Le Manoir.

Lorsque Wen Junhui s'éveilla, cette fois, une lumière naturelle se dispersait dans la pièce, passant faiblement au travers des volets.

Il cacha instinctivement son visage sous la couette, ayant toujours du mal à émerger le matin. En général, il passait les quinze premières minutes après avoir ouvert les yeux à tourner dans son lit, s'étirer, et tenter de se déterminer à se lever.

Mais aujourd'hui, quelque chose sonnait différemment.
Soudain, il se souvint de sa discussion nocturne avec le jeune Chan.
Sa curiosité s'activa tout aussi violemment que lorsqu'il avait entendu le mot vampire pour la première fois, de la bouche du restaurateur.
Il ressortit sa tête de sous les draps, pressé d'en savoir plus sur ce Manoir, qui faisait désormais battre son cœur bien plus rapidement que la normale.

Sans plus attendre, il sauta du matelas qui criait encore son nom et rejoignit la salle de bain pour s'habiller aussi rapidement qu'il le put, contrôlant autant son enthousiasme qu'un enfant dans un parc d'attractions.

Il enfila un costume à rayures noires et grises qui surplombait une chemise mousseline blanche, passa un collier de perles autour de son cou et accompagna ce précieux bijou d'une boucle d'oreille ornée d'un diamant.
Il fit également un brin de toilette avant de se chausser et de rejoindre le salon qui lui faisait déjà bien trop de l'œil, dans le but de se restaurer.

Ce que l'aventure lui donnait faim.

Il dévala les marches tout en gardant une discrétion implacable, et se dirigea sans plus tarder vers la double porte qui lui ouvrait grand les bras, l'accueillant dans des effluves de parfums divers, passant du sucré au salé selon l'orientation.

À droite, un bar d'environ huit mètres de long courait près du mur, laissant les clients apprécier la brillance de la vaisselle et l'odeur vivifiante du café.
Junhui n'en raffolait pas vraiment, préférant largement la douceur et les multiples variations du thé.

Cependant, ses pas le portèrent immédiatement vers le bout du bar, sur lequel trônaient des viennoiseries en tout genre, passant du traditionnel pain au chocolat à d'alléchants fourrés au fromage.
Mais le détective ne se voyait pas manger du salé aussi tôt, aussi, il s'empara d'un plateau et y déposa deux croissants, un verre de jus d'orange frais et une tasse de thé au caramel, un de ses favoris.

Sa place ne fut pas difficile à trouver, sachant qu'il était le seul client de l'hôtel. De plus, il avait repéré en entrant un fauteuil et une petite table solitaire vers le fond de la salle, collé à une baie vitrée qui donnait sur la petite cour de l'établissement.

Déjà perdu dans sa contemplation des arbres enneigés du jardin, il commençait à peine à manger que la gérante vint le rejoindre, ramenant dans un bruit monstre un siège face au jeune homme.

Heureusement qu'il se sentait prêt à discuter ce matin, relativement réveillé. En temps normal, personne ne pouvait lui tirer plus qu'un grognement lorsqu'il émergeait.
D'un autre côté, il ne voyait jamais personne le matin.

- Bien le bonjour, monsieur ! Avez-vous passé une bonne nuit ? fit la dame.

Elle avait déjà le teint frais et la mine rayonnante. Son chignon était fièrement dressé sur sa tête, ne laissant aucun cheveu rebelle en dépasser. Son maquillage discret relevait la couleur rosée de ses pommettes et diminuait son âge d'au moins cinq bonnes années, et le rouge de ses lèvres ressortait bruyamment sur la blanc de la neige.
Elle était si radieuse, et pour quelqu'un qui voyait tout dépérir autour de lui, c'était surprenant.

- Très bien, madame, merci. lui sourit Junhui, ne voulant pas ternir son enthousiasme avec sa lassitude.

- Je ne vais pas y aller par quatre chemins, annonça-t-elle sans attendre. J'ai parlé au petit, ce matin.

Le détective acquiesça silencieusement.
À vrai dire, il se doutait bien qu'elle les avait entendu cette nuit.
Ses cernes, tant bien que mal cachées par le fond de teint, témoignaient de son sommeil léger.

