Chapitre 25 - Le prix du sacrifice


Le rugissement de l'Ombre, rauque et métallique, résonnait dans tout le hall, ébranlant les murs du Manoir Mécanique et projetant des éclats de plâtre du plafond. Marina ne l'entendit pas, absorbée par le regard résolu de sa grand-mère. L'éclat de défi dans ses yeux glacés semblait se moquer du chaos qui les entourait.

Haletante, Marina s'élança. Ses pieds trébuchaient sur des morceaux de métal brisé et des éclats de verre éparpillés sur le sol.

Babeth se tenait droite, implacable, les mains fermement posées sur son cœur mécanique. Lorsque Marina parvint enfin à elle, sa grand-mère avait déjà déchiré son corsage. Un éclat doré jaillit sous la lumière vacillante : un pan entier de sa poitrine était fait de métal doré. Une petite case fermée, avec un trou de serrure, se trouvait à la place de son sein droit. Babeth ôta rapidement le pendentif qui pendait autour de son cou, une petite clé se trouvait à son extrémité. Elle l'approcha de la serrure lorsque la main de Marina retint son mouvement.

— Non ! Arrête ! supplia l'adolescente, le désespoir étreignant sa voix. Il doit y avoir une autre solution !

Les yeux de Babeth, froids mais empreints de tendresse, sondèrent les siens.

— Regarde autour de toi, ma chérie, souffla-t-elle. Chaque seconde que nous perdons condamne un peu plus ceux que nous aimons.

Autour d'elles, les cris et les grincements d'acier emplissaient l'air. B3t@ et Liam continuaient de retenir l'Ombre. Tony gisait au sol, le visage crispé. Chacun de ses gémissements était un mélange de douleur et de rage contenue. Félicité était agenouillée à ses côtés, ses mains tremblantes pressaient un tissu déjà saturé de sang contre la plaie béante où son membre mécanique avait été arraché. Lucas, le visage blême, cherchait déjà la jambe d'aurilithe à travers les décombres.

— Mon cœur peut mettre fin à tout cela, murmura Babeth avec douceur. Il le faut...

— Non ! répondit Marina.

Elle resserra sa prise sur les poignets de sa grand-mère pour la maintenir immobile, mais cette dernière, malgré son âge, semblait animée d'une force surnaturelle. Celle de l'amour pour les siens.

C'est alors qu'un souffle glacé s'éleva dans l'air, et les bruits de combat semblèrent s'éteindre l'un après l'autre. Marina releva brusquement la tête, une sensation glaciale rampant le long de son échine.

L'Ombre était là. Ses yeux, deux lueurs rougeoyantes, s'étaient fixés sur elles.

— Elles nous a repérées... murmura Babeth, son visage blême mais résolu.

— Je refuse que tu te sacrifies ! cria Marina.

La créature bondit soudain, un monstre d'acier, une masse informe et terrifiante dont les appendices semblaient jaillir dans toutes les directions. Chaque mouvement s'accompagnait d'un grincement strident, comme un cri déchirant d'engrenages torturés.

Tout ce qui se trouvait sur son passage était broyé sans effort par ses membres imprévisibles. Les meubles, les murs, leurs espoirs.

Marina sentit son coeur s'emballa, mais son corps bougea avant que la peur ne la paralyse. Elle tira la vieille femme en arrière, manquant de trébucher sur une chaise renversée.

— Allons-y !

Une silhouette humanoïde surgit entre elles et l'Ombre. B3t@ semblait presque minuscule face à la masse monstrueuse. Le regard rougeoyant de la bête se reflétait sur son armure cabossée dans un halo inquiétant. D'un geste, le robot valet leva le bras, prêt à affronter la tempête.

— Reculez, toutes les deux ! déclara-t-il d'une voix vibrante d'autorité.

Marina crut entendre Babeth murmurer le prénom de son père, mais elle n'avait pas le temps de lui raconter les derniers événements.

Elle fit un pas en arrière au moment où le bras mécanique de B3t@ fendit l'air, rencontrant la masse sombre de l'Ombre dans une collision qui fit vibrer le sol.

— RECULEZ ! répéta-t-il.

Derrière elles, une autre voix se fit entendre, celle de Jean. Il courait à grandes enjambées, tenant fermement une barre métallique dans les mains. Son visage, maculé de poussière, il s'interposa sans hésiter entre l'Ombre et les deux femme, juste à côté du robot valet.

— Je vais l'aider ! Emmène ta grand-mère loin d'ici ! cria-t-il à Marina.

Mais la jeune fille secoua la tête, elle refusait de les voir se mettre en danger.

L'Ombre s'arrêta un instant pour observer B3t@ et Jean, comme une bête sauvage jaugeant sa proies. Ses griffes raclèrent le sol dans un crissement terrifiant. Puis, dans un mouvement rapide et fluide, elle pivota, braquant ses lueurs écarlate sur Jean.

— Jean, non ! le supplia Marina.

C'est alors qu'elle sentit le poids des mains de Babeth se relâcher. Avant qu'elle ne puisse réagir, sa grand-mère se libéra de son emprise.

— Mamie !

Profitant de la distraction, Babeth s'élança vers l'endroit où elles s'étaient tenues quelques instants plus tôt. Accroupie, elle fouilla fébrilement le sol couvert de débris. La clé. Elle l'avait perdue.

Marina chercha partout une solution autour d'elle, n'importe quoi qui lui permettrait d'arrêter l'Ombre avant que la vieille femme ne se sacrifie.

Dans un coin de la pièce, elle repéra pour la première fois son grand-père Gillias. Son fauteuil formait un bouclier doré qui l'englobait, lui et ses petites-filles, blotties contre lui. Cette vision lui apporta un bref soulagement, mais la protection qu'offrait le fauteuil de son grand-père ne permettrait pas de mettre quiconque de plus à l'abri.

