce qu'il aurait pu y lire. Ignorant cette marque de peur, Rajani ausculta le jeu étalé sur la table – la seule qui ne branlait pas au moindre souffle. Mike eut un sourire de travers et lança le menton vers la télé qui les surplombait.

— Je crois bien que c'est toi.

Rajani se frotta les yeux, bailla, et finit par accorder son intérêt à l'écran : il faillit froncer les sourcils et reprocher au chef son humour de mauvais goût car le bandeau défilant annonçait en boucle – avec une espèce d'excitation typographique – que l'enquête sur le très redouté « Sandman » avait connu une percée sans précédents. Il plissa les yeux et put voir les bandeaux jaunes interdisant l'accès à une scène de crime étendus autour d'une maison cossue. Le titre du bandeau déroulant changea et un « LE SANDMAN REPREND DU SERVICE ! » s'étira avec une ironie certaine.

— Depuis quand ça tourne ? sursauta Rajani dont le sang s'était électrisé soudainement.

— Oh, ça a commencé il y a trois-quatre heures, sourit Mike.

— Tu te fous de moi ?!

— Pas vraiment, je préférais que tu passes un peu de temps à t'occuper la tête : tu aurais été intenable et j'avais envie de faire une partie de dominos tranquillement avec mes gars.

Nagendra retint les jurons qui mourraient d'envie de franchir ses lèvres et il serra les poings. La tension était palpable mais Mike connaissait à la fois Rajani et son propre pouvoir.

— Il faut que...

RAJANI ! aboya une voix dans le haut-parleur. Visite exceptionnelle au parloir !

Cette annonce retentit dans toute la prison et elle fit ce jour-là tiquer bien des prisonniers. Ça n'était ni le jour, ni l'heure des visites.

— Je t'avais bien dit qu'il aurait fini par reprendre la vedette... murmura Mike en voyant Nagendra Rajani s'éloigner au pas de course. 

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