- J'ai vite compris ce pourquoi vous étiez ici, vous avez une tête connue. Puis, j'imagine que vous ne venez pas pour des vacances. Quoique, à Aubane, vous auriez le temps de vous reposer.

Elle rit, une pointe d'amertume dans ses propos.

- Ce que je n'aurais pas deviné, en revanche, c'est que mon petiot vous avait appelé. Malin, le gamin, très malin. J'ai appris pour son ami, il pleurait tant quand il a su... Vous êtes une bénédiction, vous le savez ça ? On vous en met sans doute trop sur les épaules, mais j'espère terriblement que votre réputation n'est pas qu'une légende.

Ses ongles tapaient fébrilement sur la table en verre, laissant parvenir un son cristallin aux oreilles du brun. Ce dernier vint déposer sa main gauche sur celle de la gérante, qui stoppa son geste en sentant la paume rassurante de son cadet sur sa peau.

- Racontez-moi.

Deux mots.
Une simple demande.
Une invitation à se détendre, à discuter naturellement, comme si tout autour n'était plus sombre.

Madame Han prit une grande inspiration, se para de son habituel sourire, puis rouvrit la bouche, les pensées éclaircies.

- Tout a commencé il y a sept ans. Un hiver comme celui-ci, glacial. La ville était prospère, les habitants heureux, et tout tournait déjà autour du Manoir, qui faisait la fierté d'Aubane. J'y ai été, une fois. J'étais haute comme trois pommes, c'était il y a bien longtemps... C'est un beau bâtiment, ce Manoir, ça oui. Sans doute plus maintenant, mais il scintillait, de mon temps. La famille qui y habitait s'est séparée, certains ont déménagé, d'autres ont quitté ce monde... De braves gens, partis trop vite. Bref, le Manoir s'est retrouvé sans propriétaire, chose qui n'était pas arrivée depuis sa construction, il y a des siècles de cela.

- Et... Qui a pris leur place ?

- Il y a sept ans, quelqu'un a emménagé au Manoir. On a tous supposé que c'était une nouvelle famille, probablement nombreuse, vu la taille du bâtiment.

Elle secoua la tête de gauche à droite, repensant à quel point les habitants voyaient cet emménagement comme une bénédiction.

- Tout a très vite dégénéré. Dès leur arrivée, j'ai senti que quelque chose ne tournait pas rond. On a vu des véhicules passer, chargés d'énormes coffres blindés. Ça aurait dû nous alerter. Certains ont voulu souhaiter la bienvenue aux nouveaux arrivants. Ils ont traversé la forêt, encore lumineuse à cette époque, et ont sonné au Manoir. Personne n'a jamais ouvert, c'est à croire qu'on avait rêvé leur emménagement. On n'a jamais vu leurs visages. Enfin, je dis leurs... Il paraît que c'est un homme solitaire qui arpente ces murs. Est-ce que ça fait partie du mythe ? Aucune idée. Je sais seulement que cette personne a détruit l'âme de notre ville ainsi que la mémoire de la pauvre famille qui a construit le Manoir, et pour ça, je la hais de tout mon être.

La voix de madame Han était désormais teintée de colère, et son histoire en prenait la couleur.

- Le pauvre fou qui vit là-bas n'a jamais entretenu la forêt, qui fait partie de la propriété, alors elle est devenue cet amas de broussailles et de branches mortes. Une espèce de brume y flotte en continu, de ce qu'on a vu au travers des grilles pour y accéder. Ce portail, justement, il est fermé depuis que les voisins ont voulu rendre visite au nouveau. Je vous souhaite bonne chance pour y entrer, quand vous partirez...

- Si les voleurs y arrivent, je devrai m'en sortir. À ce propos, qui a lancé la rumeur du trésor ? Rien n'évoque cette richesse, dans votre histoire.

