Partie 6 - Par Kermadec

Partie 6

Par Kermadec

Théo et Grunlek étaient en tête. Le paladin, toujours concentré sur la maîtrise de sa monture, remarqua quelque chose par-delà le feuillage touffu des environs. Là-bas, sous l'imposante ombre du manoir, se dressait une muraille. L'édifice était en ruines, mais restait massif. Théo en estimait la hauteur à environ une dizaine de mètres. Peu importe la direction où il posait son regard, il ne distinguait, hélas, aucune brèche suffisante pour permettre leur passage. En apercevant à son tour cette construction, Grunlek s'interrogea. Qui donc aurait pu construire quelque chose d'aussi haut, et surtout... A quoi bon, au beau milieu des bois ?

Cependant, l'heure n'était pas propice aux considérations architecturales. Le manoir avançait vite. Ils allaient devoir être efficaces pour atteindre la bâtisse. Si seulement Lumière, en sa qualité de cheval de guerre, avait été en capacité de voler...

Derrière Théo, Grunlek agitait déjà son bras mécanique, se préparant à l'éventualité de devoir défoncer le mur. Le paladin, au maximum de sa concentration, scrutait la moindre brique à la recherche d'une prise, d'une faiblesse, du moindre élément qui pourrait les aider à progresser. En vérité, tout dépendrait de la progression du manoir. Si leur récompense dépassait cet obstacle trop tôt, il ne servirait à rien de tenter d'escalader la paroi.

Soudain, l'œil affuté du nain perçut du mouvement le long des briques. Des créatures, a priori des serpents, semblaient nichées entre les pierres. Grunlek prévint Théo.

Les idées se bousculaient, plus improbables les unes que les autres, dans la tête du duo de héros. Jeter le nain vers le manoir ou le mur pour qu'il s'y agrippe ? Trop risqué. Utiliser les serpents en tant qu'échelle ? Trop irréaliste. Lancer leur grappin alors qu'ils n'avaient pas atteint le point le plus élevé de la colline ? Trop audacieux. A moins que... Lancer le grappin, laisser Grunlek se tenir à la corde, et, suivant le déplacement du manoir, profiter d'un mouvement de balancier pour défoncer la muraille et permettre le passage du cavalier ? Le groupe était connu pour son audace, après tout.

Grunlek prit une profonde inspiration et se mit en mouvement. Avec une souplesse insoupçonnée, il grimpa sur les épaules de Théo afin de gagner toute la hauteur possible. Il mit toute sa puissance et sa précision dans son utilisation du lance-grappin. Contre toute attente, et à sa propre grande surprise, il parvint à viser juste. Le grappin était solidement planté en dessous du manoir. Au même moment, plusieurs mètres en arrière, le galop de Brasier se faisait enfin entendre. Bob et Shin arrivaient sur les lieux et ne pouvaient que constater l'ingéniosité de leurs compagnons. Grunlek était dans les airs, suspendu à la corde, avec Théo accroché à ses solides jambes naines.

Les deux retardataires allaient à leur tour devoir trouver une solution, tandis que leurs amis se rapprochaient dangereusement de la muraille. En voyant ce qui se passait, Bob eut immédiatement une idée pour l'archer.

— Shin, tu vas te mettre debout sur le cheval, prendre appui sur moi et sauter ! Je trouverai une autre solution pour vous rejoindre !

Une autre solution, oui, mais laquelle ? Même en déclenchant sa magie, la distance serait trop grande pour qu'il se téléporte dans des flammes. Bob pourrait cependant compter le bras-grappin de Grunlek, si celui-ci avait les réflexes adéquats.

La plan se formait précisément dans la tête du demi-démon. Le duo galoperait encore quelques mètres, puis Shin sauterait, avec élégance, vers la corde déjà en place. Ensuite, Bob se tiendrait prêt à être réceptionné, avec un peu de chance, par son ami nain.

Théo poursuivait son ascension, il était déjà parvenu à dépasser Grunlek, le libérant de son poids. Fidèle à lui-même, il marmonnait dans sa barbe inexistante des plaintes au sujet de leur situation. Faire tout ça pour un stupide manoir, quelle idée, ils auraient mieux fait de renoncer à cette récompense inutile. Mieux valait que la bâtisse soit remplie de trésors ! Depuis son point de vue surélevé, Théo, en tournant la tête, aperçut enfin un trou dans la muraille, quelques mètres en contrebas. Irrité par cette découverte un peu trop tardive, le paladin râla de plus belle.