Plus loin, Lucas, les genoux écorchés, se frayait un chemin jusqu'à la machine à énergie bricolée par Liam. Les mains tremblantes, mais déterminées, il essayait de comprendre comment l'utiliser pour arrêter l'Ombre. Les doigts de son cousin parcouraient les câbles emmêlés, cherchant désespérément comment fonctionnait l'engin, jusqu'à repérer le levier dont son père s'était servi plus tôt.

Mais, derrière lui, une silhouette s'avançait, silencieuse et implacable.

— Lucas, baisse-toi ! hurla Félicité, la voix brisée par l'effroi.

Son fils obéit une seconde avant que la bête ne projette violemment un meuble dans sa direction. Le fracas résonna lorsqu'il vint s'écraser contre le meuble, le bois éclatant sous la force de l'impact. Lucas, les yeux écarquillés par la terreur, s'élança en arrière pour éviter de justesse les éclats qui fusaient autour de lui.

Il hésita un instant, la sueur perlant sur son front, avant de se précipiter à nouveau vers l'engin. Il s'empara du levier, puis, d'un geste trempa, le tira vers lui. Un vrombissement sourd emplit la pièce. Une lumière aveuglante émana la machine,jaillit en un rayon contré qui frappa directement l'Ombre.

La créature hurla, un cri strident et inhumain qui fit frémir l'air. Ses griffes raclèrent le sol, creusant des sillons dans les débris tandis qu'elle se tordait pour échapper à l'énergie brûlante de la machine.

— Ça a marché ! se réjouit Lucas, sa voix teintée d'un espoir nouveau.

Mais à peine ses mots étaient-ils prononcés que l'énergie commença déjà à faiblir.

Marina, les jambes tremblantes de peur, se précipita vers sa grand-mère accroupie sur le sol. Elle saisit son poignet pour l'arrêter.

— Mamie, arrête ! Je ne peux pas te perdre, toi aussi...

Babeth releva la tête, les yeux emplis d'une tristesse infinie.

— Ma petite-fille... c'est ma décision. Tu es une Clérouage, tu seras toujours une Clérouage. Mais c'est la seule manière de t'offrir la famille que tu mérites.

Le coeur de Marina se serra; elle secoua la tête avec véhémence.

— Ma famille ne sera pas complète si tu n'es pas là. On peut encore trouver un autre moyen. On peut utiliser la machine, ou...

Babeth posa une main tremblante sur sa joue et la força à la regarder dans les yeux. Ses prunelles d'un vert profond brillaient d'un amour infini.

— Parfois, il faut accepter de laisser partir ceux qu'on aime, pour protéger ceux qui restent. Je t'aime, Marina. Mais tu dois me laisser faire.

Les larmes brouillèrent la vue de l'adolescente, et elle sentit sa résistance faiblir. Sa main glissa et heurta le collier de Babeth. Elle le saisit, et le tendit vers son aïeule, qui lui adressa un sourire reconnaissant.

La vieille femme ouvrit délicatement le coffre dans son poitrine, dévoilant une petite sphère lumineuse. Elle palpitait doucement, comme un cœur battant. Babeth la prit avec précaution, sa lumière dorée illuminait ses traits fatigués. Elle se redressa et s'avança vers la bête encore immobilisée par la douleur.

Tous les regards de la pièce convergèrent vers elle. Certains tentèrent de l'arrêter, d'autres supplièrent en silence. Mais rien ne pouvait l'arrêter, elle avait déjà pris sa décision.

Arrivée à un pas de la créature, elle murmura d'une voix calme :

— C'est terminé, maintenant.

Mais alors qu'elle tendait son coeur vers l'Ombre, le rayon lumineux de la machine cessa brutalement de fonctionner. La lumière vailla, puis s'éteignit.

La bête, à présent libérée bien que sonnée, se redressa dans un rugissement de colère.

— Non ! hurla Marina.

Une terreur collective explosa dans la pièce.

B3t@ surgit devant la vieille femme, son corps endommagé par les nombreuses attaques qu'il avait subi laissait échapper des étincelles et un fluide noirâtre. Il se tourna vers Babeth.

— Il est temps de réparer mes erreurs, dit-il. Veille sur ma fille, maman.

Babeth, déstabilisée, ne pouvait que le regarder, la stupeur figée sur ses traits. Mais ni elle, ni personne, n'eût le temps de réagir.

Dans un dernier acte de bravoure, Alistair saisit son propre cœur. Une lumière dorée en jaillit, se mêlant à l'obscurité de la pièce. Il enfonça l'organe à travers la cage thoracique en aurilithe de la créature. Des éclats de lumière explosèrent, illuminant le hall comme en plein jour. Tous se couvrirent les yeux en gémissant.

L'Ombre hurla, avant de se jeter sur lui. Ses griffes sifflèrent dans l'air dans un dernier élan de fureur. Marina regarda la scène sous son bras.

B3t@ fut transpercé et se désintégra sous l'attaque. Ses bras et ses jambes volèrent en éclats, son corps se réduisant à une masse informe et brisée.

L'Ombre vacilla, ses membres d'acier tremblants. Ses yeux rougeoyants s'éteignirent un à un, puis elle s'effondra dans un fracas métallique.

L'adolescente s'effondra au sol, les larmes roulant sur ses joues. Autour d'elle, la famille était figée dans une stupeur silencieuse.

Babeth chancela. Jean vint la soutenir et la guida lentement vers une chaise. Avec douceur, il remit son cœur en aurilithe dans sa poitrine, referma avec soin, puis remit la clé autour de son cou.

— Il nous a tous sauvés, dit-il alors, la voix brisée par l'émotion. Alistair nous a sauvés. 

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