- Les rumeurs, mon bon monsieur, les rumeurs. De fil en aiguille, le mystère s'est changé en histoire fantastique, terrifiante même. Une bande de jeunes qui se croyaient plus malins que les autres ont escaladé la grille, pour entrer de force dans le Manoir. Ce sont les seuls à en être revenus, je crois. S'ils savaient à quel point ils ont été chanceux... Ils ont raconté à qui voulait l'entendre qu'un vampire hantait les lieux, et que les coffres qu'il avait rapporté ne pouvaient contenir autre chose que son trésor. Je vous passe les détails, mais les gens ont fini par y croire. Cette histoire de vampire dans sa grande maison s'est répandue plus vite qu'un incendie de forêt, et tandis que des imbéciles ont tenté de le voler, les autres sont partis. À force de voir les gens disparaître en s'approchant trop près du monstre, la ville s'est vidée de ses habitants. Il doit rester... Un quart de ce qu'Aubane contenait, déjà qu'on n'était pas nombreux...

- Vous tenez trop à votre ville pour la quitter, n'est-ce pas ? tenta Junhui, certain de la réponse.

- J'imagine que oui... À vrai dire, je n'ai jamais pensé à partir. J'ai une fille qui vit à l'étranger. On a coupé les ponts à cause de différends, et c'est sans doute mieux ainsi. Par conséquent, je n'ai personne qui m'attend ailleurs. Je n'ai aucune raison de partir, le peu que je possède est ici. Le cimetière où sont enterrés mes proches, la vieille maison de mes parents, cet hôtel que j'ai bâti seule... Ma vie est à Aubane, et je souhaite la conclure ici également.

- C'est une jolie histoire, au fond.

Madame Han sourit, manifestement émue de son propre récit. Elle trouvait également que son histoire était belle, à sa façon. La petite ville qui l'avait vue grandir se perdait pourtant à petit feu, mais elle se refusait à voir le même mal grandir en elle.
Aubane était sa maison, quand bien même elle se détruisait brique par brique.

- Tu sais Chan, personne ne t'empêche de nous rejoindre.

Le petit espion qui les observait sans forcément s'en apercevoir depuis une bonne dizaine de minutes sortit de sa cachette, près de la double porte.

- Pardon, monsi-... Junhui. Je vous ai entendu parler, et ça m'a arrêté dans ce que je faisais. Qu'est-ce que je faisais, d'ailleurs ? se questionna-t-il seul. Je ne voulais pas vous couper dans votre conversation.

- Tu n'interromps rien, ne t'en fais pas. Viens donc t'asseoir avec nous, veux-tu ?

Sans attendre de réponse, le détective se leva, et amena un troisième fauteuil à leur table. Il fit signe au plus jeune d'y prendre place, et celui-ci s'exécuta avec un remerciement.

Junhui, qui avait encore sorti son repas de son esprit, s'empara d'un croissant et croqua dedans. Il enchaîna avec une gorgée de son thé, qu'il avait bien évidemment laissé refroidir.
Un jour, il résoudrait l'énigme de sa mémoire inexistante. Probablement son affaire la plus complexe.

- Tu as toujours vécu ici, Chan ? demanda le brun après avoir englouti sa viennoiserie.

Son interlocuteur secoua négativement la tête.

- Non, mais ça fait un moment que je connais la ville. Mes parents ont déménagé ici quand j'avais... Six ans je crois. À cette époque, Aubane était si belle... Forcément, personne n'a emménagé depuis l'arrivée de l'habitant du Manoir. En revanche, le nombre de personnes qui sont parties, je ne le compte plus. Ma mère en fait partie. Elle nous a quitté assez brusquement, mon père et moi. Elle ne supportait plus l'ambiance ici, et on ne peut pas lui en vouloir sur ce point... Je pense que c'est mieux pour elle, j'imagine qu'elle doit être heureuse, où qu'elle soit.

- Tu n'as plus aucun contact avec elle ? tenta son aîné.

Encore un signe négatif.

- Non, aucun. Et mon père... Je l'ai perdu il y a deux ans. Cancer.

Le détective sentit un voile de peine s'abattre sur son visage, soudainement abasourdi par l'histoire du petit, et le courage dont il faisait preuve malgré tout.
Mais, avant qu'il puisse dire quoi que ce soit, Chan recommença à parler, souriant de nouveau.
Il ne voulait vraiment pas laisser la tristesse l'engloutir comme elle dévorait la ville. Elle ne gagnerait pas face au jeune homme, le détective le comprit.