Shin et Bob s'étaient rapprochés, pendant ce temps. Le demi-élémentaire se préparait à bondir. Interpellé par leurs cris, Grunlek avait compris leurs intentions et modifié sa prise sur la corde. Il ne se retenait plus que par le bras gauche, libérant son propre grappin pour réceptionner le pyromage. Shin se propulsa dans les airs et comprit immédiatement qu'il avait la trajectoire idéale pour atteindre sa cible.

— Ouf, pour un demi-élémentaire de glace, on peut dire que j'ai eu chaud !

Fort heureusement pour lui, personne n'était assez proche pour entendre ce trait d'humour. Tous étaient trop occupés à gérer leur propre survie, notamment Bob, qui envisagea, l'espace d'un instant, de tendre son bâton à Grunlek pour que ce dernier le saisisse. Cette perspective était alléchante, pourtant le mage se retint. Son bâton pouvait encore lui servir, il valait mieux ne pas l'abîmer.

Leur synchronisation était parfaite. Bob tendit les bras, Grunlek déclencha l'extension de son grappin, et le mage se laissa prendre, telle une poupée de chiffon qu'on attrape au fond d'un coffre à jouets oublié.

— Bob, cette fois-ci, je ne te lâcherai pas ! cria le nain

— J'ai toujours attendu que tu m'attrapes, Grun.

Tout le groupe semblait en harmonie au cœur de cette action épique. Tandis que le bras de Grunlek attirait le mage vers lui, Shin passa juste à côté du pyromage, voltigeant dans les airs avec la grâce qui le caractérisait parfois. Pendant une seconde, qui leur sembla passer au ralenti, Bob et Shin échangèrent un regard et un sourire. L'instant était beau, mais il passa, ramenant les héros à la réalité. La muraille était toute proche, ils devaient grimper, vite. Théo, en tête de file, peinait à progresser, malgré sa force physique. Il fut sans doute décontenancé par l'arrivée de Shin, qui attrapa la corde un peu en dessous de lui, provoquant du mouvement sur toute la longueur de leur frêle support. Une fois à ce niveau-là, le demi-élémentaire se sentit pris de vertige. Il était incapable de bouger, et donc de progresser le long de la corde.

— Hé, il faut avancer, là ! s'impatienta Grunlek.

Bob ne se fit pas prier. Il se dégagea de l'étreinte puissante du nain et s'accrocha à la corde avec l'énergie du désespoir. Avec sa main libre, Grunlek visa alors le sommet de la muraille. Il voulait à tout prix éviter de s'y cogner. Comme à son habitude, le nain parvint à ses fins, sans lâcher la précieuse corde. La courbure ainsi créée pourrait aider ses camarades. Seuls Bob et Shin étaient encore en danger vis-à-vis de l'imposante paroi de pierre. De façon préventive, le mage envoya un léger trait de feu sur les pierres afin de faire fuir les serpents.

Théo, au plus haut de la corde, était toujours paralysé par la peur. Shin, de son côté, fut assez rapide pour escalader la muraille au moment même où il aurait dû s'y écraser. Ses fortes jambes, entraînées par des années d'aventures, le portèrent avec aisance jusqu'au sommet de l'obstacle. Quant à Bob, conscient de ses faiblesses physiques, choisit de concentrer toutes ses forces pour assurer sa prise sur la corde, quitte à prendre de plein fouet l'impact contre les briques.

— Oh putain, oh putain, oh putain, gn gn gn..... Bloup.

Le choc fut violent. Bob s'écrasa si violemment contre la pierre qu'il la fendilla. Le mage garderait une marque sur la joue pendant plusieurs jours. Au moment fatidique du contact, Bob jurerait, plus tard, avoir entendu les sifflements rageurs des serpents terrorisés.

Après tous ces efforts, les aventuriers étaient enfin, plus ou moins, hors de danger. La muraille avait constitué l'obstacle principal empêchant leur progression vers le manoir.

Désormais, ils étaient enfin aptes à poursuivre et achever leur escalade. 

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