- Et après ça, madame Han m'a pris sous son aile ! Faut pas lui dire, mais c'est vraiment une gentille dame. souffla-t-il pour Junhui, de sorte à ce que la gérante l'entende aussi. Puis, j'avais Seokmin à mes côtés depuis tout petit.

En reparlant de son ami disparu, ses yeux se parèrent de chagrin. Il le chassa en un battement de cils, pour se concentrer sur des souvenirs heureux.
Il se mit à raconter des moments de son enfance auprès de son ami, de leurs ballades dans la forêt encore éclairée du Manoir, des fêtes foraines organisées une fois par an...
Son bonheur se transmit aux deux autres adultes présents dans le salon, et les vives couleurs qu'il peignait pour eux vinrent plonger le blanc de l'hiver dans un arc-en-ciel plein de vie.

Junhui ne saurait dire combien de temps exactement leur conversation avait duré, et cela ne le préoccupait pas le moins du monde.
Il n'avait rencontré que trois personnes à Aubane, mais leurs échanges furent de loin les plus intéressants auxquels il avait eu la chance de participer.

- Déjà midi ? Je vais devoir vous quitter sous peu, mes amis. J'ai un mystère à résoudre, et, si j'ose dire, une ville à guérir.

L'annonce du départ du détective tira une moue inquiète à ses hôtes, qui redoutaient ce moment malgré le fait qu'il doive absolument arriver.

Madame Han lui dit qu'elle allait s'occuper de débarrasser leur table tandis qu'il irait préparer ses affaires pour le voyage.
Il monta donc les marches qui menaient à sa chambre, et vint finir sa toilette avant de réorganiser son sac.

Il remit les quelques babioles sorties à l'intérieur de ce dernier, puis jeta un dernier coup d'œil à l'entièreté de la pièce pour être sûr de ne rien oublier.

Il ferma les portes, son bagage en main, prêt à entrer en terrain méconnu. Il se rendit compte qu'une pointe de stress germait en lui, malgré son expérience des rumeurs effrayantes et son amour pour l'inconnu.
Peut-être que les histoires des deux hôteliers l'avaient atteint plus que de raison, au final.

Il haussa les épaules en s'apercevant de cette sensation nouvelle, préférant l'ignorer et l'accueillir dans une petite part de son être.
Il préférait lui laisser la place qu'elle méritait car il savait qu'elle était bénéfique, en faible quantité.

En revenant dans le hall, il vit deux visages concernés l'attendre patiemment, sans même s'adresser la parole.
Madame Han et Lee Chan ne voulaient décidément pas le voir partir.

Junhui aussi s'était beaucoup attaché à ses deux rencontres. Les habitants encore fidèles à Aubane se trouvaient être de belles personnes, soudées malgré les heures sombres de la ville.
La loyauté qui déambulait dans ces rues quasiment vides impressionnait le brun, qui n'en avait jamais vu ailleurs une similaire à cet endroit.

- Il semblerait que ce soit l'heure... annonça-t-il calmement, ne préférant pas leur exposer son enthousiasme maintenant.

La gérante avança vers la penderie et vint récupérer le manteau ainsi que le couvre-chef du client.
Elle les lui tendit ensuite, puis rouvrit la bouche comme si elle voulait parler, avant de renoncer et de faire deux pas en arrière.

Junhui posa son sac le temps d'enfiler ses affaires, mais s'arrêta avant de poser le haut-de-forme sur sa tête.

Il le tendit à madame Han, qui le saisit sans trop comprendre.

- Gardez-le, comme garantie que je vous reviendrai.

La vieille dame hocha la tête, la larme à l'œil et le cœur sensible aux propos du jeune homme, qui sonnaient déjà comme beaucoup d'adieux auxquels elle avait été confrontée dans sa vie.

Elle promit d'en prendre soin en l'attendant.
Le détective la cru sans problème, et se tourna cette fois-ci vers son cadet, pour lui donner un au revoir spécial.

Mais avant qu'il ait pu dire quoi que ce soit, Chan se jeta dans ses bras avec la même force que la veille, lorsqu'il en avait ressenti le besoin.
Il le serra dans une puissante étreinte, souhaitant l'emprisonner ainsi à jamais.

Le brun la lui rendit, faisant de ce moment sa promesse de retour. Il frotta ensuite les cheveux du plus jeune amicalement, et s'en détacha avec la même délicatesse.

- Je ferai tout pour ramener ton ami, c'est promis. chuchota-t-il à l'oreille du petit.

Ce dernier acquiesça, convaincu mais effrayé qu'aucun des deux ne revienne au final.
Peut-être le détective se perdrait-il de la même manière que Seokmin, et jamais l'on ne reverrait les gens qui s'étaient aventurés au Manoir.

Perdu dans ses pensées, Chan ne vit même pas la porte de l'hôtel se refermer, laissant la brise de l'hiver conclure le passage de Wen Junhui dans l'établissement.
Il s'en allait, confiant mais perdu, fonçant tête baissée vers l'inconnu, puisque c'était ce qui le fascinait.

Il traversa bien vite les rues enneigées, voyant la poudreuse monter jusqu'au bas de ses mollets, emprisonnant ses chaussures à chaque pas.
Le craquement de cette dernière sous son poids le fit sourire, et il se plut à l'écouter durant son avancée.

Il fut par ailleurs surpris de croiser quelques personnes sur son chemin. Lui qui s'attendait à trouver une ville fantôme, peuplée de seulement quelques vieux fous qui patientaient juste ici pour finir leur vie.
Non, Aubane respirait encore.
Elle suffoquait, elle manquait d'air, mais son cœur battait toujours grâce aux fidèles qui lui donnaient son oxygène.

Les gens qu'il croisa lui sourirent, connaissant sans doute pour la plupart son visage, d'autant que ce dernier n'était plus caché par son haut-de-forme. Le détective constata une fois de plus sa réputation, qui s'élevait bien plus loin que ce qu'il aurait cru.

Au bout d'environ une demi-heure de marche, il arriva à destination.

La grille du Manoir imposait d'ores et déjà sa grandeur devant ses yeux ébahis, et la forêt qu'elle protégeait criait aux inconscients de ne surtout pas la traverser, au risque d'y disparaître.

Les barreaux qui stoppaient la progression du jeune homme étaient rouillés, et simplement reliés par une chaîne au bout de laquelle pendait un cadenas. Trop facile.

Junhui avait quelques connaissances qui facilitaient la plupart de ses enquêtes, comme par exemple celle de crocheter les serrures.
Celle-ci était vieille, abîmée, et déjà forcée.

Il ouvrit son sac et en sortit une paire de crochets, qu'il inséra dans le cadenas et tourna de sorte à ce qu'il entende un cliquetis positif.
Le bruit métallique ne se fit pas prier pour retentir, et le cadenas s'ouvrit.

Le brun rangea ses outils et déroula les chaînes qui liaient les deux grandes portes, qu'il poussa alors l'une après l'autre.
Le portail céda dans un cri strident, et fit s'envoler des corbeaux posés sur la branche d'un arbre proche.

Ainsi, l'homme se dressait devant la majesté des chênes, qui montraient leur supériorité en frémissant au gré du vent.

Junhui avança sur le début de sentier caillouteux qui démarrait à ses pieds, et il remarqua alors que la neige n'était pas tombée ici.

En relevant le visage, il vit que le feuillage épais des arbres ne risquait pas de laisser passer le moindre flocon. C'était à croire que l'atmosphère de cette propriété n'appartenait plus au monde extérieur, qu'elle en divergeait totalement.

Mais surtout, si même une nature étrangère n'était pas permise d'entrer, qu'advenait-il des hommes qui s'accordaient ce droit ?
Il semblait que tout ici sentait la magie, malgré le fait qu'elle n'existait pas.
Elle n'existait pas pour les ignorants, néanmoins, le détective la voyait partout, même dans ses raisonnements les plus scientifiques.

Le brun refusait de croire qu'il n'y avait pas une once de magie, dans cet environnement décrit de mille légendes.
Son esprit était ouvert aux moindres théories, aussi folles soient-elles, et l'expérience lui avait prouvé l'importance de ses croyances.

Car grâce à des raisonnements jugés loufoques et inimaginables par ses confrères, de nombreuses affaires s'était résolues en quelques explications.

Le sentier disparut au bout d'une trentaine de mètres seulement, laissant place à une noirceur insoupçonnée jusque là.

Heureusement, le détective avait toujours une lampe de poche avec lui, qui lui fut bien utile à cet instant.

Il la dégaina et laissa ses faisceaux faire face aux ténèbres. Mais ces dernières les avalèrent comme s'ils n'étaient rien que de minuscules lucioles, à peine lumineuses dans une nuit si sombre.

Le jeune homme ne se démonta pas pour autant, et laissa alors son instinct le guider, priant pour qu'il soit suffisant cette fois encore.

Il reprit sa marche en tâtonnant, fit attention à ne pas se prendre les pieds dans des racines ou le corps dans des troncs, et réussit plus ou moins à parcourir du chemin.

Il sourit en songeant à ses collègues, qu'il ne considérait d'ailleurs pas vraiment comme tels.
Tous ces hommes et toutes ces femmes qui préféraient résoudre leurs enquêtes près du feu, la tête dans des dossiers énormes remplis de feuilles illisibles.
Ces effrayés du monde extérieur, ces fainéants qui refusaient d'admettre que c'était dans le bruit et la foule que l'on trouvait le plus d'indices.

Non, en dehors d'une quelconque scène de crime, jamais on ne verrait un seul de ces personnages mettre le nez dans la vie, la vraie.
Ils préféraient user leurs esprits sans comprendre qu'ils avaient leurs limites, et qu'elles ne pouvaient être franchies qu'en sortant de leur zone de confort.

Junhui avait préféré se créer une zone de confort qui entourait l'entièreté du monde, connu et inconnu. Ici, il se sentait bien, entier.
Il était devenu sa propre bulle, car là où son corps le menait, sa tête le suivait, sereine même face au danger.

Le vaste univers qui l'entourait le mettait en sécurité, et cela en surprenait plus d'un.

Dissipé dans ses songes, le détective ne vit même pas l'orée de la forêt pointer son nez.
Seul le craquement de la neige le rappela à la réalité, et lui fit comprendre qu'il était sorti de la pénombre.

Si facile ?

Si aisément, le sol avait recouvert sa brillante blancheur, tandis que le ciel faisait de nouveau pleuvoir la poudreuse par milliers de perles gelées.

Il faisait nuit, mais ça ne choqua même pas Junhui.

Non, il y avait bien plus intéressant à constater.

Il était là.
Juste au bout du sentier miraculeusement réapparu.

Le Manoir.

Imposant sa splendeur qui jamais n'avait fané, qui ne fanerait jamais.
Sa beauté frappait autant que sa posture, fière et droite.
Ses briques sombres annonçaient sa force, tandis que sa symétrie rappelait sa puissance sans faille.
Il n'était même pas éclairé, pourtant, ce qu'il brillait.
Sa lumière, miroir de la lune, aurait pu aveugler un non-voyant.

En son centre se dressait une porte gigantesque, d'un bois ignifuge et incassable. Deux statues la bordaient, hautes de deux et larges de quatre bons mètres. Depuis l'endroit où se tenait l'étranger, on ne pouvait que distinguer leur forme, et c'est en s'approchant qu'on voyait qu'il s'agissait en réalité de deux aigles. Deux animaux majestueux, déployant leurs ailes comme s'ils pouvaient s'envoler, se libérer de leur entrave de pierre.

Autrement, les courbes du bâtiment renvoyaient une image presque sensuelle, délicate et agréable à contempler.
Ce n'est que lorsqu'on les remontait du regard, et qu'on voyait leur course folle s'arrêter dans une ligne dure et droite, qu'on était brusquement ramené à notre minuscule existence de mortel.

Le toit qui recouvrait la forme rectangulaire du Manoir était agrémenté de pans en triangles, au-dessus des quatre grandes baies vitrées de la façade, au niveau du troisième étage de la bâtisse.

Junhui s'avança, ses pieds suivant le sentier, ses pupilles admirant tout ce qui l'entourait.
Pas une fois il ne se retourna vers la forêt, dont il s'éloignait comme d'un mauvais rêve.
Il aurait souhaité posséder mille yeux pour pouvoir tout observer en même temps.
Souhaité avoir des ailes, qu'il puisse s'envoler par delà l'imposante structure qui lui faisait face, et découvrir le monde magique qu'elle cachait.
Sa curiosité le dépassait, enveloppée dans l'étreinte mystique du Manoir.

Ici, on lui aurait fait avaler n'importe quoi.
Qu'un vampire habitait ces lieux ? Et puis pourquoi pas, vu l'aspect fantastique et irréel de l'environnement ?

On aurait pu se méprendre, et croire que le détective avait quitté le corps du jeune homme, désormais habité par l'esprit d'un enfant.
Bien au contraire, lorsque ses sens étaient en éveil, Wen Junhui prouvait l'étendue de son talent.

Il s'arrêta juste devant l'entrée du Manoir, après avoir gravi quelques marches. Il s'empêcha de toquer au dernier instant, trop précipité.
La porte lui parut bien plus grande et solide lorsqu'elle le surplomba.

- C'est à couper le souffle...

Il prononça ces mots à voix haute, perdu dans sa contemplation.
Soudain, comme si le propriétaire du domaine n'attendait que le son de la voix de son visiteur pour lui ouvrir, la porte émit un bruit sourd, et s'activa.

Ses deux pans s'écartèrent pour dévoiler un hall d'entrée d'une profondeur indiscernable et d'une luminosité à faire briller l'entièreté du ciel ombragé.

Le détective recula, et lâcha son sac en manquant de trébucher sur le petit escalier. Ce dernier tomba à trois pas du jeune homme, qui les franchit pour le récupérer.

En relevant la tête après avoir épousseté son bagage, il se rendit compte qu'il n'était plus seul.

Un homme de taille moyenne, le regard perçant, les cheveux blonds, presque blancs, et le corps droit, fixait l'étranger d'un œil indescriptible.
Comme s'il essayait de le percer à jour grâce à deux yeux d'azur, qui détermineraient sans doute si sa présence était la bienvenue ou non.

Junhui tenta de le jauger plus rapidement.

De par le costume chic mais modeste de l'homme, il en déduit qu'il faisait probablement office de majordome ici. Il n'était certainement pas le propriétaire, à moins de décevoir profondément le détective.
De par les traits de son visage, légèrement ovale, et grâce à sa peau blanche et douce de porcelaine, il vit la jeunesse. Le blond devait tomber dans sa tranche d'âge, voire en dessous.
Mais son attitude... Elle était synonyme de maturité, de contrôle, de droiture, de soin.
Domestique, pour sûr.
Y en avait-il d'autres ? Il supposa que non.

L'inconnu saisit de ses doigts délicats une montre à gousset sortie de sa poche, et constata l'heure sans broncher.
Après quoi il remit l'objet à sa place, et releva ce même visage impassible devant le brun.

- Le dîner sera servi dans dix minutes. Vous joignez-vous à nous, monsieur Wen ?

Le majordome avait parlé d'une voix aussi posée que son allure, ponctuée d'un accent anglais assez prononcé.
Avant même d'entendre la réponse de Junhui, il ajouta, avec le début d'un sourire :

- Bien sûr, qu'il se joint à nous.

Comme une pensée dite tout haut, et puis...

- Vous êtes son invité, après tout.

Son invité...

Le détective acquiesça sans un mot, incroyablement serein, et avança d'une démarche assurée dans le hall qui lui tendait les bras.
Sa curiosité ne s'était jamais tant manifestée, il ne revenait toujours pas de ce qu'il avait sous les yeux.

Car une chose l'attirait irrésistiblement vers les entrailles du bâtiment.
Le visage de son hôte.

Le vampire du Manoir d'Aubane.

















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24 février
J'ai un peu mis 8 ans à l'écrire j'ai l'impression ptdrrr 4500 mots c'est long-
La dernière partie est celle qui m'intéresse le plus uwu j'ai hâte de l'écrire ~

3 mars
Hi ~
Voilà la 2eme partie hehe
J'ai que 1500 mots sur la 3eme vous croyez que jvais y arriver pour vendredi ? :')

Pour la 2eme partie, c'est Impressionable le thème du Manoir ~
Encore du Taemin pour la 3eme, ses musiques sont pépites pour ce genre d'ambiance uwu

Bonne journée / soirée / nuit, loʌe u ♡

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